On ne réinvente pas la roue (Nkwa Ngolo Zonso)

 

 
 
La carte du continent
africain.

Dans cet article, nous nous
proposons de démontrer la grande faiblesse de cet argument. Pour ce faire, nous
allons utiliser l’exemple même de la roue. Qu’est-ce qu’en fait une roue ? A
quand remonte son invention ? La roue est-elle restée identique depuis lors ? En
d’autres termes, existe-t-il un ou plusieurs types de roues ? Une roue
particulière remplit-elle sa mission avec les mêmes résultats sur n’importe quel
terrain et dans n’importe quel domaine d’activité ? Que signifie l’expression «
On ne réinvente pas la roue » ?

L’encyclopédie en ligne Wikipédia définit
la roue comme « un organe ou pièce mécanique de forme circulaire tournant autour
d’un axe passant par son centre ». Wikipédia précise que « la roue constitue un
des fondements de nos technologies des transports. Elle permet de déplacer sur
terre des charges importantes, en réduisant les forces de frottement. Elle est
indispensable dans la plupart des moyens de transport terrestres ». Pour
Wikipédia, « on situe généralement l’invention de la roue vers 3500 avant J.-C.
à Summer en basse Mésopotamie. Les premières roues étaient pleines, en pierre
d’une seule pièce, ou en bois souvent constituées de trois ou quatre pièces
assemblées. Les roues à rayons et à jantes, plus légères, seraient apparues
environ 2000 ans avant J.-C. ».

Wikipédia décrit plusieurs types de roue.
Retenons en deux dans le cadre de notre démonstration. Une roue est dite «
dentée lorsqu’elle transmet le mouvement par obstacle à d’autres pièces par le
biais de dents qui la garnissent sur son pourtour ». Une roue est « à aubes
quand elle comporte des sortes de cuillères ou palettes (les aubes) ». En plus
de la différence dans la matière utilisée, la manière dont celle-ci est taillée
et la forme que peut prendre le pourtour de la roue, Wikipédia note que dans un
premier temps, « les roues étaient solidaires de l’essieu, celui-ci constituant
alors un axe reliant deux roues situées de part et d’autre de la caisse. Pour
réduire le frottement entre l’axe et le châssis reposant sur lui, divers
procédés ont été mis au point, dont notamment un trou dans un madrier faisant
office de membrure, ce trou étant garni de galets lubrifiés avec de l’huile.
Désormais les roues sont montées sur leur axe à l’aide de roulements à billes ou
à rouleaux, ou de paliers hydrodynamiques. Ces derniers assurent une liaison
mécanique fiable, avec un minimum de frottements ».

Que la roue soit en
pierre, en bois, en acier ou encore en caoutchouc ; qu’elle soit pleine ou avec
des rayons ; qu’elle soit dentée ou à aubes ; qu’elle soit utilisée pour notre
divertissement lors des fêtes foraines ou dans bien d’autres domaines
technologiques, cela ne change rien quant à sa nature de roue. La nature de la
roue reste la même. Mais sa forme change à la fois au gré des terrains où l’on
veut l’utiliser et des usages qu’on en fait. Le changement de forme répond donc
à un et un seul impératif, à savoir l’efficacité dans sa mission de
roue. 

L’importance de la roue dans la société a donné naissance à
plusieurs expressions dont le fameux « On ne réinvente pas la roue », qui
signifie « refaire inutilement quelque chose qui a déjà été fait il y a
longtemps ». Quand les Africains utilisent cette expression en soutenant qu’il
n’existe pas une démocratie pour les Blancs de l’Occident et une démocratie pour
les Nègres d’Afrique, ils entretiennent tout simplement la confusion entre le
fond et la forme. Comme la roue, la démocratie peut revêtir plusieurs formes.
Comme la roue, la démocratie doit s’adapter au terrain. Celui qui a inventé la
roue en caoutchouc pour mieux rouler sur les routes asphaltées n’a pas réinventé
la roue. Il a tout simplement adapté celle-ci à un terrain particulier. Si
l’homme s’était entêté à rouler sur le macadam avec une roue en bois, l’humanité
continuerait à se casser chaque fois les dents. C’est précisément ce qui arrive
à l’Afrique depuis les indépendances. Plaider pour une alternative à la
démocratie partisane et conflictuelle, ce n’est pas réinventer la démocratie ou
refaire inutilement quelque chose qui existe déjà en Occident. C’est trouver une
forme conforme à la réalité politique africaine et qui serait susceptible
d’asseoir enfin la démocratie en Afrique. Depuis les indépendances, nous nous
cassons les dents parce que nous ne comprenons pas que le modèle Westminster de
la démocratie n’est qu’une forme de démocratie et non la démocratie tout
court.

La démocratie n’est rien d’autre qu’un système politique dans
lequel le pouvoir arrête le pouvoir ; ce qui différencie ce système d’une
dictature. Or, dans les soit disant jeunes démocraties africaines, rien ne peut
arrêter le pouvoir exécutif tel qu’incarné par les chefs d’Etat qui reprennent
facilement à leur compte le despotisme colonial. Si cette situation perdure,
c’est parce que nous n’avons jamais essayé de construire la démocratie avec
réalisme. Nous avons toujours cédé à la facilité de l’imitation. Or, comme
l’avait si bien écrit Mabika Kalanda dans « La remise en question. Base de la
décolonisation mentale », « ceux qui s’abstiennent du travail de conception ou
le négligent, ne peuvent rien créer de durable. Leur état d’esprit, par contre,
favoriserait la confusion et le chaos autour d’eux ». 

Edem Kodjo, qui
avait induit des générations d’intellectuels en erreur, s’était déjà ravisé en
soutenant : « Etudiant la société africaine traditionnelle dans son
organisation, des penseurs africains tels Cheik Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo et
Amadou Hampaté Bâ, pour ne citer qu’eux, ont montré que, chef suprême de
communauté, de principauté ou de village, le souverain africain traditionnel est
toujours entouré d’assemblées ou de conseils de sages qui le guident dans les
décisions et orientent ses actions dans le sens des intérêts des collectivités
qu’il dirige ». Cela signifie que le despotisme postcolonial, aujourd’hui
incarné par Joseph Kabila dans la République Démagogique du Congo, est plus
l’héritage du despotisme colonial que des institutions politiques
traditionnelles africaines. Aussi Edem Kodjo lance-t-il aujourd’hui un appel à
la réflexion afin d’adapter la démocratie aux réalités africaines.
Malheureusement, la colonisation mentale est si tenace que la révérence pour le
modèle occidental, pourtant clairement nuisible, a encore de beaux jours devant
elle… pour davantage de massacres. Et dire que la grande ambition de la
philosophie politique de recours à l’authenticité était justement de nous guérir
de la colonisation mentale ! Qu’est-ce qu’il nous a cochonnés, Mobutu ! Pourquoi
n’allait-il pas au bout de ses brillantes idées ? Et tous ces grands noms qui
gravitaient autour de lui ! De la racaille sans conviction politique !

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