24.03.12 Le Potentiel – Cinq questions à Thierry Landu
1. Pensez-vous que la formation dun gouvernement dunion nationale pourra décrisper la crise postélectorale ?
Non, je ne pense pas. Je ne crois pas à cette formule de gouvernement de large union nationale qui ressemble plus à un partage de gâteau entre ceux qui sont au pouvoir et les membres de lOpposition. Avant de parler dun gouvernement de large union nationale, il faut dabord quon ait une vision commune du Congo. Et cest à partir de ce moment-là quon pourra se mettre ensemble pour construire le Congo à partir de cette vision. Jai limpression quil ny a pas de vision commune. Et quand on parle de gouvernement de large union nationale, cest juste accédé à des fonctions politiques et après, on ne sait pas quest-ce quon fait avec ça. Si cest pour calmer la crise, on ne la calme pas avec une solution de façade. On calme plutôt une crise en connaissant dabord ses causes réelles. La crise actuelle est consécutive à la mauvaise organisation des élections de novembre 2012. Il y a eu la fraude, la tricherie. Cest ce qui a donné lieu à la crise. Par rapport à cela, quelle est la réponse que nous donnons en tant que communauté. Est-ce que nous devons négocier pour accepter la forfaiture ? Est-ce que nous devons nous mettre ensemble autour dun gouvernement de large union nationale pour simplement taire la tricherie ? Si cest cela, ça namènera aucune solution durable.
2. Avez-vous à cet effet un autre schéma à proposer?
Nous sommes en train daller vers une situation qui sera extra constitutionnelle. Je me dis que les élections du 28 novembre 2011 doivent être purement et simplement annulées. Je crois que je ne suis pas le seul à le dire. Même les évêques sont allés dans cette direction-là. La grosse difficulté que nous avons, cest que, si on est daccord quon annule lélection présidentielle, il y a Kabila et Tshisekedi. Cest entre ces deux quune solution à la crise peut se dégager dans une attente, pour pouvoir gérer une transition qui va justement conduire à lorganisation de nouvelles élections.
3. Parlez-vous du dialogue ?
La crainte de beaucoup de Congolais lorsquon parle de dialogue, cest de voir la grande masse de gens qui recommencent des négociations qui nen finissent jamais. Je ne parle pas dun grand dialogue de ce genre. Nous savons tous, quà lissue des élections que nous venons davoir, il y a deux prétendants qui se battent pour le pouvoir. Lun dit quil est légal, et lautre légitime. Mettons-les ensemble. Quils définissent leur fonctionnement à la tête de lEtat. Je crois souvent à la formule allemande. Il y en a un qui dit quil est légalement président, quil le devienne du genre président allemand. Et lautre qui le dit aussi légitimement, il peut être par exemple, vice-président avec des fonctions comme celles du chancelier allemand. Il soccupe de la gestion quotidienne du pays. Ils se fixent, par exemple, un timing de deux ans, et pendant ces deux ans, à la fin de la première année, ils doivent être capables dorganiser des élections locales et provinciales. Cela est faisable, à condition que lon puisse surseoir la Constitution actuelle, quon fasse un ensemble des règles de jeu qui permette de fonctionner pendant cette transition. Quon mette aussi de côté la CENI dans sa structure actuelle, parce que ceux qui ont organisé ces élections ont fait preuve de beaucoup dincompétence et de lacunes. Donc, cest une autre équipe qui devra organiser les élections. Je crois que la sortie de la crise pourrait aller dans cette direction-là. Pour que les deux se mettent ensemble et travaillent dans un contexte où ils se partagent le pouvoir en se respectant mutuellement dans les espaces de pouvoir des uns et des autres, pour quon puisse organiser ces élections locales, provinciales et arriver aux élections législatives. Et au terme du processus dans les deux ans, arriver à lélection présidentielle. En ce moment-là, on peut aller vers quelque chose qui pourrait sétablir dans la vérité et la justice. Parce que le souci aujourdhui nest pas davoir un gouvernement de large union nationale, cest plutôt davoir des valeurs comme socle de la future démocratie que nous voulons installer dans ce pays. Si pour ce faire on se contente dun gouvernement dunion nationale afin de se partager les postes, on est dans le faux. Cest ce que jappelle la démocratie de façade.
4. Que pensez-vous du choix du futur Premier ministre ?
A tout moment quon est face à un choix de ce genre, il y a toujours darguments. On parle de laspect sociologique, de laspect compétence. Laspect équilibre régional pour essayer de satisfaire tout le monde. Je crois que le premier élément dans tout choix que nous devons opérer, cest dabord laspect compétence. Si à travers toutes nos ethnies nous avons choisi des hommes et des femmes compétents, nous rendrons un bon service à la communauté.
5. Que peut-on retenir?
A partir du moment où lon se retrouve dans un espace comme celui du partage dun gâteau entre guillemets, les uns et les autres commencent à afficher une attitude telle que nous y sommes et il faut à tout prix protéger cela. Cette attitude ne résout pas la crise. A propos du rapport de lOnu sur les violations des droits de lHomme en RDC pendant la période électorale, au-delà de cette perspective, dont les accusations accableraient le gouvernement ou non, moi je suis accablé du fait que je suis dans un Etat qui ne respecte pas ma vie. Cela maccable plus nimporte quel rapport. Jai limpression que tout celui qui accède au pouvoir, une fois là, ne se rend pas compte de limportance de la vie de lautre. Pourtant, la valeur première et essentielle dans la société, cest le respect de la vie humaine.
Propos recueillis par Pitshou Mulumba
(*) Professeur à lUniversité de Kinshasa