l’independance du judiciaire… incompatible avec les cultures intellectuelles, juridiques et politiques des congolais ? (Anicet Mobe Fansiama)

Le jeudi 01 mars 2012, les bureaux de l’Inspectorat
général de la police judiciaire à Gombe ont été le théâtre des scènes de
violences inouïes perpétrées par les milices « Kulunas »arborant des
insignes du parti Pprd. Elles voulaient empêcher le dépôt d’une plainte contre
l’ancien président de l’Assemblée nationale, Evariste Boshab qui se trouve être
le Secrétaire-général du Pprd,le Parti présidentiel.. Cette entrave au bon
fonctionnement des institutions assurant l’administration de la justice
ravivent les critiques acerbes suscitées
par le verdict de la cour suprême de justice validant les résultats de
l’élection présidentielle.

 

D’emblée, il convient de dépassionner le débat pour libérer
la réflexion d’un corset culturel prompt à enserrer la pensée dans un
ostracisme doctrinal pour idéologiser toute analyse abordant une question
sociétale. La docilité de la magistrature à l’égard du pouvoir politique n’est
pas une exclusivité des régimes dictatoriaux. En démocratie, notamment en
période de crise, il n’est pas rare qu’un gouvernement soit tenté d’assujettir
la justice[1].

Depuis des décennies, la justice est en proie à une crise de
légitimité en France et elle s’éloigne de plus en plus du citoyen pour se
rapprocher du pouvoir[2].
L’indépendance du judiciaire est un problème de brûlante actualité tant au
Congo qu’ailleurs, notamment en France.

éléments d’une problématique…

Afin de défaire les liens de dépendance du Parquet vis-à-vis
du pouvoir exécutif, des magistrats ont lancé le 14 juillet 2010 un appel qui a
 recueilli plus de 40.000 signatures. Le
Club « Droits, Justice, Sécurité » réunit les
initiateurs de cet appel.

Rappelons que le 14 mai 1997, des magistrats avaient aussi
lancé un appel pour une « Justice indépendante ». Le cercle
Condorcet de Paris et la Ligue de l’Enseignement avaient donné une suite à cet
appel en organisant des colloques, notamment sur les thèmes « Le Droit,
la Justice et le Citoyen demain
 » ; « Démocratie locale
et responsabilité pénale
 »le 13 mars 1999 et « Justice et citoyenneté »,le
11 janvier 2000.

Il importe donc d’élargir les perspectives pour analyser
avec rigueur l’impasse politique et l’écueil institutionnel qui plombent le
fonctionnement des institutions de l’Etat. Au delà des magistrats, sont
interpellés tous les juristes – et donc l’ensemble des universitaires – que
Bourdieu qualifie de « gardiens de l’hypocrisie collective ».

Un matériau culturel approprié s’avère indispensable pour
appréhender correctement les différents aspects d’une problématique fort
complexe qui amène à s’interroger à la fois sur la place du droit – le contexte
historique, les pesanteurs idéologiques de sa conception, de son élaboration –
dans la société et sur le rôle que joue l’université en tant que lieu
d’enseignement du savoir juridique et de formation des acteurs chargés
d’élaborer les normes juridiques et de les faire appliquer.

Le droit étant une production sociale qui exprime les
contradictions du champ social dans lequel il se meut, il faut se défaire de
l’idéalisme et de l’universalisme du Droit et de « l’objectivité »
dont se pare l’enseignement dans certaines facultés de Droit. Car les pratiques
juridiques sont toujours tributaires à la fois d’une pratique idéologique et
des pratiques tant socio -économique que politiques.

Le système des règles fonctionnant différemment, suivant les
modes de production, il faut radicalement abandonner l’image d’un phénomène
juridique qui traverserait les époques et les sociétés, tel qu’en lui-même[3].

mise sous tutelle politique du judiciaire : … encombrant et pervers
héritage colonial

L’histoire du droit public congolais est émaillée depuis
1885 d’une hallucinante et stupéfiante succession des monstruosités juridiques.
Celles-ci n’ont guère résolu ni les écueils institutionnels comme le statut
juridique du Roi Léopold II et de « son » Etat Indépendant du
Congo ; les révocations réciproques Kasa-Vubu et Lumumba ;
l’absorption de l’Etat par le parti unique à partir de 1970 ; ni les
blocages politiques comme en octobre -novembre 1965 ; en 1992-1993 après
la Conférence nationale souveraine ou actuellement une révision
constitutionnelle viciant l’ordre juridique,notamment en mettant en cause
l’indépendance du judiciaire,ainsi que la confiscation des résultats électoraux
du 28 novembre 2011.

Ainsi les normes juridiques édictées au Congo depuis 1885
n’ont guère réussi à instituer et à consolider un Etat de droit protégeant les
citoyens de l’arbitraire des pouvoirs publics.

L’enseignement du Droit – et donc la formation des
magistrats – a été et reste encore un enjeu académique et politique majeur. Dès
la création de l’université Lovanium en 1954,l’octroi des subsides fut assorti
de la condition de ne pas enseigner le droit. Aussi débattre de l’indépendance
du judiciaire au Congo revient à analyser des multiples problématiques
plongeant leurs racines au cœur de contradictions coloniales et
post-coloniales.

La Commission d’enquête internationale de 1804 épingla
sévèrement les institutions judiciaires de l’EIC, notamment, sur la dépendance
du Ministère Public vis-à-vis des autorités administratives et la composition
des tribunaux où l’administrateur territorial et le Commissaire de district
siègent comme juges.

Exerçant ses fonctions sous la « haute autorité du
Gouverneur – général, le Ministère public ne peut poursuivre en Européen que du
consentement du gouverneur -général »[4].
Par ailleurs, les justiciables ne pouvaient se pourvoir en cassation. L’ordre
juridique de l’EIC ignorait superbement la hiérarchie des normes. De nombreux
décrets non publiés par le Bulletin officiel – et donc ignorés des populations
congolaises – étaient néanmoins appliqués.

Les correctifs qu’apporte la Charte coloniale- quand le
Congo devient colonie belge en 1908 – ont certes supprimé certains aspects les
plus détestables sans pourtant résoudre la question essentielle de
l’indépendance du judiciaire.

Si les juridictions « pour Européens » étaient
composées de magistrats professionnels et indépendants ; néanmoins,
« le système judiciaire faisait partie intégrante du pouvoir exécutif.
C’est ainsi que le juge du Tribunal de police était l’administrateur du
territoire, tandis que le Commissaire de district était le juge unique du
Tribunal de district »[5].

Il fallut attendre le décret du 15 avril 1960 pour abolir la
ségrégation judiciaire qui renvoyait les Congolais devant des tribunaux
indigènes, présidés par des administrateurs territoriaux dont les jugements
pouvaient être révisés par le tribunal du parquet. Celui-ci, de compétence
civile et pénale générale à l’égard des Congolais, était composé d’un magistrat
du ministère public.

Le judiciaire n’était donc pas séparé du pouvoir exécutif.
Des décennies d’études doctrinales n’ont guère établi que le judiciaire était
indépendant de l’administration (pouvoir politique)[6].

Par ailleurs, un relevé statistique dressé par des
historiens, indique qu’entre 1934-1953, les tribunaux ont prononcé 260
condamnations à mort. 127 condamnés ont été exécutés, alors que depuis 1867, en
Belgique, la peine de mort n’était plus appliquée.

« Or, sur l’ensemble, on ne relève guère que 70 cas de
meurtres ou d’assassinats. Jamais, faut-il dire, pendant ce temps-là, un Blanc
n’a été exécuté pour le meurtre d’un noir »[7].

Ces écueils ne sont pas propres à l’ex Congo belge, nous les
retrouvons dans d’autres colonies où la « justice » en tant qu’acteur
de la colonisation en portait aussi les contradictions[8].
Ecartelée entre une vision idéale, celle d’une justice absolue et celle d’une
justice attentive aux intérêts coloniaux, la justice coloniale n’a jamais
résolu cette contradiction.

du « Guide » Sese Seko au « Raïs »
Kabila…asservir la magistrature

Depuis la réforme judiciaire de 1968, le titre universitaire
de licence ou de doctorat en droit est désormais requis pour exercer les
fonctions judiciaires. En quoi cette exigence a-t-elle influé sur les pratiques
judiciaires et renforcé l’Etat de droit, notamment l’indépendance du judiciaire
pour protéger les citoyens de l’arbitraire du pouvoir politique ?

Entre 1968 et 1971, les magistrats congolais s’en tiennent
scrupuleusement aux principes de l’indépendance de la magistrature et de la
séparation des pouvoirs. Dès la cooptation de Marcel Lihau (Premier Président
de la Cour Suprême) et de Léon Kengo wa Dondo (Procreur Général de la
République) dans les structures du parti unique en 1972, on assiste à un lent
et progressif changement doctrinal. Celui-ci aboutit en 1974 à une
justification – idéologique – de l’inféodation de la magistrature au Parti – Etat.

Lors de sa prestation de serment comme Procureur Général
auprès de la cour d’Appel de Kinshasa, le 18 avril 1968, Kengo aborde le thème
de l’indépendance de la magistrature, en présence du Président de la
République. Selon lui, l’indépendance du ministère public, son indivisibilité
et son organisation hiérarchique sont des moyens que la loi et le droit public
octroient au ministère public pour assurer le respect de la loi par tous,
l’ordre de la tranquillité publique.

 Ce thème est repris
lors de l’installation, le 22 novembre 1968, de la Cour Suprême de justice,
instituée par l’ordonnance – loi n°68-248 du 10 juillet 1968. La cérémonie
s’est déroulée en présence du Chef de l’Etat. Le Premier Président de la Cour,
le professeur Marcel Lihau émit fortement le vœu que « soit
scrupuleusement respecté par toutes les autorités de la République le statut de
la magistrature lui garantissant l’indépendance dans l’exercice de ses
fonctions.

Dans sa mercuriale prononcée en présence du Chef de l’Etat,
le 4 octobre 1969, lors de l’audience solennelle de la Cour Suprême, le
Procureur Général Kengo souligne que « pour que le judiciaire ne perde pas
son indépendance, il faut qu’il soit considéré comme pouvoir au même titre que
le législatif et l’exécutif. C’est le grand principe de la séparation des
pouvoirs. »

Lors de la rentrée judiciaire du 16 octobre 1972, le
Procureur Général tire « les conséquences de l’institutionnalisation du
Mouvement Populaire de la Révolution sur l’indépendance du pouvoir
judiciaire » ; il en conclut que « cette innovation bat aussi en
brèche la conception classique de la séparation rigide des pouvoirs. Mais elle
est conforme à la philosophie bantoue qui conçoit la société non pas comme un
monde d’opposition mais bien comme un monde de juxtaposition »[9].

Après la réforme constitutionnelle du 15 août 1974, qui fit
des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif des organes du Parti Unique, le
MPR (art. 4) ; des magistrats et certains juristes – proches du régime –
apportèrent publiquement leur caution intellectuelle à cette inféodation de la
magistrature. Selon le Procureur Général, « le magistrat est membre à part
entière, comme tous les autres citoyens, du Mouvement Populaire de la
Révolution. Il est appelé à participer activement à la gestion de la chose
publique et au triomphe de la Révolution. Le magistrat qui exerce la fonction
judiciaire est non seulement membre actif mais cadre du parti[10].

Deux juristes, Umba di Lutete, membre du bureau politique et
Crispin Mulumba Lukoji, professeur au campus de Kinshasa et futur Premier
ministre, rédigèrent deux études doctrinales[11]
fort élogieuses sur cette révision constitutionnelle qui abolit l’Etat
Républicain et consacra la négation de l’Etat de Droit.

La négation de l’Etat de Droit atteignit son point culminant
en 1977, au terme de l’ordonnance – loi n°77 – 030 du 29 novembre 1977 instituant
le conseil judiciaire. Le Président du Conseil Judiciaire – qui était aussi
Procureur Général de la République – exerçait sous l’autorité du Président de
la République, toutes les attributions dévolues jusqu’alors au Ministre de la
justice. Il était en outre membre du bureau politique du Parti Unique. Il
pouvait, nonobstant l’expiration des délais de recours, les parties au procès
entendues, suspendre l’exécution et requérir de la Cour Suprême de justice la
modification en fait comme en droit de toute décision judiciaire qui lui paraît
non conforme à l’administration de la bonne justice.

 Il proposait les
nominations et les promotions de tous les magistrats du Siège et du Parquet. En
vertu de ses pouvoirs exorbitants, le président du Conseil Judiciaire va
contraindre les avocats à renoncer à leur indépendance pour devenir
fonctionnaires de l’Etat. Le bâtonnier du Barreau de Kinshasa, Maître Matunga,
et plusieurs autres avocats furent arrêtés en mai 1979 parce qu’ils refusèrent
d’obtempérer à cette injonction[12].

Cette loi est restée en vigueur durant 3 ans ; elle ne
fut abrogée qu’en 1980 quand Kengo fut nommé ambassadeur en Belgique. C’était
donc une loi taillée à la démesure de l’ego surdimensionné d’un homme lige dont
la dévotion à l’égard du Président Mobutu permit de transformer l’appareil
judiciaire en un puissant instrument politique.

Dans sa mercuriale du 04 novembre 1978, à l’occasion de l’audience
solennelle de rentrée judiciaire et du 10e anniversaire de la Cour
suprême, le Procureur général prononça une interminable péroraison oiseuse
d’autoglorification pour justifier cette ordonnance qui a institué l’arbitraire
et l’insécurité juridique[13].

Dès qu’ils furent embrigadés dans les structures aliénantes
et corruptrices du régime, les magistrats, à l’instar d’autres universitaires,
commencèrent à végéter pour ne plus dire ce qu’ils pensent mais furent obligés
de penser
ce qu’ils sont contraints de dire pour encenser le
Président -Fondateur afin de préserver leur place. Toute velléité d’esprit
critique – abusivement qualifiée d’infidélité vis-à-vis du Président et
d’indiscipline à l’égard du Parti – fut durement sanctionnée.

C’est ainsi qu’en juillet 1975, le premier président de la
Cour suprême de justice, Marcel Lihau, fut révoqué sans autre forme de procès
qu’un communiqué de presse citant une ordonnance présidentielle accusant Marcel
Lihau de manquement grave à l’égard du Président et des idéaux du Parti. Il lui
fut même interdit de continuer à enseigner le droit à l’université.

Le scénario se répéta en 1981 et en 1986 : le 09 juin
1981, on apprit, à l’issue de la 2e session du comité central du
parti unique – MPR – que le procureur général Angelete était révoqué après
avoir été entendu par la Commission de discipline du parti. Le 31 octobre 1986,
monsieur Kalala-Ilunga, premier président de la Cour suprême fut démis de ses
fonctions par une ordonnance présidentielle. Il était soupçonné d’appartenir au
parti d’opposition, UDPS.

Avant de comparaître devant la Cour de sûreté de l’état en
1982, 12 parlementaires- fondateurs du parti d’opposition Udps- sont d’abord
jugés par la commission de discipline du parti unique,le Mpr,les 9 et 13
janvier 1981 .Le Procureur –Général et deux avocats- généraux assistent à
ces séances .

Cependant il ne faut pas en déduire que l’ensemble du corps
judiciaire ait accepté cet asservissement de la magistrature. Une note interne
de service rédigée en 1974 par les magistrats du siège de la Cour Suprême
critiqua sévèrement cette mise sous tutelle politique de la magistrature.

En 1970,la Cour suprême prouva son indépendance en rendant
un arrêt avant- dire droit obligeant Mobutu d’apporter la preuve qu’il n’est
plus militaire- comme l’exigeait la constitution- pour valider sa candidature à
l’élection présidentielle.

La situation actuelle est forte inquiétante ; dès le 9
juillet 1997, une circulaire conjointe signée par les ministres de la Justice
et de l’Intérieur dénonçait les immixtions de l’AFDL dans le cours de la
justice. En outre, l’érection d’une cour d’ordre militaire « depuis le 23
juillet 1997 reste entachée de suspicion qui affecte par tradition une
juridiction d’exception et fait douter, à tort ou à raison, de son impartialité
comme de sa capacité à assurer un maximum de sécurité juridique dans
l’administration et la distribution de la justice »[14].

Le rapport accablant de l’ASADHO (Association Africaine des
Droits de l’Homme) démonte les mécanismes par lesquels le pouvoir de Laurent
Kabila a complètement « cabinetisé »
la magistrature[15].

Le 06 novembre 1998, le Président Laurent Kabila signe un
décret révoquant 315 magistrats. Il est vrai qu’ils vont réintégrer la
magistrature par décret signé le 25 novembre par le Président Joseph Kabila.

 Il n’en reste pas
moins vrai que « cette purge néo mobutiste est paradigmatique du non- enracinement
des principes fondateurs de la primauté du Droit dans la pratique publique et,
plus généralement, de la soumission du pouvoir judiciaire au pouvoir
exécutif » que le gouvernement actuel a institutionnalisé par une révision
constitutionnelle- Evariste Boshab en a été le maître d’œuvre sous la férule du
Raïs- qui a vicié le droit d’organisation et de fonctionnement de l’appareil
judiciaire. De nombreux professeurs de droit ont dénoncé cette calamiteuse
révision qu’ils ont qualifiée de manipulation malhonnête, contre-productive
et dangereuse.[16]

 Le naufrage de la
Cour suprême de justice n’est nullement un incident de parcours ; il
illustre piteusement une volonté politique délibérée que l’AFDL (Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo) a clairement affichée dès que
les armées rwandaise et ougandaise l’ont installée au pouvoir au Congo en 1997.

Inféoder politiquement le judiciaire et asservir les
universitaires
 : tels sont les desseins politiques du pouvoir
actuel et qui s’inscrivent dans une tendance lourde héritée de la colonisation
et que le régime Mobutu a amplifiée, particulièrement à partir de 1971-1974.

Ce désastre judiciaire ne doit en aucun cas servir de
prétexte pour discréditer l’ensemble de nos magistrats et se méprendre sur les
juristes congolais. Ce désastre remet à l’ordre du jour une question
fondamentale : le rôle que notre société (n’)attribue (pas) à l’université
et aux universitaires.

Depuis que les Congolais font des études universitaires et y
réussissent brillamment, il est temps d’en évaluer le bilan : les savoirs
universitaires ont-ils permis à la société congolaise de réaliser des avancées
économiques, socio- politiques et juridiques significatives ?

Après son premier coup d’état militaire de septembre 1960,
le colonel Mobutu caporalise les universitaires dans son sinistre
« Collège de commissaires généraux » : depuis lors, les
compétences universitaires servent surtout à renforcer les dominations
économiques, (géo)politiques néocoloniales en apportant une caution
technocratique aux pouvoirs tirant leur légitimité des appuis extérieurs au
détriment des intérêts vitaux de la nation.

L’actualité brûlante offre aux universitaires congolais
l’occasion de fructifier les acquis politiques des engagements intellectuels du
mouvement étudiant pour solder les (me)comptes de ce lourd contentieux qui
empoisonne les relations entre l’université(aire), le pouvoir et le peuple.

Le doigté des avocats congolais, aussi bien au pays lors des
« procès politiques » dont la sentence paraît décidée d’avance qu’à
l’étranger (barreaux de Bruxelles et de Paris) ; l’attachement viscéral
des magistrats à l’indépendance du judiciaire jusqu’en 1975 ; l’acuité des
analyses de notes juridiques publiées dans le Bulletin des arrêts de la Cour
suprême et dans la Revue juridique du Congo témoignent d’une solide formation
juridique et d’un sens aigu de l’éthique judiciaire[17].

Ces valeurs n’ont guère profité aux justiciables congolais
parce qu’elles ont été enrayées par des pouvoirs politiques qui ont érigé la
négation de l’Etat de droit en armature institutionnelle de leur système
politique[18].

Au lendemain de l’indépendance, les gouvernements congolais,
notamment ceux d’Adoula et de Tshombe ont mobilisé d’énormes ressources
financières pour combler l’énorme déficit en personnel judiciaire qualifié.
C’est ainsi que fut créée, le 28 novembre 1960, l’ENDA (Ecole nationale de
droit et d’administration) qui a été une première en Afrique. Elle était
l’équivalent de l’Ena et de l’Ecole nationale de la magistrature en France.

L’Enda va, au fil des années,amplifier le travail
qu’accomplissaient les universités Lovanium, Louvain,Liège et Bruxelles où ont
étudié de nombreux juristes congolais. La fondation américaine FORD et la
coopération française ont largement contribué au succès de l’ENDA dont monsieur
Etienne Tshisekedi fut le premier Recteur de 1961à 1965.Messieurs Auguste
Mabika –Kalanda(1965-1968) et Antoine Wembi lui ont succédé à ce poste.

repenser les fondamentaux intellectuels et culturels
du « droit »…

L’ignorance de textes juridiques fondamentaux – traités
internationaux imposant aux Etats le respect des droits de l’homme,
constitutions, lois relatives à l’exerce des libertés publiques – est souvent
exploitée pour soumettre le peuple au règne de l’arbitraire. Un raisonnement
juridique formaté par un formalisme étriqué sert d’argumentaires spécieux pour
justifier la confiscation de la démocratie.

 Il importe donc
d’intégrer dans les programmes d’enseignement des études juridiques les acquis
d’une abondante production intellectuelle dont l’argumentaire articulé a
déconstruit l’idéologie juridique dominante qui occulte la fonction politique
du droit.

Intellectuellement riches de ce matériau culturel qu’il faut
largement diffuser dans l’ensemble du corps social, les intellectuels doivent
alors s’employer à aiguiser la conscience civique des élus- nationaux et
provinciaux- pour dégager une majorité politique qui va solidement ancrer
l’indépendance du judiciaire dans les mœurs politiques et dans la pratique des
institutions.

Transition provisoire entre la société civile d’où il sort,
 pour autant que celle-ci ait les
moyens requis de participer à son élaboration –, et la justice vers laquelle il
doit tendre, le droit reste un enjeu considérable de la vie sociale.

 

 Anicet
MOBE

 Chercheur
en Sciences sociales

Membre du collectif
des intellectuels congolais DEFIS



[1] a)
Syndicat de la Magistrature : Justice sous influence, Maspéro, Paris,
1981.

b) Roger Pinto : La Tragédie de Julius et Ethel
Rosenberg, le déni de justice, Eure, 1986.

[2] a)
Ch. De Brie : « La justice française en procès », Le
Monde Diplomatique, Paris, février 1988.

b) F. Perrault : « Une justice trop
proche du pouvoir
, trop éloignée du citoyen », Le Monde
Diplomatique, Paris, février 1990.

[3] M.
Miaille : Une Introduction critique au Droit, F. Maspéro, Paris, 1976, p.
95.

[4] Lire
Bulletin officiel de l’Etat Indépendant du Congo, Bruxelles, sept-oct. 1905,
pp. 265-185.

[5] F.
Reyntjens : « L’Etat non constitutionnel. Continuités en Afrique
centrale
anciennement belge ». Bulletin de Séances, Acad.
Royale de Sciences d’Outremer, Bruxelles 1990, vol. 35, p. 86.

[6] a) M.
Raë : « L’autorité du gouverneur -général sur les officiers du
Ministère public
 » Journal des tribunaux d’outre-mer, n°10, 1959, p.
177.

b) E. Joachim : « Propos au sujet de
l’indépendance de la magistrature coloniale
 », JTO, n°74, 1956, pp. 113-116.

c) T. Heyse : Considérations sur le
mémoire de P. Piron
,l’Indépendance de la Magistrature et le statut des
magistrats ,Acad. Royale des Sciences Coloniales,Bruxelles 1956, Bull. des
séances. Vol. 27,p .521.

d) XXX : « A propos du Ministère public
et du pouvoir exécutif
 », Revue juridique du Congo belge, n°5,
Elisabethville,sept-oct.1944,pp.161-167.

[7] Lire
J. Luc Vellut : Entretien à la Libre Belgique,04 avril 1989,p.2. 

[8] B.
Durand et M. Fabre : Le Juge et l’Outre-mer, Centre d’histoire judiciaire,
Lille, 2004.

[9] Revue
juridique du Zaïre
n°1, Lubumbashi, janvier-avril 1972, pp. 207-208.

[10] Revue
juridique du Zaïre
n° spécial, 50ème anniversaire, Lubumbashi,
1974, p. 13.

[11] a)
Umba di Lutete : « Introduction à la constitution Zaïroise »,
exposé ronéotypé à la 1ère session de l’école du Parti, Kinshasa,
1974.

b) Mulumba Lukoji : « La Constitution du
Zaïre révisée
 », Zaïre- Afrique n°90, Cepas, Kinshasa, décembre
1974, pp. 599-608.

[12]
Amnesty International : Les violations des droits de l’homme au
Zaïre, Rapport 1980, 2ème édition, p. 38.

[13]
Kengo Wa Dondo : L’Evolution jurisprudentielle de la Cour suprême de
justice au Zaïre (1968-1979), Kinshasa 1979, pp. 7-37.

[14] P.
Akele Adou, “La cour d’ordre militaire. Nature, organisation et
compétence
 », Congo Afrique, n° 319, Cepas, Kinshasa, novembre 1997,
p. 570.

[15]
ASADHO : Rapport annuel 1999, République Démocratique du Congo, La
guerre : prétexte à tous les abus
, Kinshasa, avril 2000.

[16] a)J.
Pierre Kilenda : L’Affaire des 315 Magistrats de Kinshasa, L’Harmattan,
Paris 2004.

b)B.J.Tshibuabua :La Révision
constitutionnelle votée
le 15/01/2011,Dialogue Elections 27,Bruxelles,30 janvier
2011,pp.8-19.

[17] Lire
à titre indicatif, José-P. Nimy :a) Essai critique de jurisprudence de la
Cour Suprême de justice, Kinshasa 1973 b) Je ne renie rien. Je
raconte, L’Harmattan, Paris 2006, spécialement pp. 81-134.

[18]
Anicet Mobe Fansiama : a) Justice politique et problématique zaïroise,
travail de séminaire de « Critique de droit » sous la
direction scientifique du professeur Marie –Fr Rigaux, Facult. Universitaires Saint-Louis, Bruxelles 1982.

b) La négation de l’Etat de droit à travers les
mécanismes
de la justice politique,l’Africain,n°
156-157 ,Belgique 1992,pp.43-50.et n° 158,Belgique 1993,pp.14-21.

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