10 05 12 Afrikarabia : "Au Kivu, la solution est politique" selon Thierry Vircoulon (ICG)
Depuis
le 29 avril, de violents combats ont opposé, dans la province du
Masisi, l'armée régulière de République démocratique du Congo (FARDC)
aux hommes de Bosco Ntangada. Ce général Congolais, ex-rebelle du CNDP
(groupe militaire défendant les intérêts des Tutsi de la région) est
recherché par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre
et crimes contre l'humanité. Longtemps protégé par le régime de Joseph
Kabila, qui l'avait intégré au sein de l'armée, Ntaganda est devenu en
quelques semaines persona non grata en RDC pour la communauté
internationale. Sous pression de ses principaux bailleurs, Joseph Kabila
décide de l'arrêter en lançant une vaste opération militaire dans l'Est
du pays pour le dénicher. Ntaganda se réfugie avec ses hommes dans ses
terres du Masisi, puis dans le parc des Virunga, à la frontière du
Rwanda.
En moins de deux semaines, les combats ont provoqué
l'exode de plus de 500.000 de personnes dans le Masisi. Cette traque
constitue un nouveau cour dur pour la population civile du Nord-Kivu,
cruellement touchée par une guerre larvée qui secoue la région depuis
plus de 15 ans.
– Afrikarabia : L'arrestation probable de Bosco Ntaganda peut-elle résoudre l'insécurité qui règne à l'Est de la RDC ?
–
Thierry Vircoulon : Tout d'abord, le CNDP, ce mouvement
politico-militaire dont Bosco Ntganda est le leader, survivra à
l'arrestation éventuelle de son chef. Deuxième problématique : cette
tentative d'arrestation a télescopé le résultat des élections ratées de
novembre 2011, puisqu'au Nord-Kivu, les élections législatives ont été
annulées dans le Masisi, qui s'avère être le fief de la communauté
tutsi, là où est actuellement réfugié Bosco Ntaganda. Ce qui est en jeu
pour les Tutsi congolais, avec ces élections, c'est bien sûr le contrôle
des institutions politiques du Nord-Kivu. Et en observant cette
intervention militaire contre Ntaganda, un certain nombre de Tutsi se
sont dit qu'il y avait une volonté de Kinshasa de désarmer la communauté
tutsi et de réduire son poids politique au Nord-Kivu. D'autant que les
élections provinciales sont repoussées… en 2013 ! On se retrouve donc
dans une situation d'incertitude politique complète sur l'avenir de la
province.
– Afrikarabia : Alors que Kinshasa semble
vouloir régler la question militairement, vous pensez que la situation
ne peut se régler que politiquement ?
– Thierry
Vircoulon : Il est clair qu'il y a un fond de vérité dans la
revendication du CNDP sur la mise en place de l'accord politique de 2009
(qui prévoyait l'intégration du CNDP dans la vie politique congolaise, ndlr).
Le CNDP était rentré dans l'armée régulière, au point de contrôler une
bonne partie de l'armée dans l'Est de la RDC, mais n'avait pas encore
fait sa mue politique. Cette mue devait se faire à travers les élections
de novembre 2011, aussi bien sur le plan national que provincial, or
cela n'est pas encore fait. Donc le CNDP reste plus un mouvement armé,
qu'un parti politique : sa transformation reste à faire. On peut
d'ailleurs comparer le CNDP avec l'UPC, un autre mouvement rebelle
d'Ituri, qui lui, a désormais des représentants politiques depuis 2006
et en aura encore dans les prochaines assemblées. Le problème réside
dans la mue politique du CNDP. Il faut que les conditions soient réunies
pour qu'elles se fassent, cela apaisera certainement les tensions.
Autre
phénomène inquiétant, ce sont les autres groupes rebelles comme les
Maï-Maï ou les FDLR qui ont senti qu'il y avait une fenêtre
d'opportunité avec la mutinerie de Bosco Ntaganda pour se positionner et
rebattre un peu les cartes avec les élections. Cette situation actuelle
dans les Kivu est vraiment le reflet de tout ce qui n'a pas été achevé
et réalisé lors du dernier mandat de Joseph Kabila, à savoir la fin des
groupes armés dans l'Est du pays.
– Afrikarabia :
Pourquoi l'accord de paix de 2009 n'a pas été respecté ? Pourquoi le
CNDP n'a pas eu accès aux institutions politiques congolaises ?
–
Thierry Vircoulon : Essentiellement à cause de l'opposition des
nombreuses communautés du Nord-Kivu, comme les Nande, les Hunde… qui
ne veulent pas que les Tutsi du Nord-Kivu occupent une place trop
grande. La composante militaire de l'accord 2009 a été mise en place
(l'intégration des rebelles du CNDP dans l'armée régulière, ndlr).
Cette composante militaire a alors provoqué de nombreuses controverses
et de nombreuses oppositions au Nord-Kivu et j'ai le sentiment que le
gouvernement de Kinshasa n'a pas voulu aller trop loin dans
l'application du volet politique de l'accord. Il y avait une sorte de
modus vivendi avec le CNDP : le mouvement continuait de contrôler 90% de
l'armée dans le Nord-Kivu et la question politique devait être réglée
avec ces élections. Ils ont pu vivre comme cela pendant 2 ans, mais
aujourd'hui, on est arrivé à terme.
– Afrikarabia : Quelle est la position du Rwanda voisin sur le "cas Ntaganda" et a-t-elle évolué ?
–
Thierry Vircoulon : Je crois que Kigali n'avait pas l'intention
d'apparaître comme soutenant quelqu'un qui était recherché par la Cour
pénale internationale (CPI). C'était très mauvais en terme d'image. Par
contre, Kigali est toujours très sensible à l'argument de la sécurité
des Tutsi congolais et souhaite toujours garder la main sur la situation
militaire au Nord-Kivu. Par conséquent, certaines voix se sont élevées à
Kigali pour dire que, finalement, cette tentative d'arrestation était
un peu "téméraire" et que Bosco Ntaganda jouait un rôle important dans
l'équation de paix au Nord-Kivu et qu'il fallait faire très attention à
un possible retour des FDLR (milice commandée par d'anciens génocidaires
hutu, ndlr). On voit de nouveau l'argument sécuritaire agité par Kigali
qui ne verrait pas d'un très bon oeil le désarmement des Tutsi au
Nord-Kivu.
– Afrikarabia : L'arrestation de Bosco
Ntaganda, aussi légitime soit-elle, ne résoudrait donc aucun des
problèmes qui secouent l'Est de la RDC ?
– Thierry
Vircoulon : L'arrestation de Ntaganda ne résout aucun des problèmes
parce qu'il s'agit essentiellement de problèmes structurels et non pas
de problèmes individuels qui dépendent d'une ou deux personnes. Ce sont
des problèmes de relations intercommunautaires, de représentativités
politiques… et ce n'est pas en fraudant les élections qu'on les règle.
La tentative d'arrestation de Bosco Ntaganda a ainsi réouvert la
compétition pour le pouvoir au Nord-Kivu.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
Photo : Th. Vircoulon à Paris en mai 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com