13 06 12 Afrikarabia : Kivu, une guerre qui va durer

"Alphonse
Afrikarabia : Avez-vous été surpris par les rapports de la Monusco et
de Human Rights Watch qui accusent le Rwanda de soutenir les rebelles
congolais de Bosco Ntaganda et du M23 ?

– Alphonse
Maindo : Je n'ai pas de tout été étonné par ces rapports. Cela ne fait
que confirmer tout ce qui se dit déjà au Nord et au Sud-Kivu.

– Afrikarabia : Quel est l'objectif du Rwanda en aidant les mutins ?


Alphonse Maindo : On peut trouver derrière ce soutien du Rwanda aux
rebelles du M23 la quête d'un nouvel homme fort, comme cela a été le cas
avec Laurent Nkunda (hors-jeu depuis son arrestation en 2009 par le Rwanda, ndlr) et maintenant Bosco Ntaganda. Aujourd'hui Bosco Ntaganda est devenu infréquentable (il est recherché par la Cour pénale internationale, ndlr).
Il a perdu la protection du gouvernement congolais, sous la pression
internationale à la suite de la contestation des élections, et
maintenant Kinshasa est obligé de faire un geste envers la communauté
internationale. Le Rwanda doit maintenant trouver un autre homme fort
pour remplacer Bosco Ntaganda. C'est la raison de l'émergence de la
rébellion du M23, avec à sa tête le colonel Makenga, qui devrait prendre
la place de Ntaganda. Le Rwanda se doit de garder des alliés dans la
région (pour des raison sécuritaire mais aussi économique, ndlr),
alors d'un côté il allume le feu et en même temps il se présente comme
le pompier qui va tout arranger. Ce n'est malheureusement pas le premier
à le faire dans la région, Mobutu l'a déjà fait par le passé.


Afrikarabia : Pourquoi l'armée régulière congolaise (FARDC) n'arrive
pas à venir à bout de ces quelques centaines hommes (on parle de 500
mutins) retranchés dans les collines du Nord-Kivu ?


Alphonse Maindo : Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord des
raisons techniques. Nous avons au Nord-Kivu, des soldats congolais qui
ne maîtrisent pas bien le terrain qui est très difficile d'accès. Face
aux FARDC, on trouve des mutins qui connaissent très bien la région, ce
sont des enfants du coin, ils sont nés ici. En plus, ils ont eu le temps
de se préparer au conflit. Les mutins occupent des collines et il est
très difficile de les déloger. Ils bénéficient également des soutiens de
leurs proches qui sont dans la région. Le M23 a également trouvé réfuge
"à cheval" sur les frontières entre la RDC, le Rwanda et l'Ouganda, ce
qui lui permet de trouver facilement de l'aide, des armes et des vivres.
Du côté de l'armée régulière congolaise, les troupes proviennent de Kindu, dans la province du Maniema (à plusieurs centaines de kilomètres des zones de combats, ndlr).
Ils ne connaissent donc pas le terrain. Lors de ma mission à Goma le
mois dernier, j'ai appris que les soldats congolais auraient refusé
d'aller se battre sur le front. Une des raisons serait la suivante : il y
a plusieurs semaines, ces soldats avaient encerclé la ferme de Bosco
Ntaganda dans le Masisi et attendaient l'ordre de leur hiérarchie pour
lancer l'assaut final et capturer le général rebelle. Et visiblement, on
leur a demandé de stopper l'offensive, ce qui expliquerait leur
mécontentement. Selon ces soldats, ce n'est pas la première fois que ce
genre de contre-ordre est donné, y compris au moment de la rébellion de
Laurent Nkunda (en 2008, ndlr).

– Afrikarabia :
Pourquoi les casques bleus de la Monusco, pourtant très présents dans la
régio, n'arrivent pas à ramener la paix ?

– Alphonse
Maindo : Pour la Monusco, les raisons sont différentes. Contrairement
aux FARDC, les casques bleus ont les moyens de combattre. Les soldats de
la Monusco sont bien équipés, bien payés, ce qui n'est pas le cas de
l'armée congolaise. La Monusco devrait faire la différence sur le
terrain. Pourquoi n'y arrivent-ils pas ? Tout d'abord, les règles
d'engagement sont trop complexes à appliquer. Comme toutes les
opérations de maintien de la paix, il faut de nombreuses autorisations
pour ouvrir le feu. Ces autorisations viennent de New-York, puis des
commandements des pays qui sont engagés sur le terrain… c'est trop
complexe. Ensuite, il ne faut pas oublier que ce sont des troupes qui
viennent de pays en voie de développement. Les soldats de ces pays
viennent là pour gagner un peu d'argent et pour en profiter, il vaut
mieux revenir de sa mission vivant plutôt que mort… ce qui est normal !
Cette notion joue sur l'engagement des troupes sur le terrain. Les
Etats-majors veulent également minimiser les pertes humaines dans leurs
rangs et cela explique que la Monusco s'engage le moins possible face
aux groupes armés. Alors évidemment on peut changer le mandat de la
Monusco, mais je ne vois pas ce que l'on pourrait donner de plus à ce
mandat. Ils ont déjà tout. Les brigades de la Monusco qui sont au Kivu
et en Ituri ont les outils juridiques qui permettent un réel engagement
militaire pour imposer la paix.

– Afrikarabia : Est-ce que ce conflit peut durer longtemps ?


Alphonse Maindo : Je crains que cela dure très longtemps. Il sera
difficile de déloger ces rebelles des collines du Nord-Kivu. La
stratégie du M23 et de Bosco Ntaganda est de tenir le plus longtemps
possible. Je pense également qu'il sont en train de s'organiser
aujourd'hui pour passer à l'offensive pour récupérer du matériel et des
armes. Et comme ils sont adosser à la frontière rwandaise, où il y a du
trafic d'armes de toutes sortes… ils tiendront longtemps.

– Afrikarabia : Qu'est-ce-qui peut faire évoluer la situation et apaiser les tensions à l'Est de la RDC ?


Alphonse Maindo : Deux éléments pourraient faire évoluer la situation.
Tout d'abord une forte pression de la communauté internationale. Et il
faut frapper là où ça fait mal. Les deux principaux acteurs de ce
conflit, le Rwanda et la RDC, vivent pour plus de 50% de l'aide
internationale. Si on donne un signal clair pour dire : "stop ! sinon on coupe les vivres",
je crois que les gouvernements vont y réfléchir à deux fois avant de
laisser pourrir la situation. Deuxième élément : il faut susciter
l'intérêt de cette communauté internationale et seuls les Congolais
eux-mêmes peuvent le faire. Ils doivent se mobiliser massivement pour
dire : "on veut la paix !". Je pense que cela peut éveiller la conscience de la communauté internationale.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Alphonse Maindo à Paris en juin 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

Alphonse Maindo est l'auteur de :
"L"état à l'épreuve de la guerre en Afrique centrale"
Ed. Universitaire européennes
Avril 2012 – 580 pages – 98 euros

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