17/07/12 Blog Colette Braeckman: L’imprudence de Kinshasa, c’est d’avoir voulu démanteler l’armée dans l’armée

A l’issue d’une réunion des chefs
d’Etats de la Conférence
internationale sur l’Afrique des Grands Lacs, le président congolais Joseph
Kabila et son homologue rwandais Paul Kagame ont conclu un « accord de principe
» prévoyant le déploiement d’une « force internationale neutre » sur la
frontière entre les deux pays, afin de lutter contre des groupes armés tels que
les rebelles hutus et les soldats mutins congolais du M23 qui, d’après un
rapport de l’ONU, seraient soutenus par le Rwanda.

Au retour d’une mission de plusieurs semaines dans la région, Kris Berwouts
assure que « sur le terrain, je constate un certain scepticisme.

Dans
la région, il y a déjà eu tellement d’accords, jamais mis en œuvre…Cette force
neutre suscite beaucoup de questions : qui, quoi, sous le commandement de qui ?
Et les Casques bleus, déjà présents, ne sont- ils pas neutres ? Ce qui est
positif, c’est que l’on discute dans un cadre multilatéral…La question qui
demeure posée est celle de l’appui du Rwanda au mouvement rebelle M23. A part
Kigali, tout le monde est convaincu de la réalité des faits, il me semble que
le Rwanda devrait cesser de nier la réalité, et ne plus soutenir les mutins. 

Ce qui m’effraie, c’est qu’au Congo, la situation est en train de pourrir :
entre les communautés et les groupes ethniques ainsi qu’au sein de l’armée, où
tout le monde commence à se méfier de tout le monde, de ses supérieurs, de ses
subordonnés, où tout le monde redoute la trahison. Même au sein du camp
présidentiel, certains pourraient être tentés de profiter de la situation
actuelle pour se repositionner.

Voici sept mois, au lendemain des élections, le Congo se trouvait dans une
situation précaire. Kabila a tenté de s’en sortir, nommé un Premier Ministre
apprécié comme Matata Mponyo, mais la crédibilité qu’il regagnait
progressivement est en train de disparaître.

Ne s’agît il pas d’empêcher Kabila
de rétablir l’autorité de l’Etat ?

Cela n’est pas
exclu. Le fait de désavouer le général Bosco Ntaganda a représenté un moment
important : Kabila avait besoin de ce sacrifice. Par la suite est apparu le
M23, comme s’il fallait à nouveau forcer une nouvelle négociation. 

Je crois qu’autour de Joseph Kabila, alors que l’arrestation de Bosco était
imminente, son entourage a songé que le moment était venu de démanteler la
chaîne de commandement parallèle, incarnée par le CNDP (Congrès national pour
la défense de la démocratie, l’ex-mouvement rebelle intégré dans l’armée depuis
2009) et qui était demeurée intacte. De plus, en avril, on avait commencé à
muter vers d’autres provinces, dont le Katanga, des militaires tutsis qui,
jusque là, n’avaient pas voulu quitter le Kivu. Autrement dit, le problème
n’était pas de neutraliser Bosco, mais en voulant réduire « l’armée dans
l’armée » Kinshasa a franchi une ligne rouge.

L’exigence occidentale d’arrêter
Bosco, coûte que coûte, dans une région aussi fragile, ne fut-elle pas
imprudente ?  

Il a peut y avoir
une tension entre la lecture des faits donnée par un défenseur des droits de
l’homme et le point de vue d’un politique qui travaille à long terme, à la
construction de la paix… Les logiques ne sont pas toujours les mêmes.

Il est vrai qu’après les élections, on exigeait que Kabila donne des gages de
bonne volonté, soit en nommant un opposant au poste de Premier Ministre, soit
en arrêtant Bosco Ntaganda. En outre, depuis 2009, Bosco avait pris beaucoup de
place dans le commerce des minerais, ce qui pouvait avoir indisposé la haute
hiérarchie militaire, congolaise et rwandaise. Lorsque le ministre Reynders a
exigé son arrestation en janvier, cela ne dérangeait plus personne à
l’époque…Le déclencheur de la guerre, c’est la volonté de démanteler les
structures parallèles au sein de l’armée congolaise.

Quelle est la logique de cette
affaire ? 

La logique ne
doit pas seulement être recherchée du côté congolais, au Rwanda aussi il y a
des évolutions : la défection, voici deux ans, de généraux de haut rang comme
le général Kayumba Nyamwasa, a entraîné des mutations dans le premier cercle
autour du président Kagame, où des anglophones ont reculé au profit de
personnalités plus jeunes, plus intellectuelles et plus francophones, donc plus
proches du Congo. Il y a un repositionnement autour du chef, alors qu’il se
trouve à la moitié de son deuxième et dernier mandat.

Peut-on imaginer que des
recrutements et des infiltrations puissent avoir lieu au départ du Rwanda sans
qu’à Kigali, les services de sécurité soient au courant ?

Difficile.
Comment croire que l’on puisse préparer quelque chose au Nord Kivu à l’insu de
Kagame ? Peut-être y a-t-il du flou au sein de l’armée rwandaise: elle fut
longtemps le pilier du régime, elle est peut-être devenue son talon d’Achille,
sa loyauté absolue n’existe plus…Si c’était vrai, cela aurait des conséquences
bien au delà des frontières du Rwanda…

Du côté congolais les évènements actuels marquent aussi la faillite du
brassage, de l’intégration au sein de l’armée, et la Belgique, comme tous ceux
qui ont appuyé la réforme de l’armée congolaise, partage la responsabilité de
cet échec.

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