18 07 12 G. Matho/CF – DIALOGUE AVEC UN CANADIEN SUR L'AVENIR DE L'AFRIQUE
Son
analyse, son point de vue sur notre avenir, donne froid dans le dos. Et s'il
vous plaît, ne sortez pas la rancune du « colon nostalgique ». Lisez avec la
tête et la raison ce qu'il dit. Je vous rapporte fidèlement ses constats
:
«
Cela fait maintenant plus de 25 ans que j'enseigne la stratégie. Dans ma
carrière, j'ai eu affaire à des dizaines d'officiers et de hauts fonctionnaires
africains. Je suis malheureusement obligé de vous dire ceci : du point de vue
des études stratégiques, de l'analyse et de l'anticipation, je leur donne un
gros zéro pointé. Nos stagiaires africains sont très instruits, ils ont de
belles tenues militaires ou manient le français de manière remarquable, mais,
dans les cours, ils ne nous apportent rien. Tout simplement, parce qu'à ma
connaissance, dans toute l'Afrique francophone, il n'y a pas un seul centre
d'études stratégiques et internationales avec des vrais professionnels à leur
tête. Je vais vous expliquer pourquoi je n'ai aucun espoir pour ce
continent.
Au
moment où je parle, le monde fait face à trois enjeux principaux : l'énergie, la
défense stratégique et la mondialisation. .
Donnez-moi
un seul cas où l'Afrique apporte quelque chose. Rien!
1.Commençons
par l'énergie et précisément le pétrole. Tous les experts mondialement reconnus
sont unanimes à reconnaître que d'ici 15 à 20 ans, cette ressource sera rare et
excessivement chère. En 2020, le prix du baril tournera autour de 120 dollars.
C'est conscients de cette réalité que des pays comme les USA, la France, la
Chine, le Royaume Uni, etc. ont mis sur pied des task force chargés d'étudier et
de proposer des solutions qui permettront à ces nations de faire main basse sur
les ressources mondiales, de s'assurer que quoi qu'il advienne, leur
approvisionnement sera assuré. Or, que constate-t-on en Afrique ?
Les
dirigeants de ce continent ne sont même pas conscients du danger qui les guette
: se retrouver tout simplement privé de pétrole, ce qui signifie ni plus ni
moins qu'un retour à la préhistoire !
Dans
un pays comme le Gabon qui verra ses puits de pétrole tarir dans un maximum de
10 ans, aucune mesure de sauvegarde, aucune mesure alternative n'est prise par
les autorités. . Au contraire, ils prient pour que l'on retrouve d'autres
gisements. .
Pour
l'Afrique, le pétrole ne comporte aucun enjeu stratégique : il suffit juste de
pomper et de vendre. Les sommes récoltées prennent deux directions : les poches
des dirigeants et les coffres des marchands d'arme. C'est pathétique.
.
2.Ensuite,
la défense stratégique. L'état de déliquescence des armées africaines est si
avancé que n'importe quel mouvement armé disposant
de
quelques pick-up et de Kalachnikov est capable de les mettre en
déroute.
Je
pense qu'il s'agit plus d'armées de répression intérieure que de guerre ou de
défense intelligente. Pourquoi ? Parce que, comparées aux armées des nations
développées, de la Chine, de l'Inde ou du Pakistan, les forces africaines
rappellent plus le Moyen âge que le 21e siècle.
Prenez
par exemple le cas de la défense anti-aérienne. Il n'y a quasiment aucun pays
qui possède un système de défense équipé de missiles anti-aériens modernes. Ils
ont encore recours aux canons antiaériens. Les cartes dont disposent certains
états-majors datent de la colonisation ! Et aucun pays n'a accès à des
satellites capables de
le
renseigner sur les mouvements de personnes ou d'aéronefs suspects dans son
espace aérien sans l'aide de forces étrangères. Quelle est la conséquence de
cette inertie ?
Aujourd'hui,
des pays comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni peuvent détruire, en
une journée, toutes les structures d'une armée africaine sans envoyer un seul
soldat au sol…Rien qu'en se servant des satellites, des missiles de croisière
et des bombardiers stratégiques. A mon avis et je crois que je rêve, si les pays
africains se mettaient ensemble, et que chacun accepte de donner seulement 10 %
de son budget militaire à un centre continental de recherche et d'application
sur les systèmes de défense, le continent peut faire un pas de géant. Il y a en
Russie, en Ukraine, en Chine, en Inde, des centaines de scientifiques de très
haut niveau qui accepteraient de travailler pour 3000 dollars US par mois afin
de vous livrer des armes sophistiquées fabriquées sur le continent et servant à
votre défense. Ne croyez pas que je rigole. Il ne faut jamais être
naïf.
Si
la survie de l'Occident passe par une re-colonisation de l'Afrique et la
mainmise sur ses ressources naturelles vitales, cela se fera sans état
d'âme.
Ne
croyez pas trop au droit international et aux principes de paix, ce sont
toujours les faibles qui s'accrochent à ces chimères.
Je
pense qu'il est temps de transformer vos officiers (dont 90 % sont des fils à
papa pistonnés qui ne feront jamais la guerre et je sais de quoi je parle) en
scientifiques capables de faire de la recherche et du développement. Mais, je
suis sceptique. Je crois que ce continent restera enfoncé dans le sommeil
jusqu'au jour où le ciel lui tombera sur la tête.
3.Enfin,
la mondialisation. Malheureusement, comme dans tous les autres sujets qui ont
fait leur temps, les stagiaires africains que nous recevons sont d'excellents
perroquets qui répètent mécaniquement les arguments qu'ils entendent en
Occident. A savoir, il faut la rendre humaine, aider les pays pauvres à y faire
face. Vous savez, dans mes fonctions, il y a des réalités que je ne peux dire,
mais je vais vous les dire. La mondialisation est juste la forme moderne de
perpétuation de l'inégalité économique. Pour être clair, je vous dirai que ce
concept a un but : garder les pays pauvres comme sources d'approvisionnement en
biens et ressources qui permettraient aux pays riches de conserver leur niveau
de vie. Autrement dit, le travail dur, pénible, à faible valeur ajoutée et
impraticable en Occident sera fait dans le Tiers-monde. Ainsi, les appareils
électroniques qui coûtaient 300 dollars US en 1980 reviennent toujours au même
prix en 2006. Et puisque l'Afrique n'a toujours pas un plan cohérent de
développement économique et d'indépendance, elle continuera à être un réservoir
de consommation où seront déversés tous les produits fabriqués dans le
monde.
Pour
moi, l'indépendance signifie d'abord un certain degré d'autonomie.
Mais,
quand je vois que des pays comme le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad ou la
Centrafrique importent quasiment 45 % de leur propre nourriture de l'étranger,
vous comprendrez qu'un simple embargo militaire sur les livraisons de biens et
services suffirait à les anéantir. Pour terminer, je vais vous raconter une
anecdote. Je parlais avec un colonel sénégalais venu en stage chez nous il y a
quelques mois. Nous regardions à la télévision les images de millions de
Libanais qui défilaient dans les rues pour réclamer le retrait des soldats
syriens de leur pays. Je lui ai demandé ce qu'il en pensait. .
Il
m'a répondu : « Les Libanais veulent retrouver leur indépendance et la présence
syrienne les étouffe ». C'est la réponse typique de la naïveté emprunte
d'angélisme. Je lui ai expliqué que ces manifestations ne sont ni spontanées ni
l'expression d'un ras-le-bol. .
Elles
sont savamment planifiées parce qu'elles ont un but. Israël piaffe d'impatience
d'en découdre avec le Hezbollah et puisque Tel-Aviv ne peut faire la guerre en
même temps aux Palestiniens, au Hezbollah et à la Syrie, son souhait est que
Damas se retire. Une fois le Liban à découvert, Israël aura carte blanche pour
l'envahir et y faire ce qu'elle veut. J'ai appelé cet officier sénégalais il y a
deux jours pour lui rappeler notre conservation. Malheureusement, il était passé
à autre chose. Son stage ne lui a servi à rien. J'espère vraiment qu'un jour,
les Africains auront conscience de la force de l'union, de l'analyse et de
l'anticipation. L'Histoire nous démontre que la coexistence entre peuples a
toujours été et sera toujours un rapport de force. Le jour où vous aurez votre
arme nucléaire comme la Chine et l'Inde, vous pourrez vous consacrer
tranquillement à votre développement.
Mais
tant que vous aurez le genre de dirigeants que je rencontre souvent, vous ne
comprendrez jamais que le respect s'arrache par l'intelligence et la force.Je ne
suis pas optimiste. Car, si demain l'Union Africaine ou la CEDEAO décide de
créer un Institut africain d'études stratégiques crédible et fiable, les
personnes qui seront choisies se précipiteront en Occident pour apprendre notre
manière de voir le monde et ses enjeux.
Or,
l'enjeu est autre, il s'agit de développer leur manière de voir le monde, une
manière africaine tenant compte des intérêts de l'Afrique. Alors, les
fonctionnaires qui seront là, à statut diplomatique, surpayés, inefficaces et
incapables de réfléchir sans l'apport des experts occidentaux se contenteront de
faire du copier-coller, ce sera un autre parmi les multiples gâchis du
continent. Avant que vos ministères des Affaires étrangères ne fassent des
analyses sur la marche
du monde, ils feraient mieux d'en faire d'abord pour votre propre « intérêt
».