07.08.12 Le Potentiel – Cinq questions à Gabriel Rufyiri
1.Quelle place occupe aujourdhui la Société civile au Burundi?
Comme dans le reste du monde, la société civile burundaise est lun des acteurs qui font avancer la société. Quand on parle de Société civile, il faut comprendre par là des citoyens organisés, à travers des associations dans divers domaines (droits de lHomme, syndicats, liberté de presse…).
Mais au Burundi, toutes ces associations citoyennes – comme lObservatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) – rencontrent de nombreuses difficultés dans leur mission de défense des droits des citoyens. Le gouvernement les considère comme des opposants politiques. Il va même jusquà dire que nous travaillons pour le compte de létranger.
2. Comment travaille lOlucome?
Depuis dix ans, nous sommes sur le champ de bataille de la lutte contre la corruption, un fléau dans notre pays. Nous travaillons sur une dizaine de thématiques, comme la sensibilisation de la population sur le phénomène de la corruption, la promotion de lintégrité. Mais notre principal champ daction cest linvestigation, cest-à-dire des enquêtes sur la corruption et les malversations économiques. Depuis 2002, nous avons traité quelque 1 200 dossiers qui révèlent que plus de 400 milliards de dollars ont été détournés. Ce qui dérange énormément le pouvoir en place. Dans un pays comme le Burundi, voler une telle somme représente beaucoup. Malheureusement, ceux qui ont détourné cette somme sont toujours là et ne sont pas inquiétés. Ils sont même devenus aujourdhui plus forts que lEtat, au point que tout individu, toute autorité qui essaie quoi que ce soit contre leurs intérêts se retrouvera dune manière ou dune autre en difficulté.
3. Cest-à-dire quoi exactement ?
Au niveau des pouvoirs publics par exemple, quiconque dit non à ces pratiques est chassé de la fonction publique et pourchassé. Quant à la société civile, toute personne qui mène des investigations sur un dossier important est menacée, emprisonnée, assassinée. Le vice-président de lOlucome a ainsi été assassiné en 2009 suite aux enquêtes quil menait. Moi-même jai été convoqué plus dune trentaine de fois par les autorités et emprisonné six fois.
4. Existe-t-il un dialogue entre le pouvoir et la société civile, notamment lOlucome ?
Malheureusement non. Cependant, il existe des gens quon peut qualifier de réformateur au sein du pouvoir qui essaient de nous comprendre de façon générale, et considèrent que nos actions sont bénéfiques pour le pays. Pour dautres, nous ne sommes que des ennemis du pouvoir, des ennemis de la République.
5. Quelles sont vos principales revendications? Avez-vous eu gain de cause sur certains de ces points?
Nous jouons notre rôle, en montrant surtout que nous ne sommes pas en train de travailler pour prendre le pouvoir, mais plutôt pour aider ceux qui dirigent le pays à mieux gouverner. Ils comprendront peut-être un jour que notre action est très importante dans la vie publique. Pour le moment, nous sommes incompris, mais pensons que dici peu ils pourront prendre la juste mesure de notre action. Que demandons-nous? Que le gouvernement entame un dialogue sur les sujets importants qui compliquent la vie des populations; que tous les citoyens, y compris les dirigeants du pays paient lIPR (Impôt professionnel sur les rémunérations, Ndlr), ce qui nest pas le cas actuellement malgré larticle 70 de la Constitution qui stipule bien que tous les citoyens sont égaux devant les charges publiques; une gestion rationnelle des moyens de lEtat, etc. On peut aussi parler de la mauvaise gestion de la société délectricité et deau, dont les performances sont surtout caractérisées par de fréquents délestages et coupures deau. Face au silence du gouvernement, nous avons organisé, le 27 mars dernier, une grève qui a été très suivie à travers le pays. Le pouvoir a alors compris que la population nous écoute. Le 1er mai, il a ainsi décidé de détaxer une douzaine de produits vivriers jusquen décembre prochain. La régie des eaux est en train dêtre auditée, un projet de loi sur lIPR a été présenté au gouvernement, même sil a décidé de le ranger dans les tiroirs, etc. Nous pensons quavec cette pression, ils se sont rendu compte que nous sommes nécessaires dans ce pays et que la population est derrière nous. Nous sommes persuadés que les choses peuvent changer avec le temps.
Tirées de Notre Afrik, n°24, Juillet-Août 2012
(*) Président de lObservatoire burundais de lutte contre la corruption et les malversations économiques.