29 08 12 Ke Soir -Le Rwanda devant le Comité des sanctions de l’ONU: Kabarebe s’exprime

Cartes sur table: les quatre vérités du général James Kabarebe

A la veille des élections au Congo, l’automne dernier, vous affirmiez
que si vous pouviez aider ce pays à se stabiliser davantage, vous le
feriez. Au vu de la situation actuelle, qu’est ce qui a mal tourné ?

Ce n’est pas seulement à la veille des élections que nous avons tenté
d’aider le Congo. En 2009 déjà, nous avions tenté de résoudre le
problème du CNDP (Conseil national pour la défense du peuple), ce qui
avait débouché sur l’arrestation du général Laurent Nkunda et la mise à
l’écart de beaucoup d’autres groupes, le Pareco, les Mai Mai Kifwawa, le
groupe de Nakabaka, le FRC… Tous avaient fini par être intégrés au sein
des troupes gouvernementales. Depuis lors, nous avons rétabli les
relations diplomatiques avec le Congo, nos présidents se sont rencontrés
plusieurs fois. Une évolution aussi positive surprenait tout le monde, y
compris nous-mêmes.

Qu’est ce qui s’est passé ? C’est une question que nous nous posons
aussi, mais personne n’est là pour nous répondre. Mais certaines
personnes, surtout en Occident, ont décidé d’interroger le seul Rwanda
sur ce qui se passe en RDC.

Au lendemain des élections, le président Kabila a été mis sous
pression par la communauté internationale qui exigeait l’arrestation du
général Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale. N’y
a-t-il pas eu à ce moment une sorte d’accord entre Kinshasa et Kigali
pour écarter le général et procéder à son remplacement ?

C’est là que la confusion a commencé.

Pour retracer la genèse de l’histoire, il faut remonter aux accords
conclus en 2009 et savoir que, jusqu’au lendemain des élections au Congo
et jusqu’au mois d’avril 2012, il n’y a pas eu de problème. En 2009,
nous avions aidé à résoudre le problème du CNDP en appuyant
l’intégration de ses soldats dans l’armée gouvernementale, de même que
les militaires du Pareco, des Mai Mai Kifwawa, Nakabaka, soit une
dizaine de groupes. Mais par la suite, la gestion de cette situation
aurait du être l’affaire des Congolais eux-mêmes…

Le CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) avait donc été
intégré à la suite d’un accord signé à Nairobi, sous la supervision des
présidents Obasanjo et Mkapa. Le Rwanda avait ainsi contribué à un
accord qui, durant trois ans, avait permis de pacifier l’Est du Congo.
Or aujourd’hui l’intégration de ces forces a échoué. Cet échec n’est pas
le fait du Rwanda, mais il est du à la mauvaise gestion du processus
d’intégration des militaires.

Que s’est il passé cette année ci ?

En décembre, au lendemain de son élection, le président Kabila
dépêcha un envoyé spécial à Kigali, accompagné de quelques militaires.
Le conseiller du président, feu Katumba Mwanke, apportait un message
en quatre points : le premier c’est que le président Kabila souhaitait
obtenir le soutien du Rwanda pour transférer vers d’autres provinces les
soldats d’expression rwandaise qui se trouvaient dans l’Est du Congo.
Il souhaitait également notre appui car les Occidentaux le pressaient
d’arrêter le général Bosco Ntaganda. Après avoir réalisé ces deux
points, nous aurions mené des opérations conjointes pour neutraliser les
FDLR. Et enfin, forts d’avoir travaillé correctement ensemble sur les
points précédents, nous aurions renforcé la coopération économique
entre nos deux pays, relancé plusieurs projets demeurés en suspens.

La délégation nous expliqua que les soldats rwandophones refusaient
d’être déployés ailleurs qu’au Kivu et elle espérait que nous
réussirions à les convaincre, compte tenu de notre relation historique
pas seulement avec les anciens soldats du CNDP mais aussi avec les
autres officiers congolais.

D’après eux, ces hommes refusaient d’être transférés dans d’autres
parties du pays car Bosco Ntaganda le leur interdisait…Comme de coutume
nous avons proposé notre aide même si mon sentiment était que des
problèmes de cet ordre devaient être résolus sur une base nationale.

Pour ce qui concerne Bosco Ntaganda, nous avons rappelé que la
communauté internationale, qui exigeait l’arrestation de ce dernier,
disposait au Congo d’une force de paix onusienne de 20.000 dotés de
tanks, d’hélicoptères, de forces spéciales, une force se trouvant en
partie à Goma, en face de chez Bosco. Avec lui, les officiers jouaient
au tennis, ils fréquentaient les mêmes boîtes de nuit, les mêmes bars et
restaurants. Pourquoi ne se sont ils pas chargés de l’arrêter,
pourquoi nous ont-ils demandé de le faire ? Nous avons répondu que
cette arrestation n’était pas notre affaire, qu’il était un officier
congolais très proche du président Kabila, qu’ils avaient fait de
curieux business ensemble. Vous souvenez vous de l’histoire de cet avion
chargé d’or intercepté à Goma ? De très hauts dirigeants congolais
étaient impliqués dans cette affaire. Ntaganda n’était plus sous notre
contrôle…

Les membres de la délégation nous ont alors dit qu’ils allaient arrêter
Bosco, mais sans le déférer devant la Cour pénale internationale. Nous
étions le 5 février et la délégation regagna Kinshasa. Deux jours après
cette rencontre, Katumba Mwanke trouva la mort dans un accident d’avion à
Bukavu.

Fin mars, le président Kabila renvoya une autre délégation à Kigali,
dirigée par le chef des services de sécurité, Kalev, par le colonel Yav
Jean-Claude et d’autres. Ils souhaitaient toujours notre assistance car
ils ne voulaient pas résoudre les problèmes de l’Est sans notre appui.
Quel soutien ? Ils assuraient que Bosco Ntaganda bloquait le transfert
de soldats rwandophones dans le reste du pays.

Nous avons alors proposé d’organiser une réunion, à laquelle Bosco
Ntaganda participerait et où nous tenterions de le convaincre de le
convaincre de laisser ces officiers être déployés ailleurs qu’au Kivu.

La réunion ayant été fixée au 8 avril, le jour dit, nous avons attendu
ces gentlemen, mais ils arrivèrent sans Ntaganda car la rumeur avait
couru selon laquelle les gouvernements du Rwanda et du Congo se
préparaient à l’arrêter. Effrayé, il avait refusé de venir. Les
Congolais arrivèrent avec trois officiers, le colonel Sultani Makenka,
le colonel Faustin Muhindo et le colonel Innocent Zimurinda. La réunion
était censée convaincre Ntaganda, mais ce dernier était absent. « Il a
disparu la nuit dernière avec 200 de ses hommes hors de Goma…Peut être
se trouve-t-il dans sa ferme du Masisi.. ». J’ai alors fait remarquer
que « si Bosco n’est plus là, il ne peut plus empêcher le déploiement
de ses officiers, le problème est alors résolu… »

On m’expliqua qu’en fait, il y avait encore un problème et que c’est
pour cela que trois officiers étaient là. Nous avons écouté nos
interlocuteurs, avec le désir d’aider la RDC, d’une manière amicale,
fraternelle. L’importance de cette réunion du 8 avril, c’est qu’il
s’agît d’une occasion manquée. Elle marqua le tournant de tout ce qui
allait se passer par la suite au Congo.

Si nos interlocuteurs avaient écouté le conseil que nous leur avions donné ce jour là, les choses auraient été bien différentes.

Cette date est cruciale, car lors de cette réunion nous avons écouté
les représentants du gouvernement dont Kalev le chef de la Sûreté et le
général Yav. Ils ont accusé les officiers rwandophones de refuser d’être
déployés ailleurs dans le pays, de ne pas faire partie du système…Kalev
a expliqué que le président était déterminé à protéger Bosco Ntaganda, à
ne pas le transférer à la CPI mais le faire traduire devant une
juridiction congolaise.

Ils ont soulevé tellement de points, j’ai gardé toutes mes notes, les
minutes de la réunion… Quant aux trois officiers rwandophones ils ont
expliqué : « ce n’est pas Bosco qui nous bloque, mais le fait que
beaucoup de points sur lesquels un accord avait été conclu en 2009 n’ont
pas été réalisés. Comme préalable à notre déploiement dans d’autres
régions du Congo, il fallait rétablir la sécurité au Kivu, régler le
problème des FDLR, permettre que nos parents qui depuis tellement
longtemps vivent dans des camps de réfugiés au Rwanda puissent rentrer
chez eux. » Ils ajoutaient « notre intégration n’a jamais été
complète, nous étions payés autrement que les autres militaires, nous
avions reçu des grades mais ces derniers n’avaient jamais été confirmés
par des arrêtés, et à tout moment nous risquions d’être chassés de
l’armée. » Ces officiers évoquèrent la ségrégation, l’exclusion, le fait
d’être considérés comme des militaires de deuxième classe… »

De plus ils mentionnèrent le fait que 50 de leurs compagnons d’armes,
qui avaient été transférés à Dungu en Province Orientale, avaient été
tués en une seule nuit et que le gouvernement n’avait jamais mené
d’investigation. Ils citaient le nom du responsable de leur mort, un
colonel toujours en service… » « Nous avons été intégrés, certes,mais
nous sommes toujours frustrés. Nous étions prêts à contribuer à la paix
au Kivu, mais on ne nous aide pas : nous manquons de transport, de
communications, de véhicules, d’argent. Rien. Comment pourrions nous
ainsi mener des opérations contre les FDLR et d’autres groupes armés ?

Et même lorsque nous entamons ces opérations, les FDLR en sont informés
d’avance par des gens qui, depuis les rangs gouvernementaux, leur
passent l’information. »

Il y avait tant de plaintes que je ne peux me les rappeler toutes. Je me
suis alors adressé à Kalev, lui demandant s’il savait déjà tout cela.
Il répondit devant les autres qu’il avait déjà entendu cela tant de
fois, qu’il en avait souvent parlé au président mais qu’il n’avait rien
pu faire !

J’ai alors demandé comment on pouvait sortir de cette situation. Ils ont
répété qu’ils ne pouvaient se déployer hors du Kivu. Les autres ont
dit que le gouvernement ne pourrait tolérer l’indiscipline et qu’ils
devraient partir. J’ai alors prévenu les représentants du gouvernement,
leur disant que cette situation était une bombe à retardement, qu’ils
devaient trouver des solutions avant qu’il ne soit trop tard.

Comme je connais très bien la situation du Kivu, que je connais tout le
monde là bas, j’ai conclu que l’on se trouvait à la veille d’une guerre.
J’ai dit qu’il fallait éviter à tout prix d’en arriver là et que s’ils
voulaient quelque assistance, nous étions disposés à les aider à trouver
une solution. La guerre, disions nous, va affecter tout le monde, la
population congolaise, le Rwanda. De notre point de vue, si la guerre
éclate, les FDLR vont regagner du terrain.

A cette même période, le 8 avril, alors que nous recherchions une
solution pacifique, le gouvernement congolais envoya vers Goma une
importante force militaire, des lanceurs de fusée, des chars T52, des
hélicoptères de combat. Goma fut soudain fortement militarisée. Au
moment où, avec Kalev le chef de l’information civile et Yav le chef de
l’information militaire, nous tentions de résoudre pacifiquement les
problèmes, le chef d’état major, le général Etumba et le chef de
l’armée de terre Tango Four Amisi débarquèrent à Goma pour renforcer
l’effort militaire.

Nous répétions que l’option militaire n’était pas la meilleure, mais ils sont allés de l’avant.

C’ est à ce même moment que des officiers ont commencé à déserter leurs unités, que d’autres ont refusé le déploiement.

Je leur ai alors conseiller de réunifier l’armée, de stopper les
transferts, car la situation devenait dangereuse, de se pencher sur
l’administration de l’armée, car il y avait beaucoup trop
d’irrégularités, de problèmes de commandement, le mécontentement était
général.

A propos de Bosco Ntaganda, nous avons dit que s’ il était indiscipliné,
cela ne pouvait être toléré, qu’il fallait l’arrêter, où qu’il soit.
Ils m’ont dit que cela n’était pas possible car il se trouvait dans sa
ferme. J’ai proposé de mener ensemble une nouvelle opération contre les
FDLR, de la planifier, de la mener à bien. Quant aux commandants qui
avaient refusé de se déplacer, à Kinshasa ou ailleurs, je leur ai
conseillé de ne pas être trop durs avec eux, car cela allait créer du
chaos. La situation était tellement volatile qu’utiliser contre eux la
force militaire pouvait s’avérer dangereux.

Après cette réunion, le président Kabila est venu à Goma, où il a
annoncé qu’à tout prix il fallait arrêter Bosco Ntaganda, à tout prix.
Ce message était le contraire de ce que j’avais entendu la veille, où on
me disait que Bosco pouvait rester dans sa ferme.

A ce moment, il se passait tant de choses ! Lorsque le colonel
Zimurinda arriva à Goma, il fut désarmé, mais le même soir, on lui
rendit ses armes et son escorte et il rejoignit immédiatement Bosco
Ntaganda. Le jour suivant, le colonel Baudouin Ngaruye fut lui aussi
désarmé et lorsque le soir on lui rendit ses armes après avoir négocié,
il rejoignit Bosco. Le même jour, à Rutshuru le général Amisi donna
l’ordre de désarmer tous les soldats de l’ex CNDP. Il y eut alors un
clash entre tous ces militaires. Ensuite, à Fizi des officiers de
l’ex-Pareco, Saddam et Nsabimana furent désarmés, il y eut des
escarmouches et ils fuirent vers Uvira. Le commandant de la région,
Delphin Kahimbi, déploya des forces pour les battre à Uvira et Bernard
Nyamungu tenta de protéger les fuyards, avant de fuir lui-même vers
Bukavu où il fut arrêté. C’est ainsi que commença le chaos.

Quant au colonel Makenga, il retourna à Bukavu après notre réunion.
Lorsque le président Kabila arriva à Goma, Makenga était supposé y
revenir pour assister à une réunion, et sur la route de Bukavu à Goma,
il y eut une embuscade, montée par Delphin Kahimbi. Makenga y échappa et
arriva tout de même à Goma mais ne revint jamais à Bukavu.

Cette version est controversée, car selon d’autres sources, Makenga aurait fui par le lac en direction du Rwanda…

Non, il a échappé à l’embuscade et après quelques jours il a appelé
Jean-Claude Yav disant qu’il ne pouvait rentrer à Bukavu aussi longtemps
que Kahimbi s’y trouverait et il resta à Goma..

Vous êtes sûr qu’il ne s’est pas rendu à Gisenyi à ce moment ?

Non, il est resté à Goma. Makenga n’avait pas l’habitude de venir au
Rwanda car il nous en voulait d’avoir arrêter Laurent Nkunda dont il
était très proche. Durant ces quelques jours, les combats commencèrent
contre Bosco Ntaganda, les FARDC l’attaquèrent dans sa ferme et ils
amenèrent des renforts depuis le Sud Kivu. Même Delphin Kahimbi remonta
de Bukavu jusque Goma. Le voyant arriver, Makenga quitta Goma à son tour
et se rendit à Runyionyi, un endroit qu’il connaissait très bien.

Ce mouvement du colonel Makenga en direction de Runyioni changea tout le
scénario de la guerre ; si Bosco n’était pas populaire parmi les
soldats, pas même auprès des rwandophones, il n’ en allait pas de même
de Makenga : lui il était très populaire auprès des soldats…Son départ
provoqua un mouvement de désertion parmi les FARDC..

Les ex CNDP, dans le Masisi, étaient pratiquement vaincus et ils se
renforcèrent lorsqu’ils firent mouvement vers Runyonyi. C’est alors que
l’on a évoqué l’appui du Rwanda…

C’est faux, hopeless. S’ils étaient vaincus, pourquoi ne furent ils
pas capturés ?Entre Masisi et Runyoni, il y a une longue distance, plus
de sept heures de route. On aurait pu les arrêter, les bloquer…

Mais un cessez le feu avait été décrété, qui leur a permis de fuir…

Non, il n’y a pas eu de cessez le feu. Ce qui s’est passé, c’est que
cette force était intacte, avec ses armes et ses commandants, on ne peut
pas dire qu’elle ait été défaite. On l’a peut-être laissée passer,
intacte.

Ce qui est important, c’est que lorsque Makenga arriva à Runyonyi, il
avait 200 soldats. Dans les jours qui suivirent, ils étaient des
milliers : des soldats, des officiers firent alors défection et
convergèrent pour rejoindre Makenga, il ne s’agissait pas seulement de
rwandophones. D’après nos informations, 80% des forces du M23 sont des
Hutus, anciens combattants du Pareco. Bashi, Bahutu, Nande, Barega,
beaucoup d’autres groupes rejoignirent le M23. Même des membres de la
garde rapprochée du président Kabila, des Katangais, des Kasaïens,
firent défection et rejoignirent Makenga, tellement il y avait du
mécontentement…

Le mauvais management des troupes est au cœur du problème. Comment
pouvez vous envoyer des troupes en opération en leur donnant seulement
une poignée de haricots secs ! Au lieu de leur envoyer de la
nourriture, vous leur donnez un sac de haricots, sans eau, sans sel,
sans riz, sans casserole ni bois de feu… C’est impossible.

On ne peut pas dire que l’armée congolaise a échoué à battre le M23, car
le M23 était soutenu par le Rwanda. Non. Ils ont échoué parce qu’ils
ne peuvent pas se battre, dans les conditions où ils se trouvent. Ils ne
tueraient même pas un rat…..

Ils pourraient se battre s’ils étaient nourris correctement…

La nourriture ne suffit pas. Il faut aussi une bonne structure de
commandement…Après avoir rejoint les rangs du M23, les soldats
déserteurs commencèrent à mieux se battre. Pas seulement à cause de la
nourriture, mais parce qu’ils se battaient contre un système qui les
maltraitait… Dire que le Rwanda soutenait le M23, c’est faux et je vais
vous le démontrer…

Vous dites qu’aucun renfort n’a traversé la frontière ?

J’ai connu cette région autrefois. Runyonyi ne se trouve pas sur la
frontière, marcher depuis la frontière rwandaise jusque Runyonyi, cela
prend au moins onze heures de marche, il faut traverser la forêt car il
n’y a pas de routes, il n’y a aucun lien entre Runyonyi et le Rwanda.
Toute cette histoire de soutien que le Rwanda aurait apporté est une
manipulation. Mais une manipulation très compliquée. Elle implique le
gouvernement congolais désireux de sauver la face après sa défaite
militaire et sommé d’expliquer pourquoi ses soldats n’ont pas combattu.
Elle est soutenue par l’Occident, déçu par le fait que Bosco Ntaganda
n’ait pas été arrêté par la Cour pénale et que le Rwanda n’a pas coopéré
à cette arrestation. Le Rwanda est puni car il n’a pas coopéré pas avec
la Cour pénale internationale, cela, c’est le fond du problème. Tout
le monde sait que le Rwanda n’a pas un seul soldat au sein du M23, ne
lui donne aucun soutien. Même les Congolais savent cela, ils nous le
disaient à titre individuel, mais ils devaient sauver la face…

Mais à Goma fin juin, des transfuges ont témoigné du fait qu’ils
avaient été recrutés au Rwanda pour venir combattre au Congo…Que faut-il
en penser ?

Vous connaissez le Congo, vous savez comment Goma, Bukavu, c’est un
melting pot de mensonges, diffusés à la radio par le gouverneur, le
ministre de l’information…

Tout de même, ceux qui ont diffusé ces témoignages que vous
qualifiez de mensonges ont été nombreux, issus de différents milieux, y
compris des observateurs des Nations unies…

C’est pourquoi je parle d’une machination contre le Rwanda, en
connivence avec le gouvernement congolais et la communauté
internationale. C’est ainsi. Le problème est là. La Monusco a été au
Congo durant plus de dix ans, et elle n’a rien résolu. Elle fait du
business avec les FDLR, fait commerce avec l’or, le coltan, nous savons
tout cela.

Quant au groupe d’experts de l’ONU, ces jeunes hommes et femmes qui ont
rédigé le rapport, comme Steven Hege, qui prône la négociation avec les
FDLR, il a aussi été manipulé par le gouvernement congolais.

Comment les Nations unies peuvent elles désigner comme experts des
gens aussi jeunes, aussi peu expérimentés, qui se perdent même dans les
acronymes. Même leur intégrité est sujette à caution…Ils n’ont pas le
niveau de compréhension minimum nécessaire dans cette région.

Pour nous, nous n’allons pas cesser d’avoir des contacts avec la RDC.
Des le 1er mai, nous avons eu des contacts au niveau de l’état major.
Ils nous ont demandé de les aider et nous allons le faire. Nous leur
avons rappelé que le 8 avril ils avaient manqué une occasion d’éviter la
guerre. Nous leur avons demandé de stopper les combats afin que nous
puissions voir que faire, comment les aider.

A cette époque, nos interlocuteurs congolais nous demandaient
explicitement de déplacer nos forces à l’intérieur du Congo, afin de les
aider à régler le problème. Nous avons

refusé de bouger nos forces..

Cependant vous aviez des forces basées à Rutshuru…

Oui, elles étaient destinées à combattre les FDLR. Il s’agît de deux
compagnies de forces spéciales, aux côtés de deux compagnies de forces
spéciales congolaises. Cela fait deux ans qu’elles sont là et elles y
sont toujours…

Le 3 mai nous avons eu une autre rencontre à Kigali, avec le ministre
de la défense congolais et lui aussi nous a demandé d’intervenir. Mais
nous ne pouvions pas voir comment on pourrait régler militairement ce
problème. Le 12 mai, nouvelle rencontre des ministres de la défense à
Rubavu, ils refont la même demande. Le 18 mai, autre réunion à Kigali,
le 26 mai nouvelle rencontre, toujours à Kigali, incluant le ministre
congolais des affaires étrangères. A ce moment, la défaite des forces
gouvernementales était flagrante. Et c’est à cette réunion, que, pour
la première fois, les Congolais ont commencé à accuser les Rwandais
d’avoir aidé le M23, et cela alors que nous avions déjà eu tant de
réunions, pour examiner comment les aider.

Ils ont seulement mentionné cette accusation et de notre côté nous avons
dit que certains commandants avaient intégré des FDLR. Nous avons
proposé de mettre en place un mécanisme de vérification commun.

Le 29 mai, les chefs d’état major ont lancé le mécanisme de vérification
pour dissiper les rumeurs. Le 19 juin, il y eut un nouveau meeting à
Kinshasa mais deux jours auparavant le gouvernement congolais, aux
Nations unies, avait accusé le Rwanda…

Entre-temps, à Goma, des transfuges avaient expliqué à la Monusco qu’ils avaient été recrutés au Rwanda pour rejoindre le M23…

Nous avions été informés du fait que l’on était en train de fabriquer
des preuves pour mettre en cause le Rwanda et nous en avions informé
nos interlocuteurs congolais. Nous leur demandions pourquoi ils
faisaient cela.

Il y a d’abord eu le cas de ces 11 personnes, des FDLR qui se
trouvaient dans le camp de Mutobo et qui furent envoyés à Runyonyi.
Après que j’en aie parlé au colonel Yav, l’histoire disparut. Mais elle
resurgit ensuite et on retrouva ces 11 transfuges dans le camp de la
Monusco. Kalev, le chef de l’ANR, est à l’origine de toutes ces
manipulations, l’histoire a été fabriquée à Goma, présentée à la Monusco
et de là elle est partie aux Nations unies…

Il y a tant d’histoires… Jusqu’à la dernière où il est question d’un
capitaine Saddam qui fut capturé quelque part par les FARDC. On trouva
sur lui une carte d’identité rwandaise et on le présenta au groupe
d’experts de l’ONU. Or nous ne connaissons pas cette personne, il n’est
pas repris sur les listes de notre armée… La vérité, c’est qu’alors que
nous nous trouvions à Goma pour une réunion, le chef de l’intelligence
militaire congolaise vint me voir dans ma chambre et, à propos de
l’histoire de ce capitaine, il me dit « nous commettons une grande
erreur en fabriquant ce genre d’histoires contre le Rwanda, cela nous a
déjà coûté tellement cher…Ce capitaine Saddam appartient l’armée
congolaise, mais c’est Kalev qui a décidé de fabriquer une fausse carte
d’identité rwandaise et d’envoyer ce témoignage truqué aux Nations
unies…Comment imaginer que des décisions soient prises sur de telles
bases ? »

Si le Rwanda est victime d’une machination, elle est tout de même
énorme, avec la participation de personnes différentes, c’est beaucoup…

Il y en a eu tellement, c’est vrai… Mais voyons maintenant les choses
en face: les Congolais sont victimes d’un chaos qu’ils ont créé
eux-mêmes, la communauté internationale le sait, j’ai les minutes de la
réunion des onze ministres des affaires étrangères de la conférence sur
la sécurité dans les Grands Lacs, à Nairobi. Le gouvernement congolais
y déclare très clairement que la première cause de l’instabilité dans
l’est du Congo, c’est la pression internationale mise sur l’arrestation
de Bosco Ntaganda. Et ensuite, on met la responsabilité sur le Rwanda !

Quant à nous, nous poursuivons réunions et contacts avec les Congolais.
Mais il nous est arrivé de voir débarquer à Kigali deux délégations
venues du Congo., Chacune a son propre message, différent de l’autre, et
refuse une réunion commune…C’est une confusion totale.

Mais ce qui est très clair, c’est que le président Kabila a été nourri de mensonges par ses gens sur le terrain…

Je crois qu’en commençant cette guerre, les Congolais ont pensé que ce
serait une opération rapide. Ils se sont surestimés. Mais lorsque les
choses ont commencé à changer sur le terrain, ils ont commencé à
chercher un prétexte, et à désigner le Rwanda. D’autant plus facilement
que chaque fois que quelque chose ne va pas au Congo, on désigne le
Rwanda. A cela s’est ajoutée la frustration de l’Occident qui voulait
arrêter Bosco Ntaganda et poussait le président Kabila à le faire. Tout
cela engendré un grand chaos.

Je reviens avec la même question : vous pouvez mettre en cause les
experts de l’Onu, leur compétence, leur niveau, vous pouvez dénoncer
Kalev et les manipulations de l’ANR, mais ne croyez vous pas que les
Américains, les Britanniques, et même les Belges ont eux aussi leurs
sources d’information. Or tous confirment les mêmes faits. Sont ils tous
victimes d’une hallucination collective ?

Nous avons de grosses ambassades au Rwanda, et elles ont les moyens
de faire du renseignement. Elles surveillent certainement les mouvements
de troupes, de logistique, les mouvements vers la frontière. Or depuis
les six dernières années au moins, il n’y a aucun mouvement vers la
frontière…Comment le Rwanda pourrait il combattre en RDC sans qu’aucun
mouvement ne soit visible ?

Ce qu’elles racontent, ce sont des informations qui leur ont été
transmises depuis l’autre côté de la frontière, rien de ce qu’elles ont
constaté elles mêmes… Au Rwanda même, elles n’ont rien vu…

Comment, dans ce pays très peuplé, le passage de centaines de soldats,
d’armes, de camions aurait il pu passer inaperçu ? Aucune preuve ne
peut être fournie…

Le ministre belge Reynders a laissé entendre que des « éléments
rwandais non contrôlés » pourraient être impliqués. Cela vous paraît il
possible ?

Je suis sûr que les militaires rwandais sont plus contrôlés, mieux
organisés que les Belges. Si des éléments incontrôlés existent quelque
part, ce serait plutôt dans l’armée belge qu’au sein de l’armée
rwandaise. L’armée rwandaise est solide, bien organisés, bien commandée,
bien disciplinée, des éléments incontrôlés en son sein ne peuvent pas
exister…

Et des recrutements incontrôlés, de Tutsis d’origine congolaise qui
se trouveraient en territoire rwandais, c’est impossible aussi ?

Cela, c’est possible. Nous avons camps de réfugiés, à Buyumba,
Gatsibo, Kibuye et Kigeme et d’autres réfugiés ne sont pas dans des
camps. Qu’il y ait des recrutements dans ces milieux là, c’est très
possible, à 100%. J’ai dit aux Congolais que s’ils avaient des
informations à propos de ces recrutements, ils pouvaient nous les
donner, pour que nous y mettions fin. Mais les Congolais préfèrent faire
du bruit et accuser le Rwanda…

Des intérêts privés, mafieux, auraient ils pu être mêlés à tout cela ?

C’est de l’imagination, de la fantaisie, de la confusion totale. Comment
le Rwanda pourrait il tolérer de tels mouvements ? La société rwandaise
est très disciplinée, nous ne pouvons avoir de tels éléments…Et même si
cela était, cela n’expliquerait pas comment toute une armée a pu être
battue par quelques centaines d’éléments…Vingt deux mille éléments,
équipés de tanks, d’hélicoptères ont été mis en échec par quelques
centaines de mutins. Cela montre qu’au Congo il n’y a ni gouvernement
ni armée, seulement un grand vide.

Tous ces constats étant faits, la pression étant mise sur le Rwanda, quelles sont les pistes de solution ?

Rwanda n’est pas sous pression. Croyez vous vraiment que les Nations
unies pourraient mettre le Rwanda sous pression ? C’est un non sens.
Même les sanctions ne nous effraient pas, elles ne signifient rien…

Mais si des fonds sont coupés, des budgets bloqués, cela peut faire mal…

L’argent ce n’est pas un problème. Dans la brousse nous avons déjà
survécu sans ressources…Sans aide, nous nous développerons mieux, cela
nous donnera plus d’énergie encore. S’ils en sont au point de baser
leurs sanctions sur des mensonges, laissons les faire, cela ne risque
pas d’influencer le Rwanda. Au Congo, nous n’avons pas commencé ces
histoires, nous ne les avons pas soutenues et aujourd’hui nous n’allons
pas y aller pour nettoyer leur désordre.

Nous compterons sur nous mêmes comme nous l’avons toujours fait…

Quelles sont les solutions possibles ?

C’est aux Congolais qu’il appartient de les trouver. Et aussi aux
Etats membres de la Conférence internationale sur la sécurité dans les
Grands Lacs, qui vont se revoir le 5 septembre. Je ne suis pas sûr que
la force neutre verra jamais le jour. Par contre ce qui fonctionnera,
c’est le mécanisme conjoint de vérification, qui sera composé de trois
représentants de chacun des Etats membres de la conférence. Le
commandement sera exercé par l’Ouganda, le numéro deux sera originaire
de Brazzaville, les autres viendront de RDC, du Rwanda, du Burundi, de
l’Angola, de la Tanzanie…Ces officiers vérifieront la frontière entre la
RDC et le Rwanda, ils contrôleront aussi sur le terrain l’application
du cessez le feu entre l‘armée congolaise et le M23 et la présence des
FDLR sur le terrain. Tout cela en attendant l’éventuel déploiement de la
force neutre. Si elle vient jamais…

Des négociations avec le M23 sont elles envisageables ?

Cela dépend de ce que décidera la conférence. Maintenant il faut
laisser jouer les mécanismes régionaux. Nous nous référerons aux
décisions de la Conférence présidée par l’Ouganda…

Si l’on veut sortir de cette crise, il faut que la communauté
internationale comprenne qu’en exerçant des pressions sur le Rwanda à
propos de la situation en RDC, elle ne fait pas de bien à la RDC : les
problèmes sont nés là, c’est là qu’ils doivent être résolus. Et les
Congolais doivent savoir que la solution à leurs difficultés ne viendra
pas de la communauté internationale, mais d’eux-mêmes. C’est en comptant
sur eux-mêmes, en construisant leurs propres mécanismes de gouvernance,
leur propre système que les Congolais s’en sortiront… …

Si à Kinshasa ou au Kasaï les gens ont faim et se révoltent, en quoi le
Rwanda est il responsable de cette situation ? Où est le lien… Si les
Congolais continuent à rechercher à l’extérieur les causes de leurs
problèmes, ils rencontreront plus de difficultés encore…C’est en
eux-mêmes qu’ils doivent rechercher les solutions…

Propos recueillis à Kigali le 29 août

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