Les taux belges négatifs: une si bonne nouvelle ?


La crise fait ga­gner de l’ar­gent à la
Bel­gique. Ja­mais dans son his­toire, le pays n’aura connu de condi­tions aussi
fa­vo­rables pour em­prun­ter sur les mar­chés. De­puis le 17 juillet, il
em­prunte dé­sor­mais à taux né­ga­tifs pour ses bons du tré­sor à trois mois.
Ré­sul­tat, l’État se voit ré­mu­né­ré sur ces titres. Il a ainsi ré­col­té,
selon nos cal­culs, plus de 17 mil­lions d’euros jusqu’à pré­sent. Et les
in­ves­tis­seurs ac­ceptent de perdre de l’ar­gent. "C’est le prix à payer pour
avoir de la sé­cu­ri­té", constate Jean De­boutte, le res­pon­sable de la
stra­té­gie pour l’Agence de la dette. "Les in­ves­tis­seurs
ins­ti­tu­tion­nels ne peuvent pas res­ter en cash, il faut qu’ils placent leur
ar­gent quelque part. Même si les taux sont né­ga­tifs, les bons du Tré­sor
offrent 100% de pro­ba­bi­li­té d’être rem­bour­sés
", ajoute-t-il. D’après
lui, les banques et les banques cen­trales, en par­ti­cu­lier les asia­tiques,
se ruent sur nos bons du Tré­sor. "Elles cherchent avant tout la li­qui­di­té,
la sé­cu­ri­té, ce qui ex­plique pour­quoi elles ac­ceptent des taux
né­ga­tifs", pré­cise-t-il.
La Bel­gique est en­trée dans le club des pays
qui em­pruntent à taux né­ga­tifs dans la zone euro. L’Al­le­magne, le
Da­ne­mark, la France et les Pays-Bas en font par­tie. "Nous nous trou­vons
dans un en­vi­ron­ne­ment où le sti­mu­lus mo­né­taire est élevé car la Banque
cen­trale eu­ro­péenne main­tient ses taux bas pour sti­mu­ler la crois­sance.
Nous as­sis­tons aussi à une fuite vers la qua­li­té. Les in­ves­tis­seurs
pré­fèrent les pays du noyau dur de la zone euro en rai­son de la si­tua­tion
éco­no­mique dif­fi­cile, sur­tout dans les pays pé­ri­phé­riques
",
ex­plique Jean De­boutte. Il se dit ras­su­ré que la Bel­gique fasse par­tie de
ce noyau dur. "Mais sans cette crise, tout ceci n’ar­ri­ve­rait pas. On voit
quelques pays avec des taux né­ga­tifs, et d’autres comme l’Es­pagne ou
l’Ita­lie payer des taux à court terme de 3%
", ajoute-t-il. "Non, ce
n’est pas du tout nor­mal que l’Al­le­magne et la Hol­lande paient des taux
réels né­ga­tifs alors que d’autres, comme l’Ita­lie et l’Es­pagne paient trop.
Pour­quoi est-ce que la Bel­gique em­prunte à du 2,6% à dix ans? Est-ce que vous
croyez que les me­sures prises par le gou­ver­ne­ment sont suf­fi­santes pour
ré­soudre les pro­blèmes du pays? Moi, je ne sais pas
", mar­tèle Karel
Lan­noo, le di­rec­teur du CEPS, un centre de re­cherche basé à Bruxelles.
"Je peux com­prendre que l’Al­le­magne bé­né­fi­cie de taux très bas, voire
né­ga­tifs. Mais pas la France, qui af­fiche une si­tua­tion pé­nible avec un
dé­fi­cit pu­blic de 5%, ni la Bel­gique, mal­gré un bud­get équi­li­bré, avec
un dé­fi­cit de 3%
",
ajoute-t-il.
In­sou­te­nable
"On a déjà connu une
si­tua­tion de taux né­ga­tifs dans les an­nées 70
", rap­pelle Paul De
Grauwe, pro­fes­seur d’éco­no­mie à la Lon­don School of Eco­no­mics. "À
l’époque, les in­ves­tis­seurs fuyaient les ac­tifs en dol­lars, et
re­cher­chaient de la sta­bi­li­té en Al­le­magne, au Japon et en Suisse, ce qui
a pro­vo­qué des taux né­ga­tifs dans ces pays
", sou­ligne-t-il.
"Au­jourd’hui, les in­ves­tis­seurs fuient les pays pé­ri­phé­riques de la
zone euro pour se ré­fu­gier vers les autres ré­gions. Mais ces mou­ve­ments
sont tou­jours tem­po­raires. Ils sur­viennent tou­jours dans un mo­ment de
crise. Ils ré­sultent de la per­cep­tion du risque
", re­lève-t-il. Karel
Lan­noo par­tage son avis. "La France et la Bel­gique se fi­nancent à des
condi­tions avan­ta­geuses. Mais leur si­tua­tion peut chan­ger très vite. En
France, si Fran­çois Hol­lande ne se montre pas en me­sure de ré­duire le
dé­fi­cit et res­tau­rer une dis­ci­pline bud­gé­taire, le pays risque de
de­voir payer sa dette plus cher
", pré­dit-il. "Tout dé­pen­dra de la
ma­nière dont on sor­ti­ra de la crise. À court terme, on voit une cer­taine
dé­tente sur le mar­ché obli­ga­taire. Mais les pro­blèmes fon­da­men­taux ne
sont tou­jours pas ré­so­lus
", re­lève Paul De Grauwe.
"On sor­ti­ra
de ces taux né­ga­tifs à condi­tion soit d’ar­rê­ter la créa­tion mo­né­taire,
mais on voit que la BCE a dé­ci­dé de ra­che­ter de la dette pour un mon­tant
illi­mi­té pen­dant trois ans, soit par une baisse du risque cré­dit de
l’Ita­lie et de l’Es­pagne, soit par une prime d’in­fla­tion qui conduit
na­tu­rel­le­ment à une hausse des taux
", pré­dit Bruno Col­mant,
pro­fes­seur d’éco­no­mie à l’UCL et as­so­cié au ca­bi­net de consul­tance
Ro­land Ber­ger.
Stress dans le sys­tème
Jean De­boutte
sou­ligne que pour la Bel­gique, seuls les taux à trois mois sont pas­sés en
ter­ri­toire né­ga­tif. "Les taux à six mois sont tou­jours lé­gè­re­ment
po­si­tifs. Or, dans d’autres pays, ceux-ci sont né­ga­tifs, comme aux Pays-Bas
et en Al­le­magne
", sou­ligne-t-il. Outre-Rhin, les taux né­ga­tifs al­lant
même jusqu’aux em­prunts à deux ans ont per­mis au pays, selon le quo­ti­dien
"Bild", d’éco­no­mi­ser 60 mil­liards d’euros sur les trente der­niers
mois!
Mais cette baisse des taux obli­ga­taires a des ré­per­cus­sions sur le
mar­ché du cré­dit. Le mar­ché repo, où viennent se fi­nan­cer les banques,
connaît une baisse de ses tran­sac­tions. "Les faibles ren­de­ments des
obli­ga­tions les plus sûres ré­sultent en une baisse des op­por­tu­ni­tés de
tra­ding et donc une baisse des tran­sac­tions repo
", sou­ligne Ri­chard
Co­mot­to, di­rec­teur de la re­cherche chez ICMA, une as­so­cia­tion de
cour­tiers. Or, on l’a vu en 2008, lorsque ce mar­ché, qui est la pierre
an­gu­laire du cré­dit, tourne au ra­len­ti, c’est ra­re­ment une bonne
nou­velle. "Mais la BCE crée aussi cette baisse des tran­sac­tions en
ou­vrant ses fa­ci­li­tés de cré­dit
", conteste Ri­chard
Co­mot­to.
Karel Lan­noo sou­ligne, lui, que les dis­tor­sions sur les taux
eu­ro­péens montrent une dés­in­té­gra­tion de la zone euro. "On a créé une
zone euro, avec tou­te­fois la pos­si­bi­li­té pour les in­ves­tis­seurs de
choi­sir tel ou tel pays au sein de celle-ci. On voit la BCE ba­tailler pour
celle-ci, mais elle est elle-même ti­raillée entre l’uni­fi­ca­tion et la
dé­cen­tra­li­sa­tion
", re­grette-t-il, en poin­tant la res­pon­sa­bi­li­té
des Al­le­mands.
Alors, les taux né­ga­tifs re­pré­sentent une bonne
nou­velle à court terme pour les États qui peuvent se fi­nan­cer à de meilleures
condi­tions. "Il faut aussi se ré­jouir que la Bel­gique fasse par­tie du
club des pays stables
", in­siste Jean De­boutte. Mais c’est
mal­heu­reu­se­ment la crise qui a pro­vo­qué ces taux né­ga­tifs. "Si la
crise n’était pas là, ja­mais nous n’au­rions des taux né­ga­tifs
",
nuance-t-il. Pas de quoi se ré­jouir trop vite.

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