Un billet de l'Ambassadeur Albert Kisonga Mazakala
On sétait attendu à une réaction fulgurante du pouvoir pour réfuter cette gravissime accusation et,
en même temps, si pas nécessairement une action policière mais au moins une montée
en ligne des médias du pouvoir. Ce fut le calme plat. Depuis, José Makila du
Mlc sest engouffré dans la brèche, suivi par un certain M. Mavungu, de
lUdpas /Tshisekedi. Visiblement, le camp présidentiel a été sonné, ce qui
veut dire que, quoi quil advienne, plus rien ne sera comme avant.
Jusquà
maintenant, la gestion de la politique rwandaise du pouvoir a été du domaine
exclusif des Katangais, les différents ministres des affaires étrangères ayant
toujours été tenus à lécart des véritables enjeux des négociations avec
Kigali.
Lors de son
dernier entretien avec quelques représentants de la presse kinoise, le
Président Joseph Kabila a parlé, sagissant de la présence militaire rwandaise
au Kivu, « dun secret de Polichinelle ». En létat, cette expression
signifie « connu de tout le monde ». Si la formule fit mouche, elle fut
loin déclaircir une question bien ténébreuse. Triés sur le volet, les
journalistes présents sabstinrent de chercher à embarrasser le Chef de lEtat
en sollicitant plus dexplications.
Mais, depuis, les
faits ont été plus éloquents que les discours, des faits de plus en plus
troublants, le dernier en date étant le rapatriement très médiatisé de deux
compagnies des forces spéciales rwandaises. Le Dr Kiantede Nzogu, certes un
anti-kabiliste avéré, nen pose pas moins une série des questions qui rendent
perplexe. Lune delles : «Pourquoi,
en plus, le commandant militaire congolais au Nord-Kivu (général B.) et le chef
de la DEMIAP (colonel Yav) sont-ils présents sur la vidéo diffusée par les
Rwandais (….) riant, plaisantant et en train de sembrasser avec leur supposé
ennemi rwandais, le général Charles Kayonga, un de ceux parmi les hauts
dignitaires de Kigali qui sont accusés davoir créé, entraîné, armé et dirigé
le soi-disant M23 ?».
Dans un article
paru dans Jeune Afrique le 13 juillet dernier, M. Rudatsimburwa,, directeur de
Radio-contact de Kigali, parlant sans doute au nom du pouvoir, qualifiait feu
Katumba Mwanke de « plus brillant stratège politique congolais du début du
21ième siècle ». Lopinion congolaise apprenait ainsi que cest
Katumba Mwanke qui était le concepteur de la politique rwandaise de la RDC. Ce
qui, par contre, était du domaine du public est que le plénipotentiaire de
Kinshasa dans les contacts avec Kigali était le Général John Numbi, qui
safficha devant les caméras avec Laurent Nkundabatware et fut payé en retour,
paraît-il, dun important cheptel de bovins transporté par une flotte davions
au Katanga, aux frais de lEtat congolais.
Depuis, Katumba
Mwanke est mort au cours dun accident davion pour navoir pas attaché sa ceinture
de sécurité, comme si sa toute puissance lui avait fait croire pouvoir
commander aux éléments.
Le génie de M.
Katumba Mwanke serait donc davoir inspiré cette politique qui sabstint de dénoncer la présence continue des forces
armées rwandaises au Kivu depuis 1996, faute de lavoir autorisée, en plus du
fait davoir permis lintégration des milliers des soldats rwandais dans les rangs
des Fardc et confié la chaîne de commandement des armées congolaises du
Nord-Katanga jusquà lIturi en passant
par les Kivu. Comme par hasard, cest
sur cet espace que le Rwanda ambitionne délargir ses frontières. On peut se
référer, pour ce faire, à la carte des nouvelles frontières rwandaises publiée
par Kigali en 1998.
Certains de ceux
qui avaient fréquenté feu Katumba disent de lui que cest un homme qui se
plaisait à dire « Hatukuya kucheza » (On nest pas arrivé au pouvoir
pour jouer mais pour senrichir) (traduction libre). Grâce à cette politique,
le Rwanda se livre à lépuration ethnique dans les Kivu sans discontinue,
massacrant, terrorisant afin dinciter les populations à abandonner leurs
terres. En même temps, des populations rwandaises sont régulièrement
transplantées au Kivu, ce dont avait rendu compte un journaliste britannique
quelques années passées, ayant visité lîle dIwawa sur le lac Kivu où des
ex-Interhamwe sont reconditionnés, réarmes et transférés au Congo. Nos
compatriotes de Beni-Lubero Line ne cessent dinformer sur des prétendus réfugiés tutsi
« revenus » du Rwanda, dont les grosses familles (25 personnes en
moyenne) se caractérisent par le fait que la différence dâge entre parents
supposés et enfants tournerait autour de cinq ans.
La question me
posée par un homme politique européen est celle de savoir comment M. Joseph
Kabila, le Président du Congo, a pu, à tout le moins, laisser faire Katumba
Mwanke et son cercle des Katangais. Lexplication qui me vient à lesprit se
rapporte à létat psychologique du Chef de lEtat. Voici un homme dont on dit
que son père ne serait pas son père ; que sa mère ne serait pas sa mère
(un universitaire connu ayant même déclaré avoir rencontré « sa mère
biologique » aux Etats-Unis) ; que son nom ne serait pas son nom ; que sa sœur ne serait pas sa
sœur ; que sa femme ne serait pas sa femme mais celle dEric Lembe ;
que sa tribu ne serait pas sa tribu ; que son pays ne serait pas son pays
etc
Une telle campagne
dintox, comparable à celle qui fut déclenchée contre Patrice Lumumba en 1960,
mène inévitablement à conséquences. Le résultat est donc que Joseph Kabila se
serait recroquevillé sur son très proche entourage, abandonnant pratiquement la
gestion des affaires à Katumba. Car imaginez les dégâts en cas de défection dun
de ces proches, lequel aurait alimenté la thèse de sa filiation douteuse. A
cela, il sied dajouter la dimension sécurité personnelle de la part dun homme
dont le père fut tué dans son bureau, et le grand père assassiné par des
adversaires politiques.
Sous dautres
cieux, étant donné que sa fortune est faite et quil est encore jeune, il se
serait retiré mais cest mal connaître la nature du pouvoir en Afrique.
Lampleur des abus est telle que la perspective de quitter le pouvoir fait peur,
à lidée que le successeur ne demande des comptes. En effet, si ceux quon
appelle les Mobutistes sen sont tirés à si bon compte, cest par la volonté du
pouvoir qui les a remplacés. Autrement, les prisons auraient manqué de places.
A moins que le
Président en soit venu à croire, ce qui semble ahurissant, que grâce à ses
appuis occidentaux, quaucune force ne pouvait empêcher le Rwanda de réaliser
ses ambitions dexpansion territoriale aux dépens du Congo.
Si cette hypothèse
savère plausible, la pression de maints dirigeants occidentaux, dont Sarkozy, y
aura été pour quelque chose.
Lautre hypothèse
est celle que jai déjà eu à formuler, à savoir que, comme feu son père, Joseph
Kabila a pu être convaincu que le projet rwandais buterait à lhandicap
démographique, et que donc le Rwanda naurait jamais suffisamment de
populations pour peupler le Kivu. Cette hypothèse semble également soutenue par
Pierre Péans, dans un article retentissant paru à Bruxelles dans lequel il
prône le retour des Tutsi congolais au Rwanda, leur mère patrie. Bénéficiant de
la profondeur que lui donne un pays vaste, le Chef de lEtat aurait pu penser laisser faire le Rwanda au Kivu pendant quil
se bâtirait une puissante armée afin den découdre le moment venu.
Si cest le cas, son
pari aura été extrêmement risqué. On ne dîne avec le diable quen se munissant
dune bien longue cuillère. Celle du Président a été trop courte. En loccurrence,
penser surprendre un ennemi si futé, qui a su rouler dans la farine le monde
entier, relevait de léquation impossible.
Ensuite, la
volonté de construire une armée forte, dans un climat de corruption
généralisée, systémique, est une chimère. Pour créer les conditions devant
inciter le soldat à sacrifier sa vie pour son pays, il faut impérativement une
gouvernance plus ou moins saine. Le soldat doit bénéficier dune solde
permettant de se valoriser au sein de la société ; il doit être convaincu
quen tombant sur le champ de bataille, sa famille aura la reconnaissance de
lEtat. La Nation doit poser des actes forts en reconnaissance de ceux qui
lont précédé dans le sacrifice. Ce nest pas pour rien que dans la plupart des
pays du monde, lentretien de la flamme du soldat inconnu est élevé au rang du
premier devoir de la Nation, que des cérémonies grandioses sont régulièrement
organisées pour saluer la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés pour le pays.
Au Congo, rien de tout cela nest fait. Si cétait pour endormir la vigilance
de Kagame, cest raté.
Il y a quelques semaines,
une information de la presse britannique, toujours en avance sur lAfrique,
indiquait que Kigali aurait décidé léviction de Joseph Kabila. Un des noms
cités pour le remplacer serait….John Numbi, empêtré dans le scandale de
lassassinat de Floribert Chebeya. John Numbi est lancien patron des jeunesses
de la Juferi de Kyungu Wa Kumwanza lors du pogrom des Kasaïens dans les années
90. Or, que constate t-on ? Kyungu, un sécessionniste katangais
notoirement connu, est entré dans une
soudaine agitation politique, soi-disant pour forcer Kinshasa à organiser un
référendum sur lautonomie des provinces. Entre-temps, par le M23 interposé, le
Rwanda a promis un coup dEtat à Kinshasa en septembre.
Je crois devoir
ajouter linformation donnée par lambassade de la RDC à Bruxelles indiquant
que la décision ayant frappé le cinéaste
belge Thierry Michel, refoulé de Kinshasa malgré la possession dun visa en
règle, navait été prise ni par la Présidence, ni par la Primature. Cela veut
clairement dire que, pour le moins, le pouvoir, au Congo, ne serait pas aussi concentré comme il le fut
sous Mobutu ou sous Laurent Kabila.
Il y a quelques
années, Laurent Nkunda avait déclaré que Joseph Kabila était tutsi comme lui,
ce qui est évidemment faux mais destiné à le discréditer aux yeux de ses
compatriotes. Comme chez eux rien ne se passe au hasard, les observateurs en
avaient conclu que le Président congolais était dans le viseur de Kagame. James
Kabarebe, dans sa longue interview avec Braeckman, vient de laccuser dêtre
associé à Bosco Ntanganda dans le trafic des minerais au Kivu. Sy ajoute,
naturellement, lépisode du rapatriement des deux compagnies spéciales
rwandaises.
Pourquoi le
Président reste-il sans voix ? Ses détracteurs disent, comme on le lit sur
le Net, que cest par peur que Kigali ne « le déballe » davantage.
Mais ceux qui le soutiennent rappellent quil communique généralement peu, et
souvent mal et que sa stratégie ne la pas empêché de rester au pouvoir depuis
plus de 10 ans. Mais sil communique mal, Joseph Kabila bénéficie des effets
dun retournement de lopinion internationale non seulement au sujet des crimes
commis par Kigali au Kivu mais des tenants et aboutissants du génocide
rwandais. Il y a eu tellement décrits, tellement denquêtes notamment menées
par des experts du Tribunal dArusha, des investigations menées par des
chercheurs américains qui démontrent que si génocide il y a eu au Rwanda, il
fut le fait du Fpr.
Mais comment faire
alors que les Etats-Unis, lAngleterre, voire la Belgique, ont été impliqués
dans la commission des massacres ayant permis au Fpr de prendre le pouvoir,
même si le vent tourne immanquablement ? Il y a trois ans, le Premier
Ministre Yves le Terme avait refusé de rencontrer Kagame de passage à
Bruxelles, tout comme son Ministre des Affaires étrangères Van Ackerre, alors
quauparavant, les autorités belges sempressaient de dérouler le tapis rouge
pour le tyran de Kigali. De surcroît, les rapports de force au niveau mondial
ne sont plus ce quils étaient dans les années 90 et le Fpr lui-même est en
proie à de graves dissensions dordre historico-culturelles entre Bega et
Nyinginya qui vont inévitablement se terminer par des massacres généralisés
comme cela a toujours été le cas dans lhistoire des monarchies tutsi à
lépoque pré-coloniale.
Toutefois, même si
la conjoncture internationale est favorable, le Congo ne se tirera des griffes
rwandaises quen mobilisant toutes ses forces. Or, pour y parvenir, le Chef de
lEtat a trois faiblesses de taille quil devrait dabord vaincre : 1. la
corruption généralisée (la quasi-totalité des responsables sont concernés).
Accepteraient-ils la perte de leurs privilèges sans réagir ?) ; 2. Un
appareil de lEtat loin dêtre totalement sous contrôle, y compris larmée dont
par exemple le bataillon Simba est la propriété personnelle de John Numbi alors
que, par ailleurs, la loyauté de maints hauts responsables politiques et
militaires issus de lAfdl, Rcd, Mlc, Cndp et autres créations rwando-ougandaises
demeure douteuse ; 3. La perte de confiance dune population quil faudra
convaincre de linanité ou de la fausseté de laccusation de haute trahison.
Je ne serais pas
complet si joubliais de mentionner leffet dévastateur de la décision de
porter le salaire des parlementaires à……13.000 $ (parmi les plus élevés du
monde) dans un pays qui narrive pas à payer 70$ à ses soldats.
Wait end see
Albert Kisonga
Mazakala