15 11 12 Afrikarabia – Les 4 vérités de Roger Lumbala
Roger
Lumbala revient de loin. Début septembre, l'opposant congolais est
brièvement arrêté par les services de renseignements burundais à
Bujumbura. Soupçonné de conspiration contre le régime de Joseph Kabila
et de collaboration avec la rébellion du M23, Roger Lumbala échappe aux
officiers de renseignements congolais venus le chercher par avion et
réussit à se réfugier dans l'ambassade d'Afrique du Sud. Comme aucune
charge ne pèse sur lui au Burundi, Lumbala regagne finalement Paris le
16 septembre 2012, où il rejoint sa famille. Le député Lumbala est
ensuite convoqué par l'Assemblée nationale congolaise pour venir
s'expliquer. Il demande à Kinshasa de garantir sa sécurité… en vain.
Persuadé d'avoir échappé au pire, Roger Lumbala vit maintenant en exil à
Paris, où nous l'avons rencontré.
– Afrikarabia : Dans une lettre adressée à l'Assemblée nationale congolaise (consultable ici)
vous tenez pour responsable Joseph Kabila de l'insécurité qui règne en
République démocratique du Congo. Vous dites même, que selon vous, il a
organiser l'instabilité du pays. De quels éléments disposez-vous pour
dire cela ?
– Roger Lumbala : On dit que assumer des
responsabilités dont on a pas la compétence est un crime. Aujourd'hui
Joseph Kabila n'est pas en mesure d'imposer l'autorité de l'Etat et
d'assumer ses responsabilités. Il a une responsabilité toute
particulière dans ce qui se passe à l'Est de la République démocratique
du Congo. Au mois d'avril, Bosco Ntaganda m'appelle pour me solliciter
et me demande d'aller discuter avec lui à Goma. Il s'agit d'une vielle
connaissance lorsque nous étions au RCD-N. Il y avait à l'époque Laurent
Nkunda, Makenga et les autres… ils nous respectaient beaucoup. Il
m'appelle et je réponds positivement, car à l'époque il se passait déjà
des choses à l'Est. Etant républicain, j'ai tenté d'appeler le président
de l'Assemblée nationale (Aubin Minaku, ndlr), qui n'a pas répondu. Le
nouveau ministre de l'intérieur n'est pas mon ami (Richard Muyej, ndlr).
Je ne peux donc pas aller vers lui pour lui raconter de telles
confidences. J'ai donc appelé Adolphe Lumanu, l'ancien ministre de
l'intérieur, en présence de Bosco Ntaganda par téléphone, pour qu'il
écoute l'entretien. Lumanu m'a dit qu'il devait appeler le président de
la République pour lui exposer le problème car il s'agissait d'une
mission délicate. Le chef de l'Etat lui a déconseillé et a demandé à
Lumanu de me dire de ne pas aller à Goma. J'ai trouvé cela un peu
bizarre. C'est ensuite Ntaganda qui m'appelle pour me dire que Joseph
Kabila l'a appelé pour lui demander de ne pas me recevoir. Etrange ? Si
on revient un peu en arrière : Bosco Ntaganda est recherché par la Cour
pénale internationale (CPI). Joseph Kabila déclare que pour des raisons
de sécurité et de paix en RDC, il ne peut pas livrer Ntaganda. Et donc,
il laisse Ntaganda dans le territoire de Rutshuru, là où celui-ci avait
ses hommes. Voilà comme Joseph Kabila a renforcé Bosco Ntaganda.
Ntaganda avait déjà prit de l'argent à la banque centrale de Goma. Il a
ensuite arrêté un avion qui allait chercher de l'or avec de vrai-faux
dollars… personne n'a rien dit… pas même le chef de l'Etat. Voilà
comment Joseph Kabila alimente Bosco Ntaganda en argent, en armes et en
munitions.
– Afrikarabia : Vous dites que Joseph Kabila joue double-jeu ?
–
Roger Lumbala : Non, il est complice ! Sachant que Bosco Ntaganda est
recherché par la CPI, Joseph Kabila refuse de le livrer, ne veut pas le
déplacer, le maintient dans son fief avec ses soldats et l'alimente en
argent ! Après sa réélection très controversée de novembre 2011, la
pression internationale s'est accrue sur Joseph Kabila : "tu dois livrer
Bosco Ntaganda", lui dit-on. Kabila prend contact et se retrouve avec
Bosco Ntaganda et Paul Kagame (le président du Rwanda voisin, ndlr).
Kabila expose son problème et explique qu'il a "une chape de plomb sur
la tête". Il propose de ne pas arrêter Bosco Ntaganda pour le livrer à
la Cour pénale internationale, mais de le garder pour le juger en
République démocratique du Congo. Paul Kagame dit "non" et Bosco
Ntaganda dit "non" en disant que "ce n'était pas cela le contrat". Et
c'est donc à partir de ce moment là que débute les hostilités au
Nord-Kivu. C'est pour cela que je dis que Joseph Kabila est responsable
de ce qui se passe à l'Est de la République démocratique du Congo.
–
Afrikarabia : Dans votre lettre à l'Assemblée nationale, vous dites
aussi que Joseph Kabila financerait l'opposition rwandaise, en versant
de l'argent au général rwandais Faustin Kayumba, actuellement en exil en
Afrique du Sud ?
– Roger Lumbala : Joseph Kabila joue
au jeu du chat et de la souris. Depuis 2003, Joseph Kabila verse une
"prime de guerre" à Paul Kagame par l'intermédiaire de Katumba Mwamke
(son plus proche conseiller, décédé le 12 février 2012, ndlr). C'est une
prime pour l'aide de Kagame dans la résolution de la crise de 2003 : 25
millions de dollars chaque année. Aujourd'hui, Kabila cherche à se
débarrasser de Kagame et surtout ne veut plus payer cette somme. Que
fait-il ? Il décide de soutenir l'opposition rwandaise. C'est pour cela
qu'Augustin Katumba Mwamke entre en contact avec le général Faustin
Kayumba Nyamwasa, qui a d'ailleurs échappé à un attentat en Afrique du
Sud (le 19 juin 2010, ndlr). Ils se sont rencontrés plus de 5 fois.
Joseph Kabila veut donc rééquilibrer ses relations avec Kagame en
soutenant l'opposition rwandaise. Joseph Kabila est aussi en "alliance"
avec le pouvoir hutu du président burundais Nkurunziza. Dans cette
région, on sait qu'il y a une animosité viscérale entre hutu et tutsi.
C'est pour cette raison que Kayumba, qui est hutu, est soutenu pour
Nkurunziza, qui est lui aussi hutu, contre Kagame le tutsi. Joseph
Kabila est aussi en relation avec Agathon Rwasa (des FNL, en lutte
contre le pouvoir burundais, ndlr) et Pascaline Kampayano… on n'y
comprend plus rien, tout cela fait de la "bouillabaisse".
Cela
explique tout de même la position du Rwanda qui pense que, lorsque vous
êtes avec ses ennemis, vous devenez son ennemi. C'est ainsi que le
Rwanda… (ça je ne sais pas si on peut le dire, car eux-mêmes ne le
disent pas, c'est comme cela qu'ils)… tolère (voila l'expression que je
peux utiliser), c'est pourquoi le Rwanda tolère le va et vient du
groupe de Bosco Ntaganda (le M23, ndlr) à sa frontière.
– Afrikarabia : On peut dire que le président Joseph Kabila essaie aujourd'hui de s'affranchir de la tutelle rwandaise ?
–
Roger Lumbala : C'est exactement cela. En faisant du Rwanda le diable
agresseur, Kabila peut faire oublier au peuple congolais qu'il a été mal
élu. Le peuple est tombé dans ce panneau là, avec la communauté
internationale. Cette communauté internationale qui peut d'une certaine
manière reconnaître le régime de Joseph Kabila, par le simple fait que
son pays est agressé par le Rwanda. Alors que c'est Joseph Kabila qui
est à l'origine de ces troubles.
– Afrikarabia : Le
gouvernement vous a soupçonné de "haute trahison" et de travailler avec
les rebelles de M23. Etes-vous proche de cette rébellion ?
–
Roger Lumbala : Est-ce que le gouvernement m'accuse d'empêcher les
FARDC de se battre ? Je ne suis ni chef d'Etat major des forces
congolaises, ni ministre de l'Intérieur, ni celui des Renseignements.
Dans le cas où j'aurais été en relation avec le M23, qui a empêché les
FARDC de se battre ? Je ne suis qu'un élément de "distraction". Ma
chaîne de télévision a été incendiée (RLTV, ndlr), le signal des deux
chaînes a été coupé, on a tiré sur ma résidence à Mbuji Mayi… tout cela
montre à quel point le régime de monsieur Kabila cherche à abattre Roger
Lumbala. Toutes ces accusations qui sont portées contre moi… c'est
parce que je suis de l'opposition.
Pour répondre à votre question, je
n'ai pas aujourd'hui de relations directes ou indirectes avec le M23.
Cela ne veut pas dire que je ne connais pas les acteurs du M23. Je
connais beaucoup de monde, Joseph Kabila le sait très bien. Je connais
Paul Kagame, James Kabarebe (ministre rwandais de la défense, ndlr)…
j'ai travaillé avec eux de 1998 à 2003 (lors de la deuxième guerre
congolaise, ndlr). Mais je ne me suis intéressé aux problèmes de l'Est
qu'après l'appel téléphonique de Bosco Ntaganda (en avril 2012, ndlr).
–
Afrikarabia : Le gouvernement congolais vous accuse également de
soutenir la rébellion du colonel John Tshibangu au Kasaï-Oriental.
Quelles sont vos relations avec John Tshibangu ?
– Roger Lumbala : Est-ce que John Tshibangu est en rébellion ou bien a fait défection ?
–
Afrikarabia : Il a d'abord fait défection de l'armée régulière avec
certains de ses hommes le 16 août 2012, puis a ensuite été accusé par
Kinshasa d'être entré en rébellion…
– Roger Lumbala : … mais il n'a jamais fait la rébellion ! John Tshibangu n'a jamais pris un iota de territoire…
– Afrikarabia : A un moment donné, on a entendu dire qu'il avait pris la ville de Kabeya Kamwanga ?
–
Roger Lumbala : Non, il n'a jamais rien pris. Rien n'a jamais été
confirmé. Concernant John Tshibangu, il faut faire la différence entre
la rébellion et la défection. Combien de militaire congolais font
défection chaque jour en République démocratique du Congo ? Des
milliers. Pourquoi la défection de Tshibangu intéresse beaucoup plus le
pouvoir ? Parce que cela se passe dans le Kasaï… chez Etienne
Tshisekedi… et chez Roger Lumbala (tous les deux sont originaires de
cette province et dans l'opposition politique, ndlr). Une fois de plus,
le pouvoir fait de la "distraction" pour masquer son incompétence sur le
terrain.
– Afrikarabia : En cherchant sur internet, on
trouve des personnes qui disent que vous étiez à Bujumbura pour chercher
des armes pour John Tshibangu. Est-ce vrai ?
– Roger
Lumbala : Il y a beaucoup d'extrapolation. Quand je suis allé à
Bujumbura, je suis allé ensuite à Uvira et à Fizi (au Sud-Kivu, ndlr)
puis je suis en revenu à Bujumbura. A aucun moment, les autorités
burundaises n'ont déclaré que j'avais des armes. Sinon, j'aurais été
arrêté par les autorités burundaises.
– Afrikarabia : Quelles sont vos relations avec John Tshibangu, que vous connaissez ?
–
Roger Lumbala : John Tshibangu, je le connais effectivement très bien.
Il était avec nous au RCD. Monsieur Tshibangu est le commandant en
second de la 5ème région militaire au Kasaï. Il se trouve qu'il vient à
Kinshasa avec sa femme qui avait une grossesse difficile. Personne n'a
voulu l'aider à l'Etat major général. Tshibangu vient me voir et me dit :
"grand frère, si tu ne m'aides pas mon épouse va mourir". Je lui ai
donné 2000$ et lui m'a donné en gage un document d'une parcelle qui lui
appartenait. Monsieur Tshibangu a donc pu soigner son épouse. A partir
de ce moment là, il y a eu cassure avec l'autorité militaire et John
Tshibangu. L'autorité qui n'arrive pas à lui donner de l'argent pour
soigner sa femme lui demande d'aller se battre à l'Est ! Au Kasaï,
Tshibangu rencontre un autre problème. Il s'agit du général Obed, un
militaire d'expression rwandophone, comme on dit (tutsi, ndlr). Les
hommes d'Obed sont les mieux équipés, les mieux nourris, les mieux payés
par rapport aux FARDC (armée régulière, dont les hommes d'Obed, d'ex
rebelles sont censés faire partie, ndlr). Les hommes d'Obed vivent en
vase clos, sont bien nourris, font des fêtes et reçoivent les visites
presque quotidiennes du général, alors que John Tshibangu, son second,
n'a même pas accès au campement… Qu'est-ce que cela veut dire ?
– Afrikarabia : Vous dites que c'est l'une des raisons de sa défection en août dernier ?
–
Roger Lumbala : John Tshibangu a fait beaucoup de rapports là-dessus…
et personne ne l'a jamais écouté ! Quand Obed apprend que Tshibangu fait
des rapports, il fait lui aussi son propre rapport et Kinshasa exige
alors qu'Obed ramène Tshibangu à Kinshasa, manu militari !
–
Afrikarabia : Le M23, John Tshibangu et Roger Lumbala, s'ils ne
collaborent pas ensemble, ont un objectif commun : pousser au départ le
président Joseph Kabila. Vous pourriez vous retrouver tous les 3 si les
événements venaient à mal tourner pour le président congolais ?
–
Roger Lumbala : Non, pas du tout. Je suis dans une démarche
démocratique. Je suis élu (Roger Lumbala est député national, ndlr),
même réélu. Mais l'article 64 de notre constitution dit que le peuple
congolais doit faire barrage à l'individu ou le groupe d'individus qui
s'impose par la force…
– Afrikarabia : … c'est exactement ce que dit John Tshibangu pour justifier sa défection.
–
Roger Lumbala : Si John Tshibangu, qui est militaire, veut utiliser
l'armée pour faire barrage à Joseph Kabila… il est dans la constitution.
– Afrikarabia : On sait très bien qu'après les militaires, vient toujours le temps de la politique. Vous serez de ceux-là ?
–
Roger Lumbala : Je suis un politique en vue… parmi les autres. Par
mon travail, je me distingue. Je fais une politique active. On dit
souvent que, quand l'arbre monte, il attrape beaucoup de vent…
–
Afrikarabia : Aujourd'hui, vous êtes en exil à Paris car votre sécurité
n'est pas assurée à Kinshasa. Comment envisagez-vous votre avenir
politique ? Que comptez-vous faire ?
– Roger Lumbala : L'opposition. Je vais continuer dans l'opposition jusqu'à ce que le peuple congolais pousse Kabila à partir.
– Afrikarabia : Depuis Paris ?
– Roger Lumbala : Je suis à Paris, mais cela ne m'empêche pas d'aller
dans d'autres pays pour aller solliciter des soutiens. Moi, je veux que
le peuple congolais prenne ses responsabilités. Je ne veux pas que ce
soit Roger Lumbala, le M23 ou John Tshibangu… je veux que le peuple
congolais puisse faire comprendre à monsieur Joseph Kabila qu'il n'a pas
été élu. D'ailleurs, nous sommes satisfait du comportement affiché par
le président François Hollande, qui a bien montré à Joseph Kabila qu'il
ne pouvait pas le considérer comme son homologue.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Photo : Roger Lumbala à Paris – Novembre 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com