17 12 12 Afrikarabia – François Muamba (RDC) : "Je suis à Kampala pour arrêter l'hémorragie"
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Afrikarabia : Les quatre principaux groupes parlementaires d'opposition
ont refusé de participer aux négociations entre le gouvernement
congolais et le M23. Pour quelles raisons êtes-vous allé à Kampala ?
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François Muamba : Je pense que mes collègues ont mal apprécié la nature
du problème qui se pose à la République démocratique du Congo. Nous
faisons l'objet d'une agression extérieure, avec des visées et des
prétentions sur notre sol et sur nos ressources. A partir de ce moment
là, nous ne sommes plus dans un contexte qui doit s'apprécier en terme
de tendances politiques : "je suis opposant ou je suis de la majorité".
On le voit dans tous les pays du monde lorsqu'une nation est agressée
dans sa substance : tout le monde doit se mettre ensemble pour d'abord
défendre la nation. La métaphore que j'utilise le plus souvent est
médicale : quand un corps perd du sang et qu'il y a des plaies et des
fractures, il tombe sous le sens qu'il faut d'abord arrêter
l'hémorragie. Et ensuite on peut s'attaquer aux problèmes des fractures
et des plaies. En tant qu'opposition, nous avons des revendications.
Mais ces revendications, qui sont séculaires, relèvent des fractures et
des plaies. Le corps, la République démocratique du Congo, perd son
sang. Moi, je suis à Kampala pour arrêter l'hémorragie. Si par les
discussions et le dialogue, nous pouvons faire en sorte que la guerre
s'arrête, sans tirer un coup de feu… ce sera très bien. Mais une fois
que l'exercice du dialogue sera terminé, j'espère positivement, il sera
tant, ensuite, que les querelles politiques reprennent.
– Afrikarabia : Vous pensez que la solution à la crise des Kivus est politique ?
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François Muamba : En réalité, les trois fronts (militaire, diplomatique
et politique) doivent être simultanés. Les résultats commencent à
tomber sur le plan diplomatique. C'est en effet la première fois que sur
ce type d'agression, un pays comme le Rwanda est aussi malmené
diplomatiquement. Si nous devons renforcer cela par des discussions
politiques, parlons-en avec le M23. Les rebelles disent qu'ils ont pris
les armes parce qu'un certain accord du 23 mars 2009 n'aurait pas été
exécuté correctement… nous sommes ici à Kampala pour examiner cela. Les
chefs d'Etat de la région des Grands Lacs ont clairement indiqué le 24
novembre dernier qu'il y aurait dans ce document du 23 mars des
revendications dites "légitimes". Si cela peut vider la question des prétextes à ces guerres à répétition dans l'Est, alors parlons-en.
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Afrikarabia : Le M23 demande maintenant la démission du président
Joseph Kabila. Vous estimez que les rebelles vont trop loin dans leurs
revendications ?
– François Muamba : Ce que vous dites
s'obtient par une victoire militaire… nous sommes d'accord ? De deux
choses l'une, soit les rebelles veulent discuter avec le président de la
République démocratique du Congo, soit ils veulent le chasser du
pouvoir, mais il faut savoir. Il y a des gens d'expérience ici, il y en a
aussi des plus jeunes, notamment chez eux (au sein du M23, ndlr) qui
disent une chose aujourd'hui et le contraire le lendemain… il faut que
jeunesse se passe comme on dit. Il ne faut pas oublier que le M23 a dû
quitter Goma pour se retrouver avec nous, ici à Kampala, pour discuter,
alors qu'il voulait prendre Bukavu et Kisangani… cela veut donc dire
qu'un certain nombre de choses se sont passées. Le président Kabila est
toujours le président de la République démocratique du Congo, mais cela
ne dispense pas le même président de la République, de régler les
problèmes qui se posent. Le M23 prend les armes pour dire que l'accord
du 23 mars n'a pas été exécuté d'une manière satisfaisante, parlons-en,
nous sommes là pour cela. Visiblement, les rebelles ont d'autres choses à
dire, qui ressemblent à deux gouttes d'eau à ce que dit l'opposition et
qui concernent les problèmes économiques, sociaux et politiques du
pays… Sur ces points, le M23 n'a pas le monopole de ces revendications
et surtout, il n'avait pas besoin de prendre les armes pour cela. Alors,
retournons à Kinshasa et parlons-en entre nous. Et si j'ai bien entendu
le président de la République dans son discours de samedi devant les
deux chambres, il est lui-même disposé à s'attaquer à tous ces
problèmes.
– Afrikarabia : La sortie de crise doit-elle
passer par un compromis, qui serait la formation d'un gouvernement
d'union nationale ou d'unité nationale ?
– François
Muamba : Nous ne pouvons pas admettre qu'un pays qui attaque la
République démocratique du Congo, nous oblige à former un nouveau
gouvernement. Est-ce que maintenant la situation nécessite que le
président prennent des mesures courageuses pour mettre la RDC une bonne
fois pour toute à sa place ? Oui. On ne peut pas être la RDC et avoir un
peuple qui meurt de faim. On ne peut pas être la RDC et ne pas pouvoir
participer à la sécurisation et à la stabilisation de l'ensemble de la
région. On ne peut pas être la RDC et ne pas pouvoir fournir au reste du
monde un nouveau moteur de croissance (notamment grâce à ses ressources
naturelles, ndlr)… Si le président de la République ne
relevait pas ces enjeux là, la situation de "balkanisation" du pays
deviendrait alors une réalité. Et être opposant aujourd'hui en RDC, cela
veut dire : si Joseph Kabila prend les choses en main, on le soutient ;
s'il ne les fait pas, on s'oppose.
– Afrikarabia : Cela
veut dire, éventuellement, que François Muamba serait disponible pour
intégrer un gouvernement d'union nationale ?
– François
Muamba : Ce qui n'est vraiment pas possible serait de dire : François
Muamba va aller au PPRD (le parti de Joseph Kabila, ndlr) ou à
la MP, qui est la plateforme présidentielle. Mais s'agissant d'une
décision du président de la République, qui serait de dire : où est la "dream tram" pour l'agenda que je viens d'indiquer, je serai disponible.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Photo : François Muamba © DR