21 01 13 MO : A la rencontre de Venantie Bisimwa, maitresse d'Arts Martiaux (par Kris Berwouts)

Venantie,
on m’avait fait savoir que tu pratiques maintenant les arts martiaux et que tu
encourages d’autres personnes à faire de même. Je t'ai toujours connu comme
quelqu’un de très engagée dans la défense des droits des filles et des femmes.
Pourquoi ce changement de carrière?

"zJamais
dans ma vie je n'avais pratiqué les arts martiaux, même si j'ai toujours fait
des exercices de gymnastique.
J'ai
toujours trouvé important de rester en forme. En 2004, les rebelles Jules
Mutebutsi et Laurent Nkunda, encore relativement inconnus à l’époque, ont occupé
pendant dix jours la ville de Bukavu. Leurs troupes y ont commis beaucoup de
crimes, y compris le viol systématique de la population féminine. C’est quand
ils furent partis que  j'ai commencé à pratiquer le Jiu
Jitsu.

Il s'est
rapidement avéré que les arts martiaux ne sont pas seulement bon pour la santé
mais pourrait être très utile pour aider des gens à avoir plus de confiance en
soi,  à se sentir moins impuissant. Dès le début, nous avons essayé de mobiliser
les femmes et les jeunes filles en particulier. Les arts martiaux comme outil
dans la lutte contre la violence sexuelle, disons. Tout de suite, j’ai participé
aux entraînements. En tant que femme leader, je sentais que je pourrais être une
sorte de rôle modèle.

Le jiu
jitsu n'a donc pas remplacé mon engagement dans le mouvement de femmes. Bien au
contraire, il en était une extension, une prolongation de cet
engagement.

 

Comment
on entame une telle démarche?

On
travaille sur de nombreux fronts à la fois. Pour commencer, nous devions
améliorer la réputation des arts martiaux. On a des clubs de Karaté depuis longs
temps mais le sport avait une image très négative. Le Karaté était
essentiellement une chose pratiquée par des mauvais garçons venant des quartiers
défavorisés, qui trouvent leurs valeurs et leurs rôles modèles dans des vidéos
bizarres. Nous avons essayé d’attirer un public différent: des étudiants, des
jeunes des quartiers et d'autres publics cibles. Et je dois dire qu’on a plutôt
bien réussi.

Pour ce
qui concerne les femmes et les jeunes filles, ce n’était pas très évident. De
nombreuses débutantes mais beaucoup moins de femmes qui s'y sont maintenues.
Mais pour nous, c’était important de continuer. Avec toutes ces années de guerre
ici, il y a beaucoup de femmes qui vivent seules. Dans notre culture c’est
l'homme qui doit protéger sa femme. Alors une femme seule doit apprendre à tenir
bon sur ses forces propres.

Au
début, nous nous entraînions à l'extérieur, devant le bureau de la poste. Comme
tu peux imaginer, ça a attiré beaucoup de spectateurs…

 

Je peux
visualiser les foules sans problèmes, Venantie. Mais je suppose que vous avez
aussi fait face à des critiques de gens qui étaient beaucoup moins
enthousiastes ?

Je ne
peux pas dire qu’il y a eu des gens qui travaillaient vraiment contre nous, mais
c’est sûr qu’il y en avaient qui nous suivaient avec un peu de suspicion. Dans
l’église, par exemple. Là, on n’aimait pas que des dames s’entraînaient pour
pouvoir mieux se défendre. Et encore moins quand on le faisait dans la rue. La
police aussi nous suivait avec une certaine défiance.

Et puis
il y a les maris et les pères, bien sûr. Ils n’ont peut-être pas tous été
hyper-enthousiastes, disons. Nous sommes toujours dans une culture avec beaucoup
de violence domestique.  Alors il y en avaient qui disaient : "Qu'est-ce qui se
passe ? Devons-nous commencer à craindre un passage à tabac de la part des
femmes? Quelle est la prochaine étape? Armes à feu dans la maison? "Nous
essayons d'expliquer que ce n’est peut-être pas nécessaire de voir le mariage
comme champ de bataille. Les changements de mentalités sont possibles, mais
souvent il faut un peu de temps….

Mais
nous voyons notre investissement en arts martiaux de manière plus large que
juste d’aider les femmes à être moins impuissantes face à leurs agresseurs. Les
arts martiaux sont ancrés dans un contexte culturel, voire spirituel dans lequel
la non-violence joue un rôle important. Nous estimons qu'il est très important
de partager cette dimension aussi. L’est du Congo reste jusqu'à nouvel ordre un
environnement extrêmement violent. Les arts martiaux t’aident à avoir moins
peur, tu te sens mieux dans ta peau et plus fort dans la vie. Les arts martiaux
dans un esprit de non-violence dans un contexte de guerre qui a coûté la vie à
des millions de gens… Ça semble presque contradictoire, mais pour nous cette
dimension est cruciale. Nous ne voulons pas que ce que nous qui apprenions aux
jeunes à l'utilisé de façon offensive. Nous insistons très fort sur
ça.

 

Comment
vois-tu évoluer tout cela à partir d’ici ?

Le rêve
ultime est que les arts martiaux soient inclus dans le curriculum de nos écoles.
Imagine que tout le monde termine l’école secondaire en tant ceinture noire en
Karate ou Jiu Jitsu. Pour le moment, les écoles ne sont pas partie prenante. Il
nous faudra encore un bon morceau de travail de plaidoyer, mais je n’ai pas peur
de ça. Je veux bien m’y mettre.

On a
aussi des priorités plus pratiques. Des salles couvertes et des bons tatamis par
exemple. C’est gai de s’entraîner dans la rue. C’est aussi mobilisant. Mais
quand même aussi un peu intimidant. Tout le monde nous regarde. Nous ne sommes
pas là pour une démonstration, nous sommes dans un apprentissage. Nous avons
honte de nos fautes. Nous n’aimons pas toujours qu’on nous regarde pendant que
nous nous cassons la figure… Et tant qu’on y est : au Jiu Jitsu, contrairement
au Karate, on tombe. On tombe tout le temps. Donc, si il faut que nous tombons,
nous préférons tomber sur un bon tatami.

Bien
sûr, nous rêvons aussi d’organiser des tournois avec d’autres villes, d’autres
provinces, à travers le pays entier. Mais à cause de la pauvreté et de
l'insuffisance des infrastructures, ce n'est pas réalisable à court terme. Nous
venons d'assister cette après-midi à une rencontre sportive entre deux clubs de
karaté ici à Bukavu. Il y a eu des gagnants et des perdants, mais tout s’est
très bien passé, tout le monde s’est bien amusé et c’était un grand jour pour le
karate à Bukavu. Ça fait très longtemps qu’un tel évènement n’a pas été
organisé. Voyons cela comme un bon début.

 

Traduit
de l'article en néerlandais de et par Kris Berwouts,

Source: www.mo.be/wereldblog/kris-berwouts-congo/vrouwenleidster-wordt-zwarte-gordel-bukavu

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