Les Maï-Maï sont entrés dans la ville, par Didier de Lannoy
Un bandeau, aux couleurs de
l'ancien drapeau du Katanga, ceint autour de la tête. Des hommes et des femmes.
Et, parmi eux, beaucoup de mineurs. Ils ont marché, marché, marché, pendant des
kilomètres. En chantant. Certains d'entre eux étaient armés (des fusils de
chasse, des arcs et des flèches, des machettes, des fétiches et quelques armes
de guerre). Ils sortaient de nulle part. Personne ne les avait vu venir. Ils
sont entrés dans la ville par les faubourgs. Ils ont marché, marché, marché. En
chantant. Ils ont parcouru près de quinze kilomètres et traversé quatre
communes. Pacifiquement. Des policiers ont abandonné leurs armes, enfilé des
tenues civiles et pris la fuite. Personne n'a stoppé leur avance. Ils ont fini
par arriver au centre-ville en fin de matinée et ont gagné la place de la Poste.
Ils ont déchiré le drapeau de la RDC et hissé le drapeau du Katanga indépendant.
En chantant. Les commerçants ont pris peur et ont rapidement fermé leurs
boutiques. La panique a gagné tous les quartiers. Des centaines de milliers de
citadins, frappés de stupeur, se sont mis à pisser et à chier dans leur froc en
regardant un cortège de quelques dizaines de paysans défiler et traverser leur
ville en chantant. Ils ont marché sans que rien ne les arrête. Pacifiquement.
C'étaient des paysans, ils voulaient se faire entendre. Ils ont continué de
marcher jusqu'à ce que des éléments de la Garde républicaine aient reçu
lordre
–
Ces gens-là étaient dans l'illégalité ! Ils n'avaient pas le droit de manifester
! Ils n'avaient même pas introduit de demande d'autorisation officielle
préalable ! Et s'ils avaient voulu se rendre, ils auraient dû déposer leurs
armes à l'entrée de la ville ! La RDC est une Etat de droit quand même
!
de leur tirer dessus à balles réelles. Ils ont poursuivi leur
progression. Ils ont arraché des barrières, forcé des portes et investi des
bâtiments publics. Rien ne pouvait les arrêter. Ils ont tenté de rejoindre le
siège de l'Assemblée provinciale. Ils voulaient se faire entendre.
Canardés par la Garde républicaine, transportant leurs blessés, les
manifestants ont trouvé refuge au camp de la Monusco.
Ils y ont été désarmés
et soignés.
Puis livrés aux autorités militaires.
Et aussitôt transférés
–
Moins les nombreux enfants ? Moins la cinquantaine de blessés (dont quinze
seraient dans un état grave) ? Moins les dizaines de morts (2 corps qui auraient
été retrouvés à l'entrée du Tunnel, 1 corps dans le Tunnel même, 1 corps au
niveau de l'arrêt de bus Savonnier, 7 corps sur le tronçon compris entre le bar
La Pelouse et l'église Garengaze, 7 autres entre la station d'essence Kasenga et
le Bureau 2 en face du bar La Pelouse, 3 corps au niveau de Centre-ville non
loin de la borne fontaine, 3 autres sur le tronçon entre l'école Bisounours et
le bâtiment abritant les bureaux du cadastre sur l'avenue Mama Yemo*, etc)
dans la capitale, à bord de deux avions
militaires, pour y être « mis au secret » et « interrogés » par ses
services de« renseignements » ou de « détection des activités anti-patrie ».
Ils seront ensuite, après « aveux sur procès-verbal », traduits devant les
tribunaux militaires et « justice sera faite »
Cela se passait le samedi
23 mars 2013, dans la matinée, à Lubumbashi, en République démocratique du
Congo.
On se pose (en haut lieu) les questions suivantes, notamment : Où,
depuis quand et comment autant de jeunes ont-ils pu ainsi se retrouver ensemble
? Qui les a rassemblés ? Qui les a guidés ? Le général Numbi avec qui le chef
des Bakata Katanga, Ferdinand Kazadi Ntanda Imena Mutombo, aurait des contacts
réguliers ? Le gouverneur de la banque centrale, Masangu Mulongo, qui leur
aurait fourni « des nouvelles coupures de billets de banque de 10.000 et 20.000
francs congolais à titre d'encouragement » ? Ont-ils été drogués ? Pourquoi les
services de sécurité se sont-ils montrés si défaillants?
On ne se pose pas
(en haut lieu) les question suivantes, notamment : Quelles sont les problèmes
économiques et sociaux auxquels la plupart des gens se trouvent confrontés et
qui sous-tendent de semblables manifestations de mécontentement populaire,
celles de Bakata Katanga à Lubumbashi tout comme celles des Enyele en Equateur
ou celles des adeptes de « Bundu dia Kongo » au Bas-Congo ? A partir de quel
degré de misère, de raz-le-bol et de désespoir, des jeunes gens et des jeunes
filles normalement constitués sont-ils prêts à se laisser « instrumentaliser »,
à prendre des risques inconsidérés et à se lancer dans des actions, à première
vue, suicidaires ?
Didier
DL
* D'après un « Rapport des ONG de la Société
civile du Katanga » rendu public le 27 mars 2013 à Lubumbashi, tel que reproduit
dans Le Potentiel du 28 mars 2013 sous le titre « La Société civile lève un coin
du voile »