L’Accord-Cadre du 24 février 2013 à Addis-Abeba: Lecture critique et prospective

 

Vols, pillages, violences sexuelles, assassinats des masses, déplacement des
populations, pauvreté et conditions de
vie indécentes et incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que de nombreux
crimes imprescriptibles… émaillent depuis lors le quotidien de plusieurs
millions de congolais, en particulier à l’est du pays. Avec ses six millions de
victimes directes et indirectes, la guerre qui sévit et persiste en RDC depuis
1996 est la plus meurtrière après la seconde guerre mondiale.


 

Confrontée
depuis lors à une situation de « ni guerre ni paix » entretenue
par les parrains Rwandais et Ugandais des mouvements récurrents
politico-militaires congolais de libération (AFDL, RCD, MLC, CNDP, M23…), la
RDC va d’accord de paix en accord de paix, sous l’égide et parfois la pression
de la communauté internationale. On peut, à ce sujet, citer parmi les plus
importants, notamment, l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka le 30 juillet 1999 ; L’Accord de paix entre la RDC et
Rwanda signé le 31 juillet 2002 à Prétoria en Afrique du Sud ; L’Accord
entre la RDC et l’Uganda, signé le 6 septembre 2002  à Luanda en Angola ;
L’Accord global et inclusif sur la transition en RDC, signé le 17 décembre
2002, à Sun City,en Afrique du Sud ; Le Pacte sur la sécurité, la
stabilité et le développement dans le Région des Grands Lacs, signé le 15
décembre 2006, à Naïrobi au Kenya ; Deux actes d’engagement signés à Goma
en janvier 2008 par les groupes armés respectivement du Nord Kivu et du Sud
Kivu, à l’issue de la Conférence de Goma pour la paix, la sécurité et le
développement dans les provinces du Nord et du Sud Kivu, en janvier 2008 ;
L’Accord de paix entre le Gouvernement et le Congrès National pour la Défense
du Peuple (CNDP), signé le 23 mars 2009, à Goma ; et enfin, l’Accord-cadre
sur la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la Région, signé le
24 Février 2013, à Addis Abeba…

 

Tous ces
Accords de paix et de sécurité en RDC et dans la Région des Grands Lacs
d’Afrique Centrale se réfèrent, souvent de manière explicite, aux principes de
la Charte de l’ONU et de l’Acte constitutif de l’Union africaine, notamment en
ce qui concerne la souveraineté nationale, l’intégrité du territoire, la
non-ingérence dans les affaires intérieures et la non-agression, l’interdiction
pour tout Etat membre de permettre l’utilisation de son territoire comme base
pour l’agression ou la subversion contre un autre Etat membre.

 

Ces
accords ont été, pour la plupart, conclus sous l’égide ou en présence de la
communauté internationale. Depuis 1999, l’ONU accompagne structurellement le
processus de la pacification de la RDC par une mission militaire permanente (MONUC
devenue MONUSCO) dirigée par un Représentant spécial du Secrétaire Général des
Nations Unies. Cet accompagnement a été marqué par plus d une trentaine de
résolutions du Conseil de Sécurité, en rapport avec la paix en RDC.

 

Tout ce
dispositif a certes contribué à l’amélioration de la situation sécuritaire en
RDC, mais il n’a pas suffi pour restaurer la paix et la stabilité, partout et  à un niveau satisfaisant. Et si l’on conçoit
la paix non pas seulement comme absence de guerre mais aussi comme
développement, la RDC classée en dernière place, par les deux derniers rapports
du PNUD sur l’indice du développement humain, est bien loin du compte.

 

La
question qui se pose est celle de savoir pourquoi des accords de paix si
nombreux et récurrents, appuyés par les multiples résolutions du Conseil de
sécurité, ne produisent pas les effets escomptés. Cela donne l’impression de
tourner en rond, et de laisser persister une situation catastrophique sur le
plan social, économique et surtout humanitaire. Plus on signe des accords de
paix, plus la paix semble s’éloigner.

 

Une des raisons
fondamentales de la persistance d’une situation globalement instable en RDC
tient au fait que la transition  (2003-2006),  telle qu’elle était conçue, ne pouvait et n’a
pu réaliser, à un niveau satisfaisant et suffisant, aucun des 5 objectifs
principaux qu’elle s’était assignés,
à savoir :

 

« 1°.la
réunification, la pacification, la reconstruction du Pays, la restauration de
l’intégrité territoriale et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur
l’ensemble du territoire national ;

 

2°.
la réconciliation nationale ;

 

3°.
la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée ;

 

4°.
l’organisation des élections libres et transparentes à tous les niveaux
permettant la mise en place d’un régime constitutionnel démocratique ;

 

5°.
la mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre
politique ».[1]

 


Pratiquement,
aucun de ces objectifs n’a été totalement atteint, et la transition reste à
parachever. Même les élections sont restées en cours de chemin : limitées
au niveau des institutions nationales et provinciales, elles sont encore à
organiser au niveau communal et local. La transition aurait du, donc, après les élections, sinon se poursuivre,
du moins prendre en charge et parachever les objectifs partiellement réalisés,
sous peine de voir le pays stagner et ne pas arriver à instaurer le nouvel
ordre politique et démocratique souhaité. Le pays ne peut, en effet, se
démocratiser, se stabiliser et se développer, sans une armée performante, sans
réconciliation nationale, sans restauration de l’autorité de l’Etat sur
l’ensemble du territoire, sans mise en place, jusqu’au niveau local, des structures politiques nouvelles, issues
des élections. Sans les élections locales, les macrostructures politiques mises
en place aux niveaux national et
provincial, sont  privées et coupées de la base où se vivent et se
concrétisent, en réalité, la démocratie, la participation citoyenne, la paix,
la sécurité et le développement du pays. La promotion de la paix a la base nécessite
des leaders de proximité jouissant de la confiance de la population et, partant,
capables de gérer résoudre les conflits sociaux avant que ceux-ci ne dégénèrent en violences.

 

Le drame de la
RDC c’est que depuis son accession à l’indépendance, ses dirigeants et son
peuple ne se sont jamais approprié leur souveraineté, c’est-à-dire la capacité
de s’autodéterminer et de s’autogérer, de prendre en main, de manière responsable, leur destin. Les interventions
de la communauté internationale au chevet de la RDC à chaque crise majeure
confortent les dirigeants dans cette démission face à leurs responsabilités.
Les Congolais sont habitués à attribuer exclusivement à un complot
international la cause de leurs malheurs et à penser que les solutions doivent
venir de l’extérieur. L’implication de la communauté internationale pour des
raisons humanitaires dans les crises majeures du pays depuis son accession
a l’indépendance, favorise cette attitude de démission des dirigeants. Aussi
est-ce accessoirement qu’ils se sentent concernés et responsables de
l’application des accords de paix qu’ils signent.

 

Ces accords sont
d’ailleurs souvent conclus sur fond d’un quiproquo : alors que,
conformément à sa charte, la communauté internationale cherche à promouvoir la
paix et le bien-être  du peuple
congolais, les dirigeants politiques
congolais visent, avant tout, le pouvoir
et les privilèges y afférents. Depuis la chute de Mobutu en 1997,
l’exercice du pouvoir a permis aux seigneurs de guerre de tous bords, de se
positionner afin d’échapper aux poursuites judiciaires pour les crimes qu’ils
ont commis dans leur lutte violente pour accéder au pouvoir.

 


 Malheureusement ce malentendu de fond est à la base de nombreux
accords de partage de pouvoir et de prime à la violence et au crime comme moyen d’y parvenir. Une paix sans justice,
sur fond d’impunité et de prime au crime et à la violence, est toujours un leurre. Cela a malheureusement fini par faire
jurisprudence dans la région des Grands Lacs d’Afrique Centrale, où de nombreux
seigneurs de guerre ont été blanchis par l’accès au pouvoir et occupent des
mandats politiques de haut rang. De nombreux rapports de l’ ONU, en particulier
le Rapport Mapping, rendu public le 1
octobre 2010, ont documente les crimes commis et leurs présumés commanditaires,
sans que justice s’ensuive.

 

 

Les principes généraux auxquels se réfèrent
les accords de paix en RDC et dans la Région, et qui sont pour une énième fois
repris dans l’Accord-cadre du 24 février dernier, avec des mécanismes
similaires de suivi, seront-ils cette fois ci respectés ? Quels sont les
éléments nouveaux qui permettraient de le penser ? D’ores de déjà, l’on peut estimer que si aucune autre
disposition n’intervient, l’Accord cadre semble voué à un échec programmé. Nous
y reviendrons dans la suite de l’exposé.

 


Quelles
sont donc les chances de la mise ne œuvre de l’Accord cadre ? Nous
essaierons de répondre à cette question en nous limitant à une analyse
critique de l’Accord-cadre lui-même. Il s’agira de s’interroger pour savoir
si cette fois-ci sera la bonne pour
résoudre le problème de la persistance et de la récurrence des violences et de
l’instabilité à l’est de la RDC. .

 


Aussi
allons-nous d’abord analyser
succinctement la structure et le contenu de l’Accord. Ensuite, nous en
esquisserons une lecture critique, avant de proposer quelques conclusions sur
les conditions de l’applicabilité de l’Accord.

 

A. ANALYSE
DE L’ACCORD : STRUCTURE ET CONTENU

 

Le texte de
l’Accord comprend cinq parties :

 

1. Une
introduction : La situation sécuritaire de fait en RDC et ses
conséquences dévastatrices (§§1-3).

 

2. Objectif de
l’Accord cadre : s’atteler aux causes profondes du conflit et mettre fin
aux cycles de violences récurrents (§4).

 

3. Les causes de
l’insécurité, interpellation et
engagements des pays qui en sont responsables (§5)

 

4. Les
mécanismes du suivi (§§6-8)

 

5. Réaffirmation
du respect de la souveraineté de la RDC dans l’application de l’Accord (§ 10).

 

Les signataires.

 

Voyons cela un
peu en détails

 

 

 

1. Introduction :
La situation sécuritaire de fait en RDC et ses conséquences dévastatrices
(§§1-3)
.

 

 Le premier paragraphe évoque les progrès
importants enregistrés en RDC dans le processus de la pacification et de la
stabilisation
…Le second met un bémol à l’affirmation précédente, en parlant des cycles de conflit récurrents et des violences persistantes dans
l’est de la RDC de la part des groupes armés tant nationaux qu’étrangers
.
Le troisième paragraphe enfonce le clou en soulignant les conséquences dévastatrices de cette violence accompagnée de
violences sexuelles et de graves violations des droits de l’homme utilisés
régulièrement et quotidiennement comme des armes de guerre
…du nombre des personnes déplacées qui figure
parmi les plus élevés du monde et qui tourne autour de deux millions de
personnes.

 

2. Objectif de l’Accord cadre : s’atteler aux
causes profondes et mettre fin aux cycles de violence récurrents (§4).

 

 Enfin,
le quatrième paragraphe annonce que l’accord
va profiter de la crise récente pour s’atteler aux causes profondes du
conflit et mettre un terme aux cycles de violences récurrents
en
interpelant le gouvernement de la RDC, les Etats de la région, la communauté
internationale, le CIRGL et la SADEC.

 

 3. Les
causes de l’insécurité, interpellation
et engagements des pays qui en sont responsables (§5)

 

a) Engagement
renouvelé de la RDC

 

§5a Engagement
renouvelé de la RDC à opérer six réformes institutionnelles nécessaires pour
mettre fin à l’insécurité et aux violences récurrentes. Les six réformes
portent sur les forces de sécurité, la consolidation de l’autorité de l’Etat à
l’est du pays pour empêcher les groupes armés de déstabiliser les pays voisins,
la décentralisation, le développement économique y compris les infrastructures
et la fourniture des services sociaux de base, la réforme structurelle des institutions de l’Etat, y compris la réforme des
finances, et enfin la réconciliation nationale et la démocratisation.

 

 

 

b) Engagement renouvelé
des pays de la Région des Grands Lacs

 

§5b Engagement
renouvelé de pays de la Région des Grands Lacs à respecter et huit principes généraux du droit international, qui conditionnent la
paix en RDC : Ces principes portent sur la non ingérence dans les affaires
intérieures des autres pays, la non assistance aux groupes armés, le respect de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale des Etats voisins, le renforcement de la coopération
régionale et l’approfondissement de l’intégration économique notamment en ce
qui concerne l’exploitation des ressources naturelles, respect des
préoccupations et de des intérêts légitimes des pays voisins en matière de
sécurité, ne pas héberger ou protéger les personnes accusées de crimes
imprescriptibles, faciliter l’administration de la justice et faciliter la
coopération judiciaire dans le région.

 

c) Engagement de
la communauté internationale

 

§
5c :Engagement (renouvelé) de la communauté internationale

 

« •
Le Conseil de sécurité resterait saisi de l’importance d’un soutien à la
stabilité à long terme de la République démocratique du Congo et de la région
des Grands Lacs;

• Un engagement renouvelé des
partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la République
démocratique du Congo et la région, y compris avec les moyens appropriés pour
assurer la durabilité de ces actions sur le long terme; et d’appuyer la mise en
œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la
stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs;

• Un engagement renouvelé à travailler
à la revitalisation de la CEPGL et à soutenir la mise en œuvre de son objectif
de développement économique et d’intégration régionale;

• Une revue stratégique de la Mission
de stabilisation de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique
du Congo (MONUSCO) afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face
aux enjeux d’ordre sécuritaire et favoriser l’expansion de l’autorité de
l’Etat;

• La nomination d’un Envoyé spécial des
Nations Unies pour soutenir les efforts pour trouver des solutions durables avec
un plan à plusieurs volets qui permettra la convergence de toutes les
initiatives en cours ».

 

 

 

4. Les mécanismes du suivi (§§6-8)

 


Mécanisme régional

 

§§ 6-8 : Le
mécanisme régional du suivi de l’accord, sous la tutelle d’un envoyé Spécial des Nations Unies
et de 11+4 pays, avec les bons offices de l’ONU et de l’UA et de la SADC, dans
le respect de la souveraineté de la RDC. Parmi ces pays figurent le Rwanda et
l’Uganda ainsi que d’autres pays de la sous région, que plusieurs rapports des
experts de l’ONU considèrent comme auteurs directs ou indirects de la déstabilisation
de la RDC.

 

 Mécanisme national au
sein du gouvernement, sous l’accompagnement et la supervision de l’ONU, de l’UA, de la CIGRL et
de la SADC..et d’autres partenaires bilatéraux et multilatéraux.

 

§ 9 : Le
mécanisme national du suivi de l’Accord, à mettre en place par le Président de
la RDC au sein du gouvernement. Ce mécanisme est soumis à la supervision, au
contrôle régulier  et au soutien des
Nations Unies, de l’Union Africaine, de la Banque mondiale, de la Banque
Africaine du développement et d’autres partenaires bilatéraux et multilatéraux…

 

5. Réaffirmation du respect de la souveraineté de la
RDC dans l’application de l’Accord (§ 10).

 

§ 10.
L’application de l’Accord se fera dans le respect de la souveraineté de la RDC.

 

B. Lecture
critique de chacun des cinq points de l’Accord-cadre

 

1.L’introduction (§§
1-4) :Qualification défectueuse de la situation de fait et du problème à
résoudre

 

Le caractère diplomatique et général ainsi que le style édulcoré de ces 4 premiers
paragraphes, sont destinés à la fois à faire avaler la pilule amère à la RDC et
à ménager les Etats accusés d’entretenir l’insécurité et la déstabilisation. A force de vouloir ménager tout le
monde et d’aboutir à un Accord consensuel, on s’est efforcé de présenter de
manière positive une véritable
catastrophe humanitaire. . Cela aboutit à une qualification des faits à la fois
édulcorée, insuffisante et contradictoire, prélude à des solutions inadéquates
tout aussi paradoxales et générales. En effet, un diagnostic défectueux ne peut
donner lieu à une thérapie adéquate.

 

 

 

 Ainsi, l’évocation au
§1 d’importants progrès réalisés par la RDC dans le processus de la pacification et de la
stabilisation, est tout de suite contredite au § 2 par le constat de cycles de conflit récurrents et des
violences persistantes dans l’est de la RDC de la part des groupes armés tant
nationaux qu’étrangers
. Le troisième paragraphe enfonce le clou en
soulignant les conséquences
dévastatrices de cette violence accompagnée de violences sexuelles et de graves
violations des droits de l’homme utilisés régulièrement et quotidiennement
comme des armes de guerre
…du
nombre des personnes déplacées qui figure parmi les plus élevés du monde et qui
tourne autour de deux millions de personnes.

 


Bien plus, ce constat amer n’est pas
suivi et complété par l’établissement des responsabilités, l’identification, le
dénombrement et la localisation précise
des auteurs des crimes dénoncés et la proposition des sanctions. Alors que les
rapports antérieurs des experts de l’ONU ont identifié les auteurs et les
responsables de l’insécurité et de l’instabilité dans l’est de la RDC, l’accord
d’Addis Abeba les passe sous silence. Il évite ainsi de devoir envisager ou
évoquer l’exigence de justice…et de réparation, pourtant indispensables pour la
restauration d’une paix durable.

 


L’Accord cite en termes imprécis les groupes armés nationaux et étrangers sans
préciser leur nationalité pourtant connue, ni leur modus operandi qui inclut le
pillage des ressources naturelles et
l’utilisation du viol et des violences sexuelles comme arme de guerre. Surtout,
l’accord passe sous silence les motivations idéologiques et politiques de ces groupes armés, les ramifications
internationales ou transnationales de certains d’entre eux. Il omet de mentionner les réseaux maffieux
étatiques et non étatiques, nationaux et étrangers, qui tirent profit de la situation de « ni
guerre ni paix » à l’est de la RDC.

 


L’accord semble ignorer la part d’exaction et de violence dont sont coupables
et responsables les forces armées régulières et les agents de l’Etat congolais.

 


Bref, le rapport évoque en termes généraux une situation humanitaire grave et
persistante, sans en expliciter les causes. Son diagnostic semble superficiel
et défectueux, se limitant aux effets et ignorant les causes profondes,
pourtant connues et souvent dénoncées par les rapports des experts de l’ONU. Et
ce, en contradiction avec les objectifs que se fixe l’Accord  en son § 4.

 

2. L’accord de paix assigne à la RDC le renouvellement de six engagements,
relatifs à des réformes institutionnelles correspondant aux fonctions et aux
missions régaliennes de tout Etat.

 

De ce fait, le
texte, semble, en filigrane, épingler la RDC comme une des causes, sinon
comme la principale cause, de son
insécurité et de sa déstabilisation, ainsi que de celles de toute la région. Par voie de conséquence, la RDC se voit unilatéralement imposer par
l’accord, des réformes institutionnelles relevant de sa souveraineté et
correspondant au cahier des charges du
M23 et des parrains rwandais et ougandais de celui-ci.

 

Ceci pose
problème du double point de vue du droit international et de la justice.

 

Du point de vue
du droit, il s’agit ici d’une violation flagrante de la souveraineté
nationale de la RDC, souveraineté garantie par la Charte de l’ONU
, qui, en
son article 2, §§ 2 et 7, stipule
notamment :

 

Art. 2.§1.  « L’Organisation est fondée sur
le principe de l’égalité souveraine de tous ses  Membres.

 

§ 7. Aucune disposition de la présente charte
n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les Membres à
soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de
la présente Charte ; toutefois ce principe ne porte en rien atteinte à
l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ».

 

 En vertu de cet article, l’ONU n’a pas à se mêler des matières qui relèvent des fonctions et des missions
régaliennes de l’Etat congolais, notamment : la réforme des forces de
sécurité, de l’armée et de la police, les réformes politiques, la
décentralisation, les réformes économiques, les infrastructures et des services
sociaux, la réconciliation nationale , la tolérance et la démocratisation.
Bien plus, invitée à s’abstenir de toute
ingérence dans les affaires intérieures des Etat, elle ne devrait pas pousser
et engager d’autres Etats à en faire autant, tout en affirmant le contraire.
L’accompagnement et la supervision de la mise en œuvre des engagements de la
RDC par 11+4 pays renforcent le
sentiment de la mise sous tutelle du pays et de son infantilisation. Même si
cela procède de bons sentiments d’ingérence humanitaire, il contribue a
renforcer la démission des dirigeants face a la responsabilité première qui
leur incombe dans la sécurisation, la stabilisation et la pacification du pays.

 

Du point
de vue de la justice, l’Accord de paix n’a pu échapper à l’application
sélective des principes généraux qu’il affirme et au recours à deux poids deux
mesures. Alors que c’est la RDC est la seule à connaître des cycles de
violences et une insécurité récurrentes causées par les groupes armés nationaux et étrangers, l’Accord lui
demande de s’engager à empêcher les groupes armés de déstabiliser ses voisins.

En outre, alors que le Rwanda et l’Uganda ploient sous une dictature féroce et
pratiquent l’intolérance, l’exclusion et l’ethnisme, c’est à la RDC, seule,
qu’il est demandé de promouvoir la tolérance, la réconciliation nationale et la
démocratisation.

 

Il ya lieu
de souligner ici que tant que Rwanda et l’Uganda n’auront pas organisé chez eux
la réconciliation nationale et la démocratisation, leurs conflits
interethniques cycliques et récurrents
continueront à pousser leurs citoyens à chercher refuge en RDC, à y importer
leurs antagonismes interethniques et à y
entretenir un climat d’insécurité.

 

Enfin, on
évoque les groupes armés nationaux et étrangers sans les identifier alors que
leur identité n’est un mystère pour personne. Or, cette précision constitue un élément essentiel dans
la détermination des causes de l’insécurité ainsi que des stratégies pour les éradiquer. Cette
carence conduit, en particulier,  à traiter
de la situation d’insécurité persistante à l’est de la RDC comme d’un problème
purement congolais auquel il suffirait d’apporter une solution congolaise.
L’Accord cadre peut ensuite faire la  part belle au Rwanda et à l’Uganda et
transformer leur statut d’agresseur et de pyromane en celui d’arbitre et de
pompier !

 

L’identification
des groupes armés permet de mieux concevoir et déterminer les solutions au
problème de l’insécurité ) l’est de la
RDC. Ainsi pour résoudre le problème des groupes armés étrangers ugandais ( les
LRA et les ADF/NALU actifs dans le Nord Kivu et l’Ituri), et rwandais (FDLR,
Interahamwe, présents principalement dans le Nord Kivu et le Sud Kivu), il faut
absolument qu’intervienne dans leurs pays d’origine un processus de
réconciliation nationale et la démocratisation qui favoriserait leur rapatriement.
Et pour les priver de la possibilité de
participer à toute déstabilisation de leurs pays d’origine, il faudrait les installer loin de la frontière
ou leur chercher un autre pays d’asile. Quant aux éleveurs nomades Mbororo qui
occupent une partie du Bas Uélé et du Haut Uélé, leur retour dans leurs pays
d’origine (le Tchad, la Centrafrique et le Niger) devrait être négocié :
il requiert l’implication de ces derniers dans la mise en place des conditions
d’accueil et d’insertion de leurs ressortissants. Ces solutions pourraient
inclure l’examen de la possibilité de trouver un pays d’asile à ceux d’entre
eux qui ne souhaitent pas regagner leur patrie.

 

 Comme on peut le voir, la solution du problème
des groupes armés étrangers qui déstabilisent l’est de la RDC relève d’une
action à caractère sous régional ou régional qui dépasse la responsabilité et
la compétence de la seule RDC. Même si en tant que victime la RDC a le devoir
de prendre l’initiative de la recherche
des solutions, elle ne peut porter seule cette responsabilité. Elle ne peut
accepter d’être, à la fois, la victime et le bourreau, ni de se laisser imputer
la responsabilité exclusive de l’insécurité et de l’instabilité dans la région.

 

Quant aux
groupes armés  nationaux qui souvent
naissent de l’absence d’un Etat capable de
sécuriser, d’organiser et d’encadrer les populations, ils devraient faire
l’objet d’une attention et d’un traitement politiques spécifiques. Il s’agit de
leur proposer des solutions de désarmement, de démobilisation et de réinsertion
sociale. Ceci suppose l’existence d’un Etat organisé et structuré, fonctionnant
conformément à la loi et aux règles de la gouvernance.

 

La
question de la persistance et de la récurrence de l’insécurité et de
l’instabilité à l’est de la RDC ne peut être traitée et résolue de l’extérieur,
par un processus exogène dicté au peuple et aux dirigeants congolais. Les
intellectuels et les dirigeants congolais qui justifient une telle démarche
travaillent à l’affaiblissement de l’Etat congolais et participent au processus
de l’infantilisation et de la mise sous tutelle de la RDC. Ils entretiennent
une des raisons fondamentales de l’instabilité, de la stagnation et de
l’insécurité en RDC, à savoir une crise de leadership et  la démission de l’Etat congolais. En effet, depuis l’accession de la RDC à
l’indépendance, le pays n’est pas arrivé à assumer et à s’approprier sa
souveraineté. Les dirigeants congolais ont pris l’habitude de s’inféoder à
l’étranger, sacrifiant ainsi le droit du peuple à l’autodétermination et à
l’autogestion et livrant le pays à
l’exploitation et à la domination étrangères au prix de l’hypothèque de son
développement et des intérêts vitaux des populations. La préoccupation de se maintenir
au pouvoir et de jouir des privilèges y afférents,  devrait céder la pas au souci prioritaire et
primordial de l’intérêt général,  de la
pérennité et de la survie du pays et du peuple. En effet, on ne peut ni
pacifier durablement, ni libérer effectivement, ni développer authentiquement un peuple, sans
lui et malgré lui.

 

3. Les engagements des pays de la région et le mécanisme du suivi.

 

a) Le respect
des engagements : question des rapports réels de forces

 

Les
huit engagements renouvelés des pays de
la Région portent sur le respect des principes
du droit international concernant la non ingérence dans les affaires
intérieures des autres Etats, le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité
du territoire, la coopération judiciaire etc.

 

Tous ces
principes, les Etats de la Région y ont
déjà souscrit non seulement de par leur
adhésion aux organisations internationales ou régionales telles que l’ONU, l’
UA, la CIRGL , mais aussi par la signature de nombreux accords de paix
avec la RDC. On n’aurait  donc pas du
leur demander de s’engager à les respecter, car cela est supposé acquis.

 

La
question qui se pose est celle de savoir pourquoi ils se permettent d’y déroger
dans leurs relations et leur politique envers la RDC, même lorsque des accords
dans ce sens existent et ont été signés. La réponse se trouve dans une des pratiques
courantes dans les relations internationales. La société internationale est
fondée sur le principe de la souveraineté nationale. Formellement, tous les
gouvernements jouissent d’une voix égale dans le concert des nations.
Conformément à l’article 2 de la Charte de l’ONU, ils sont libres d’agir de
manière indépendante dans les domaines de leur politique interne ou de leurs
relations extérieures. Mais dans la pratique, la capacité des Etats à exercer
cette souveraineté varie considérablement en fonction des rapports réels de
force sur le terrain.

 

Les Etats
diffèrent les uns des autres par la nature et la grandeur de leur territoire,
par leur position géographique, par leur importance démographique, par
l’importance de leur force militaire, et par leur capacité d’accéder aux
ressources naturelles, par leur
gouvernance et leur cohésion nationale.

 

La scène
internationale présente également une forte hétérogénéité économique et
sociale, de la plus grande opulence à la
pauvreté la plus extrême. Ces disparités n’apparaissent pas seulement dans les
comparaisons entre les Etats, mais à l’intérieur des sociétés nationales. Elles
exacerbent les conflits entre les gouvernements, entre les nationalités et les
communautés ethniques qui se disputent la répartition des ressources
économiques/ Elles déterminent des conceptions différentes de la politique
internationale, rendant impossible ce minimum de convergence nécessaire à
l’instauration d’un ordre stable et légitime.

 

 Les relations internationales sont enfin  marquées par de grandes fractures idéologiques et culturelles. Cela
marque la politique intérieure et extérieure des Etats. C’est ainsi que le parlement rwandais propage
l’idée fausse selon laquelle le Kivu a toujours appartenu au Rwanda et soutient
qu’il incombe à ce dernier d’assurer la protection des
« rwandophones » qui seraient persécutés en RDC. Or ces derniers sont
et se reconnaissent congolais et ne se sentent aucunement concernés par les
propos et les visées expansionnistes et hégémoniques de Kigali. Ils ne
confondent pas nationalité et le fait de parler une langue. En de nombreux
endroits de la frontière congolaise, des congolais ont en partage la même
langue que leurs voisins des pays limitrophes, sans que cela prête à une
quelconque confusion de nationalité ou à une exploitation subversive et cynique.

 

Bref, la
politique extérieure d’un Etat est toujours le reflet et le prolongement de sa
politique intérieure. La RDC devrait en prendre la mesure. En effet, il n’ya pas
de dissuasion diplomatique, sans dissuasion militaire. Il n’ya pas de
diplomatie de puissance ou même d’influence, sans cohésion sociale interne et
consensus national solides. Il n’y a pas de cohésion nationale sans une juste
redistribution des richesses nationales. Les dirigeants politiques ne peuvent
attendre ou exiger des sacrifices à un peuple auquel ils n’assurent pas un
minimum de bien-être socio économique ou qu’ils excluent du partage des
richesses pays.

 

La
faiblesse de la RDC est donc avant tout
interne. Tant que l’Etat congolais sera faible, ses voisins ne se sentiront pas
en devoir de le respecter et d’honorer leurs engagements à son égard. C’est ce
qui s’est passé avec tous les accords de paix antérieurement signés et qui
risque de se passer avec l’accord cadre de 24 février 2013. Négocier en
position de faiblesse c’est s’exposer à la capitulation, sinon tout simplement,
à la trahison.

 

C’est en
améliorant sa gouvernance que la RDC peut devenir un Etat capable de gérer et résoudre
ses problèmes internes. C’est à cette condition qu’il peut espérer modifier
les rapports de forces dans la région et jouer effectivement le rôle qui lui
revient de moteur de paix, de
stabilité et de développement, à l’intérieur comme à l’extérieur.

 

Enfin, il
n’est pas juste de contraindre la RDC à
partager ses ressources naturelles avec ses voisins. La politique extérieure
et commerciale relève de la souveraineté des Etats. Qu’il faille, dans ce
domaine comme dans d’autres,  tenir
compte des déterminismes géographiques et faire montre de pragmatisme et  de réalisme, s’impose. Mais il faut respecter  le titre de propriété de la RDC sur son sol et son sous-sol et éviter de chercher
à abuser des faiblesses et de difficultés temporaires du pays pour ignorer et violer ses droits et
sa souveraineté. Du reste, l’existence de la CEPGL qui profitait
principalement au Rwanda et au Burundi en instaurant entre eux et la RDC une
zone de libre échange, ne les a pas empêchés d’agresser la RDC et de continuer
à la piller…Il appartient donc à la RDC de concevoir et de mettre en œuvre un plan d’exploitation et de
commercialisation de ses ressources naturelles et de définir, en conséquence,
sa politique de coopération avec les autres Etats de la région et du monde. Aucun
pays ne peut, en effet, vivre en autarcie. Et gouverner c’est prévoir.

 

b) Les
limites et des insuffisances des mécanismes du suivi

 

Les
mécanismes interne et externe du suivi de l’application de l’Accord cadre
prévoient la nomination d’un envoyé spécial des Nations Unies, l’accompagnement
et la supervision de cette application par les 11+4 et par les institutions
financières internationales…Il est prévu également la révision et le
renforcement du mandat de la MONUSCO, présente en RDC depuis 1999 !

 

Il faut à
ce sujet affirmer que la communauté internationale ne peut valablement et efficacement se substituer au
leadership congolais. Et les soldats étrangers ne viendront pas mourir pour la
RDC, si les congolais eux-mêmes ne sont pas disposés à mourir pour la défense de la souveraineté et de l’intégrité
du territoire de leur propre pays. Les Congolais et surtout leurs dirigeants
ont à redécouvrir et à cultiver le sens sacré, du patriotisme, de la dignité,
de l’honneur et de la vraie souveraineté qui correspond à la capacité de
s’autodéterminer et de s’autogérer. Car la force d’un homme ou d’un peuple est
avant tout spirituelle et morale.

 

Plus de
cinquante après l’accession du pays à l’indépendance, les Congolais devraient
renoncer à pérenniser la mentalité anachronique d’assisté perpétuel et assumer
leur souveraineté.

 

La RDC
devrait donc s’atteler à créer les conditions endogènes d’une gouvernance lui
permettant de se doter de toutes les ressources nécessaires à l’exercice de sa
souveraineté, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Aucun facteur étranger ne
pourra suppléer durablement ou se substituer au déficit actuel dans ce domaine.

 

Enfin, de
par sa position géographique, l’importance de ses ressources naturelles
potentielles, sa démographie et sa superficie, la RDC est le pays de la Région
qui jouit de la capacité naturelle de sécuriser et de stabiliser ses voisins.

 

Le
leadership et l’hégémonie actuels des autres pays de la sous-région sont donc
conjoncturels. Ils ne correspondent pas au déterminisme géographique et ne
peuvent générer que des équilibres géopolitiques et géostratégiques fragiles,
précaires et éphémères. Tant que la RDC jouait le rôle qui lui revient
naturellement de leader  dans la région,
la paix et la stabilité ont été au rendez-vous. La modification de cette donne
à la fin du règne sans partage de Mobutu a créé un déséquilibre géopolitique et
géostratégique qui, à son tour, a ouvert
la voie à l’instabilité et l’insécurité récurrentes que l’on connait
aujourd’hui.

 

Les pays
voisins et, en particulier, l’Uganda et le Rwanda n’ont pas résisté à la
tentation de profiter de la déliquescence de l’Etat en RDC pour faire main
basse sur ses ressources naturelles et tenter de s’arroger une portion de son
territoire.
 Très vite, les envahisseurs transformèrent la guerre
d’agression en entreprise commerciale. Ils créèrent un réseau maffieux destiné
à piller les ressources naturelles de la RDC. Le Rwanda et l’Ouganda trouvèrent
dans ce commerce les moyens non seulement de financer la guerre et de se
procurer les armes et les munitions, mais aussi de voler, de vendre et d’exporter d’importantes quantités de minerais
extraits de la RDC, notamment, l’or, le coltan, la cassitérite, le diamant
ainsi que d’autres ressources naturelles telles que le bois, la faune, la flore etc.

 

Les rapports S/2001/357 du 12 Avril 2001, S/2001/1072 du 13 novembre
2001, S/2002/1146, du 16 octobre 2002 ; S/2003/1027 du 23 octobre
2003 ; S/2005/30 du 25 janvier 2005, et S/2008/773 du 12 décembre 2008,du
Conseil de Sécurité des Nations Unies fournissent des données sur cette
invasion, sur les pillages perpétrés par les envahisseurs, sur l’implication
dans ce conflit et ce pillage, des réseaux internationaux étatiques et non-étatiques liés à la corruption, au trafic
des armes, à la contrefaçon de l’argent et même au terrorisme. Ces rapports de l’ONU citent de nombreuses
entreprises américaines, européennes voire asiatiques… qui tirèrent profit du
pillage des ressources naturelles de la RDC.

 

Certains de ces réseaux maffieux ont en partie survécu à la transition et
au processus de démocratisation qui a abouti à la mise en place des
institutions nationales et provinciales congolaises issues des élections. C’est
eux qui, profitant de la mondialisation et du libéralisme sauvage qu’elle
induit, ainsi que de la faiblesse de l’Etat congolais, entretiennent
l’insécurité à l’ombre de laquelle ils peuvent poursuivre l’exploitation
illégale et le pillage des ressources naturelles et, en particulier, des
matières première stratégiques dont regorge la RDC.

 

Même si en Afrique
les Etats demeurent les acteurs essentiels de la régionalisation des conflits,
il sied de souligner l’importance des réseaux commerciaux transnationaux, qui s’articulent aux
économies de guerre afin d’alimenter des groupes armés et de créer des situations
de « ni guerre ni paix » propices aux affaires et au trafic maffieux
des matières premières stratégiques[2].

 

 Au lieu de condamner cette violation de la
souveraineté et de l’intégrité du territoire de la RDC, la communauté
internationale, via l’Accord-cadre, prend acte de cet état de fait et
l’entérine. Elle va jusqu’à imposer à la
RDC le partage de ses ressources naturelles. Et pour comble, elle associe à la
supervision et au contrôle des mécanismes du suivi de l’Accord cadre, les pays
voisins accusés par les experts de l’ONU, de soutenir les mouvements politico militaires qui déstabilisent la RDC et de se livrer à l’exploitation
illégale et au pillage des ressources minières de celle-ci. Ce faisant, la communauté internationale cède à un
immédiatisme contraire au droit ainsi
qu’à la logique du déterminisme géographique et au sens de l’histoire. Elle
risque ainsi de contribuer à créer chez les Congolais, un sentiment d’injustice
et de frustration de nature conflictogène et belligène, déjà actuellement, mais surtout à moyen et à long termes.

 

C. CONCLUSION :
LES CONDITIONS DE L’APPLICABILITE DE L’ACCORD-CADRE

 

En raison de sa superficialité et
de ses contradictions internes, l’Accord cadre semble voué à l’échec à l’instar
des arrangements diplomatiques antérieurs dont elle ne fait que reprendre les
termes et répéter les principes. Sa qualification défectueuse des faits aboutit
à des pistes de solutions inadéquates, imprécises et répétitives qui se sont
avérées inefficaces dans un passé récent. N’ayant pas pu établir les causes
réelles et précises de la persistance et de la récurrence des violences et de
l’insécurité dans la région ni les responsabilités, l’Accord cadre n’a été en
mesure de formuler que des propositions vagues, générales et répétitives, qui
semblent consacrer le statu quo.

 

Les groupes armés nationaux et étrangers ne sont ni identifiés, ni
dénombrés, ni localisés. L’on sait qu’ils sont plus d’une vingtaine répartis
sur les Uélés et l’Ituri dans la province Orientale, sur le Nord Kivu, le Sud
Kivu et le Maniéma, et sur le nord du Katanga…soit un territoire s’étendant sur
plus de 500.000 km², avec une population d’environ 20 millions d’âmes (près du
tiers de la population congolaise totale). Cela représente près du quart de la
superficie totale de la RDC, où subsistent des zones de non-droit. Sur cet
immense territoire, seuls les centres urbains sont plus moins sécurisés. Ils
ont vu, en quelques années, leur population augmenter démesurément par la
migration des populations fuyant l’insécurité des milieux ruraux,
sporadiquement écumés par les bandes armées de tous bords, surtout aux abords
des nombreux puits miniers. Malheureusement des soldats et des officiers de
l’armée régulière ainsi que certains dirigeants politiques figurent parmi les fauteurs
d’insécurité et les pêcheurs en eaux  troubles…Ils opèrent à l’ombre de l’absence de
 l’Etat, et à la faveur de la corruption
et de l’impunité qui gangrènent l’administration publique.

 

Quant au mécanisme externe de
suivi que préconise l’Accord-cadre, il
semble parallèle au rôle de la MONUSCO et du représentant du Secrétaire général
de l’ONU. Et surtout il ne peut se
substituer à l’Etat congolais qui a déjà démontré ses limites et ses
insuffisances dans la gouvernance et dans sa capacité à restaurer la paix et la
stabilité.

 

 Ne disposant pas des moyens de sa
politique[3],
l’Etat congolais déstructuré  ne semble
donc pas en mesure de s’acquitter efficacement des engagements auxquels il souscrit dans l’Accord.
L’applicabilité de l’Accord s’en trouve amoindrie. Quant aux Etats de la sous
Région dont certains sont accusés de soutenir les mouvements politico-militaires
qui déstabilisent la région, ils n’ont pas été capables d’honorer les
engagements du pacte signé en décembre 2006 dans le cadre de la CIGRL. Les
groupes armés étrangers qui écument l’est
de la RDC sont composés des Ugandais pour la LRA et l’ADF/NALU et Rwandais pour
les FDLR qui regagneraient leur pays s’il s’y organisait la réconciliation
nationale et la démocratie.  La
persistance et la récurrence des violences et de l’instabilité dans l’est de la
RDC semblent mieux servir les intérêts et leurs visées hégémoniques et
économiques du Rwanda et de l’Ouganda. Aussi l’Accord-cadre en lui-même
semble-t-il voué à l’échec. Les frontières de la RDC sont devenues une passoire : leur
porosité laisse passer n’importe quel groupe d’aventuriers étrangers en mal
d’espace vital ou de ressources vitales. Les éleveurs Mbororo en font partie.

 

Il faut donc chercher à créer, en
dehors de ce cadre mort-né, les voies et moyens de réaliser les conditions de la restauration d’une paix durable à l’est
de la RDC. La politique extérieure d’un pays étant le reflet et le prolongement
de sa politique intérieure, c’est aux conditions intérieures qu’il faut
accorder priorité dans la solution du problème de la paix à l’est de la
RDC. Il s’agit ni plus ni moins que de
refonder l’Etat, de restaurer ses fondamentaux. Et cela ne peut se faire
par un coup de baguette magique : il faut une vision globale de la
gouvernance dont la mise en œuvre doit s’inscrire dans la durée. Car avant
d’être une organisation et une structure, la démocratie est une culture et une
mentalité qui s’acquièrent par l’éducation civique et le développement de la
conscience citoyenne. La crise de leadership en RDC s’enracine dans ce déficit
de culture politique et de mentalité démocratique, qui s’acquièrent par
l’éducation civique[4].

 

Six conditions semblent nécessaires pour l’instauration d’une paix
durable en RDC. Il s’agit de :

 

1. Restaurer l’Etat en RDC, un Etat de droit (respectueux des droits de
l’homme), doté en suffisance, des moyens financiers, idéologiques,
structurels, juridiques et humains de sa politique. Pour cela, la RDC a besoin
d’un leadership politique citoyen et responsable ; d’une justice
indépendant, capable de lutter efficacement contre les abus de pouvoir, la corruption, l’impunité, la
prime à la violence et les inégalités
sociales ; d’une armée républicaine, professionnelle et dissuasive ;
et enfin, d’une administration publique stable, apolitique et efficiente. Cela
permettra de restaurer l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue de la
République et de sécuriser les citoyens et leurs biens.

 

2. Restaurer
la justice internationale dans la région, condition indispensable à une paix
durable. Une justice capable de lutter efficacement contre la criminalité
transfrontalière. Il est impératif, en RDC comme dans la région, de
tourner la page de la belligérance, des
crimes imprescriptibles et de la prime à la violence comme moyen de règlement des différends entre les Etats et mode de gestion
des relations interétatiques dans la région. La justice à restaurer comporte
une quadruple fonction : elle est, certes, répressive, mais surtout et
d’abord,  pédagogique, thérapeutique et
préventive. Il s’agit d’éduquer à la paix et à la non violence et de mettre fin au système de l’impunité qui a élu
domicile dans la région. A ce sujet, la mise en place d’un Tribunal spécial
pour la RDC et pour la région serait souhaitable. Le Rapport Mapping qui a été
rendu public le 1 Octobre 2010, ainsi que les nombreux rapports des experts de
l’ONU sur la situation sécuritaire de la Région, fournissent des pistes
d’investigation judiciaire, exploitables à cet égard.

 

3. Lutte
contre la pauvreté et la précarité par une justice distributive[5], par
l’éducation pour tous[6] et par
la relance de l’agriculture en vue de la souveraineté alimentaire, base de tout
développement. La démocratie, la paix et la stabilité politique n’ont, en
effet,  pas de pires ennemis que la pauvreté[7] et
l’ignorance.[8]

 

4. Parachever
le processus électoral en organisant,
avant la fin de la législature en cours,  les élections communales et locales. Cela
permettrait de mettre fin à l’architecture actuelle d’une démocratie pyramidale
renversée,  en déséquilibre sur son
sommet et sans base. La RDC pourrait ainsi s’offrir la possibilité de faire
émerger un leadership de proximité, en complicité avec le peuple et effectivement
comptable devant la population dans la gestion du pays. Il ne peut y avoir de vraie démocratie participative
sans ces leaders politiques du terrain qui organisent et gèrent le quotidien
collectif à la base et les enjeux du développement communautaire sous le
contrôle des électeurs. C’est la
condition préalable à une décentralisation de nature non seulement à rapprocher
les administrés des administrateurs, mais aussi et surtout à assurer la
participation citoyenne essentielle à toute vraie démocratie.

 

 

 

5. L’instauration
de la paix et de la stabilité politique passe par le dialogue permanent et inclusif
entre les dirigeants et le peuple dialogue qui est le poumon par lequel respire
la démocratie (gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple).
C’est, en même temps, le gage de la
légitimité du pouvoir et de la cohésion nationale. Car on peut décréter la légalité, mais la légitimité,
elle, se négocie, toujours et en permanence, entre le peuple souverain et ses
dirigeants. Aucune solution militaire ne pourra suffire pour instaurer une
paix durable et la stabilité en RDC. Le problème de gouvernance ne se résout
jamais valablement par des solutions militaires.

 

Une commission vérité et réconciliation pourrait venir en appui a la
régénération de l’Etat congolais et renforcer l’unité  et la cohésion de la nation.

 

Les institutions de la RDC faisant
partie du problème à résoudre, le recours volontaire à la facilitation par les
organisations internationales semble s’imposer si l’on veut donner au dialogue
intercongolais la chance de réussir et d’aboutir.

 

 

 

6. Deux
autres dispositions devraient accompagner et compléter les cinq précédentes ;

 

 – d’abord le recensement de la
population et l’identification des
nationaux, condition pour la planification du développement du pays et de
l’encadrement politique et de la gestion
administrative des populations

 

.- ensuite la relance et
l’accélération des négociations
politiques en vue du rapatriement des groupes armés étrangers. Leurs pays
d’origine devraient, par la réconciliation nationale et la démocratisation,
créer les conditions politiques et sociales du retour de leurs ressortissants
au bercail. Ainsi l’Ouganda récupérerait les LRA et les ADF/NALU ; le
Rwanda, les FDLR ; le Niger, la Centrafrique et le Tchad, leurs Mbororo respectifs. Un mécanisme d’aide à trouver un pays d’asile pour ceux
d’entre eux qui ne désirent pas regagner leur patrie pourrait être envisagé
avec l’assistance du HCR de l’ONU.

 

La Constitution de la RDC en son article 52 stipule : « Tous les Congolais ont droit à la
paix et à la sécurité, tant sur le plan national qu’international ».
Et comme l’a écrit le pape Paul VI, « le développement est le nouveau nom de la paix[9] ».
Tant que la RDC continuera à figurer à la dernière place dans
le classement international de l’indice
du développement humain, elle ne pourra connaître de paix durable.

 

Kinshasa, le 5 Avril 2013


 

Prof. Abbé Richard MUGARUKA



[1] Accord global et inclusif sur la transition en République
Démocratique du Congo, II, 1.

 

 

[2] Voir B.
BADIE et S. TORLOTTI (sous la direction de -), L’Etat du monde 2008,
Paris, La découverte 2008, p. 108. Les auteurs précisent : « La
transnationalisation de l’économie préexistait souvent au conflit. Toutes les
études historiques sur l’industrie du diamant en Sierra Léone ou sur le secteur
minier au Kivu (RDC) soulignent que les phénomènes miliciens existent dès la
période coloniale et se sont développés après, à la mesure de l’économie
informelle que de telles ressources autorisaient, bien avant l’éclatement des
violences armées. Les guerres civiles conduisent ainsi non une destruction de ces réseaux
transnationaux, mais à leur militarisation et au changement d’identité des principaux bénéficiaires. L’exportation
illégale du coltan, comme celle du bois, avait commencé bien avant le conflit
dans l’est du Zaïre ; mais leurs acteurs n’étaient pas alors, les élites
militaires de Kampala ou de Kigali » (comme actuellement).

 

[3] Dans le
programme de gouvernement approuvé par l’Assemblée nationale, le premier ministre avait prévu pour les cinq ans de sa
législature, un budget global de 45 milliards de dollars US soit une moyenne
de 9 milliards de dollars US par an. Le
budget voté pour l’exercice en cours atteint à peine 7 milliards. Avec des
moyens financiers aussi dérisoires, quelle réforme institutionnelle peut
réussir la RDC ?

 

[4] La Constitution
de la RDC en son article 45 stipule :
« Les pouvoirs publics ont le devoir de promouvoir et d’assurer par l’enseignement, l’éducation et la diffusion,
le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et des devoirs du
citoyen énoncés dans la présente Constitution.

Les pouvoirs publics ont le
devoir d’assurer la diffusion et l’enseignement de la Constitution, de la
Déclaration Universelle des droits de l’homme, de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples, ainsi que de toutes les conventions
régionales et internationales relative aux droits de l’homme et de au
droit international humanitaire dument
ratifiées.

L’Etat a l’obligation
d’intégrer les droits de la personne humaine dans touts les programmes de
formation des forces armées, de la police et des services de sécurité »
.

 

[5] La Constitution
de la RDC en on article 58 stipule : « Tous
les Congolais ont le droit de jouir
des richesses nationales ; ‘L’Etat
a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au développement ».
Il faudrait instaurer dans barème
des services publics de l’Etat une
tension salariale ne dépassant pas 20. Actuellement, le salaire mensuel d’un
ministre national équivaut à celui de 200 enseignants du primaire ou
120 soldats… Et celui d’un
parlementaire, à celui de 120 enseignants du primaire ou 120 soldats.

 

[6][6] La Constitution
de la RDC en son article 43 §5 stipule : « L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les
établissements publics ».
Et d’ajouter à l’article 44 : « L’éradication de l’analphabétisme est
un devoir national pour la réalisation duquel le Gouvernement doit élaborer un
programme spécifique ».
Notons que d’après les statistiques
officielles du Ministère congolais de l’enseignement primaire, secondaire et
professionnel, trois millions et demi des enfants entre 6 et 12 ans ne sont pas
scolarisés, et sept millions trois cent soixante cinq mille enfants entre 6 et
17 ans (âge de l’enseignement primaire et secondaire) ne sont pas scolarisés.

 

[7] Selon les
statistiques officielles contenues dans le programme du gouvernement actuel, 71% de la population congolaise vivent
en dessous du seuil de la pauvreté (avec moins d’un dollar par jour et par personne)!

 

[8][8] Le nombre
d’analphabètes en RDC est estimé à plus de dix huit millions de personnes.

 

[9] L’encyclique Populorum progressio, n°76, 1967. Et le
Pape d’ajouter : « Combattre la misère et lutter contre l’injustice,
c’est promouvoir, avec le mieux-être, le progrès humain et spirituel de tous,
et donc le bien comme de l’humanité. La
paix de se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours
précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’ un
ordre voulu par Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les
hommes ». (cf. Encyclique du Pape Jean XXIII, Pacem
in terris
, n° 55, 1963).

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