Mobutu et les consultations populaires : un des rares moments de lucidité ! Mbelu Babanya Kabudi

« Le
peuple est savant, les paysans doivent venir discuter avec nous, nous ne
croyons pas que nous autres les penseurs soyons une élite
. »  H.
CHAVEZ

 

 

Au moment où ce
qui nous reste de classe politique au Congo se bat pour l’organisation
hypothétique des concertations-dialogue, il est curieux que l’attention
accordée au dialogue inter-congolais de Sun City ait volé la vedette au
discours du 24 avril 1990, aux consultations populaires qui l’ont précédé et à
la conférence nationale souveraine qui l’a suivi. C’est comme s’il y avait là
tout un  héritage que certains d’entre nous voudraient  expurger de
la réécriture de notre histoire par nous-mêmes !

La
disqualification de nos « dictateurs »  au moyen  des
manipulations et du  phénomène de diabolisation orchestré par « leurs
créateurs » conditionne souvent  l’appréhension  de la marche
collective que nous avons pu effectuer avec eux. Voyons le cas de Mobutu à
travers le récit qu’il nous brosse des consultations populaires  lors de
son discours du 24 avril 1990.

Aller à la
rencontre de nos populations a permis à Mobutu de palper   leur
«  sens élevé du nationalisme » et leur « maturité
politique ».  Après la lecture des mémos rédigés par les différentes
composantes de nos populations, Mobutu relève ce qui suit : « De
l’examen de ces mémorandums, j’ai été heureux de constater que le peuple n’a
pas remis en cause un certain nombre d’acquis. En effet, de Bukavu à Matadi, de
Lubumbashi à Kisangani, partout c’est l’affirmation de l’identité nationale, le
souci de l’intégrité territoriale et la préservation de la paix retrouvée.
Au-delà de ces acquis incontestés, le peuple exige des changements importants
au niveau des cadres, des institutions ainsi que du fonctionnement de
celles-ci. »   
Ce
diagnostic  ne semble pas avoir changé jusqu’à ce jour. Nous y
reviendrons.

Ces  mémos
ont néanmoins, à 87%, soutenu le maintien du MPR comme Parti unique moyennant
des réformes en profondeur. 13% seulement ont formulé le souhait du passage au
multipartisme. Il y a plus. « Outre le choix porté sur le maintien du
monopartisme ou sur l’instauration du multipartisme, l’analyse des mémorandums
a également permis de déceler d’autres préoccupations du peuple que voici : la
réhabilitation des trois pouvoirs traditionnels, à savoir : le Législatif,
l’Exécutif et le Judiciaire ; le renforcement des pouvoirs de contrôle du
Conseil Législatif et de tous les organes délibérants ; la responsabilisation
de l’Exécutif tant au niveau central que régional devant les organes
délibérants ; la dépolitisation de la Fonction publique, de la
territoriale, des forces armées, de la Gendarmerie, de la Garde civile
et des services de sécurité, exigeant pour ces derniers une profonde
restructuration en vue de garantir en toutes circonstances les droits
fondamentaux des citoyens et les libertés individuelles.
 »  Au sujet des partis politiques, Mobutu placé face à sa conscience et
après réflexion, choisira d’écouter la voix de la minorité (13% de  mémos)
et d’ouvrir le pays au multipartisme tout en exprimant sa peur de voir ce
dernier se transformer en « multitribalisme ». 

A ce niveau de
notre analyse, nous pouvons soutenir que pour connaître nos populations, il est
important de les approcher, de dialoguer avec elles. Les regarder de haut 
peut conduire à les minimiser et à mépriser leur capacité d’analyse politique. 
Malheureusement, cette expérience, par les remises en question qu’elle permet
comporte « des risques » : elle ouvre à la démocratie
participative et directe et coupe l’herbe sous les pieds des oligarques au
pouvoir, les privilégiés du système communément appelé « les élites
politiques » . Cette expérience prouve que  nos populations,
dans leur diversité, ne sont  pas aussi « bêtes » que « les
élites politiques » le croient : elles savent tenir aux « acquis »
et exiger « des réformes en profondeur ». Telle est la pilule que
« les dinosaures »  mobutistes fondés sur un système patrimonialiste ont
refusé d’avaler (avec l’appui leurs créateurs).  Cette riche expérience
n’a pas pu être poursuivie ; la conférence nationale souveraine en a
réduit les  dimensions en permettant un débat entre quelques
« délégués » de nos populations sans que le va-et-vient soit maintenu
entre les deux parties.

Mobutu aurait
précédé Hugo Chavez dans le dépassement de la cassure politique entre le peuple
et  sa classe politique ; et dans celui de la cassure
 épistémologique entre le savoir des « élites politiques » et le
savoir populaire. Lui, Hugo Chavez, engagé dans un processus
 révolutionnaire à partir d’en bas, en instaurant un  dialogue
permanent avec le peuple vénézuélien, était convaincu de ceci : « Le
peuple est savant, les paysans doivent venir discuter avec nous, nous ne
croyons pas que nous autres les penseurs soyons une élite.
Non, pas du tout, le savoir du peuple est
fondamental pour alimenter ces processus si nous voulons une véritable
révolution. Le savoir populaire est illimité. »  (Hugo Chavez
communiquait en permanence avec le peuple à travers l’émission allo
presidente.
 A sa mort (physique) des millions de vénézuéliens se sont
identifiés à lui en disant : « Nous sommes tous des Chavez »)

Chez nous aussi, « le peuple[1] fut (et est) savant »
.Sous Mobutu, il sut apporter sa part au diagnostic sur la misère
anthropologique dont souffre notre pays en exigeant « des changements
importants au niveau des cadres, des institutions ainsi que du fonctionnement
de celles-ci. » 
L’institutionnalisation
de la démocratie directe et participative par le biais des discussions
permanentes permettant à ce peuple d’être partie prenante des décisions
engageant « le vivre ensemble » aurait aidé notre pays à faire de
grands bonds  en avant (avec ses martyrs, ses conflits et ses
résistances). Pour cause, l’institutionnalisation des consultations populaires
comme mode de  « gouverner » avec, par et pour le peuple aurait
été un changement de paradigme important du point de vue de l’économie
politique.
Malheureusement « les dinosaures  mobutistes »  en ont
décidé autrement en reléguant notre peuple au rang de  simples
applaudisseurs  de « technocrates ».  « Les nouveaux
prédateurs »  et « les surdoués » de la kabilie n’ont
pas fait mieux.
Présentement,
ils font exprès d’oublier ces consultations populaires comme l’une des
meilleures formes du dialogue avec la base et parlent de simples concertations
autour du « raïs » pour créer « la cohésion nationale ». 
Ils ont peur du peuple réel. Et comme tous les oligarques, ils évitent de
tomber « victimes » de sa  grande capacité de remise en cause.
Ils se contentent d’un régime représentatif  de leurs intérêts  égoïstes
fondé sur le patrimonialisme
[2], la fraude, la violence et tournant 
politiquement à vide.
(A suivre)

 

 

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