Mobutu et les consultations populaires : un des rares moments de lucidité ! (suite et fin) Par Mbelu Babanya Kabudi

 

 

 

               
                     «  Au fond, la première révolution
se passe dans la tête. Rompre avec l’idée que les cadres et les experts de
l’élite sont indispensables, que les pays riches sont supérieurs. Rompre avec
le colonialisme psychologique. Les simples gens ont en eux une force énorme.
 » 
M. COLLON

 

 De plus en plus, une sérieuse  remise en
question de la démocratie chez  les « créateurs de nos
dictateurs » est en train de devenir un secret de polichinelle.  Pour
avoir approché les institutions européennes afin de comprendre de plus près
leur fonctionnement, Christophe Deloire et Christophe Dubois (deux journalistes
français)  sont arrivés à comprendre comment les Etats membres de l’UE
s’étaient dépossédés de leur souveraineté au profit de la Troïka (BCE,
Commission Européenne et FMI) et aux dépens de leurs peuples et de la
démocratie
[1].

 

Peu de temps
avant eux, Michel Collon (journaliste belge), dans une étude consacrée à 
un Président  sud-américain, Hugo Chavez, taxé de dictateur 
par  plusieurs Présidents et médias du Nord,  notait ce qui
suit : 
« Sur un autre point (…), le Venezuela
s’avère bien plus démocratique que les pays européens par l’existence du
contrôle du peuple sur ses élus. Hugo Chavez, systématiquement accusé d’être
autoritaire et dictatorial s’avère en fait un dictateur bien maladroit. Car une
de ses toutes premières mesures a été de faire en sorte que les vénézuéliens
puissent plus facilement se débarrasser de lui ! 
[2]» Pour 
ce faire, il a rendu possible la constitutionnalisation d’un référendum
révocatoire en 1999. Celui-ci permet aux électeurs de se débarrasser de leurs
mandataires publics s’ils estiment qu’ils ne tiennent pas leurs promesses
électorales ou exercent mal leur mandat. Et en 2004, l’opposition 
vénézuélienne a eu recours à ce référendum pour se débarrasser de Chavez. Le Commandante s’est en bien tiré avec 59% de voix
favorables après un large débat organisé à travers tout le pays. Plus
récemment, Pierre Lévy, dans un  style romantique, a publié un livre dans
lequel il soutient que « les dirigeants européens ne supportent plus la
démocratie ». Dans une interview accordée à Grégoire Lalieu et reprise par
Investig’action, il dit ceci : « Démocratie
et souveraineté renvoient en fait au même concept tel que nous l'avons hérité
notamment des Lumières après des siècles de combat : chaque peuple est
souverain, il ne doit pas y avoir de puissances au-dessus de lui pour lui
dicter ce qu'il doit faire. Mais cette avancée politico-philosophique est
devenue extrêmement gênante pour les tenants de la mondialisation et de cette
gouvernance mondiale qui effacerait la souveraineté des peuples. Aujourd'hui,
les dirigeants européens ne supportent plus la démocratie. Nous avons eu un
exemple caricatural avec les referendums irlandais en 2001 et 2008 : la
réponse n'était pas satisfaisante pour l'UE, les citoyens ont donc été contraints
de retourner aux urnes. Autre exemple avec le referendum de 2005 en France. 
Malgré une
opposition massive au traité constitutionnel, les dirigeants européens se sont
arrangés pour refourguer le contenu du texte sous une autre forme
[3]. » 

Plus récemment encore, Guillaume de Rouville, dans un
article  bien documenté historiquement, va plus loin en soutenant que les
oligarchies gérant plusieurs pays occidentaux n’ont jamais opté pour la
démocratie
[4]. Elles ont servi leurs
intérêts privés tout au long de l’histoire. Et elles sont en train de revenir
sur certaines concessions faites à leurs peuples  après la deuxième guerre
mondiale en leur imposant des mesures d’austérité.

Pourquoi évoquons-nous ces différents
textes ? Pour dire, comme Amin Maalouf, que les  oligarques
occidentaux, détracteurs de nos « dictateurs », n’ont plus
grand-chose d’humanisant à proposer au monde
[5]. Ces
différents textes devraient nous pousser à toujours questionner les
qualificatifs dont « les créateurs de nos  dictateurs » les affublent,
à lire par  nous-mêmes les textes et la pratique de ces
« dictateurs » en les intégrant dans notre héritage historique pour
mieux orienter notre présent et notre avenir. De toutes les façons, la
démocratie du marché économico-financier de l’Occident (et de ses experts) ne
devrait plus constituer notre unique référence dans la quête (ou la reconquête)
des idéologies émancipatrices de la RDC de l’impérialisme et du
néocolonialisme. Il est plus que temps de fouiller davantage  dans nos
philosophies, 
traditions et cultures politiques et de regarder ailleurs.
 D’ailleurs, certains philosophes, journalistes, politiciens et médias
alternatifs occidentaux ont compris  cela et se tournent  vers
l’Amérique Latine. Dans l’interview susmentionnée, Pierre Lévy estime qu’
« on devrait, par exemple, beaucoup tirer de convergences de luttes avec
les pays latino-américains. » Pourquoi ?  Il répond :
« Ils plaident pour des coopérations plus étroites mais insistent en même
temps pour que chaque pays garde et renforce sa souveraineté nationale.
Solidarité et souveraineté ne sont pas contradictoires, la seconde est même une
condition nécessaire à la première. »

Revenons au texte de Mobutu du 24
avril  1994.
 Ce rare moment de lucidité du Maréchal a
comporté ses zones d’ombre. L’une de ces zones d’ombre fut la décision du
Président  de se situer théoriquement « au-dessus de la mêlée »
pour échapper à la critique et au contrôle du peuple.
 «  Le Chef de
l’Etat, dit-il, est au-dessus des partis politiques. Il sera l’arbitre, mieux :
l’ultime recours. Avec la révision constitutionnelle, le Chef cesse d’être le
Chef de l’exécutif. De ce fait, il ne pourrait être soumis ni à la critique, ni
au contrôle du conseil législatif. Il demeure le garant de l’indépendance
nationale, de l’intégrité territoriale et constitue le dernier rempart de la
nation. Tous les fils et toutes les filles de notre pays, membres ou non d’un
parti doivent se reconnaître en lui. Et quoi qu’il arrive, en sa qualité de
chef, se situant au-dessus de la mêlée, il s’engage à demeurer le dénominateur
commun, c’est-à-dire le rassembleur, le pacificateur et
l’unificateur. »  Cette décision connut des dérapages dans son
application. Au-dessus de la mêlée, « l’aigle de Kawele » se retira
dans son village natal et passa une bonne partie de son temps sur son bateau, à
l’écart du Zaïre à pacifier et unifier. En effet, Mobutu était l’otage de son
système, de sa cour et de ses parrains. Sa  maladie, la fin de la guerre
dite froide et le choix de nouvelles marionnettes dans la sous-région des
Grands Lacs africains par ses parrains cassèrent  ses ailes d’aigle. Il
mourut au Maroc, seul, abandonné par « les vieux dinosaures ».

Après lui, Joseph
Kabila, « Mobutu light », tirant un profit maximum de l’assassinat de
Mzee Laurent Kabila va, avec l’aide de ses parrains, appliquer une partie de
cette décision mobutiste en se mettant « au-dessus de
la mêlée »  et en « punissant » sévèrement et/ou en
éliminant physiquement ses critiques par des « collabos » interposés,
sans qu’il soit capable d’un leadership rassembleur, pacificateur et
unificateur.

De 2001 jusqu’ à
ce jour, Joseph Kabila n’a jamais été soumis à une quelconque reddition des
comptes (en dehors du camouflet qui lui a été infligé aux élections de novembre
et décembre 2011 et qu’il a méprisé en faisant un coup d’Etat pour régner par
défi.)

(Des sources
proches de  « la
Présidence
 », nous savons par exemple que son budget est
de deux à trois fois supérieurs à celui de certaines provinces du pays ;
sans compter les différentes opérations-retour dont il bénéficie (lui et sakabilie)
de gouverneurs de ces mêmes provinces
[6]. Il ne
rend compte à personne (au pays) ni de la gestion de ces sommes colossales, ni
de sa politique en général.)

Que faire ? Il y a des solutions que dicte la pratique
politique engagée aux côtés des masses populaires. D’autres sont dictées
par  certains moments favorables par lekaïros. Plusieurs
autres ont été proposées par nos  Pères et Mères de la Résistance et de
l’indépendance. Un travail de reconquête de ces propositions au sein des
« cercles d’étude » est indispensable.

Pour notre part, nous estimons qu’il y a du
travail à abattre au niveau individuel, collectif et structurel 
(institutionnel).  Nous devons, petit à petit, nous guérir de toute haine
contre nous-mêmes et contre autrui (la haine inhibe notre capacité de
créativité, d’imagination et d’inventivité. C’est un sentiment négatif, un
poison autodestructeur.); nous décoloniser collectivement psychologiquement et
travailler avec nos masses populaires afin que nous devenions ensemble
« les démiurges » de notre  devenir collectif. Comment ?
Dans deux ou trois grands mouvements fédérateurs fondés sur la solidarité,
l’égalité, la liberté et la coopération, et, entretenir et/ou susciter
« nos Hugo Chavez ». Et avec eux, créer, dans un avenir proche, une
assemblée constituante à même de constitutionnaliser les consultations
populaires et/ou de créer des mécanismes de dialogue et débat permanents entre
le système représentatif (les mandataires publics) et le peuple, sans que
personne ne soit placée « au-dessus de la mêlée ». Hugo Chavez
l’avait mieux compris. Avant d’adopter le référendum révocatoire comme moyen
d’éviter les abus dans l’exercice du pouvoir des mandataires
publics, « fut adoptée au Venezuela une Constitution consacrant la
participation populaire dans toutes les affaires d’intérêt national et imposant
l’obligation d’agir selon un Etat Démocratique et Social de Droit et de
Justice, conception de l’Etat qui défie frontalement le fondamentalisme libéral
et oblige l’Etat à se porter garant des droits fondamentaux des citoyens.
[7] »  Ceci fut le travail d’une assemblée
constituante patriote,  héritier de  Bolivar, de luttes sociales et
de la théologie de libération. (Cette bonne constitution fut le fruit de bons
citoyens, de bons patriotes.)  Et fort de son leadership visionnaire,
rassembleur, pacificateur et unificateur, Hugo Chavez savait que  pour que
le peuple joue mieux son rôle,  il a besoin d’un pouvoir économique
conséquent. Il était d’avis que « le peuple n’aura pas de pouvoir
économique aussi longtemps qu’il ne sera pas propriétaire des facteurs de
production : la terre, les outils, la technologie, la connaissance, le
capital, le travail» L’alphabétisation et l’éducation du peuple, l’appropriation
populaire des moyens de production à travers les communes et les coopératives,
la liberté d’expression (reconnue même aux médias de 
l’opposition),
etc. l’ont aidé à créer d’ « autres Chavez », sans céder à
l’ensauvagement.  Après lui, les « autres Chavez » poursuivent
son œuvre  et croient qu’il est possible d’aller plus loin avec la
démocratie directe et participative au moyen d’ « un gouvernement
dans la rue ». Il a su passer le relais. Et à temps.

Pouvons-nous, en RDC, en arriver là ? Oui. A condition qu’avec
nos mouvements des masses,  nous puissions mettre au pas les vieux
dinosaures mobutistes, les nouveaux prédateurs de la kabilie et le système néocolonial qui les
porte et/ ou imaginer des alternatives crédibles portées par l’éthique de 
réconciliation et de responsabilité dans la justice.  Au pays, par-ci
par-là, de timides signes de refondation d’une autre économie politique sont
visibles à travers le travail abattu  en synergie par « les forces acquises au changement »
 ayant compris que la première révolution est celle des cœurs  et des
esprits.  Il y a encore du chemin à parcourir…Il ne faut pas minimiser le
cynisme de l’impérialisme et du néocolonialisme ainsi que celui de leurs
marionnettes patrimonialistes.

 

[1] C. DELOIRE et C. DUBOIS, Circus
politicus
, Paris, Albin Michel, 2012.

[2] M. COLLON, Les
7 péchés d’Hugo Chavez
, Bruxelles, Investig’action, 2009, p. 300.

[3] G. LALIEU : « P. Lévy : Les dirigeants européens
ne supportent plus la démocratie », www.michelcollon.info,
25 avril 2013

[4] G. DE ROUVILLE, L’oligarchie a fait un
rêve, www.legrandsoir.info
22 avril 2013

[5] A. MAALOUF, Le
dérèglement du monde
, Paris, Grasset, 2009.

[6] Un livre suffisamment détaillé écrit par
« un témoin de l’intérieur » va bientôt mettre ces chiffres sur la
place publique. Malgré ses limites, ce livre dévoilera les scandaleuses
pratiques du « clan Kabila » en donnant  expliquant comment, de
l’intérieur, la RDC est dépiécée.

[7] S. JOSE ROCA,  Hugo Chavez et la pensée critique, www.legrandsoirinfo,
07 avril 2013. Les citations suivantes  sont tirées du même texte.

 

 

 

 

 

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.