04/05/13 / RFI – Monserrat Carboni sur RFI: «Il y a toute une culture qui stigmatise les victimes de viols en RDC»

 

 RFI : Vous décrivez, dans votre rapport, une certaine impunité en
RDC. D’où vient le problème ? Est-ce que ce sont les enquêtes pour retrouver
les coupables, les procédures judiciaires ou les procès en eux-mêmes ?

 

Monserrat Carboni : En fait, c’est très
structurel. Il y a un problème de capacité, les tribunaux sont très loin des
victimes, très éloignés des populations, surtout des populations qui souffrent
des violences sexuelles. Le budget de la justice est très faible, en
comparaison avec le budget général.

Il y a une culture
juridique très formelle. Donc, il faut aussi avoir une meilleure formation des
avocats et des juges. Mais en plus, il y a un problème de volonté : même si on
voit de plus en plus de procès importants sur les violences sexuelles se tenir,
c’est la minorité des cas qui arrivent aux tribunaux. De plus, ce ne sont pas
toujours les gens qui ont la plus haute responsabilité pour les crimes qui ont
été commis qui arrivent devant les tribunaux.

 

Alors qui sont les condamnés et ceux que l’on retrouve sur le banc
des accusés ?

 

Ce sont surtout
devant les tribunaux militaires, contre des soldats qu'on retrouve de tels
procés. Il y a aussi des procédures contre les chefs rebelles. Ça, il faut le
dire. Mais il n'y a pas nécessairement une volonté de mener les enquêtes contre
ceux qui ont la plus haute responsabilité parmi ces structures militaires

 

Vous sentez que les hauts gradés sont, en quelque sorte, protégés
?

 

Ce qu’on a surtout
noté, c’est que même s’il y a un jugement, on n’a pas, à la fin, une véritable
justice. Soit parce que les gens qui sont mis en prison fuient, soit parce que
les victimes ne reçoivent pas la réparation qui a été décidée par le juge.

 

Des coupables qui arrivent à fuir, après leur condamnation...

 

Oui.

 

C’est un danger pour les victimes. Une fois que le condamné peut
ressortir, les victimes peuvent craindre des représailles ?

 

Bien sûr ! Ce n’est
pas toutes les victimes qui ont la volonté de se présenter devant le juge. Et
puis la personne qui est condamnée finit par sortir. Evidemment, il y a un
effet vis-à-vis de toutes les victimes, qui vont avoir peur de se présenter
devant la justice. Donc c’est très important que les décisions du juge soient
exécutées par les autorités judiciaires. Et c’est important, plus largement,
pour établir un véritable Etat de droit en RDC.

 

Et pour accéder à la justice, le problème est aussi financier pour
les victimes. Il faut prendre un avocat, ça coûte de l’argent et ça peut
freiner certaines victimes.

 

Mais ce n’est pas
seulement payer un avocat. Le système judiciaire en RDC exige que dès lors
qu’on a un jugement, les personnes qui veulent voir exécuté ce jugement et
obtenir réparation, doivent payer ce qu’ils appellent « les droits
proportionnels
». Donc, ils doivent payer au moins 6 % de ce qu’ils
demandent, en plus d’autres frais de justice, inclus les photocopies, le
travail du juge pour écrire sa décision, etc.

On a vu un cas par
exemple, où les victimes réclamaient 400 000 dollars – parce que c’était une
communauté très large, il y avait plus de 100 victimes – et pour déclencher
l’exécution, il fallait qu’ils avancent plus de 100 000 dollars. Dans un pays
comme la République
démocratique du Congo, où plus de 70 % de la population est pauvre, vous ne
pouvez pas payer ça !

 

Est-ce que vous avez l’impression que l’accès à la justice est
d’autant plus compliqué pour les victimes de violence sexuelle que pour des
délits de droit commun ?

 

Absolument ! Il y a
toute une culture qui va stigmatiser les victimes de violence sexuelle. Donc il
y a vraiment tout un travail culturel à faire, pour que les victimes puissent
parler, sortir au-delà du traumatisme d’une violence sexuelle, évidemment.

Et puis les femmes
sont les plus touchées par la pauvreté. Donc, si vous avez un système où il
faut payer pour absolument tout, c’est presque impossible pour elles. Il y a
une sorte de discrimination basée sur le genre.

 

Vous parliez de la réaction des familles. Mais est-ce que la
justice, elle aussi, reconnaît que les violences sexuelles ce sont des crimes ?

 

Dans la loi, sur le
papier, je dirais que oui, c’est vraiment un crime. Mais disons que dans la
culture, ce n’est pas nécessairement pris comme essentiel vis-à-vis de tout ce
qui se passe au Congo. Il y a une culture, celle de dire : « bon,
certes c’est une violence sexuelle. Ce
n’est pas la même chose que de tuer quelqu’un.
»

Il faut vraiment promouvoir un changement de la culture, pour
assurer une véritable prise en charge des victimes de violence sexuelle.

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