13 05 13 Interv. du journaliste / écrivain Kalenga Yamukena Yantumbi à loccasion du tournage du film documentaire « Lirrésistible ascension de Moise Katumbi », par Thierry Michel
Thierry
Michel :
Maintenant on est à 60 ou 70 heures
darchives. Donc ici, je voudrais, mais je ne sais pas quand, mais pas tout de
suite, affiner un portrait de Moïse Katumbi. Je pense que je vais encore filmer
assez longtemps parce que je voudrais voir lévolution. Comment il va se
positionner pour les prochaines élections, des choses comme ça. Voilà, et à ce
moment-là, je continue à le filmer. Je continue cette fois-ci à avoir dautres
avis. Je voulais avoir Monsieur Kapend etc. Je viens de lavoir au téléphone.
Je pense aussi un peu divergeant. Voilà. Je pense aussi voir des personnes,
sinon je nai quun film à la gloire de Moïse, voir dautres points de vue. Et
je vais essayer den trouver quelques uns. Mais jen ai déjà vu quelques uns à Lubumbashi. Voilà.
Kalingui
Yantumbi :
Alors, je préfère quon reste vraiment dans
les livres.
Thierry
Michel :
Dans les livres ? Daccord.
Alors le nom, il faut que je men souvienne
bien.
Kalingui
Yantumbi :
Cest Kalingui Yantumbi. Cest plus court
quand vous dites Yantumbi. Ça me plait comme ça. Ça me plait comme ça, comme
Yantumbi, comme Christophe. Christophe, cest un pseudo.
Thierry
Michel :
Est-ce que vous pouvez nous décrire la
personnalité de Moïse Katumbi ?
Kalingui
Yantumbi :
Bon, il faut dire que je connais de Moïse
ce que mes observations mont permis de connaître de lui. Je nai jamais
rencontré Moïse Katumbi. Je ne le connaissais pas personnellement. Cest une
curiosité de journaliste qui ma ammené à mintéresser à ce quil est, à la
personnalité publique quest lhomme du gouverneur, Moïse Katumbi. Voilà, en
quelque sorte, pour dire les choses de façon plus brève, le titre de mon livre
résume ce que jai comme perception de lhomme politique ou de lhomme public
quil est.
Thierry
Michel :
Quel est le titre de votre livre ?
Kalingui
Yantumbi :
« Moïse Katumbi ou lambition du
pouvoir. Affairisme, populisme et parapolitique » En fait, il y a en lui
quelque peu, une sorte de symbiose, dun homme ambitieux. Il est généreux, bien
sur, cest ce que tout le monde dit. Il est généreux, oui. Mais il est
ambitieux. Lambition nest pas que négative. Mais cest plutôt cette ambition
qui fait que quelques fois, quand ça dépasse, il verse dans le populisme pur et
dur. Et ce populisme qui se nourrit à laffairisme fait que parfois en
politique ça ne produit pas que de bons résultats. Ce que jai appris de lui en
faisant des recherches, cest un monsieur qui est né de lunion dune femme
Bemba avec un juif qui faisait des affaires au Katanga, qui a étudié au
Katanga, ses études secondaires, et puis qui a très tôt été initié à la chose
du commerce, au business, dans le sillage de son frère, Raphaël Katebe, et qui
a ainsi continué, qui sest taillé son chemin, et qui aujoudhui est gouverneur
du Katanga. Voilà brièvement ce que je connais de lui.
Thierry
Michel :
Vous avez parlé de son origine. Voilà.
Quest ce qui a fait lalchimie. Dans son origine, soyez un petit peu plus
précis, de sa vie, de son père, doù il venait, ce quil a fait, comment il
sest intégré dans la société katangaise ?
Kalingui
Yantumbi :
En fait ce que je sais, cest un juif qui
sest installé progressivement dans certains endroits du Katanga et qui a fini à
trouver un point dencrage, au bord du lac Moero. Cest là qiil va rencontrer
la maman de Moïse Katumbi, cette maman qui a une ascendance Senga, et en même
temps aussi une ascendance Bemba. Son père était unvesti dans le commerce du
poisson du lac Moero. Cest ce que effectivement les enfants vont aussi
hériter.
Thierry
Michel :
Cest les enfants qui vont développer
lentreprise ?
Kalingui
Yantumbi :
Ce sont les enfants qui ont fait ce quon
pourrait appeler une certaine dynastie commerciale. Cest plutôt avec le
confrère Raphaël Katebe que les choses vont se développer comme tel.
C'est-à-dire, son grand frère a étendu les activités. Raphaël a étendu les
activités commerciales. Et au fur et à
mesure, ça a progressé. Certaines sources disent que leurs affaires ont
progressé, ont eu de lexpansion à un moment surtout lorquil a signé un marché
avec la Gécamines comme fournisseur. Donc chaque fois que la Gécamines avait
besoin dun … de matériel, cest Raphaël Katebe, le frère de Moïse, qui devait
fournir. Cest ainsi que Moïse va se tailler une certaine notoriété dans le
milieu commercial, à partir des activités de son frère.
Et selon ce que mes recherches mont
indiqué en tout cas, Moïse, jusquà un certain moment, jusque peu avant son
accession au pouvoir, navait pas de largent propre, qui pouvait impressionner
autant quaujourdhui. Donc il était le gérant des biens de son frère. Cest
peu après, à son arrivée dans les sillages du pouvoir, quil a commencé à avoir
un peu de son propre argent.
Thierry
Michel :
Pourquoi est-ce quil décide dajouter à
ses affaires la conquête du pouvoir politique ?
Kalingui
Yantumbi :
Cest lambition. Je dis que cest un
monsieur ambitieux. Je crois que cette ambition a un double titre.
Politiquement, cest que quand on a déjà son argent, on a son avoir, et quon a
une vision. La meilleure façon de servir cette vision, cest davoir le
pouvoir. Ça cest dun côté. Mais de lautre, quand on a son argent, la
meilleure façon de protéger ses intérêts économiques, cest davoir le pouvoir.
En fait pour lui, ça joue dans les deux sens. Dans les deux sens, avoir le
pouvoir pour servir une certaine vision, cest ce quil fait, mais également
garder le pouvoir pour affermir ses affaires commerciales.
Comment sest fait sa fortune ? Il a
investi combien pour gagner combien ? Quun spectateur belge qui ne
connait rien du tout au mines, soyez très pédagogique, et pour des gens qui ne
connaissent pas, coment ça se passe ?
Kalingui
Yantumbi :
De façon beaucoup plus rapide, beaucoup
plus simplifiée, pour ceux qui ne connaissent pas la scène politique et
économique du Congo, cest que les relations parfois pèsent plus que lavoir,
que le capital à investir. En fait Moïse Katumbi a investi ses relations. Cest
avec ses relations quil obtient quasi gratuitement les concessions minières
sans avoir rien donné quasiment à la Gécamines. Avec la promesse que ils sont
des partenaires. La Gécamines prendrait un pourcentage sur lexploitation. Mais
entretemps, Moïse revend les concessions. Et la Gécamines nobtient en tout
dans ces transactions. En tout la Gécamines navait obtenu en son temps que 5
millions. Avant cétait un million. Quand il y a eu des protestations, Anvil a
reversé encore. En tout à ma connaissance ça a été 5 millions de dollars.
Thierry
Michel :
5 millions pour la Gécamines, et Moïse
Katumbi ?
Kalingui
Yantumbi :
Et Moïse Katumbi a eu dans son escarcelle
61 300 000 $. Ça cest jusquavant la sortie de mon livre. Je ne sais pas sil
y a eu dautres choses. En tout cas, cétait ça le point de départ. Donc avec 1
rien, avec les relations, avec biensur un trafic dinfluences, il a réussi à
obtenir des concessions minières sans avoir donné grand-chose à la Gécamines.
Et il faut dire que certains acteurs qui ont été tout autourse sont retrouvés
plus tard dans le gouvernement de Moïse Katumbi, dans le gouvernement
provincial de Moïse Katumbi. Biensur on pourrait dire cest une sorte de retour
dascenceur.
Thierry
Michel :
Et comment est-ce que vous jugez ce
fonctionnement ?
Kalingui
Yantumbi :
Je le trouve très navrant. En fait ça ne
devrait pas être ainsi. Comment la Gécamines ne pouvait-elle pas passer un
contrat directement avec Anvil Mining ? Les 61 millions de dollars, soit
lavoir de la Gécamines. Pourquoi la Gécamines doit transiter par des
intermédiaires, un intermédiaire qui est Moïse Katumbi, qui dun jour à lautre
devient propriétaire minier ? La Gécamines, cest une entreprise de
lEtat. Les concessions qui appartiennent à la Gécamines, ce sont des
concessions qui appartiennent à lEtat, et donc à tout le monde, au peuple
congolais, à moi et à tous les autres citoyens. Comment lui peut se
retrouver dun jour à lautre propriétaire de cette concession sans avoir
presque rien donné ? Et revendre ces concessions pour se taper de farine
sur le dos de la République. Cest ça qui est énervant. Cest ça qui est
navrant.
Thierry
Michel :
De farine, ça veut dire ?
Kalingui
Yantumbi :
Cest faire de largent sur
Thierry
Michel :
Mais combien dargent là, vous
pensez ?
Kalingui
Yantumbi :
Je dis 61 300 000 $, dont une partie en
titres boursiers, une partie en liquide. Et vous comprenez que en titres
boursiers, cet argent produit des intérêts tous les jours. Si jusquen 2006, à
la veille des élections, cétait 61 300 000 $, aujourdhui, trois ans après, ça
doit être plus. Il faut faire fois 2, fois 3, fois 4 ou fois 5, pour retrouver
une proportion imaginable de ce que pouvait être son avoir aujourdhui. Vous
comprenez. Donc, ce qui est inacceptable, intolérable dans cette histoire,
cest que un individu, du jour au lendemain, peut-être grâce à des combines, se
retrouve propriétaire des concessions qui en principe appartiennent à tout le
peuple, et revende ces concessions à des multinationales pour se faire de
largent à lui, en tant quindividu. Que cet individu, demain, se permette de dire : « Je
construis tel stade, je donne des bus, je donne des ambulances » sur de
largent qui a été acquis de façon pas très correcte. Ça, moi, je napplaudis
pas. Donc cest ça que je trouve inacceptable. Pourquoi la Gécamines en tant
que société dEtat na pas pu passer directement le contrat avec Anvil Mining
et que cet argent que Anvil Mining a versé tombe dans les caisses de lEtat et
serve à reconstruire proprement les écoles, les routes, les hôpitaux de façon
plus correcte. Je crois que dans dautres Etats, dans dautres nations, qui se
veulent beaucoup plus sérieuses, ça se passe comme ça. Je crois que cest ça
qui est beaucoup plus énervant. Peut-être que énervant, le mot est trop fort, mais
cest cela inacceptable dans un pays qui se veut démocratique. Et Moïse, cest
un monsieur ambitieux, je lai dit, mais affairiste. Dans ses affaires, il
roule tout le monde. En fait, parfois, ceux qui lui façilitent ses tâches ne
comprennent pas quil se moque deux et quil sest fait de largent au
détriment deux. Cest quand le scandale a éclaté quil se fait beaucoup plus,
comment dire, quil donne dans tous les sens. Il appelle des journalistes de
partout. Il fait de la publicité pour jouer au Mr Propre. Mais en fait ses
mains ne sont pas aussi propres que ça. Voilà
Thierry
Michel :
Quelles sont les différentes affaires que
Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, gère actuellement ?
Kalingui
Yantumbi :
Moïse, en fait, il est à la fois un
individu, mais Moïse Katumbi, cest surtout un réseau, au point quaujourdhui,
moi, je dis dans le livre, cest le Berlusconi katangais. En fait, je crois que
vous comprenez limage. En tant quEuropéen, vous comprenez de quoi je parle.
Moïse cest un réseau. Aujourdhui, il est difficile de savoir cerner le
contour de toutes ses affaires, parce quil a réussi à implanter, à sentourer
de gens, des gens qui ont constituté un réseau au point quil a déconcentré ses
activités. Et cest difficile, cest une nébuleuse en fait. Cest difficile de
savoir cerner réellement ce problème. Parce quil est à la fois dans les mines.
Il est dans le commerce, le petit commerce. Il est dans la douane. Il est dans
tout, en fait, par personne interposée. Il est dans la construction, dans
beaucoup de domaines. Je connais, il est dans des entreprises de construction,
avec des gens, parfois, des gens quon ne soupconnerait même pas. Donc
aujourdhui là, cest très hasardeux que quelquun vous dise avec précision les
différentes affaires dans lesquelles Moïse serait impliqué. Mais ce que je
sais, cest qui est dans beaucoup de domaines, notamment dans les douanes. Il
est dans les constructions. Il est dans les mines. Il est dans le ciment. Il
est dans lalimentaire, et plein dautres affaires encore.
Thierry
Michel :
Et le transport ?
Kalingui
Yantumbi :
Le transport aussi.
Thierry
Michel :
Alors le transport, ça représente quel type
dactivité ?
Kalingui
Yantumbi :
Le transport, surtout le transport des
produits miniers par des poids lourds. Il y avait des poids lourds quon
appelait « Akuna Matata » comme ça.
Thierry
Michel :
Il y a toujours ?
Kalingui
Yantumbi :
Qui existe encore effectivement. Ces poids
lourds-là, les gens disent que cest, en fait Moïse serait également dans ces transports.
Donc, ce que ça représente, quand vous imaginez quun véhicule poids lourd
transporte minimum 100 à 150 tonnes de produit minier, et que parfois, le
pouvoir aidant, ces véhicules-là passent comme ça, parfois sans payer des douanes. Moi, jai vu des
documents. Je lai dit dans le livre. Des documents ou des gens qui sont au
péage attestent que ces véhicules passent. Disons quils ont lexhonération du
gouverneur. Et donc quand ce transport-là fait ce quon appele le passage en
force sur les postes de péage, vous pouvez vous imaginer combien dargent sort
du circuit de lEtat, du circuit officiel, parce quil y a quelquun qui
protège den haut les chauffeurs, les transporteurs, les opérateurs de ces
poids lours qui passent. Cest beaucoup dargent. Si ça se fait comme ça
sur les postes de péage, on peut imaginer que ça se fait de la même façon sur
les douanes. Effectivement, il y a beaucoup de témoignages de gens, biensur
anonymes ou confidentiels, de gens qui vous disent quil y a eu ça, quil y a
eu ça. Donc il est dans beaucoup de secteurs, notamment les transports.
Thierry
Michel :
Alors que lui-même va mettre de lordre aux
douanes pour empêcher la fraude.
Kalingui
Yantumbi :
Je vous dis, il y a une chose. Moi, quand
jobserve Moïse Katumbi, tant cest les opérateurs quils sont les voleurs. Ils
sont des spéculateurs. Quils sont des fraudeurs. Mais je crois, cest Colette
Braeckmann qui dit dans un des articles louangeurs quelle a écrit dans, je
crois, « Le Soir », elle dit quelque part que cest un ancien
contrebandier qui sest reconverti, qui
connaît toutes les ficelles, tous les rouages, et qui sait bien frapper. Mais,
moi je constate quil ne frappe que les autres. Et quand il frappe les autres,
cest en fait pour fragiliser les autres et affermir ses positions à lui. Parce
que le pouvoir pour lui, cest affermir ses affaires. Je vous donne un exemple.
En décembre 2008, le gouvernorat, je ne dis pas le gouverneur, le gouvernorat a
distribué de la farine de maïs aux institutions denseignement supérieur et
universitaire de Lubumbashi, pour dire vous allez fêter la Noël et la nouvelle
année avec au moins de quoi mettre sous la dent. Mais moi, personnellement,
jai vu que cétait de la farine qui venait dêtre périmée deux mois avant. La date
de péremption marquait deux mois avant. La farine est censée ne plus être
consommable. Mais ce sont ces farines-là qui ont été distribuées. Quand
aujourdhui je vois le gouverneur fermer des magasins que je ne veux pas citer,
on dit quil vend des produits avariés. Mais je me dis, il y a de quoi
réfléchir. Le gouvernorat a distribué ces farines-là périmées depuis deux mois.
Moi jai lu. Jai vu à lISP distribuer des farines de maïs en décembre, mais
dont la date dexpiration était marquée deux mois avant. Mais ces farines ont
été distribuées. On na pas appelé Digital Congo ou Niota Télévision ou Mangasa
ou Atanshi pour filmer, pour dire « Messieurs, regardez, je distribue de
la farine avariée » Mais quand ce sont dautres opérateurs économiques, on
le fait avec pompes et cest tous les médias qui sont alertés, notamment des
médias internationaux, pour dire cest le Mr Propre. Cest le monsieur au Congo
qui veut. Non. Il y a une autre facette, cest que quand vous regardez de très
près, ces opérateurs qui ont été ciblés, soit, ils nont pas pu obtempérer à
des combines qui ont été avancées, soit ils ont pris des proportions telles que
ça gène els activités du gouverneur. Je vous dis que le gouverneur a ses
propres activités commerciales de la farine et du ciment, qui se vendent sur
lavenue Mamayemo. Et donc au vu, au su de tout le monde. Ça ne métonnerait pas
quil cherche à courcircuiter les autres opérateurs économiques qui vendent les
mêmes produits que lui. Cest pour fermer leur marcher, leur faire de la
mauvaise publicité. Biensûr, il peut y avoir un mauvais concours de
circonstance quil y a dans les dépôts de ces opérateurs de produits avariés.
Mais il en profite pour faire de la contre-publicité à ces gens-là, comme ça
les gens viennent acheter ses histoires. Voilà comment moi je vois la chose.
Quand vous prennez par exemple cette grosse affaire qui a fait beaucoup de
bruit, laffaire de la route Kolwezi Solwezi, avec Fescantum. Mais certaines
sources attestent que il sagit là dune mesure de rétorsion contre un
opérateur qui na pas pu obtempérer à certaines avances. Tout le monde sait
quan Katanga, pour prospérer, il faut, il faut obéir aux ordres de Moïse. Il
faut shabiller aux coulerus de Moïse. Cest là qui est beaucoup plus
inquiétant. Quand le pouvoir économique vient sadosser sur le pouvoir
politique pour faire nuisance aux autres. En tout cas les lois du libre marché
veulent que chacun travaille là où il veut. Mais quand vous vous servez du
pouvoir pour affermir vos propres affaires, ça devient beaucoup plus inquétant.
Et ça cest la pire forme de dictature, parfois beaucoup plus insidieuse que
les pires dictatures que nous avons connu.
Cest pourquoi moi jai la crainte que, si
Moïse Katumbi ne met pas beaucoup trop de bémols dans ses ambitions, nous
risquons un jour davoir un Mobutu, un autre Mobutu dans ce pays. Parce quil
se cache en lui un petit dictateur qui signore. Le drame cest que tous les
gens qui lentourent encouragent léclosion de ce petit dictateur. Le drame
cest que lui non plus ne veut pas entendre cet autre son de cloche. Pour ne
parler que de moi, mais en fait, moi, en écrivant mon livre, je navais aucune
intention ni de linsulter, et cest ce que je ne fais pas dans mon livre,
quelquun dautre aurait écrit le même livre avec la même philosophie quil
aurait été beaucoup plus indécet que moi. Jai fait un effort de rester
élégant. Je crois que vous avez lu le livre. Jai fait un effort de rester au
milieu. Mon souci nétait pas non plus de combattre lascencion dun homme
politique. Comment le ferais-je ? Il a le pouvoir et largent que je nai
pas. Ce serait un combat perdu davance. Mon souci, cétait de dire une autre
vérité, un autre son de cloche afin quil sen rende compte et quil rectifie
ses tirs. Le drame, cest que lui-même il est allergique à la vérité, quand il
lit des choses comme ça. Les bruits du couloir qui me sont parvenus, cest
quil en devient parfois tout rouge de colère. Je ne sais pas si certaines…
Thierry
Michel :
Et quest-ce que ça signifiait pour
vous ?
Kalingui
Yantumbi :
En fait, ce que ça signifiait, cest que
nous somme dans un contexte où les gens sont allergiques à la vérité, à la
contradiction.
Thierry
Michel :
Mais dans votre cas, quest-ce quà
impliqué, quelles ont été les conséquences du fait que vous ayez écrit un livre
qui dénonce Moïse comme un affairiste et un populiste ?
Dans votre cas, quest-ce que cela a
provoqué, vous étiez journaliste au Katanga. Quest-ce qui sest passé quand
vous avez édité ce livre sur Moïse Katumbi, affairiste et populiste ?
Kalingui
Yantumbi :
Comme conséquence… Cest une très longue
histoire qui peut faire lobjet dun autre livre. Mais de façon beaucoup plus
brève, cest que, Moïse étant à la fois un système et un réseau, ce réseau sest
mis tellement en marche que son entourage même sest tellement agité dans tous
les sens. Par exemple, ils ont tout fait pour étoufer le livre, la circulation.
Ils ont interdit à lEspace francophone de Lubumbashi la Halle de lEtoile de
servir de point de distribution du livre. Laffiche qui était placardée là-bas
a été enlevée sur ordre des gens du gouverneur. Mais ils se sont rendu compte
que le livre continuait à circuler, de main en main, et les gens en parlaient.
Lentourage du gouverneur a voulu mettre en marche un plan pour récupérer tous
les livres et brûler. Il y a des gens qui ont été envoyés pour acheter et
brûler. Quand je me suis apperçu de cette tentative, jai bloqué la circulation
du livre. Jai gardé. Avec ça, jai fait lobjet de filatures, jai fait
lobjet de menaces. Jai fait lobjet dintimidations, dappels anonymes. Tous
les jours comme ça. Il faut dire quà un moment, je ne pasasis plus la nuit
chez moi. Je ne passais plus la nuit au même endroit deux nuits de suite. Et
cétait assez difficile. Un jour, jai été agressé en pleine journée, en pleine
rue à Lubumbashi, près du marché Mzé. Quelquun là vient, il magresse au
couteau. Je ne sais pas par quel miracle je men suis tiré indemne. Le coup na
réussi quà déchirer la veste que je portais. Voilà. Cest à partir de là que
jai réalisé limmensité du problème, étant donné que moi, je ne voulais pas
faire un bras de fer avec un homme aussi puissant, étant donné que mon
intension à lorigine nétait pas aussi malveillante que ça. Mon intention
nétait pas de porter nuisance, comme on me la prèté. Et bien, jai décidé de
quitter Lubumbashi.
Thierry Michel :
Et de quitter la province ?
Kalingui
Yantumbi :
Et de quitter la province en fait.
Thierry
Michel :
Pour aller où ?
Kalingui
Yantumbi :
Javais deux choix. Ou je devais rentrer
dans mon village, ou je devais venir à Kinshasa. Jai trouvé que aller
dans mon village, ce serait beaucoup plus risqué, parce quen fait, là, cest
une contrée où il y a eu la guerre, des Maï Maï avec les rebelles. On pouvait
bien commissionner un tueur à gages qui pouvait bien faire une chose et on
mettrait ça sur le compte des Maï Maï. Je me suis dit, non, autant aller à
Kinshasa. Parce quau moins à Kinshasa, cest loin du Katanga.
Thierry
Michel :
Quelle distance ? Combien la
distance ?
Kalingui
Yantumbi :
Cest 2000 km de distance de Lubumbashi. A
2000km, je serais loin de cette zone dopérations, des gens qui seraient tentés
de laver ce quils considéreraient comme laffront qui était porté à leur
gouverneur. Parce quen fait, dans tout ça, il y a eu beaucoup de petits
messieurs, parfois des têtes brulées, qui de leur propre chef se permettaient
dagir et dopérer. Voilà. Parce quen fait, ce que moi je trouvais, cest que
des gens sans courage vous appellent sur des appels anonymes et vous menacent.
Mais si quelquun a du courage, ou il porte plainte et vous en répondez devant
la loi, cest ce que jétais prêt à faire, parce quau moins là, jaurais su
que les …il y aurait eu un grand déballage, ou alors vous voyez la personne
directement, vous lui dites « Monsieur, pourquoi vous avez écrit ça,
pourquoi vous avez dit ça » ou vous prenez le courage de contredire dans
un livre correct. Tous les livres qui ont été écrits sur commande par les
services du gouverneur et bien ce sont des livres piètres. Il y en a, je les ai
lus. Il y a des livres qui sont sortis après.
Thierry
Michel :
Parlons de cet aspect
Kalingui
Yantumbi :
Je suis venu de Lubumbashi à Kinshasa, à
2000 km. Je suis resté là. Mais là non plus ça na pas été aussi facile, parce
quil y a eu des choses. Par plusieurs fois les gens ont tenté de mattirer
dans des guets-apens et bon malheureusement, on a tenté de se servir de
journaliste.
Thierry
Michel :
Mais quels sont les rapports justement de
Moïse Katumbi au Katanga avec la presse et les médias locaux ?
Kalingui
Yantumbi :
Des rapports piètres.Parce quen fait,
depuis très longtemps, Moïse a eu …
Thierry
Michel :
Quels sont les rapports de Moïse Katumbi au
sein du Katanga avec les journalistes et les médias locaux ?
Kalingui
Yantumbi :
Les rapports ne sont pas aussi bons que ça.
Ce sont des rapports en tout cas piètres, mouvementés, avec les médias locaux.
Avant son accession au pouvoir, au gouvernorat, Moïse traitait les journalistes
comme des va-nu-pieds, en tout cas les journalistes locaux. A un certain
moment, quand il était en exil, le nom de Moïse Katumbi ne pouvait pas être
cité sur les antennes de télévision officelles. Ce sont quelques rares
journalistes qui lui sont restés fidèles qui se sont servis des médias privés
et de journaux à périodicité parfois régulière qui ont continué à parler de
lui. A son accession au pouvoir comme gouverneur, il sest entouré dune
panoplie de journalistes. On a même dit que cest le seul gouverneur dont
léquipe est constituée de beaucoup de journalistes, 8 au total. 8 de ses
collaborateurs ont été à leur parcours de journaliste, ou sont encore des
journalistes. On a compris que cétait un acte de rachat envers la presse,
quil avait traitée de vagabond, constituée de gens sans dignité. Mais il nen
était rien du tout. Parce quen fait, pour les journalistes locaux, il les a
relégués dans les oubliettes. Les journalistes locaux, la presse locale,
horsmis quelques organes qui sont vraiment à sa botte,
Thierry
Michel :
Mais parlons-en, cest ça que je veux voir.
Comment ça se passe avec les télévisions locales ?
Kalingui
Yantumbi :
Quelques organes locaux, quelques
télévisions locales à qui il octroie, il octroyait, je ne sais pas sil continue
à le faire, il octroyait jusquavant, jusque même à la sortie de mon livre en
novembre 2008, il octroyait à certaines télévisions et à certains journaux de
Lubumbashi 5000$ comme dotation mensuelle. On ne sait sur base de quel critère.
Nyota, cest une télévision de Moïse Katumbi, quil a donnée en cadeau à lun
de ses amis journalistes ici à Kinshasa. Il y a notamment Mangaza, qui est une
télévision dirigée par la femme de lun des ministres du gouverneur, Moïse
Katumbi. Il y a notamment Atanshi qui est une télévision dont on dit quelle
appartiendrait par personne interposée à Moïse Katumbi. Mais en tout cas cest
géré par un pasteur, un pasteur qui se présente comme le conseiller spirituel
de Moïse Katumbi. Il y a également un journal qui sappelle Quiproquo, un
journal dun journaliste bien connu de Lubumbashi, mais dont le penchant pro
Katumbi est connu de tout le monde. Cest à ces organes-là que Moïse accorde
des traitements de faveur. Tous les autres organes de presse du Katanga cest
jetté dans les oubliettes. Biensur horsmis quelques journalistes de Kinshasa,
notamment Digital Congo qui bénéficie également dun traitement de faveur 5000$
chaque mois comme dotation, que la télévision ait diffusé ou pas des images sur
le Katanga. Cest 5000$ comme gratification. Ça on ne sait sur quel critère
ici. Voilà.
Thierry
Michel :
Cest la méthode Katumbi si je comprends
bien ?
Kalingui
Yantumbi :
Cest la méthode Katumbi, parce quen fait
la méthode Katumbi cest la manipulation, lachat des consciences et la
victimisation. La manipulation : Moïse Katumbi se sert des médias. Il
trône comme je lai dit. Cest un Berlusconi katangais qui trône à la tête dun
puissant groupe médiatique constitué de ces médias que jai énumérés, qui fait
que ces des images à longueur de journée. Il matraque les esprits tel que
partout, même quand vous circulez dans les rues de Kinshasa, on vous dit Moïse
cest le Messie. Je dis, mais vous ne connaissez pas lautre face du monsieur.
Cest laffairiste aussi. Il utilise le pouvoir des médias pour servir son
ascenssion politique. Regardez, quand il va distribuer 100 000$ dans un hospice
de vieillards, il appelle toutes les télévisions de Lubumbashi. Il appelle els
télévisions, les caméras de Kinshasa. Parfois même des caméras étrangères, des
chaînes internationales pour assister à ce geste dit de générosité. Et cest du
tapage. Mais je crois que cet acte diminue le bénéficiaire plus quil ne
lélève, plusquil ne lhonore. Parce que lautre, en loccurrence la personne
handicapée oui le vieillard à qui on va donner cet argent est utilisé comme un
objet de propagande. Ça cest humainement parlant réducteur. Je crois que le
geste honore plus quand on le fait dans la discrétion, dans la confidence, que
quand on le fait comme ça avec tapage. Voilà. Donc, Moïse se sert du pouvoir
des médias pour manipuler lopinion. En fait, je lai dit dans le livre, sa
méthode cest la manipulation. Les médias se prêtent bien à ces jeux
malheureusement. Et ça, ça risque de créer un autre dictateur, un autre petit
dictateur comme je lai dit. Parce quen fait, cest tout le monde qui chante
la gloire de Katumbi. Et là, lui, la télévision ne lui renvoie que limage
quil veut quelle lui envoie. Et donc ça fait que à un moment, il va oublier
de regarder la réalité en face. Et les pires déviations peuvent être possibles.
Thierry
Michel :
Livresse du pouvoir ?
Kalingui
Yantumbi :
Biensur, livresse de lait, qui est pire
que livresse du vin.
Thierry
Michel :
Mais il a beaucoup de charisme.
Kalingui
Yantumbi :
Beaucoup de charisme. En fait, ce charisme
vient du fait que il a réussi à percer dans le milieu du sport. Si vous
voulez, ça cest un principe rudimentaire, si vous voulez rassembler autour de
vous, et bien investissez dans le sport, parce que le sport intéresse tous les
ages, notamment le football. Il intéresse tous les ages et toutes les couches
sociales. Et ça, ça na pas de coloration politique. Quand vous avez réussi à
percer là-bas, le monsieur qui va dans le stade là, cest un monsieur qui na
pas de réflexe intellectuel. Cest un monsieur sans … la foule sportive, de
fans sportifs, cest une foule sans états dâme, disons sans âme. Une foule,
comment dire, sans recul. Cest une foule portée par lémotion, par la passion.
Et donc lui a commencé par là. Cest du sport que lui vient le charisme. Quand
il vient en politique, il a cet aspect de leader sportif, qui na pas de
limites, qui na pas de clan, qui transcande les clivages politiques. Cest de là que lui vient le charisme. Et ça,
ça peut faire de lui un atout en tant quacteur politique sil sait bien
canaliser ses ambitions. Le drame cest que les gens autour de lui, ce sont des
courtisans qui ont peur de lui dire certaines vérités par peur de perdre leur
gagne-pain.
Thierry
Michel :
Mais le sport pour lui, cest une
passion ? Cest un business ?
Kalingui
Yantumbi :
Le sport est à la fois pour lui, pour Moïse
Katumbi une passion, un business, un tremplin. Une passion, parce quil sy est
adonné même dans des heures les plus difficiles. Le plus difficile de son exil,
cétait une passon. Il gérait de loin, à distance le club du Tout Puissant
Mazembé. Cest une passion parce quil pratique le sport. Cest dans ce quon
dit. Il pratique le tennis régulièrement. Il parraît que entre les réunions
politiques, les réunions au stade de sport, il fait son sport de tennis. Cest
un passionné du sport. Ça cest sûr. Cest évident. Mais aussi cest un
business. Parce quen fait, à son arrivée à la tête du Tout Puissant Mazembé,
il a organisé le sport de telle sorte que ça lui rapporte. Il ny a que lui et
son staff restreint, que gère Salomon Idi Kalonda quil a nommé comme conseillé
politique qui voient clair dans les transfers de joueurs des athlètes et tout
et tout. Cest lui. Ça lui rapporte dabord. Parce que en fait, après
lhumanitaire, lhumanitaire, biesur les sports, cest business international,
après lhumanitaire. Et là, il en fait du business. Il a organisé léquipe de
telle sorte que ça lui rapporte. Et ça lui rapporte effectivement. Regardez par
exemple, quand il crée une école de foot, il recrute des jeunes gens quil
forme pour être des bons sportifs. Mais il fait signer à ces enfants-là des
papiers. Biensur il paye à ces enfants-là 100$ par mois, ou à la famille de ces
enfants-là, il paye de largent à leur famille. Mais cest fait de telle sorte
que quand ces enfants vont émerger, cest une école à lui, cest comme ses
marchandises, parce que ces enfants qui vont émerger, qui vont sortir de son
école, celui qui va les vendre à des grands clubs, pour que largent revienne
non pas aux familles mais à son organisation. Vous comprenez. Donc cest un
monsieur qui voit de très loin qui partout dans tout ce quil a entrepris, il
voit dabord « quest-ce que je peux gagner », même dans ses gestes
dits de générosité, il voit quest-ce quil gagne en retour. Ce nest pas
largent, cest ne fut-ce que la popularité, parce quen fait, il a dit dans un
article que jai lu de Colette Braeckmann, il dit « Moi, ce qui
mintéresse, cest dabord corrompre le peuple. Ah oui. Ce qui mintéresse,
cest de corrompre le peuple. » Donc corrompre par tous les moyens, y
compris par largent pour son ascension politique.
Thierry
Michel :
Qui gère les affaires ? Cest Moïse
Katumbi tout seul ou est-ce quil y un entourage autour de Moïse Katumbi ?
Expliquez-nous un petit peu. Voilà. Le clan.
Kalingui
Yantumbi :
Le clan Katumbi, il y a Moïse. Il y a des
frères à Moïse. Il y a ses sœurs, sa femme surtout, omniprésente. Il y a sa
sœur également et son fils. Donc le clan Katumbi est constitué de beaucoup de
personnalités. Cest ainsi que je dis : Moïse cest à la fois un système
et un réseau. Ici, vous rentontrez lenfant. Là-bas vous rencontrez sa sœur. Là
plus loin vous rencontrez sa femme ou son frère. Mais tous travaillent à une
cause unique. Garder le plus longtemps possible le pouvoir, pour affermir les
affaires, pour affermir lemprise de la dynastie, de la dynastie Katumbi sur la
vie publique au Katanga. Il ny a pas autre chose que ça.
Thierry
Michel :
Donc cest un groupe de supporters qui peut
être violent.
Kalingui
Yantumbi :
Un groupe de supporters qui est même
violent. Pas qui peut être violent, mais qui est même violent. Le plus souvent,
nosez pas critiquer le gouverneur quand vous êtes devant eux, mais vous nen
sortez pas indemne. Même pendant les manifestations officielles, quand vous
passez là-bas, dès que vous êtes fiché comme quelquun anti-Katumbi ou qui na
pas beaucoup de sympathie envers lui, en tout cas, on vous prend, on vous amène,
on vous tabasse. On vous relaxe plus tard. Cest ça en fait. Donc cest une
milice privée qui emprunte les mêmes méthodes que les méthodes des partisans
des partis politiques assez violents.
Cest pour exprimer ces manières cavalières
que les journalistes lont surnommé « Gouvernator
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