La résolution 2098 et leffondrement du monopole de lEtat Congolais – Analyse dun pétard mouillé? Première Partie Jean-Jacques Wondo Analyste des questions sociopolitiques et sécuritaires de la RD Congo
Larmée
en tant que détenteur du monopole de la violence légitime :
Quest-ce à dire ?
Dans
sa définition de lEtat, le Brésilien Emilio Willems
(Dictionnaire de sociologie, 1970) souligne que l «
un des caractères principaux de lÉtat est lexercice dun
contrôle coercitif sur ses propres membres ou dans ses rapports avec
les autres sociétés ».
La caractéristique de lEtat réside
dans sa capacité de disposer du monopole de la violence légitime.
Une violence que lEtat confère à ses forces armées nationales
et non étrangères encore moins à des mercenaires ni aux milices
pour assurer sa défense extérieure ; aux services de police
pour assurer la sécurité intérieure, lordre public à
lintérieur de lEtat et la recherche des auteurs dinfraction ;
et à la justice pour réguler les processus sociaux et sanctionner
les comportements jugés en décalage par rapport aux normes de la
société (lEtat). Il sagit tout bonnement des domaines qui
couvrent les pouvoirs régaliens dun Etat de disposer
de la puissance publique et qui
forment ce que lon appelle communément « impérium ».
De
ce fait, la
mission principale dune armée est naturellement celle de défendre
lordre constitutionnel fondateur et garant des institutions
républicaines de lEtat (sous sa forme Etat de droit). En
tant que garant de lordre républicain, larmée détient le
monopole légitime de rétablir léquilibre ou de défendre le
pays par le recours à la violence chaque fois que le pays est menacé
ou agressé. Ainsi, lEtat na de sens et dexistence que dans
la mesure où il possède les instruments performants capables de lui
permettre dexercer son monopole de la violence légitime.
Cest-à-dire avec
le choc de la guerre, lEtat est obligé de montrer de quoi il est
capable.
Car sans armée efficace et capable dexercer cette violence contre
lennemi, cest toute la substance constitutive même de lEtat
qui sémascule. Cela arrive lorsquon a une armée
incongrue soutenant un État-coquille vide et exposé à la merci du
premier agresseur.
Dans
le manuel de tactique de lEcole Royale Militaire en Belgique, on
enseigne que chaque Etat dispose dun certain nombre de facteurs
qui constituent son pouvoir : milieu (espace), frontières,
population, ressources… Sous langle juridique, la souveraineté
dun Etat est le droit exclusif dexercer lautorité politique
sur une région géographique donnée. Ainsi, dans son fonctionnement
interne et dans ses rapports aves les autres Etats, lobjectif
principal dun Etat sera de réaliser au maximum l« intérêt
national » (National Intrest) en faisant
appel à son pouvoir, ce qui résultera évidemment en une forme de
conflit entre les Etats (Struggle for power) qui sera résolu par la
confrontation des pouvoirs, notamment par lemploi des armes.
Doù
le principe universel affirmé par Carl von Clausewitz : « La
guerre est un acte de violence dont lobjectif est de contraindre
ladversaire à exécuter notre volonté ». Pour cette
raison, selon le sociologue Max Weber, lEtat doit être protégé
contre toute forme dactions qui peuvent compromettre lexercice
du pouvoir et son existence. Aussi, doit-il exister des services
publics chargés de permettre à lEtat duser de ses
prérogatives du monopole de la violence légitime et dassurer son
autorité et sa puissance publique sur lensemble du territoire
national.
Labsence
du dyptique « Armé -Etat » provoque léclatement du
monopole de lEtat au Congo
Le
rôle sociopolitique de larmée comme fondateur de lEtat nest
plus à démontrer. LEtat juif en est une illustration parfaite.
Dans ses travaux détudes des structures étatiques, le prussien
Otto Hinze (1861-1940) a développé la thèse selon laquelle la
guerre serait à lorigine du développement de lEtat moderne.
En effet, lorganisation de ce dernier est conçue de manière
telle à lui conférer des capacités de maintenir une stabilité, de
mener une guerre, daffirmer ou imposer ses intérêts nationaux
sur la scène internationale. Pour appuyer son assertion, lhistorien
met en avant notamment les origines militaires de la bureaucratie
(organisation structurée en départements) des Etats modernes de
sorte que la volonté de défendre les intérêts nationaux induit un
renforcement continu des structures de lEtat. (Jean-Jacques
Wondo, Les
armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux
FARDC,
Avril 2013 – Version
revue et augmentée).
Ce
constat amena le sociologue américain Charles Tilly à affirmer
que : « LEtat fait la guerre et la guerre fait
lEtat ». En ce sens quIl y a un lien
indéfectible entre la formation de lEtat et le fait guerrier ou
larmée. Le professeur André Corvisier a quant à lui affirmé
que « larmée est bien cette « accoucheuse de
lEtat ». (Histoire militaire de la France ,
1992).
Par
ailleurs, depuis
que les armées ont commencé à sériger en armées de masse, dès
le XVIIème siècle, elles ont représenté un facteur intégrateur
majeur dans la constitution et la structuration des identités
nationales. Cela sest clairement confirmé, par exemple, dans la
Prusse du XVIIème siècle, au point de pousser Mirabeau à
sexclamer : « La
Prusse nest pas un Etat qui possède une armée, cest une armée
qui a conquis une nation.»
En
observant le dépérissement des structures de lEtat au Congo et
en faisant le parallélisme avec ce qui est décrit ci-dessus, lon
se rend compte que les FARDC ne remplissent aujourdhui aucun
critère de fonctionnalité dune armée fondatrice de lEtat. Ce
dernier étant défaillant par ce fait même. Larmée composite
congolaise na de nom que darmée mais toute la substance même
de sa fonction et de sa mission est inexistante. Face à toutes les
guerres imposées au Congo, larmée nationale sest montrée
incapable de remplir ses missions régaliennes consistant à mener
une guerre censée contraindre lennemi à la soumission et à
défendre lintégrité nationale. A sa place, ce sont les
militaires venus dailleurs qui se substitueront à cette mission
sacrée conférée à une armée appelée à être la garante de la
souveraineté nationale.
Aujourdhui,
ce ne sont pas les FARDC qui défendent lintégrité du Congo mais
bien la Brigade dintervention de lONU qui le fera à leur
place. Cet effondrement du monopole de la violence de lEtat
conféré aux FARDC a été fièrement salué par le ministre des
Affaires étrangères, M. Raymond Tshibanda, lorsquil a déclaré
tout haut à qui veut lentendre : La rébellion M23 doit «
cesser dexister comme un mouvement politico-militaire »… Sinon,
« la Brigade [NDLR: dintervention de la
Monusco et non les FARDC!] soccupera à mettre fin à
son existence ».
Voilà
une affirmation qui consacre la perte du monopole de la violence de
lEtat congolais, résigné à confier la tutelle de lexercice
de cette violence aux forces étrangères, notamment la Brigade
internationale pour le cas qui nous concerne ici. Une déclaration
qui frise linfantilisme politique lorsque le ministre des Affaires
Etrangères dun Etat souverain senorgueillit du fait que son
armée loyaliste forte denviron 140.000 hommes est incapable de
contenir une rébellion de moins de 5.000 hommes. Et que cette
prérogative reviendra désormais à une brigade internationale, des
pays frères dAfrique de surcroît, qui ferait le travail à la
place des FARDC dépéries et en lambeaux.
Il
nest dès lors pas étonnant de lire un observateur attentif de la
vie sociopolitique congolaise, en la personne du politologue Dr
Dieudonné Wamu, sexclamer et sindigner en ces termes :
« Cest
vraiment triste quand on lit tous ces commentaires: le grand Congo,
la grande RDC, qui espère être sauvée par des troupes des
petits pays comme le Malawi, la Tanzanie…. Cest pourtant
larmée congolaise qui devrait pouvoir être déployée partout
ailleurs en Afrique en cas de besoin ! Il ya encore beaucoup de
travail à faire vraiment. Et quand le ministre Tshibanda se réjouit
du mandat « offensif « confié à cette brigade, il fait
un terrible et déshonorant aveu dimpuissance; car larmée
congolaise (FARDC) est déjà plus importante que les 2.500 éléments
de la brigade annoncée, et elle est toujours déjà dotée de ce
mandat offensif quelle devrait « mieux » exécuter
pour chasser les prétendus « rebelles ». Tant que cette
armée ne sera pas capable de faire son job, tous les supplétifs
extérieurs, sous quelque mandat que ce soit, ne seront que des
illusions meurtrières ! Croire quune brigade de 2.500 hommes va
réussir là où une force onusienne de 17.000 hommes et une armée
régulière de plus de 150.000 hommes ne réussissent pas… Bon,
il faut attendre et voir !!! »
Une
lecture on ne peut plus claire qui constate évidemment la perte du
monopole de la violence de lEtat congolais, élément constitutif
dun Etat. Et donc la faillite de lEtat congolais car privé de
sa colonne vertébrale. Un Etat incapable de doter son pays dun
outil militaire dissuasif auquel il doit assigner les buts de faire
la guerre à linstar du principe
de base exprimé avec force par Von CLAUSEVITZ dès les premières
pages de son manuel (De
la Guerre) : « Lobjectif
politique, comme mobile initial de la guerre, fournira le but à
atteindre par laction militaire, autant que des efforts
nécessaires » ».
En
effet, cest la politique qui fixe les buts de la guerre. Une
idée-force qui aboutit à la célèbre ‘Formule
universalisée, devenue désormais un classique dans le domaine
stratégique mais constamment citée de façon tronquée, sans en
comprendre lessence : « La guerre est une simple
continuation de la politique par dautres moyens. La guerre nest
pas seulement un acte politique, mais un véritable
instrument politique, une poursuite des relations (ou
transactions) politiques, une réalisation de celles-ci par dautres
moyens. (Clausewitz, De la Guerre). Dès
lors que lEtat (Gouvernement) congolais ne sait plus mener une
bataille armée, cest toute sa stratégie de conduire la politique
nationale et internationale qui sébranle. Dès cet instant, il
nest guère étonnant que dautres viennent lui dicter la
manière de faire la politique et la guerre en lui imposant des
engagements à respecter (Accord-cadre) et une force multinationale
pour palier sa défaillance régalienne.
Le
principe de « la responsabilité de protéger » comme
base juridique de la résolution 2098
La
résolution 2098 se présente aujourdhui comme une matérialisation
de la nouvelle approche géopolitique des relations internationales
qui consacre le principe de « transnationalité ». Il
sagit selon le camerounais Luc SINDJOUN, dans son
ouvrage : « La Sociologie
des relations internationales africaines » ni
plus ni moins de légitimer la contestation du monopole étatique des
relations internationales africaines par lexistence de
« quasi-Etats » dont la souveraineté tiendrait plus de
la fiction que de la réalité. Ce, du fait que lEtat ‘africain
aurait échoué dans son projet de recherche hégémonique et de
totalisation de son espace. La
transnationalisation des relations africaines est une conséquence de
la faiblesse des Etats.
Cette
transnationalisation des relations africaines a poussé la Communauté
internationale à trouver une parade pour venir opérer au sein des
Etats effondrés en inventant le concept de « laresponsabilité
de protéger ». Un concept qui a émergé en 2002 au
Canada dans un contexte géopolitique dune prolifération des
guerres intraétatiques durant les années 1990 en Somalie, au Rwanda
et dans les Balkans. Il se distingue du droit dingérence
humanitaire cher à Bernard Kouchner et à Mario Bettati par
laffirmation dun devoir dintervention,
et non plus seulement dun droit, sous certaines conditions bien
précises. Il sagit ni plus ni moins dune mutation de
rhétorique diplomatique et académique : dun discours centré sur
lindividu fondant le droit à lingérence humanitaire, on passe
à un discours centré sur lEtat et fondant la responsabilité de
protéger les individus. Alors que le «droit dingérence»
insistait sur les engagements que devaient prendre les Etats à
lorigine des interventions humanitaires pour justifier et
légitimer leurs actions, la «responsabilité de protéger» a
tendance à occulter cet aspect pour insister sur les revendications,
les droits et les prérogatives des Etats intervenants potentiels
(Rapport de la Commission internationale sur lintervention et de
la souveraineté des Etats (CIISE), Ottawa, 2001, p. 16).
Dans
cette perspective, le Rapport explique précisément
que «la souveraineté étatique consiste avant tout à
assumer deux fonctions constitutives : à lintérieur, vis-à-vis
de sa population ; internationalement vis-à-vis de la communauté
des Etats responsables» Comme lont relevé les co-présidents
de la Commission, le glissement transforme «lessence
de la souveraineté, de la capacité de contrôle [de lEtat] à la
responsabilité» vis-à-vis de ses citoyens. (David Chandler,
Comment lestate-building affaiblit les Etats :«La
responsabilité de protéger» les Etats faillis incombant à la
communauté internationale est un autre nom pour lingérence
extérieure).
De
la sorte, un État ne peut plus invoquer sa souveraineté pour
refuser toute ingérence extérieure à lintérieur de son
territoire national et quil est de la responsabilité de la
communauté internationale de protéger une population contre des
catastrophes ou des violences lorsque lÉtat dont elle relève
nest pas disposé à le faire ou en est incapable.
Les
Nations Unies ont adopté ce principe dans le document final du
Sommet mondial de septembre 2005. Le 11 novembre 2009, la Conseil de
sécurité (CS) a voté la résolution 1894 sur la
protection des civils dans les conflits armés. Par cette résolution,
le CS établit pour la première fois un lien entre son action en
faveur de la protection des civils et sa responsabilité au
titre de laresponsabilité de protéger.
Cest
sur cette base juridique quil faille désormais comprendre
limposition faite au Gouvernement Congolais de respecter les six
engagements de lAccord-cadre dAddis-Abeba, qui
relèvent pourtant et exclusivement de sa politique intérieure
souveraine. Cest ce qua dailleurs martelé lenvoyée
spéciale du SG de lONU dans la Région des Grands Lacs, Mary
Robinson, à son arrivée à Kinshasa le 28 avril 2013, exigeant
lengagement ferme des signataires. Ainsi, lenvoi de la
Brigade internationale de lONU est une application du principe de
« la responsabilité de protéger ». Un principe dont
lidée maîtresse est que si la souveraineté donne le droit à un
État de « contrôler » ses affaires intérieures, elle lui confère
également la « responsabilité » principale
de protéger sa population à lintérieur de ses
frontières. De la sorte, au cas où un État
ne protégerait pas sa population (comme cest
le cas aujourdhui pour le gouvernement congolais et ses FARDC),
que cette responsabilité soit confiée à lensemble de
la communauté internationale. Cette «
responsabilité » peut parfois consister dans
une guerre officiellement motivée par le
secours dune population victime dagressions des groupes armés.
La
mission confiée à la Brigade internationale de lONU de mener la
guerre contre les forces négatives au nombre desquelles se retrouve
le M23 est donc une belle illustration de lapplication effective
de cette nouvelle doctrine géopolitique des nations unies.
Ainsi,
comme le souligne Gauthier de Villers (in « Conjonctures
Congolaises 2012″
; Lharmattan, Paris, 2013), sans limplication et la
responsabilisation dacteurs congolais, on ne peut espérer un
changement substantiel des dynamiques sociales et politiques. Or les
espoirs que lon avait mis au Congo… sont aujourdhui retombés.
On sest rendu compte que les ONG, les Eglises, les syndicats (NDLR
et même la communauté internationale dont la MONUSCO) néchappent
pas en règle générale à la logique patrimoniale et clientéliste
qui régit le système sociopolitique congolais.
La
résolution 2098 nest-pas une première dans les annales des
Nations Unies au Congo
En
lisant la presse spécialisée et bon nombre danalystes, cest
surprenant de constater que daucuns ont qualifié la résolution
2098 de première dans les annales des Nations unies. Il sagit de
faire preuve dune amnésie historique ou dune ignorance da la
question Congolaise depuis 1960. En fouillant la genèse du Congo
indépendant, on constatera que cette résolution ne constitue pas
vraiment une première car cest plus ou moins un remake, dans sa
version light, de ce qui sest passé entre 1960 et 1961
par les résolutions 161 et 169 du CS des Nations Unies qui ont
actionné lapplication de larticle 42 du chapitre 7 de la
Charte des Nations Unies.
En
effet, pour rappel, la Résolution 161 du Conseil de Sécurité,
motivée par la demande dintervention des autorités congolaises
en vue de faire cesser « lagression de la Belgique »,
en mettant lANC (Armée nationale Congolaise) sous assistance
militaire de lONU. Une autre Résolution 169 du CS du 24 novembre
1961, adoptée avec les abstentions de la France et du
Royaume-Uni, motive la mise sous tutelle de lArmée
congolaise non plus sur la demande dintervention des
autorités congolaises mais par le besoin urgent dassister le
Gouvernement central dans la restauration et le maintien de
lautorité de lEtat: « to assist the Central
Government of the Congo in the restauration and maintenance of low
and order.» Ces deux résolutions ont permis aux contingentsdes
Nations Uniesde se substituer, comme aujourdhui, devant
linexistence de lArmée congolaise, à lEtat congolais
dans le rétablissement de lintégrité territoriale par
devéritables affrontements armés au Katanga Sécessionniste
économiquement.
Fin
de le Première partie
A
suivre dans la Deuxième
partie :
La
Brigade neutre est-ce la panacée à la crise congolaise ?
Forces et limites de son action
La
résolution 2098 et la mise sous tutelle étrangère de lEtat
congolais ?
La
résolution 2098 ne suffit pas, il faut surtout former et entretenir
les FARDC