Le chasseur et le lion : quelle coopération culturelle pour quelles perspectives en RD.Congo? Pr. Lye M. Yoka, Institut National des Arts de Kinshasa

1. Le syndrome de l’orphelin

 Si
le travail de deuil, c’est réconcilier le présent et le passé avec la paix,
 et reconnaitre le statut d’ancêtres aux morts
(qu’ils soient ordinaires , héros ou martyrs),il n’a pas encore su réconcilier
la mémoire avec les séquelles de la traite négrière ,des campagnes
léopoldiennes, de la tragédie de Lumumba ,des rebellions à répétitions et de
ses génocides camouflés. (1)

Il
s’en est suivi un certain nombre de paradoxes, dont le plus remarquable pour
moi, au cours des 50 ans d’indépendance, est que nous avons été globalement
atteints du  « syndrome de
l’orphelin » : tous à la fois enfants-soldats,
victimes collatérales des massacres ;  enfants-sorciers, à la merci des
malédictions irrationnelles ; enfants
de rue,
avatars de la crise socio-économique et de l’emprise de la  culture informelle. Voilà  pour l’envers de la médaille. L’endroit de
cette médaille, l’autre face de Janus, c’est qu’en même temps ,pendant les
mêmes  50 ans, les mêmes générations ont
démontré des capacités inouïes de survie et de résistance :  nous sommes tous ainsi à la fois des enfants de …cœur, avides de paix ;   enfants prodigues, flambeurs et sapeurs
dans le corps et l’esprit comme pour contrevenir à la loi de la mort sans cesse
présente en nous et autour de nous;  enfants prodiges, génies de l’inventivité,
notamment artistique comme cache-misère ou comme revendication des paradis
perdus.

 2. Quête des paradis perdus

 Comme
pour exorciser les paniques et faire valoir les ressources et les
 ressorts identitaires occultés, des tentatives ont
été menées par diverses politiques et dynamiques culturelles depuis 1960,
qu’elles soient d’inspiration intellectuelle (Mabika Kalanda, « la remise
en question ,base de la décolonisation mentale » V.Y Mudimbe,
« L’autre face du royaume » ),
 religieuse (Cardinal  Joseph
Malula et le rite zaïrois de la célébration eucharistique ;
 ainsi que les intellectuels du Centre
d’Etudes des Religions Africaines – CERA)
 ou politique (Président Mobutu, «  le recours à l’Authenticité », Joseph Kabila, « la révolution de la
modernité »), etc .

Deux moments me paraissent remarquables dans cette
quête identitaire : d’abord « le recours à l’Authenticité »
prôné par le président Mobutu comme antidote à l’acculturation
 et à la néo-colonisation mentale. Ce recours
à la mémoire et à l’énergie ancestrale, tout intuitif, tout empreint de
romantisme et de nostalgie d’une Afrique virginale, n’a cependant pas échappé
aux dérives totalitaires du culte de la personnalité et du parti unique.
Deuxième cas :
la
Conférence Nationale
Souveraine, vaste palabre à l’africaine
avec comme objectif
 la catharsis
collective et le changement radical du système politique. L’on sait comment
cette palabre, bilan autocritique
a
priori
bénéfique,  a ouvert la boite
de Pandore et déclenché les violences de toutes sortes à partir de 1990.

 3. Les voleurs de feu

Si
l’ex-colonie belge
 n’est  pas arrivée à faire le deuil de la colonisation,
il en est de même, mine de rien ,de l’ex-métropole et de ses héritiers,
habituellement hommes et femmes de bonne foi et de bonne volonté d’autant plus
qu’ils n’ont pas connu la « parenthèse de feu et de sang » (Sony
Labou Tansi) de leurs pères
 et  grands-pères colonisateurs.  N’empêche : leur bonne foi et leur  bonne volonté ne sont pas à l’abri des
épreuves de force et des rapports de domination entre ceux qui croient avoir et
ceux à qui l’on fait croire qu’ils n’ont pas, entre ceux qui croient savoir et
ceux à qui l’on dénie
 encore, dans la
pratique, tout savoir et toute mémoire…

En
face des nouveaux « Noko », héritiers des ex-colonisateurs, l’on voit
pourtant émerger, comme en contrepoint, de jeunes intellectuels et surtout de
jeunes artistes congolais passablement avant-gardistes et anticonformistes. Le
paradoxe veut que ces « voleurs de feu » ont maitrisé ou tentent de
maitriser avec un certain succès, le savoir et le savoir-faire des anciens
maitres, mais leur légitimité sur le plan international et parfois même
national dépend encore largement des critères externes à eux. Chéri Samba,
Freddy Tsimba, Faustin Linyekula, Bibish Mumbu, Jean Goubald, Vichois
Mwilambwe, Samy Baloji, Dieudonné Ngangura, Pie Tshibanda, Dieudonné Kabongo,
Nzey Van Musala, Mampuya, Lokwa Kanza, Denis Mpunga, Jo Munga, Clarisse Muvuba,
Phoba, Balufu Kanyinda,  Ray Lema, Jean
Bofane,  Pius Ngandu, Antoine Tshitungu  (pour ne citer qu’eux), ont beau prouver
combien  ils sont talentueux, leur succès
continue à dépendre des   réseaux étroits qui s’imposent ou
s’interposent à eux. Sans compter que la plupart d’entre ceux que j’ai cités
ont choisi une carrière professionnelle en Europe, alors que la caution du
public congolais, sur place en RDC, reste à prouver…

 4. « babélisation » et « 
labellisation »

 C’est que ces nouveaux chantres congolais de
la diversité culturelle, citoyens du monde, adeptes du nomadisme et
reconstructeurs de la tour de Babel, ont volé le feu sans parvenir à bien
éclairer les chemins de retour du pays natal. C’est qu’également les critères
et les rites de labellisation outre-mer et outre-Atlantique ne semblent
répondre qu’à deux sortes de grilles d’approche aux antipodes, mais de même
valeur « exotique » : d’une part une sorte de tropisme sur des
œuvres à valeur et à saveur plus au moins « indigènes »,  quelquefois sur commande des centres
culturels étrangers établis en Afrique, à la limite du misérabilisme, du
sensationnel, de l’apocalypse, de la superstition  « fétichiste »… ;  et, d’autre part, une sorte d’atypisme qui ne
semble n’applaudir dans les œuvres africaines que ce qui
est « excentré »,  ce qui
« déstructure »,   ce qui
« déconstruit »,  d’autant plus
outrageusement qu’elles s’inspirent des soi-disant « contemporains » européens
(2).

 5.  Le chasseur et le lion

Entre
les deux pôles, la critique et l’anthologie
  des
nouveaux « explorateurs » occidentaux
 ont  décidé une sorte
d’embargo : embargo contre les arts plastiques dits
« académiques », contre les musiques populaires urbaines (profanes ou
religieuses) ; embargo contre les littératures francophones modernes et
engagées, etc. Or comme le rappelle un proverbe africain : « on
ne connaitra jamais la vraie légende du lion tant que les histoires de chasse
montreront le chasseur comme le seul héros ».

Or
il existe des expériences et des pratiques partenariales récentes qui sont
exemplaires et prometteuses en termes de regards croisés, de domestication de
la modernité à partir des matériaux du terroir ou des ustensiles de
récupération. En termes aussi de vision prophétique. L’exemple du projet
belgo-congolais « Yambi » (2005-2007) a montré, suite à une
prospection laborieuse à travers le pays et suite à des productions
professionnelles en communauté Française de Belgique, qu’entre le tropisme
réducteur et un peu voyeuriste, et l’atypisme déconstructeur, il y avait place
pour une gamme des possibilités géniales et originales. (3). Il en est de même par
ailleurs du projet « Top 100 » entre l’ONG congolaise,  « Observatoire
des cultures urbaines en RD. Congo » 
et  l’Université de Montréal
concernant l’ethnographie de l’écoute de la musique congolaise moderne(4) : 
outre des résultats de terrain inédits sur la réception de la musique populaire
en milieu kinois, notamment celui des jeunes, le projet a démontré avec succès
la part de l’« investissement » 
au sein des partenariats nord-sud , 
à travers des méthodes nouvelles d’investigation de la création et de la
pratique musicales, à travers des missions d’études autant que des échanges
d’informations et de formations croisées, actuelles ; et à travers la mise
à disposition pour les chercheurs congolais des outils modernes de travail, de
numérisation, de mise en réseau et répertoriage documentaires.

 6.  Lire avec «  4 yeux »

Les
sages de la cité qui savent déchiffrer les signes du temps et de l’espace,
m’ont naguère dit qu’il fallait 4 yeux, 4 oreilles et 4 mains pour vraiment
voir, écouter, et sentir l’ineffable. Pour cela il fallait non seulement être
initié à regarder pour voir, à entendre pour écouter, à toucher pour
sentir ; mais il s’agissait de s’immerger dans l’imaginaire de
l’artiste-mage pour recréer à sa suite la magie…

Les
sémiologues, eux, m’ont appris deux choses essentielles : le signe est
polysémique, et la quête de sens est tributaire du contexte. Sémiologie de la
signification ou sémiologie de la communication, elle est au carrefour des
grilles de lecture diverses. C’est dire combien on ne peut lire les arts
africains (et congolais en particulier) qu’avec le concours de différentes
disciplines et avec une certaine connivence enracinée du sujet pensant et de
l’objet visé : l’anthropologie seule, avec ses nostalgies ethnologiques
bon teint ne peut se satisfaire si elle ne s’adjoint les prédicats de la
sociologie ou de la philosophie, autant que d’approches  post-coloniales et post-modernes apprivoisées.
La sociologie seule, avec ses querelles d’écoles et ses sauts dans
l’inconnu ;  la critique d’art
seule, avec ses questions toujours pendantes sur la relativité ;  la philosophie, avec ses tendances touche-à-tout,
ne peuvent se satisfaire si les enquêtes de terrain ne valident.  Les enquêtes de terrain elles mêmes,  risquent d’être indigentes à cause des
« angles de vue » ou des « illusions d’optique »,ou encore
des « partis pris » propres à l’enquêteur déterministe et étranger, à
cause de la présence intimidante pour l’enquêté souvent néophyte, du micro ou
de la camera, à cause enfin de la longue tradition de la censure et du silence
dans nos pays africains.

Par
ailleurs les artistes congolais en particulier, ont été tellement confrontés
depuis les années  ‘80 ,   à de multiples expériences à travers le
monde que leurs œuvres portent nécessairement la marque enrichie de la
diversité protéiforme et de la polysémie. La chorégraphie de Faustin Linyekula,
avec la concrescence de gestes et de discours superposés, juxtaposés,
interposés, est-ce encore de la danse contemporaine ?  La sculpture de Freddy Tsimba, avec ses
magies de forge et de monumentalisme, est-ce encore de l’art plastique ?  L’artiste Vichois Mwilambwe, avec ses scènes
d’ « installations »  et
de « performances » psychodramatiques et cathartiques, est-ce encore
de la peinture ? Samy Baloji, avec ses photos-gravures et des
vidéos-photos aux regards incisifs, translucides qui apprivoisent tout, les
ombres et les lumières d’hier et d’aujourd’hui, est-ce encore de la
photographie ?   Lokwa Kanza, avec
des airs butinés ici et là à partir d’inspirations inédites, est-ce encore de
la rumba ? L’écrivaine Bibish Mumbu ou l’écrivain Fiston Mwanza Nasser ,
avec leurs   récist-chroniques atypiques, et .des anecdotes
entremêlées,  avec  leurs  dialogues à l’emporte-pièce, est-ce encore du
roman ?   N’est-ce pas ce qu’on
entend aujourd’hui par « cumul-art »…
 

7. Regarder l’Afrique à partir de
l’Afrique

1°) Depuis les années 70, il ya comme une épreuve
de force épistémologique et une convocation des arts comme science, comme
discipline. C’est la raison d’être des instituts d’arts comme l’Institut
National des Arts, l’Académie des Beaux-Arts, l’Institut Supérieur des Arts et
Métiers, l’Institut des Bâtiments Travaux Publiques,
 ou l’Institut d’Architecture et Urbanisme,  à Kinshasa. Or, les expériences de ces
instituts prouvent que derrière
 le
concept de « discipline » se dressent du coup d’énormes défis actuels
comme celui de regarder l’Afrique à partir de l’Afrique,
 et d’enraciner les recherches et les pratiques
tout en les ouvrant aux souffles de la modernité. Comme celui d’ induire,
 avec le concours des décideurs et des
opérateurs culturels,
 une politique
culturelle innovante et cohérente, avec comme priorités : professionnaliser
les métiers d’art et de culture, reconnaître et promouvoir les savoirs et les
savoir-faire populaires, promouvoir des industries culturelles créatives,
financer et autofinancer la culture, protéger la propriété intellectuelle,
activer la
 «diplomatie
culturelle », inverser la tendance entre le « centre » en
ex-métropole,
 et la
« périphérie » au sud…

Deux
exemples me semblent éclairants par rapport à cette vision à inverser. D’abord
celui du Festival International du Livre et du Film « Etonnants
Voyageurs »,  manifestation fort
médiatisée, qui s’est tenue pour la première fois en Afrique centrale (à
Brazzaville, du 13 au 17 février 2013), mais qui a laissé plus d’un Congolais
sur sa soif .  Et pour cause !
Certes le  thème a été attractif, à
savoir  « L’Afrique qui
vient », autrement dit, « une  nouvelle Afrique qui entend
prendre sa place dans le siècle qui commence, une Afrique qui met à mal nos
discours convenus.  Une Afrique dont les
artistes,  les écrivains, les poètes nous
dessinent les contours »(5) ; le programme  a été 
tout aussi alléchant, notamment 
avec  le privilège et  l’espace particuliers  accordés 
aux deux Congo de dialoguer et de s’évaluer devant témoins,  mais à travers leurs  écrivains en principe  représentatifs du génie des deux rives. Or la
parole n’a été accordée qu’aux seuls représentants congolais de la diaspora
pour  évoquer finalement des villes de
Kinshasa et de Brazzaville qu’ils n’avaient plus fréquentées depuis une dizaine
d’années, si pas plus ! En plus Alain Mabanckou et Michel Le Bris,
Directeurs du Festival, ont animé une conférence, en véritables  magisters 
ex-cathedra,  au cours de laquelle, il a été question de
« littérature-monde », une façon de dénier catégoriquement (et même
prétentieusement)  toute forme
d’existence  de  quelque « littérature nationale »,
et donc de faire valoir indirectement le « centre » par rapport à la
« périphérie »(6). Sur la même veine on peut épingler l’autre
Festival « nomade », CONNECTION KIN, du KVS (Koninklijke Vlaamse
Schouwburg), c’est-à-dire le Théâtre Royal Flamand de Belgique : bel idéal
que celui de « créer un espace libre et ouvert où la générosité a toute sa
place », avec une brochette multidisciplinaire constituée essentiellement
des arts visuels, du film et de la littérature. Seulement voilà : initié
en 2005 et à défaut  sans doute d’un
espace  néerlandophone en bonne et  due 
forme comme l’ont fait les autres concurrentes, la coopération française
ou la Fédération
Wallonie-Bruxelles
à vocation francophone, la communauté
flamande est en quête d’une raison d’exister en RD.Congo ; et à ce titre,
le KVS semble s’être engagé dans les mêmes sillons et les mêmes réseaux, avec
comme points  focaux l’Institut Français
et le Centre Wallonie-Bruxelles, et accessoirement quelques autres lieux
périphériques  typiquement nationaux. On
ne peut pas dire honnêtement que les milieux culturels et artistiques de
Kinshasa soient activement et massivement impliqués, en commençant par les
autorités publiques et les institutions publiques de formation, de conservation
et de diffusion culturelles. Finalement, 
tous  comptes faits, c’est encore
une fois la diaspora qui est mise en vedette, sans que l’on se pose la question
de l’impact,  et du field-back, en termes d’héritages techniques,  de ressourcement et d’enracinement féconds,
de regards croisés,  de renforcement des
capacités ou d’échanges institutionnalisés… 
Et surtout en termes de 
durabilité de cette initiative ‘import-export’, « à guichet plus ou
moins ouvert », selon les expressions 
d’un dramaturge kinois…Et avec 
des  sélections et des choix   à l’emporte-pièce…

2°) Regarder l’Afrique à partir de l’Afrique,
c’est briser le cercle vicieux du « centre » et de « la périphérie ».
Faut-il toujours se résigner à penser que toute forme de triomphe artistique et
littéraire passe par Paris ou New York ?
 L’écrivain kinois Zamenga
Batukezanga n’a pas eu besoin de l’onction métropolitaine pour être lu par des
milliers de jeunes enthousiastes dans une ville, Kinshasa, de
 2 à 3 millions de lecteurs potentiels. Les Editions Hemar que dirige le professeur Kadima-Nzuji et qui couvrent les deux Congo n’ont pas eu à recourir aux bonnes grâces de
Paris ou de Bruxelles pour éditer à grand tirage et avoir pignon sur
 rue en 5 ans d’existence. Et cela grâce
notamment aux contributions littéraires
 de l’Association des Ecrivains de Fleuve Congo.

 3°)
Regarder l’Afrique à partir de l’Afrique n’exclut pas l’intégration de nos
structures et initiatives propres dans des réseaux d’homologues hors d’Afrique.
Mais toujours dans un dialogue équitable, même si les rapports de force
 sont instables. Il faut à l’Afrique des solidarités
nouvelles, horizontales,
 pour des
convivialités,
 des rationalités et des
stratégies pressantes, présentes, porteuses.

 4°) Finalement, qu’apportent donc les arts et le
génie africains à l’Europe, à l’Occident ? D’abord…
la mauvaise conscience, au sein d’une mondialisation rouleau-compresseur,
à fractures prononcées, à double
 vitesse,
mais enrobée dans des fanfreluches en dentelles et de nouvelles évangiles
paganisées pour adeptes crédules et néo- colonisés. Ensuite, ils apportent
 une définition  et une pratique de l’art, non plus comme du
luxe, non plus comme « émotion nègre et naïve » ; mais comme
nouvelles rationalités, nouvelles esthétiques et nouvelles oralités
urbaines ; comme restitution de la parole naguère confisquée. Il nous faut
donc des approches herméneutiques dialectiques, dialogiques, intersubjectives,
transdisciplinaires, mais néanmoins conniventes avec l’œuvre. Comme le note le
sociologue
 français Gilles
Lipovetsky : « la modernité inaugurale a remporté la bataille de la
quantité ; ce n’est plus ce qui va nous faire gagner des parts de marché.
C’est la qualité qui doit
 être notre but
constant. (…) La créativité en général et esthétique en particulier doit
mobiliser toutes nos énergies et nos entreprises. Et cette orientation, primordiale
pour notre avenir, doit commencer dès l’école. C’est l’une des grandes voies
pour relever les défis de l’univers globalisé » (dans
L’’Express, 29 mai 2013, p. 34)

C’est
pour moi une autre façon, je le répète, d’avoir 
4 yeux, 4 oreilles et 4 mains, et savoir lire au grand jour les signes
du temps et de l’espace. Il y a là plus qu’une question de
professionnels ; mais une question d’initiés et d’ « ayants
–droits », selon l’expression d’Achille Mbembe…
  

 NOTES

 1°) Lye M. YOKA, « A quand le travail de
deuil ? », dans
Combats pour la
culture,
 Editions Hemar,
Brazzaville, 2012, pp. 42-56

 2°)
lire par exemple Lye M. YOKA, « Benda Bilili : éloge de la
commisération », dans
Le Potentiel,
26/02/2013

 3°) Lye M. YOKA, « ‘Yambi’, la fête
congolaise au pluriel », dans
Combats
pour la culture,
Hemar Editions, Brazzaville, 2012, pp.237-243

 4°) lire Bob W. WHITE et Lye M. YOKA, Musique populaire et société à
Kinshasa . Une ethnographie de l’écoute
, L’Harmattan, Paris, 2010

 5°) Prospectus du Festival « Etonnants
Voyageurs », 2013

 6°) Argument du Document de présentation du
Congrès international des Ecrivains francophones à Lubumbashi, du 24 au 26
septembre 2012 (en marge du XIV° Sommet de
la Francophonie en
RD.Congo) : «  Par son enrichissement radical des imaginaires, la
littérature pourrait proposer l’UTOPIE prospective d’une Afrique impliquée dans
un monde global, et cela sans cesser de remettre en cause une histoire
triomphaliste et univoque telle qu’imposée par l’Occident. (…)

Les
écritures contemporaines demeurent les lieux d’inscription d’un autre
devenir  face au  manque d’imagination des projets politiques.
La question est de savoir ce qu’on peut attendre de la littérature, dans monde
en pleine mondialisation, désormais décentré. »           

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Le chasseur et le lion : quelle coopération culturelle pour quelles perspectives en RD.Congo? Pr. Lye M. Yoka, Institut National des Arts de Kinshasa

1. Le syndrome de l’orphelin

 Si
le travail de deuil, c’est réconcilier le présent et le passé avec la paix,
 et reconnaitre le statut d’ancêtres aux morts
(qu’ils soient ordinaires , héros ou martyrs),il n’a pas encore su réconcilier
la mémoire avec les séquelles de la traite négrière ,des campagnes
léopoldiennes, de la tragédie de Lumumba ,des rebellions à répétitions et de
ses génocides camouflés. (1)

Il
s’en est suivi un certain nombre de paradoxes, dont le plus remarquable pour
moi, au cours des 50 ans d’indépendance, est que nous avons été globalement
atteints du  « syndrome de
l’orphelin » : tous à la fois enfants-soldats,
victimes collatérales des massacres ;  enfants-sorciers, à la merci des
malédictions irrationnelles ; enfants
de rue,
avatars de la crise socio-économique et de l’emprise de la  culture informelle. Voilà  pour l’envers de la médaille. L’endroit de
cette médaille, l’autre face de Janus, c’est qu’en même temps ,pendant les
mêmes  50 ans, les mêmes générations ont
démontré des capacités inouïes de survie et de résistance :  nous sommes tous ainsi à la fois des enfants de …cœur, avides de paix ;   enfants prodigues, flambeurs et sapeurs
dans le corps et l’esprit comme pour contrevenir à la loi de la mort sans cesse
présente en nous et autour de nous;  enfants prodiges, génies de l’inventivité,
notamment artistique comme cache-misère ou comme revendication des paradis
perdus.

 2. Quête des paradis perdus

 Comme
pour exorciser les paniques et faire valoir les ressources et les
 ressorts identitaires occultés, des tentatives ont
été menées par diverses politiques et dynamiques culturelles depuis 1960,
qu’elles soient d’inspiration intellectuelle (Mabika Kalanda, « la remise
en question ,base de la décolonisation mentale » V.Y Mudimbe,
« L’autre face du royaume » ),
 religieuse (Cardinal  Joseph
Malula et le rite zaïrois de la célébration eucharistique ;
 ainsi que les intellectuels du Centre
d’Etudes des Religions Africaines – CERA)
 ou politique (Président Mobutu, «  le recours à l’Authenticité », Joseph Kabila, « la révolution de la
modernité »), etc .

Deux moments me paraissent remarquables dans cette
quête identitaire : d’abord « le recours à l’Authenticité »
prôné par le président Mobutu comme antidote à l’acculturation
 et à la néo-colonisation mentale. Ce recours
à la mémoire et à l’énergie ancestrale, tout intuitif, tout empreint de
romantisme et de nostalgie d’une Afrique virginale, n’a cependant pas échappé
aux dérives totalitaires du culte de la personnalité et du parti unique.
Deuxième cas :
la
Conférence Nationale
Souveraine, vaste palabre à l’africaine
avec comme objectif
 la catharsis
collective et le changement radical du système politique. L’on sait comment
cette palabre, bilan autocritique
a
priori
bénéfique,  a ouvert la boite
de Pandore et déclenché les violences de toutes sortes à partir de 1990.

 3. Les voleurs de feu

Si
l’ex-colonie belge
 n’est  pas arrivée à faire le deuil de la colonisation,
il en est de même, mine de rien ,de l’ex-métropole et de ses héritiers,
habituellement hommes et femmes de bonne foi et de bonne volonté d’autant plus
qu’ils n’ont pas connu la « parenthèse de feu et de sang » (Sony
Labou Tansi) de leurs pères
 et  grands-pères colonisateurs.  N’empêche : leur bonne foi et leur  bonne volonté ne sont pas à l’abri des
épreuves de force et des rapports de domination entre ceux qui croient avoir et
ceux à qui l’on fait croire qu’ils n’ont pas, entre ceux qui croient savoir et
ceux à qui l’on dénie
 encore, dans la
pratique, tout savoir et toute mémoire…

En
face des nouveaux « Noko », héritiers des ex-colonisateurs, l’on voit
pourtant émerger, comme en contrepoint, de jeunes intellectuels et surtout de
jeunes artistes congolais passablement avant-gardistes et anticonformistes. Le
paradoxe veut que ces « voleurs de feu » ont maitrisé ou tentent de
maitriser avec un certain succès, le savoir et le savoir-faire des anciens
maitres, mais leur légitimité sur le plan international et parfois même
national dépend encore largement des critères externes à eux. Chéri Samba,
Freddy Tsimba, Faustin Linyekula, Bibish Mumbu, Jean Goubald, Vichois
Mwilambwe, Samy Baloji, Dieudonné Ngangura, Pie Tshibanda, Dieudonné Kabongo,
Nzey Van Musala, Mampuya, Lokwa Kanza, Denis Mpunga, Jo Munga, Clarisse Muvuba,
Phoba, Balufu Kanyinda,  Ray Lema, Jean
Bofane,  Pius Ngandu, Antoine Tshitungu  (pour ne citer qu’eux), ont beau prouver
combien  ils sont talentueux, leur succès
continue à dépendre des   réseaux étroits qui s’imposent ou
s’interposent à eux. Sans compter que la plupart d’entre ceux que j’ai cités
ont choisi une carrière professionnelle en Europe, alors que la caution du
public congolais, sur place en RDC, reste à prouver…

 4. « babélisation » et « 
labellisation »

 C’est que ces nouveaux chantres congolais de
la diversité culturelle, citoyens du monde, adeptes du nomadisme et
reconstructeurs de la tour de Babel, ont volé le feu sans parvenir à bien
éclairer les chemins de retour du pays natal. C’est qu’également les critères
et les rites de labellisation outre-mer et outre-Atlantique ne semblent
répondre qu’à deux sortes de grilles d’approche aux antipodes, mais de même
valeur « exotique » : d’une part une sorte de tropisme sur des
œuvres à valeur et à saveur plus au moins « indigènes »,  quelquefois sur commande des centres
culturels étrangers établis en Afrique, à la limite du misérabilisme, du
sensationnel, de l’apocalypse, de la superstition  « fétichiste »… ;  et, d’autre part, une sorte d’atypisme qui ne
semble n’applaudir dans les œuvres africaines que ce qui
est « excentré »,  ce qui
« déstructure »,   ce qui
« déconstruit »,  d’autant plus
outrageusement qu’elles s’inspirent des soi-disant « contemporains » européens
(2).

 5.  Le chasseur et le lion

Entre
les deux pôles, la critique et l’anthologie
  des
nouveaux « explorateurs » occidentaux
 ont  décidé une sorte
d’embargo : embargo contre les arts plastiques dits
« académiques », contre les musiques populaires urbaines (profanes ou
religieuses) ; embargo contre les littératures francophones modernes et
engagées, etc. Or comme le rappelle un proverbe africain : « on
ne connaitra jamais la vraie légende du lion tant que les histoires de chasse
montreront le chasseur comme le seul héros ».

Or
il existe des expériences et des pratiques partenariales récentes qui sont
exemplaires et prometteuses en termes de regards croisés, de domestication de
la modernité à partir des matériaux du terroir ou des ustensiles de
récupération. En termes aussi de vision prophétique. L’exemple du projet
belgo-congolais « Yambi » (2005-2007) a montré, suite à une
prospection laborieuse à travers le pays et suite à des productions
professionnelles en communauté Française de Belgique, qu’entre le tropisme
réducteur et un peu voyeuriste, et l’atypisme déconstructeur, il y avait place
pour une gamme des possibilités géniales et originales. (3). Il en est de même par
ailleurs du projet « Top 100 » entre l’ONG congolaise,  « Observatoire
des cultures urbaines en RD. Congo » 
et  l’Université de Montréal
concernant l’ethnographie de l’écoute de la musique congolaise moderne(4) : 
outre des résultats de terrain inédits sur la réception de la musique populaire
en milieu kinois, notamment celui des jeunes, le projet a démontré avec succès
la part de l’« investissement » 
au sein des partenariats nord-sud , 
à travers des méthodes nouvelles d’investigation de la création et de la
pratique musicales, à travers des missions d’études autant que des échanges
d’informations et de formations croisées, actuelles ; et à travers la mise
à disposition pour les chercheurs congolais des outils modernes de travail, de
numérisation, de mise en réseau et répertoriage documentaires.

 6.  Lire avec «  4 yeux »

Les
sages de la cité qui savent déchiffrer les signes du temps et de l’espace,
m’ont naguère dit qu’il fallait 4 yeux, 4 oreilles et 4 mains pour vraiment
voir, écouter, et sentir l’ineffable. Pour cela il fallait non seulement être
initié à regarder pour voir, à entendre pour écouter, à toucher pour
sentir ; mais il s’agissait de s’immerger dans l’imaginaire de
l’artiste-mage pour recréer à sa suite la magie…

Les
sémiologues, eux, m’ont appris deux choses essentielles : le signe est
polysémique, et la quête de sens est tributaire du contexte. Sémiologie de la
signification ou sémiologie de la communication, elle est au carrefour des
grilles de lecture diverses. C’est dire combien on ne peut lire les arts
africains (et congolais en particulier) qu’avec le concours de différentes
disciplines et avec une certaine connivence enracinée du sujet pensant et de
l’objet visé : l’anthropologie seule, avec ses nostalgies ethnologiques
bon teint ne peut se satisfaire si elle ne s’adjoint les prédicats de la
sociologie ou de la philosophie, autant que d’approches  post-coloniales et post-modernes apprivoisées.
La sociologie seule, avec ses querelles d’écoles et ses sauts dans
l’inconnu ;  la critique d’art
seule, avec ses questions toujours pendantes sur la relativité ;  la philosophie, avec ses tendances touche-à-tout,
ne peuvent se satisfaire si les enquêtes de terrain ne valident.  Les enquêtes de terrain elles mêmes,  risquent d’être indigentes à cause des
« angles de vue » ou des « illusions d’optique »,ou encore
des « partis pris » propres à l’enquêteur déterministe et étranger, à
cause de la présence intimidante pour l’enquêté souvent néophyte, du micro ou
de la camera, à cause enfin de la longue tradition de la censure et du silence
dans nos pays africains.

Par
ailleurs les artistes congolais en particulier, ont été tellement confrontés
depuis les années  ‘80 ,   à de multiples expériences à travers le
monde que leurs œuvres portent nécessairement la marque enrichie de la
diversité protéiforme et de la polysémie. La chorégraphie de Faustin Linyekula,
avec la concrescence de gestes et de discours superposés, juxtaposés,
interposés, est-ce encore de la danse contemporaine ?  La sculpture de Freddy Tsimba, avec ses
magies de forge et de monumentalisme, est-ce encore de l’art plastique ?  L’artiste Vichois Mwilambwe, avec ses scènes
d’ « installations »  et
de « performances » psychodramatiques et cathartiques, est-ce encore
de la peinture ? Samy Baloji, avec ses photos-gravures et des
vidéos-photos aux regards incisifs, translucides qui apprivoisent tout, les
ombres et les lumières d’hier et d’aujourd’hui, est-ce encore de la
photographie ?   Lokwa Kanza, avec
des airs butinés ici et là à partir d’inspirations inédites, est-ce encore de
la rumba ? L’écrivaine Bibish Mumbu ou l’écrivain Fiston Mwanza Nasser ,
avec leurs   récist-chroniques atypiques, et .des anecdotes
entremêlées,  avec  leurs  dialogues à l’emporte-pièce, est-ce encore du
roman ?   N’est-ce pas ce qu’on
entend aujourd’hui par « cumul-art »…
 

7. Regarder l’Afrique à partir de
l’Afrique

1°) Depuis les années 70, il ya comme une épreuve
de force épistémologique et une convocation des arts comme science, comme
discipline. C’est la raison d’être des instituts d’arts comme l’Institut
National des Arts, l’Académie des Beaux-Arts, l’Institut Supérieur des Arts et
Métiers, l’Institut des Bâtiments Travaux Publiques,
 ou l’Institut d’Architecture et Urbanisme,  à Kinshasa. Or, les expériences de ces
instituts prouvent que derrière
 le
concept de « discipline » se dressent du coup d’énormes défis actuels
comme celui de regarder l’Afrique à partir de l’Afrique,
 et d’enraciner les recherches et les pratiques
tout en les ouvrant aux souffles de la modernité. Comme celui d’ induire,
 avec le concours des décideurs et des
opérateurs culturels,
 une politique
culturelle innovante et cohérente, avec comme priorités : professionnaliser
les métiers d’art et de culture, reconnaître et promouvoir les savoirs et les
savoir-faire populaires, promouvoir des industries culturelles créatives,
financer et autofinancer la culture, protéger la propriété intellectuelle,
activer la
 «diplomatie
culturelle », inverser la tendance entre le « centre » en
ex-métropole,
 et la
« périphérie » au sud…

Deux
exemples me semblent éclairants par rapport à cette vision à inverser. D’abord
celui du Festival International du Livre et du Film « Etonnants
Voyageurs »,  manifestation fort
médiatisée, qui s’est tenue pour la première fois en Afrique centrale (à
Brazzaville, du 13 au 17 février 2013), mais qui a laissé plus d’un Congolais
sur sa soif .  Et pour cause !
Certes le  thème a été attractif, à
savoir  « L’Afrique qui
vient », autrement dit, « une  nouvelle Afrique qui entend
prendre sa place dans le siècle qui commence, une Afrique qui met à mal nos
discours convenus.  Une Afrique dont les
artistes,  les écrivains, les poètes nous
dessinent les contours »(5) ; le programme  a été 
tout aussi alléchant, notamment 
avec  le privilège et  l’espace particuliers  accordés 
aux deux Congo de dialoguer et de s’évaluer devant témoins,  mais à travers leurs  écrivains en principe  représentatifs du génie des deux rives. Or la
parole n’a été accordée qu’aux seuls représentants congolais de la diaspora
pour  évoquer finalement des villes de
Kinshasa et de Brazzaville qu’ils n’avaient plus fréquentées depuis une dizaine
d’années, si pas plus ! En plus Alain Mabanckou et Michel Le Bris,
Directeurs du Festival, ont animé une conférence, en véritables  magisters 
ex-cathedra,  au cours de laquelle, il a été question de
« littérature-monde », une façon de dénier catégoriquement (et même
prétentieusement)  toute forme
d’existence  de  quelque « littérature nationale »,
et donc de faire valoir indirectement le « centre » par rapport à la
« périphérie »(6). Sur la même veine on peut épingler l’autre
Festival « nomade », CONNECTION KIN, du KVS (Koninklijke Vlaamse
Schouwburg), c’est-à-dire le Théâtre Royal Flamand de Belgique : bel idéal
que celui de « créer un espace libre et ouvert où la générosité a toute sa
place », avec une brochette multidisciplinaire constituée essentiellement
des arts visuels, du film et de la littérature. Seulement voilà : initié
en 2005 et à défaut  sans doute d’un
espace  néerlandophone en bonne et  due 
forme comme l’ont fait les autres concurrentes, la coopération française
ou la Fédération
Wallonie-Bruxelles
à vocation francophone, la communauté
flamande est en quête d’une raison d’exister en RD.Congo ; et à ce titre,
le KVS semble s’être engagé dans les mêmes sillons et les mêmes réseaux, avec
comme points  focaux l’Institut Français
et le Centre Wallonie-Bruxelles, et accessoirement quelques autres lieux
périphériques  typiquement nationaux. On
ne peut pas dire honnêtement que les milieux culturels et artistiques de
Kinshasa soient activement et massivement impliqués, en commençant par les
autorités publiques et les institutions publiques de formation, de conservation
et de diffusion culturelles. Finalement, 
tous  comptes faits, c’est encore
une fois la diaspora qui est mise en vedette, sans que l’on se pose la question
de l’impact,  et du field-back, en termes d’héritages techniques,  de ressourcement et d’enracinement féconds,
de regards croisés,  de renforcement des
capacités ou d’échanges institutionnalisés… 
Et surtout en termes de 
durabilité de cette initiative ‘import-export’, « à guichet plus ou
moins ouvert », selon les expressions 
d’un dramaturge kinois…Et avec 
des  sélections et des choix   à l’emporte-pièce…

2°) Regarder l’Afrique à partir de l’Afrique,
c’est briser le cercle vicieux du « centre » et de « la périphérie ».
Faut-il toujours se résigner à penser que toute forme de triomphe artistique et
littéraire passe par Paris ou New York ?
 L’écrivain kinois Zamenga
Batukezanga n’a pas eu besoin de l’onction métropolitaine pour être lu par des
milliers de jeunes enthousiastes dans une ville, Kinshasa, de
 2 à 3 millions de lecteurs potentiels. Les Editions Hemar que dirige le professeur Kadima-Nzuji et qui couvrent les deux Congo n’ont pas eu à recourir aux bonnes grâces de
Paris ou de Bruxelles pour éditer à grand tirage et avoir pignon sur
 rue en 5 ans d’existence. Et cela grâce
notamment aux contributions littéraires
 de l’Association des Ecrivains de Fleuve Congo.

 3°)
Regarder l’Afrique à partir de l’Afrique n’exclut pas l’intégration de nos
structures et initiatives propres dans des réseaux d’homologues hors d’Afrique.
Mais toujours dans un dialogue équitable, même si les rapports de force
 sont instables. Il faut à l’Afrique des solidarités
nouvelles, horizontales,
 pour des
convivialités,
 des rationalités et des
stratégies pressantes, présentes, porteuses.

 4°) Finalement, qu’apportent donc les arts et le
génie africains à l’Europe, à l’Occident ? D’abord…
la mauvaise conscience, au sein d’une mondialisation rouleau-compresseur,
à fractures prononcées, à double
 vitesse,
mais enrobée dans des fanfreluches en dentelles et de nouvelles évangiles
paganisées pour adeptes crédules et néo- colonisés. Ensuite, ils apportent
 une définition  et une pratique de l’art, non plus comme du
luxe, non plus comme « émotion nègre et naïve » ; mais comme
nouvelles rationalités, nouvelles esthétiques et nouvelles oralités
urbaines ; comme restitution de la parole naguère confisquée. Il nous faut
donc des approches herméneutiques dialectiques, dialogiques, intersubjectives,
transdisciplinaires, mais néanmoins conniventes avec l’œuvre. Comme le note le
sociologue
 français Gilles
Lipovetsky : « la modernité inaugurale a remporté la bataille de la
quantité ; ce n’est plus ce qui va nous faire gagner des parts de marché.
C’est la qualité qui doit
 être notre but
constant. (…) La créativité en général et esthétique en particulier doit
mobiliser toutes nos énergies et nos entreprises. Et cette orientation, primordiale
pour notre avenir, doit commencer dès l’école. C’est l’une des grandes voies
pour relever les défis de l’univers globalisé » (dans
L’’Express, 29 mai 2013, p. 34)

C’est
pour moi une autre façon, je le répète, d’avoir 
4 yeux, 4 oreilles et 4 mains, et savoir lire au grand jour les signes
du temps et de l’espace. Il y a là plus qu’une question de
professionnels ; mais une question d’initiés et d’ « ayants
–droits », selon l’expression d’Achille Mbembe…
  

 NOTES

 1°) Lye M. YOKA, « A quand le travail de
deuil ? », dans
Combats pour la
culture,
 Editions Hemar,
Brazzaville, 2012, pp. 42-56

 2°)
lire par exemple Lye M. YOKA, « Benda Bilili : éloge de la
commisération », dans
Le Potentiel,
26/02/2013

 3°) Lye M. YOKA, « ‘Yambi’, la fête
congolaise au pluriel », dans
Combats
pour la culture,
Hemar Editions, Brazzaville, 2012, pp.237-243

 4°) lire Bob W. WHITE et Lye M. YOKA, Musique populaire et société à
Kinshasa . Une ethnographie de l’écoute
, L’Harmattan, Paris, 2010

 5°) Prospectus du Festival « Etonnants
Voyageurs », 2013

 6°) Argument du Document de présentation du
Congrès international des Ecrivains francophones à Lubumbashi, du 24 au 26
septembre 2012 (en marge du XIV° Sommet de
la Francophonie en
RD.Congo) : «  Par son enrichissement radical des imaginaires, la
littérature pourrait proposer l’UTOPIE prospective d’une Afrique impliquée dans
un monde global, et cela sans cesser de remettre en cause une histoire
triomphaliste et univoque telle qu’imposée par l’Occident. (…)

Les
écritures contemporaines demeurent les lieux d’inscription d’un autre
devenir  face au  manque d’imagination des projets politiques.
La question est de savoir ce qu’on peut attendre de la littérature, dans monde
en pleine mondialisation, désormais décentré. »           

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