RDCongo – 2016 : Enjeux électoraux et survie d’une nation | B. Musavuli

 

RDCongo
– 2016 : Enjeux électoraux et survie d’une nation | Agoravox

Enjeux
électoraux

Soucieux
de se maintenir au pouvoir à tout prix, les fidèles du Président Kabila
pourraient être tentés de modifier la Constitution, c’est-à-dire calibrer les «
règles du jeu » en fonction des intérêts d’un seul camp. C’est une manœuvre
déloyale qui fausserait l’esprit de compétition.

Si
la Constitution est modifiée pour permettre au Président sortant de rempiler
pour un troisième mandat, il en sera quasiment fini du suspens. En effet, pour
reprendre une formule d’Herman Cohen, « En Afrique, pour qu’un Président sortant
perde une élection, il faut qu’il ait envie de la perdre ». En tout cas, dans le
cas d’une troisième candidature de Joseph Kabila, l’enjeu électoral ne devrait
tourner qu’autour de sa personne. Il est peu probable que l’opposition, même
rassemblée, l’emporte, le pouvoir disposant d’un autre atout : la violence armée
et la fraude électorale, comme en 2011.

Au-delà du
pouvoir, de l’opposition et des électeurs, il faut compter avec un autre acteur
: la « communauté internationale ». Il s’agit essentiellement des Etats-Unis, la
France, l’Union Européenne[1], le Royaume-Uni, la Belgique,… et même le
Rwanda[2] dans le cas du Congo.
Ce sont des « agents » tapis dans
l’ombre mais extrêmement entreprenants. Ils détiennent la clé du scrutin. Ils
opèrent en amont (choix de « leurs » candidats) et en aval (approbation des
résultats, même frauduleux) pour légitimer le pouvoir du vainqueur préalablement
choisi, parfois en usant de gros moyens (intervention de la force européenne,
l’Eufor, au Congo en 2006[3] ?).

En
effet, dans la logique des grandes puissances, la « démocratie congolaise »
n’est pas encore assez mature, assez « autonome ». Les élections sont pilotées
et financées de l’extérieur (élections de 2006 financées à 80% par l’Union
Européenne[4]), ce qui accroit le pouvoir d’influer sur l’issue du scrutin
suivant la formule : « qui paie
décide ».

Pour
le scrutin de 2016, quelques signes sont à surveiller. Si la majorité
présidentielle parvient à faire réviser la Constitution permettant au Président
de se présenter à un troisième mandat, nul doute que celui-ci aura été choisi en
coulisse par la « communauté internationale », Rwanda et Ouganda inclus[5]. Il
ne faudra pas se fier aux condamnations verbales des politiciens, des ONG, des
journalistes, des diplomates,… Ces
condamnations verbales relèvent d’un jeu de rôle, la décision qui compte
véritablement ayant été le choix du candidat des grandes puissances.

Et
si la modification de la Constitution supprime la limitation du nombre des
mandats (article 70), le Congo sera bien parti pour une forme de « néo-mobutisme
» (Président à vie). Le péril immédiat serait la résurgence des dinosaures (les
indéboulonnables barons du régime). Dans la foulée affluent des profiteurs et
une clientèle politique toujours plus dispendieuse, à la charge du pays. Ainsi
vint l’oubli complet de la population du temps de Mobutu[6] dès qu’il obtint la
possibilité de modifier la Constitution à sa guise. Impossible d’engraisser les
dinosaures et payer en même temps les fonctionnaires décemment. Le pays tombe
inévitablement en ruine.

Dans
le cas de Joseph Kabila, le péril semble déjà en cours. La classe politique
absorbe des sommes colossales, officiellement (salaires faramineux) et
officieusement (corruption ?) pendant que le peuple congolais
pointe à la toute dernière place du classement mondial de la
pauvreté[7].
Des millions d’« invisibles » croupissent dans des
taudis à Kinshasa tandis que d’autres « crèvent » dans des camps de déplacés du
Kivu devenus des mouroirs. Les politiciens eux parlent des élections et refusent
d’assumer la responsabilité qui leur revient de se tenir auprès de ces
malheureux « compatriotes » laissés à la charge des églises et des ONG. Le
contraste ne peut que s’aggraver avec la reconduction du régime actuel. Parce
que la longévité au pouvoir finit par gommer les idéaux de départ et nuire à
l’efficacité de l’homme politique

.

Dans
l’opposition, passé le moment de frustration, il faudra se résigner au fait que
tout changement de majorités au Congo n’est plus possible par des moyens
démocratiques. Pour un opposant, la seule chance d’obtenir un jour des
responsabilités publiques consisterait à se renier et à rejoindre l’entourage du
Président. Le banquet. Les autres opposants devront reprendre le chemin de croix
et endurer les épreuves de la lutte pour les idéaux sur l’exemple d’Etienne
Tshisekedi (opposant à vie ?).

Mais
on n’en est pas encore là. Les Congolais doivent surtout s’inscrire dans le
temps sur la question de la démocratie et des élections démocratiques. Selon
certains politologues, il faudrait trois ou quatre scrutins avant d’être sur la
bonne voie[8], ce qui n’exclut pas de s’appliquer dès à présent dans la
perspective de 2016.

Parallèlement
aux préoccupations d’ordre électoral, un débat beaucoup plus vital devrait être
abordé, quels que soient les enjeux de 2016. Il s’agit de la survie du Congo en
tant que nation.


Le
défi de la survie d’une nation

Le
Principal défi auquel le Congo est aujourd’hui confronté, en tant que nation,
est celui de sa survie. Survie du peuple congolais victime de massacres, de
viols à grande échelle, de déplacements meurtriers des populations,
d’entassement dans des camps « mouroir », bref, un peuple victime d’un génocide
caché par l’omerta des instances internationales, informées, mais paralysées par
le profit tiré du pillage des ressources minières du Congo. C’est aux dirigeants
congolais, pas seulement au gouvernement, de prendre la mesure du péril de
l’extermination des populations congolaises, surtout dans la région du Kivu.

Le
gouvernement peut déclencher une enquête internationale pour que la lumière soit
faite sur la mort des six millions de Congolais. Il peut aussi militer pour que
soit créé un tribunal pénal spécial pour juger les responsables de cet
holocauste. Il est toutefois peu probable que le régime actuel de Kinshasa,
empêtré dans une alliance contre-nature avec le Rwanda et l’Ouganda envisage une
telle démarche, pourtant relevant de ses prérogatives en matière de protection
de sa propre population.

La
notion de survie s’applique également au territoire national que le pouvoir de
Kinshasa contrôle de moins en moins. L’irruption des miliciens Mai-Mai dans la
ville de Lubumbashi, capitale de la province stratégique du Katanga, le 23 mars
dernier, a renvoyé dans l’opinion la réalité crue et brutale d’un Etat qui ne
contrôle pas son territoire, pas seulement les zones aujourd’hui occupés par le
Rwanda sous couvert du M23. Pas non plus les territoires que Kinshasa n’ose plus
évoquer face à l’imposant « voisin » angolais.

Comment en-est-on arrivé là ?

Se
tromper d’allié

Dès
la fin de la première guerre du Congo (mai 1997), Kinshasa s’est fié au Rwanda
au titre de principal allié militaire. Des officiers rwandais et des hommes de
troupe étaient envoyés en masse par Kigali, officieusement sous l’appellation de
« tutsis congolais », un gros mensonge d’Etat, mais ce n’est pas ce qu’il y a de
plus grave. Tous les Etats mentent. Le plus grave est que ces soldats rwandais
et leurs officiers se sont révélés d’une loyauté extrêmement faible à la Patrie
de Lumumba. Deux généraux, sûrement les plus emblématiques, ont eu un parcours
qui suffit à démontrer que l’alliance militaire entre le Congo et le Rwanda fut
une erreur monumentale.

L’actuel
ministre rwandais de la défense, le général James Kabarebe déclencha la deuxième
guerre du Congo (1998) après avoir servi au titre de chef d’état-major de
l’armée congolaise. Non seulement la deuxième guerre du Congo. Son nom est cité
dans un rapport des experts de l’ONU comme étant le principal chef militaire du
M23[9] (Rapport S/2012/843, pages 3 et 13).

L’autre
officier de l’armée rwandaise, le général Bosco Ntaganda, inculpé pour crimes de
guerre par la CPI est dans une cellule de La Haye après avoir meurtri le Congo
davantage qu’il aurait dû le servir. Né Rwandais, il combat au sein du Front
Patriotique Rwandais et entre au Congo en tant que soldat rwandais durant la
première guerre du Congo (1996). Il reprend les armes contre le Congo
lorsqu’éclate la deuxième guerre du Congo (1998). En 2003, Il reprend les armes
contre le Congo dans les rangs de la milice de l’UPC dirigé par Thomas Lubanga,
le premier condamné de la Cour Pénale Internationale. En 2004, Bosco Ntaganda
obtient malgré tout une nomination de « général » de l’armée congolaise. En
dépit de cette haute distinction, il reprend à nouveau les armes, en 2006,
contre le Congo lorsqu’éclate la guerre du CNDP (2006-2009). 

Il
est réintégré, pour la troisième fois, dans l’armée congolaise malgré un
parcours aussi peu rassurant. Comme il fallait s’y attendre, Bosco Ntaganda
prend la tête des mutins du M23 lorsqu’éclate la guerre en cours[10].

Il
y a quelque chose de surréaliste dans les décisions des autorités congolaises
capables de légèreté à ce point. Impossible d’imaginer qu’on puisse réintégrer
dans l’armée, en trois reprises, des individus aussi notoirement dangereux pour
la République, le personnel de l’armée et la population.

Ainsi
la carrière au Congo des généraux « rwandais » (James Kabarebe, Bosco
Ntaganda,…) suffit à persuader que le Rwanda peut difficilement être un allié
fiable et qu’il faudrait envisager la protection des populations congolaises en
recourant à d’autres partenaires.

Quant aux casques bleus, ils sont à l’image des tiraillements des grandes
puissances siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU


Une armée dont l’état-major
est paralysé par d’interminables disputes entre généraux. Le soldat sur terrain
baisse les bras et bat en retraite. La population de Goma n’aurait jamais subi
le traumatisme d’une nouvelle occupation rwandaise en novembre 2012 si un
contingent de l’une des cinq armées (française, américaine, britannique, russe
ou chinoise, peu importe) avait pris position dans le Kivu.

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Bien
entendu, un travail national de réforme de l’armée est à faire. Sur le plan
international, le Congo doit s’appuyer sur un allié stratégique de taille. Les
Maliens risquaient de subir le même sort que celui des Congolais lorsque la
France est intervenue pour sauver Bamako et reprendre le contrôle du territoire
national. La Syrie de Bachar Al-Assad tient tête grâce à l’appui de la Russie.
Le Zaïre de Mobutu réussit à repousser les incursions communistes en Afrique
centrale. La France et les Etats-Unis veillaient.

C’est
sûrement dans ces termes qu’il faut envisager l’enjeu de la survie du Congo en
tant que nation. Evidemment, l’idéal aurait été que le Congo fût laissé
tranquille et que sa population profitât de ses richesses naturelles. Mais il
faut voir le monde tel qu’il est. Un pays avec autant de ressources convoitées
peut difficilement survivre en baissant la garde.

Boniface
MUSAVULI

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/rd-congo-2016-en…

[1]
Charles ONANA, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent,
Ed. Duboiris, 2012.

[2]
Op. cit. p. 231.

[3]
Pierre PEAN, Carnage – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique,
Éditions Fayard, 2010, p. 418.

[4]
Javier Solana cité par Charles ONANA, op. cit., p. 194.

[5]
Le régime de Joseph Kabila continue, étonnamment, de négocier avec le M23, un
appendice du Rwanda et de l’Ouganda, présenté mondialement comme une
organisation criminelle. Des négociations qui mèneront à la réintégration des
membres du M23 dans l’armée, une pratique à l’origine de l’indiscipline et des
difficultés à réformer l’armée congolaise.

[6]
David. VAN REYBROUCK, Congo – Une histoire, ACTES SUD, 2012, pp 382-385.

[7] http://www.agoravox.fr/actualites/i

[8]
D. VAN REYBROUCK, Op. cit, p. 549.

[9] http://www.un.org/french/documents/

[10]
Rapport S/2012/843 des experts de l’ONU, page 164.

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