06 08 13 Le Potentiel – BOB KABAMBA : Il faut s'occuper plus d’améliorer les conditions de vie des citoyens, de réhabiliter les routes plutôt que de perdre le temps et son énergie sur de révisions des textes qui vont amener plus de trous

 

Débat scientifique sur la Constitution
Vous avez été l’un des artisans de la Constitution de 2006. Avec un peu
de recul, pensez-vous avoir doté la RDC d’une bonne Constitution ?
Nous
avons doté la RDC d’une bonne constitution qui permet d’avoir des
institutions où aucune institution n’est supérieure par rapport à
l’autre. Cette constitution a été faite pour qu’il y ait une gestion
pacifique de l’après-conflit, avec équilibre entre le président de la
République et le Premier ministre, entre le Sénat et l’Assemblée
nationale, entre  l’Etat central et  les provinces, la gendarmerie et la
Police, etc. Donc, une série de mécanismes qui permet d’avoir une
gestion équilibrée sans que celui qui prend le pouvoir puisse se
permettre d’écraser d’autres institutions. C’est cela la philosophie de
la Constitution de
2006.

Pourtant, cette Constitution a été revisée en 2011. Etait-il opportun d’engager cette procédure ?

Non.
Cette révision n’était pas adéquate pour la bonne et simple raison
qu’en faisant la modification de janvier 2011, on a modifié l’équilibre
des institutions. C’est-à-dire que l’on a renforcé le pouvoir du
président de la République par rapport à ce qui a été décidé par
referendum en 2006. Je m’explique. Parce que lorsque l’on donne au chef
de l’Etat le pouvoir de pouvoir dissoudre les assemblées provinciales,
on ajoute au président de la République le pouvoir au détriment des
institutions provinciales, c’est-à-dire on crée un déséquilibre qui
n’était pas au départ. Lorsque l’on place le président
de la République dans la Conseil supérieur de la magistrature, là aussi
on crée un déséquilibre qui va à l’encontre du pouvoir judiciaire.
Donc, la révision de la Constitution de 2011 modifie, de manière très
claire, l’équilibre qui a été décidé par referendum de 2006.

Est-ce
que la modification de la Constitution peut avoir des influences sur la
souveraineté de l’Etat, notamment la remettre en cause ?

On
ne remet pas en cause la souveraineté de l’Etat. Mais l’on remet plutôt
en cause le poids des institutions. Cela en modifiant l’équilibre entre
les institutions. On renforce le pouvoir d’une institution au détriment
des autres. On n’est plus dans un mécanisme équilibré entre les
institutions, mais vers le
présidentialisme. Et pourtant on avait voulu éviter en 2006 le
présidentialisme avec le recul de l’histoire du Congo. On a voulu plutôt
privilégier une majorité parlementaire pour une gestion importante liée
au Parlement. Un Parlement qui assume des responsabilités importantes.
Or, en révisant la Constitution, on est allé plus vers le
présidentialisme que vers la majorité parlementaire.
 
Il
y a actuellement un grand débat autour de la révision de la
Constitution de la RDC, après celle de 2011. Quel est votre point de vue
?
Généralement,
une constitution peut être modifiée, mais il faut savoir choisir à quel
moment la modifier. Je pense que le débat qui est en train de se passer
sur la révision constitutionnelle en RDC a lieu
d’être. Mais, réviser la Constitution est tout à fait inopportun.
Pourquoi ? Parce que tout le monde sait que dans l’actuelle
Constitution, on a essayé de verrouiller les principes pour éviter que
le Congo ne retombe dans les travers de l’histoire, ne soit plus un pays
dirigé et pris en otage par un homme ou par un régime, pour qu’il y ait
la possibilité d’organiser les élections ou d’avoir une alternance au
niveau de la gestion du pays. Que tout le monde puisse avoir la
possibilité de présenter un projet de société sur base duquel il peut
être élu. C’est cela le fondement d’une Constitution. Mais lorsque l’on
commence à toucher ce fondement, on dénature ce sur quoi les Congolais
ont donné leur quitus. Parce que le texte a été adopté par référendum.
Ça veut dire que les Congolais étaient d’accord avec un système qui a
été adopté, c’est-à-dire un système équilibré, mais pas un système qui
privilégie une institution au détriment des autres. Je pense que la
révision constitutionnelle est inopportune dans le contexte actuel de la
RDC. Car, de mon point de vue, elle va encore accentuer le déséquilibre
qui s’est creusé en 2011 et qui risque de se creuser davantage si on
refait une deuxième révision constitutionnelle. Et cela revient à
toucher au fondement de ce qui fait le ciment de l’architecture et aux
valeurs républicaines que la Constitution essaye de défendre.

Votre
collègue, le professeur Evariste Boshab, a été le premier à porter le
débat sur la place publique en publiant un livre dans lequel il fait le
lien entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation.
Qu’en dites-vous ?

J’ai
lu ce livre.
C’est un livre passionnant. Sur le fonds, il pose des questions qui
remettent en cause par rapport aux principes de révision de la
Constitution, etc. Il est scientifique. Scientifiquement, tout le monde
peut écrire un livre. Mais, il y a une question : Qui publie ce livre ?
Il s’agit d’Evariste Boshab. Il est secrétaire général du premier parti
politique du pays (Ndlr : PPRD), ancien président de l’Assemblée
nationale, ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat. Et, il a une
place de choix dans le cercle du pouvoir. Et quand quelqu’un de sa
trempe écrit un livre, bien sûr, on tombe dans le débat d’opportunisme,
de l’opportunité et dans le débat politique. Le débat politique : Est-ce
qu’il était opportun pour lui de publier ce livre maintenant ? Je ne
pense pas. Si c’était quelqu’un d’autre qui l’aurait écrit, je ne pense
pas qu’il y aurait ce débat. Mais, comme c’est lui, même tant que
scientifique, il
peut le faire, mais je pense qu’il devait choisir le moment de le
publier.
  
Qu’est-ce qui fausse alors le débat ? Est-ce la personne de Boshab ou le livre ?
J’aurais
tendance à dire les deux. Au fait, le débat sur la révision de la
Constitution a lieu d’être. Il y a lieu d’engager un débat scientifique.
Mais, le problème qu’il y a est que le chercheur est en même acteur
politique. Le chercheur étant acteur politique, même s’il pose un geste
scientifique, cela sera vu comme un acte politique. Et donc, le livre
devient un livre  politisé et le débat également politisé. Il quitte la
sphère scientifique et entre dans la sphère politique. Puisque son
auteur n’est pas seulement un chercheur scientifique, mais il
est aussi acteur politique. En publiant ce livre, cela donne le point
de vue du politique et non pas les questions du chercheur sur un sujet.
Cela parce que le politique va au-devant du  chercheur. Donc, le débat a
lieu d’être, la questions liées à la personnalité de celui qui pose le
débat politise malheureusement ce débat. Et le bienfait que l’on peut
voir dans ce débat est qu’on parle de cette révision constitutionnelle.
Mais, j’ose croire que ça va s’arrêter seulement au niveau de parler et
il n’y aura pas une révision constitutionnelle qui va modifier
l’architecture, la structure que les Congolais avaient adoptée par
référendum.


Dans l’opinion, vous passez pour quelqu’un qui est très proche du pouvoir, qu’en dites-vous ?
C’est
vrai que je travaille beaucoup avec les institutions. Mais, le problème
est le suivant : quand vous travaillez avec les institutions, il faut
savoir que vous travaillez avec les animateurs de ces institutions qui
sont, notamment au niveau du Parlement qui est constitué des hommes élus
par le peuple. Et qui sont les élus ? Ce sont des hommes qui
appartiennent à un parti politique. Et quand vous travaillez avec le
gouvernement, vous devez travailler avec des gens qui ont une certaine
couleur politique. Et lorsque vous travaillez, par exemple, sur la
conférence de Goma, à l’époque, c’était le ministère de l’Intérieur qui
était Denis Kalume, avec comme président de la conférence, abbé
Apollinaire Malumalu, vous devez savoir que lorsque vous travaillez avec
ces institutions, vous travaillez avec ses animateurs. Et, l’amalgame
est vite fait. L’amalgame est que l’on vous dira que vous êtes proche de
la
Majorité. On a beaucoup plus travaillé en appui au Parlement sur la
rédaction des textes. Et là, on travaille avec des parlementaires qui
sont des politiques. Alors, pour faire avancer les choses, vous êtes
obligé de travailler avec des politiques ? C’est de là que vient
l’amalgame politique. Et l’on dit que vous êtes proche du pouvoir parce
que c’est avec ces animateurs des institutions, proches du pouvoir, que
vous travaillez finalement.

Si un
jour on devait faire sauter le verrou sur l’article 220 de la
Constitution, qu’est-ce que vous prédisez comme conséquence ?


Il
y a deux choses. Il y a d’abord la responsabilité des sénateurs et des
députés nationaux, parce que c’est au niveau du Congrès que cela va se
décider. Je
doute fort qu’un tel texte soit soumis à un référendum, sans qu’il ne
soit lu et débattu, sinon il ne passera pas par référendum. Je

sais que le Congo n’a pas assez de moyens pour organiser un referendum.
En plus, tout le monde a déjà pris position, notamment l’Eglise
catholique qui a ouvertement pris position contre cette révision de
l’article 220. Mais, s’il y a forcing, il y va de la responsabilité du
Parlement, du Congrès. Je crois qu’en modifiant ce texte, de mon point
de vue
, j’ose croire qu’il y aurait quand même au
niveau de la population des manifestions pour s’opposer à ce projet de
révision de l’article 220
.
Les politiques pensent que ce débat n’est encore que scientifique. Peut-être qu’ils préparent juste les esprits.
Qu’est-ce que vous leur lancez comme message ? 
Je
pense que l’intérêt national prévaut sur les intérêts partisans. Cela
est indispensable. Quand on voit l’l’intérêt national prévaloir sur les
intérêts partisans, on fait avancer un pays et on construit un Etat de
droit.

Et au président de la République.

Le
message le plus important, c’est le respect des textes. Il faut que les
textes soient clairs. En respectant les textes, on construit la
démocratie, on construit un Etat de droit et on va s’occuper plus
d’améliorer les conditions de vie des
citoyens, de réhabiliter les routes plutôt que de perdre le temps et
son énergie sur d
e révisions des textes qui vont amener plus de troubles sociaux que autre chose.
Propos recueillis par F.K.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.