MON POINT DE VUE SUR LE PROCES A KINSHASA DE L’ASSASSINAT DE PATRICE LUMUMBA (Albert Kisonga Mazakala)

 Pour quels dividendes? C’est la question qu’on peut se poser.
Serait-ce une manœuvre, comme me l’a dit quelqu’un ce matin, destinée à gêner,
voire à écarter Etienne Tshisekedi de la prochaine élection présidentielle en
2016? Or, de l’avis des personnes ayant
rencontré ces derniers temps le leader de l’Udps, le « Mula kwasa »
ne serait plus que l’ombre de lui-même. Il y a non seulement l’effet de l’âge
(80 ans) mais aussi l’usure psychologique consécutive à ses échecs récurrents.
Toutefois, son image reste forte non seulement au sein de sa communauté au
Kasaï mais également dans toutes les villes du pays, caractérisées par une
grande misère sociale engendrée par le chômage.

 

Quoi qu’il en soit, le livre tant décrié de
M. Boshab, soupçonné comme étant une manœuvre tendant à la révision constitutionnelle
dans le but de permettre au Président Joseph Kabila de briguer un troisième
mandat ouvre la voie à toutes les spéculations. M. Boshab aurait-il reçu la
caution du Chef de l’Etat? Pour ceux qui connaissent la praxis des régimes
africains, on ne peut pas être affirmatif d’emblée. Un exemple : alors que
tout le gouvernement était à table autour du Maréchal Mobutu au cours d’une
visite à Matadi, feu notre ami Dominique Sakombi statufia l’assistance en
déclarant de façon tout à fait impromptue que le Président Fondateur était un
génie. Le génie en question, également surpris, faillit s’étrangler en avalant
une bouchée. En quoi le Président était-il un génie? Parce que, expliqua
Sakombi, au moment où nous sommes occupés à jouir de cette excellente
nourriture, la pensée du Président est toujours centrée sur son peuple. Le
Maréchal venait de faire une remarque sur l’état de la voirie, qu’il fallait
améliorer. Ceci pour montrer qu’un homme du sérail et quelque peu en disgrâce
comme Boshab peut vouloir, par un coup d’éclat pseudo scientifique, chercher à
reconquérir les faveurs du chef, sans avoir été nécessairement mandaté par ce
dernier.

 

Ensuite, le moment me paraît inopportun. Le
pays traverse une période délicate qui risque de conduire à son démembrement.
La majorité des centres de décision dans les pays anglo-saxons semble avoir
déjà opté pour l’instauration d’un statut spécial de la partie orientale du
Congo, soit -en réalité- un dominion sous influence rwando-ougandaise devant
évoluer vers un Etat autonome. Dans ces conditions, la préservation et, mieux
encore, la consolidation de l’unité des forces vives internes est un facteur
susceptible de conditionner la survie de la nation congolaise. Car, en effet, le
Congo demeure un pays à structures tribales. Les personnes impliquées dans
l’assassinat de Patrice Lumumba jouissent d’une forte image dans leurs
tribus : Joseph Kasavubu chez les Yombe (je n’en connais pas un seul qui
soit anti-kasavubiste) ; Moïse Tshombe, qui demeure très populaire chez
les Katangais du Sud ; Mobutu et même Bomboko, dont l’image est forte à l’Equateur,
Etienne Tshisekedi au Kasaï et dans les centres urbains.

 

Enfin, puisqu’il s’agit d’un procès pénal
ne concernant que les accusés en vie, il convient de reconnaître que tous, y
compris Justin Bomboko et Albert Kalonji, ne sont que des seconds couteaux. Les
véritables responsables sont tous déjà morts. Il s’agit, à Kinshasa, de Joseph
Kasavubu et de Joseph Mobutu. Même s’ils avaient agi sous l’influence des
autorités belges et américaines, ce sont ces deux personnages qui avaient le
pouvoir d’empêcher l’assassinat du Premier Ministre. De la même manière, à
Lubumbashi, Moïse Tshombe, Godefroid Munongo et Jean Baptiste Kibwe auraient pu
s’opposer à l’exécution des prisonniers.

 

Au demeurant, même si Lumumba a une
famille, celle-ci n’aurait rien à perdre à mener une consultation auprès de ses
partisans que nous sommes, avant d’entamer ce procès. Lumumba avait dit
lui-même être devenu « une idée », laquelle fait maintenant partie du
patrimoine de l’humanité. Son image dans le monde est celle de l’amour de son
peuple, du sacrifice, du courage, de l’intégrité morale et de la dignité de
l’homme noir. Dès lors, Lumumba n’appartient à sa famille que dans la mesure où
celle-ci s’identifie à l’image que le monde a de lui. La fille de Staline finit
bien par se réfugier aux Etats-Unis, de même que celle de Fidel Castro
également, alors même que son père était au pouvoir. Si on avait demandé mon
avis, j’aurais plutôt conseillé de solliciter du gouvernement qu’il fasse
enfin, officiellement, le deuil de Patrice Lumumba et qu’un monument soit érigé
sur le lieu de son assassinat et de ses compagnons.     

 


 

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