29 10 13 RFI – Russell Feingold: «Un effort militaire plus poussé en RDC risque de mettre en péril les pourparlers de Kampala»

 

RFI:
Dans l’est du Congo, depuis vendredi, la guerre a repris à l’avantage des forces
armées congolaises (FARDC). Pour résoudre le problème des rebelles du M23, la
solution militaire ne serait-elle pas finalement la meilleure ?

Russell
Feingold:
Non,
ce n'est pas ma lecture des choses. La solution militaire ne répond pas aux
problèmes posés par le M23 et par les quarante ou quarante-cinq autres groupes
de la région. Ce qu’il nous faut, c’est un accord de paix négocié avec le M23.
Le processus est en cours, dans le cadre des négociations de Kampala, il faut
que ces pourparlers aboutissent bientôt, car cela pourrait mettre un terme aux
affrontements, mais il faut y parvenir sans accorder d’amnistie à ceux qui ont
commis des crimes graves. Donc selon moi, un effort militaire plus poussé risque
de mettre en péril les pourparlers de Kampala, et par là même la possibilité de
voir le M23 rendre les armes. Cela risque aussi de mettre en péril les
initiatives pour la paix que soutiennent la communauté internationale et l’Union
africaine. Donc oui, nous avons vu que les militaires congolais avaient remporté
plusieurs succès ces derniers jours, mais nous pensons néanmoins qu’à l’heure
actuelle, la retenue permettra de mieux servir le Congo et les peuples de la
région.

Il
y a quelques jours, vous avez rencontré le président Kabila à Kinshasa. Ne
craignez-vous pas que, grisé par ses victoires, il tente de régler le problème
par une grande offensive militaire ?

Je
l’ai rencontré avant les derniers combats, et il n’a pas nié qu’il allait
peut-être décider de la nécessité d’une initiative militaire, mais il ne m’a pas
donné l’impression d’un homme qui n’était motivé que par la solution militaire.
A Kampala, il a donné le feu vert à ses négociateurs pour décrocher un accord.
J’ai pu voir les négociateurs congolais à l’œuvre durant cinq jours, et j’ai
l’impression que le gouvernement congolais souhaite que le processus aboutisse,
parce que l’option militaire n’est pas l’option qu’il préfère. Donc nous
encourageons la RDC à faire montre de retenue dans la mesure du
possible.

Tout
récemment, vous avez aussi rencontré à Kigali le président Kagame. Si le M23
subit défaite sur défaite, ne craignez vous pas que l’armée rwandaise
intervienne directement, sur le terrain, auprès du M23 ?

Ce
serait une évolution très malheureuse. Le gouvernement rwandais et le président
Kagame disent que le M23 n’est pas leur mouvement. Nous leur avons fait part de
notre préoccupation. Nous leur avons dit que nous pensons que le M23 bénéficie
de soutiens. Ils disent qu’ils sont en faveur du démantèlement du M23, c’est
exactement ce que le président Kagame a dit à notre groupe d'envoyés spéciaux,
et il me l’a aussi dit personnellement. Parce que c’est ce que prévoit l’accord
cadre, et le Rwanda a signé cet accord cadre. En fait, lorsque les cinq envoyés
spéciaux ont rencontré Paul Kagame il y a quelques jours, celui-ci a fait une
déclaration forte dans laquelle il a demandé que l’accord soit finalisé le soir
même. Ce n’est pas ce qui s’est produit, mais il ne fait aucun doute que
l’accord réclame le démantèlement du M23, et non une implication dans une guerre
qui vise à soutenir le M23. Et bien sûr nous n’encourageons pas cette dernière
option qui, de plus, serait en contradiction avec les engagements du
gouvernement rwandais.

Depuis
un an, vous infligez des sanctions au Rwanda à cause de son aide aux rebelles du
M23. Ces sanctions ont-elles un effet sur le terrain ? Le Rwanda a-t-il pris ses
distances avec le M23 ?

Tout
d’abord, les sanctions à ma connaissance visent surtout le M23, même si
récemment les législateurs américains ont décidé de sanctions pour punir ceux
qui encouragent le recrutement d’enfants soldats par le M23. C’est une affaire
grave et par conséquent nous avons décidé de retirer une partie de notre aide
militaire en raison des preuves dont nous disposons. J’ignore quel a été
l’impact de ces sanctions. Mais je sais que les Etats-Unis n’ont pas d’autre
choix que signifier que ce genre de pratique s’est bien produit. Je sais que le
gouvernement a à cœur d’éviter le recrutement d’enfants soldats, nous nous
sentons suffisamment à l’aise pour rappeler que ces pratiques ne peuvent pas
être tolérées, même de façon indirecte. Avec le Rwanda, notre objectif est
d’avoir une relation positive et continue. C’est un pays ami des Etats-Unis,
nous sommes admiratifs devant les progrès enregistrés par ce pays, d’autant plus
qu’il a dû traverser une énorme tragédie, il y a vingt ans à peine. Nos
préoccupations quant au soutien vis-à-vis du M23 nuisent à une relation qui est
par ailleurs excellente. Donc nous aimerions beaucoup travailler avec le Rwanda
pour permettre aux pourparlers de Kampala d’aboutir, pour voir le M23 démantelé,
et pour avoir une relation dans laquelle on n’aurait pas besoin de parler de
sanctions ou de choses de ce type.

Le
président Kagame affirme que la guerre ne cessera pas tant que les rebelles
hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)
continueront de sévir dans la région avec le soutien, dit-il, des FARDC. Le
président tanzanien Jakaya Kikwete propose une grande table ronde avec tout le
monde, y compris les FDLR. Mais le Rwanda n’en veut absolument pas. Il dit qu’il
ne peut pas discuter avec les forces du mal. Qu’en pensez-vous ?

Je
comprends pourquoi le président Kagame est réticent à s’engager dans ce type de
négociations, et je ne crois pas que des pourparlers entre une nation souveraine
et un groupe armé, comme s’ils étaient deux parties égales, soit le meilleur
moyen de résoudre ce type de problème. Les Etats-nations impliqués doivent être
ceux qui prennent part aux négociations, ils doivent être à la même table,
c'est-à-dire le Congo, le Rwanda et les autres pays qui sont affectés. Et au
cours de ce processus, alors oui, la question des FDLR et les questions qui
subsistent quant au M23 doivent être abordées, mais cela ne veut pas dire que
ces groupes doivent avoir un siège à la table. Ce sont des groupes armés
illégaux. Chacune de ces nations a signé un accord-cadre qui stipule que ces
groupes ne doivent pas être tolérés, donc je pense qu’il y a une meilleure
approche que celle qui consiste à organiser toute une série de négociations
entre une nation souveraine et un groupe rebelle qui est considéré comme
hostile.

Aux
discussions de Kampala, le gouvernement congolais menace les chefs rebelles du
M23 de poursuites judiciaires. Mais quand on négocie avec des gens en leur
disant : « Dès que vous aurez signé un accord, j’essaierai de vous faire mettre
en prison », est-ce qu’on ne torpille pas ces négociations ?

Le
Congo a le droit de demander des comptes aux auteurs de crimes graves, et à ceux
qui les ont ordonnés. On ne peut pas s’attendre à ce qu’il renonce à ce droit au
motif qu’il a accepté d’entrer dans des négociations, ce n’est pas approprié. Il
y a une différence avec l’amnistie accordée à ceux qui se sont rebellés, le
gouvernement du Congo y est disposé, il a étudié la question d’une façon
raisonnable. Mais le Congo, la communauté internationale, et très franchement
les Etats-Unis ne peuvent pas soutenir un accord qui prévoit l’amnistie pour les
auteurs de crimes graves. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs du passé, et
c’est ce que les Congolais disent à Kinshasa et dans le reste du pays. Accorder
l’amnistie de façon répétée aux mêmes gens qui ont commis des crimes graves n’a
aucun sens ! Il nous faut prendre un virage et arriver à un accord de paix
raisonnable, qui garantisse la sécurité aux membres du M23 qui ont été
démobilisés et désarmés, mais qui ne prévoit pas d’amnistie pour les auteurs de
crimes graves.

Au
Congo et au Rwanda, l’un des problèmes n’est-il pas l’absence de véritable
démocratie et de respect des droits de l’homme ? Que pensez-vous de la détention
de Victoire Ingabire dans une prison de Kigali et de celle de Diomi Ndongala
dans une prison de Kinshasa ?

Je
crois que les mécanismes démocratiques qui obligent à rendre des comptes
renforcent ces pays en interne et permettent aussi à ces pays d’avoir de
meilleures relations avec leurs voisins, parce que les populations peuvent
manifester leur désir de paix. L’un des aspects les plus importants de mon rôle
et de celui de Mary Robinson et des
autres envoyés spéciaux est d’encourager le processus de réforme au Congo. Nous
encourageons de façon pressante la tenue d’élections locales et provinciales au
cours des deux prochaines années, nous souhaitons que la Ceni, l’agence qui est
en charge de ces élections, reçoive un soutien financier transparent, nous avons
hâte qu’une élection présidentielle plus crédible soit organisée en RDC en 2016,
contrairement à ce que nous avons vu en 2011, alors que l’élection de 2006
s’était relativement bien passée. Et de la même manière, au Rwanda, d’autres
pratiques démocratiques, qui accordent plus de place à l’expression de
l’opposition et qui exigent du gouvernement qu’il rende des comptes, doivent
aussi être encouragées.

Avez-vous
soulevé le cas de Victoire Ingabire auprès du président Kagame et celui de Diomi
Ndongala auprès du président Kabila ?

Personnellement,
non. La plupart de ces sujets sont évoqués de façon bilatérale par nos
ambassadeurs. Mon rôle est de traiter des cas qui relèvent des Grand Lacs, donc
dans ces deux pays ce sont nos deux ambassadeurs qui traitent ce genre de
choses.

 

 


 

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