Charles Onana dénonce le silence de l'occident sur le Génocide Congolais

"Charles

Auteur de « Europe, crimes, censure au Congo. Les documents qui accusent »

Vous venez de publier un nouveau livre intitulé « Europe, crimes, censure au Congo ». De quoi s’agit-il ?

Il s’agit du rôle et de l’action de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs et particulièrement en République démocratique du Congo depuis une dizaine d’années. Il faut savoir que l’Europe a dépensé plusieurs millions d’euros en RDC depuis 2002 et cela sans évaluation objective des motivations réelles ni des résultats de ces dépenses.

Je voulais savoir à quoi tout cet argent a servi. Les raisons qui m’ont finalement poussé à mener cette enquête tiennent surtout au silence observé à la fois dans les médias européens et dans le discours officiel des institutions européennes sur la tragédie du Congo et la dictature du Rwanda.

Je ne comprenais pas pourquoi l’Europe, qui prône la défense des droits humains et de la démocratie, s’accommode tant du trucage des élections au Rwanda et en RDC et de la violation des droits de la personne dans ces deux pays. Je m’étonnais aussi du silence persistant en Europe sur le harcèlement des militants des droits humains et leur assassinat tant au Rwanda qu’en RDC. J’ai donc décidé d’enquêter dans « l’arrière-cuisine » de la diplomatie européenne.

Vous avez travaillé sur des documents secrets. Comment avez-vous fait pour les obtenir ?

J’ai effectivement pu obtenir de nombreux documents confidentiels, des rapports et des câbles diplomatiques à la fois de la Commission européenne et du Conseil des ministres. Il faut dire que depuis 1999, je travaille sans relâche sur cette région et j’ai contribué à rompre le silence et à sortir de l’ombre certains dossiers dont l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, le fonctionnement partisan du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et l’occupation de l’Est de la RDC par les rebelles tutsi et l’armée de Paul Kagame.

Je crois que l’obtention des documents a été facilitée par l’honnêteté que je mets dans mon travail d’investigation. Certains diplomates et officiers m’ont fait des confidences après avoir lu mes ouvrages et suivi mes interventions. On peut dire que tout s’est produit à partir d’une confiance profonde établie entre mes sources et moi.

Est-ce que c’était facile pour un journaliste d’investigation que vous êtes d’arracher des confidences de diplomates ?

Il n’est jamais facile pour n’importe quel enquêteur d’obtenir des confidences de diplomates, car ces fonctionnaires vont d’abord vous parler de généralités, voire de mondanités, mais ne vont pas évoquer facilement des dossiers sensibles.

Quand cela arrive, c’est qu’il y a une relation de confiance entre eux et leur interlocuteur. En ce qui concerne cette enquête, je crois que beaucoup parmi eux avaient déjà lu mes travaux et connaissaient mes positions. Ils n’étaient donc pas en territoire inconnu.

Votre enquête part du postulat que l’Union européenne parle moins de l’implication du Rwanda dans les conflits armés qui secouent la RDC depuis plus d’une décennie ; elle ménage beaucoup Kigali et l’épargne d’une interpellation directe sur son rôle dans la déstabilisation de la RDC.

Qu’est-ce qui justifie ce silence, selon vous ?

Il faut d’abord souligner que le silence de l’Europe sur les actions criminelles du Rwanda en RDC est strictement officiel. Dans les documents confidentiels, ces actes sont admis et reconnus. Même le représentant spécial de l’Union Européenne, Aldo Ajello, reconnaît les ingérences étrangères notamment celles du Rwanda en RDC. Mais jamais il n’a osé le dire officiellement.

Pis, il a même fini par devenir l’un des principaux censeurs de l’action du Rwanda en RDC dans le discours officiel. Cet aveuglement des dirigeants européens envers le régime rwandais est fondé sur deux aspects : l’un est « objectif » et l’autre subjectif. L’argument « objectif » repose sur la fausse idée que les Tutsi auraient été « victime d’un génocide » en 1994 au Rwanda et que les rebelles tutsi auraient été les héros de ce drame.

L’argument subjectif est, lui, fondé sur les intérêts personnels de ceux qui sont engagés dans le dossier des Grands Lacs. C’est le cas de l’ancien Premier ministre Tony Blair, devenu conseiller spécial de Paul Kagame et de Louis Michel, « porte parole » de Kagame à Bruxelles, et de bien d’autres …

Pour l’Union européenne, le pillage des minerais, les tortures, les massacres, les exécutions sommaires, les viols… commis contre des millions de civils non armés depuis 1996 dans l’Est de la RDC sont à passer par pertes et profits ?

Bien entendu ! Pour les dirigeants de Bruxelles, les millions de morts du Congo ont nécessairement moins d’importance que les « 800.000 » victimes tutsi du Rwanda. Ces victimes congolaises ont d’autant moins d’importance que leurs bourreaux sont précisément des rebelles tutsi du Rwanda.

C’est ce parti pris obscène qui choque aussi les Congolais. Une victime quelle que soit son origine ethnique, son appartenance religieuse ou sa couleur mérite d’être considérée et respectée. Ce n’est pas le cas actuellement dans les Grands Lacs. Les victimes congolaises et hutu ne sont pas traitées à égalité avec les victimes tutsi, et ce, depuis bientôt vingt ans.

Cela est inacceptable, pervers et dangereux pour l’avenir et pour l’histoire. Le comportement des dirigeants européens et celui des organisations internationales est, dans cette tragédie, contraire aux principes d’équité, d’impartialité et d’égalité de traitement.

Les médias portent aussi une lourde responsabilité dans le maintien de ce déséquilibre sur la qualité de l’information diffusée. Il est compréhensible que des Hutu et des Congolais s’insurgent contre ce parti pris et refusent d’être ainsi déconsidérés et humiliés.

Les lobbies se sont constitués pour imposer la censure dans les médias et les centres de recherche européens…

Le poids des lobbies pro-tutsi est important en Europe et en Amérique du Nord. J’ai eu l’occasion de le vérifier dans ces deux régions du monde. Il est stupéfiant de constater que des thèses et des mémoires de recherche qui sont actuellement soutenus en Europe sur le Rwanda, fondés sur une histoire tronquée et des analyses erronés, sont largement favorables aux rebelles tutsi.

J’ai parcouru certains de ces mémoires et leurs auteurs pensent peut-être avoir obtenu leur diplôme après un travail scientifique sérieux et une note correspondante. C’est très grave pour la qualité de la recherche scientifique concernant les Grands Lacs.

Je crois que cette dernière est fortement marquée par l’intrusion des idéologues et de l’idéologie du « génocide » jusque dans les amphithéâtres des universités. Il y a également deux démographes belges qui ont publié une étude prétendument scientifique dans le seul dessein de relativiser le nombre de victimes congolaises liées à la guerre provoquée par l’armée rwandaise et les rebelles à l’Est du Congo.

La multiplication des initiatives intellectuelles hasardeuses et douteuses devient inquiétante pour la compréhension de l’histoire des crises dans cette région. Cela est incontestablement le résultat d’un travail permanent accompli depuis plus d’une décennie par des lobbies pro-Kagame et pro-tutsi.

Pourtant, il me semble qu’il n’est pas besoin d’être pro-quelque chose pour faire de la science et pour questionner le réel. La surcharge des idéologues est devenue nocive à la connaissance et à l’intelligibilité de la crise du Rwanda et du Congo.

Quel rôle joue le député européen, Louis Michel, dans cette affaire ?

Le rôle de Louis Michel, ancien ministre et commissaire européen, est majeur dans cette action de lobbying. Ces dernières années, ses prises de position aussi bien au sénat belge qu’au sein de la commission européenne ont été déterminantes.

Par exemple, il s’est opposé à la proposition d’un diplomate allemand qui demandait l’adoption de sanctions économiques contre le Rwanda après la publication des rapports de l’ONU prouvant l’implication des troupes rwandaises dans le pillage et la déstabilisation de la RDC.

Louis Michel a considéré qu’envisager des sanctions contre le Rwanda serait contre productif. Pour lui, « Kagame est un visionnaire » et son pays serait un « pôle de stabilité » dans les Grands Lacs. Louis Michel a ouvertement pris fait et cause pour le régime dictatorial de Kagame et s’échine à le défendre coûte que coûte au sein des institutions de Bruxelles.

Les compte-rendus du sénat belge sont à ce sujet édifiant. On y découvre un Louis Michel agissant et parlant non pas comme un ministre belge mais plutôt comme « un militant rwandais » plaidant la cause de son « visionnaire » de Kigali. Il a même osé créer une association des amis du Rwanda au lendemain de la publication du rapport mapping de l’ONU en 2010.

Il était partout, courant et transpirant pour un utopique « dialogue entre Kinshasa et Kigali ». L’impartialité de cet ancien commissaire européen n’a jamais été de mise dans la crise des Grands Lacs.

Vous révélez dans votre livre l’échange qui a eu lieu en 2003 entre le président Joseph Kabila et Javier Solana, chef de la diplomatie européenne. Qu’est-ce qui a motivé vraiment cette rencontre et que se sont-ils dits exactement concernant la crise dans la région des Grands Lacs et dans l’Est de la RDC ?

En fait, le chef de la diplomatie européenne (Javier Solana) et Joseph Kabila ont eu plusieurs échanges téléphoniques et épistolaires. Le président congolais lui a adressé une requête le 20 octobre 2003, dans laquelle il demandait la création d’une unité de police intégrée chargée d’assurer la sécurité des institutions de la transition en RDC.

Ce dispositif sera effectivement mis en place, appuyé et supervisé par EUPOL (la Mission Européenne de Police). Il aura pour objectif d’assurer la sécurité des bureaux de vote, la protection des urnes et celle des membres de la commission électorale indépendante.

En réalité, l’unité de police intégrée a servi à empêcher toute contestation des Congolais à la suite d’un scrutin qui devait donner Joseph Kabila gagnant. Celui-ci était, en effet, déjà soutenu et désigné par les Etats-Unis avant le scrutin. La demande de protection du processus électoral va également s’étendre au plan militaire.

C’est ainsi qu’en 2006, Solana écrit à Kabila pour le rassurer de la possibilité d’un déploiement d’une force de l’Union Européenne en RDC dans le cadre des élections. Joseph Kabila répond immédiatement dans une lettre du 19 mai 2006 par laquelle il le remercie de cette initiative. Le chef de l’Etat congolais a donc pu ainsi bénéficier du soutien des Etats-Unis, des Nations Unies et de l’Union Européenne pour accéder au pouvoir.

Aujourd’hui, l’opinion nationale et internationale est convaincue que Kagame est l’instigateur de la guerre dans la partie orientale du Congo. Les preuves existent. Selon vous, pourquoi depuis longtemps les gens avaient sous-estimé le rôle du Rwanda dans la déstabilisation de la RDC ?

Beaucoup de personnes, y compris au sommet de l’Etat du Congo-Zaïre, ont d’abord regardé la taille du Rwanda et sa faible influence politique et économique pour évaluer sa capacité de nuisance. Sur la base de ces seuls critères, ils ont sous-estimé les actions de déstabilisation venant de Kigali.

C’était une grave erreur car il fallait surtout regarder les forces dissimulées derrière les rebelles tutsi. Ce sont ces forces qui représentaient véritablement et qui représentent aujourd’hui encore une menace sérieuse contre le Congo-Zaïre. C’est en 2002, il y a maintenant dix ans, que je mettais les Congolais en garde contre la guerre que le Rwanda portait sur le territoire de la RDC.

Très peu de personnes comprenaient à cette époque qu’il s’agissait d’une guerre longue, cruelle et lucrative contre le Congo. Les Congolais payent depuis le prix fort et ceux qu’ils avaient chaleureusement accueillis en RDC ont lâchement retourné le fusil contre leurs bienfaiteurs.

En réalité, les Congolais n’imaginaient pas que leurs voisins immédiats seraient les premiers à les dépouiller, à les déstabiliser et à les massacrer. Lorsque la guerre a été déclenchée au Rwanda après l’assassinat du président Habyarimana en 1994, les Congolais n’ont pas vu que cette guerre leur était destinée. Ils en ont maintenant la preuve depuis 1998 avec l’invasion officielle des troupes de Kagame.

D’aucuns disent que les épisodes tragiques observés en RDC depuis le début des hostilités en 1996 ont été bel et bien planifiés. Qu’en pensez-vous ?

Lorsque vous regardez les cartes militaires des services de renseignement européens, il est évident que le positionnement de la rébellion tutsi à la frontière du Congo-Zaïre comme d’ailleurs les bombardements que cette même rébellion a dirigé à l’Est de la RDC en prétextant chasser les « génocidaires hutu », avec l’aide des satellites américains, visaient les zones minières et la prise de contrôle du Congo à partir de l’Est.

En analysant chaque épisode de ce conflit, dont la période de la direction de l’état-major militaire congolais par l’actuel ministre de la Défense du Rwanda, James Kabarebe, on comprend que tout cela n’était pas le fait de quelques illuminés en mal de sensations fortes.

Selon vous, peut-on faire échouer le plan de balkanisation de la RDC et comment ?

Ce serait prétentieux et maladroit de ma part que de vouloir brandir ici « une recette » pour empêcher la balkanisation du Congo. Toutefois, je reste convaincu que nul ne pourra vaincre la volonté et la détermination de tout le peuple congolais s’il est véritablement opposé à la balkanisation de la RDC.

Je peux dire que les Soudanais, voisins directs du Congo, ont cru qu’ils allaient écarter toutes les ingérences extérieures en acceptant la partition de leur pays. Ils ont plutôt perdu la stabilité à la fois au Nord et au Sud du Soudan. Les Congolais ont le devoir de ne pas commettre la même erreur que les Soudanais.

Ils ne doivent pas se laisser distraire ni par l’accueil du Rwanda au Conseil de sécurité ni par les pseudo pourparlers de paix à Kampala. Ils doivent garder les yeux rivés sur les véritables actions et l’agenda du M23 et du Rwanda. Autrement dit, l’agenda de ceux qui les soutiennent et les appuient militairement et financièrement.

Quelle lecture faites-vous des pourparlers de Kampala entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23 ?

C’est un jeu de dupes. Le gouvernement de Kinshasa n’a pas de marge de manoeuvre face à la menace du M23 et à la pression de Kigali. Ce qu’il faut constater c’est qu’à ce jour les multiples pourparlers et les divers accords de paix avec le Rwanda et ses rébellions du RCD, CNDP, M23, … n’ont été suivis en définitive que de crimes, de pillage et d’instabilité à l’Est du Congo.

Comment l’Ouganda, ex-agresseur de la RDC, peut-il parrainer une rencontre avec le Rwanda, actuel agresseur, et ses rebelles ? Il faut croire que tout ce petit monde a l’imagination évanescente et la créativité déficiente. Les Congolais ne peuvent pas décemment croire que ces discussions entre charognards sont d’un quelconque intérêt pour la défense de la nation RDC.

Propos recueillis par ROBERT KONGO, correspondant en France/LP




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