Le Plan Marshall et le capitalisme prédateur. L’Est du Congo pourrait faire exception (Mbelu Babanya Kabudi)


   

Après la Grande Dépression de
1929, le président Roosevelt a proposé un New Deal au peuple américain.
Il a mis en place un Etat public régulateur de l’économie.« Pendant longtemps,
écrit Peter Dale Scott, il a semblé que le New Deal de Roosevelt,
répondant à la plus grave crise économique des l’Histoire de la nation, avait
initié une nouvelle ère plus stable de capitalisme régulé, avec des syndicats
puissants et des mécanismes de contrôle de banques, ou encore la négociation
des salaires et des avantages sociaux des travailleurs grâce à des procédures
d’arbitrage mutuellement acceptées. »
[1]
Après la seconde guerre mondiale, l’Etat public régulant le capitalisme fut
long feu. Le Département de la Justice échoua dans sa tentative d’appliquer aux
majors pétrolières US les lois antitrust. « La survie des majors à ce défi
intérieur amplifia leur déjà spectaculaire influence sur la politique étrangère
des Etats-Unis. Celle-ci peut-être observée dans la Doctrine Truman de 1946 (qui
garantissait la sécurité maritime en Méditerranée pour les tankers transportant
du pétrole saoudien) et le Plan Marshal de 1948 (qui créa en Europe de l’Ouest
un marché pour le surplus de pétrole moyen-oriental). »
[2] Notons que ce Plan fait partie de l’expansion
du capitalisme prédateur.

 

Et en 1948, quelle est la
doctrine qui oriente la politique étrangère US ? Sur quoi est-elle fondée ? Au
Conseil des relations extérieures, un groupe d’études dénommé Guerre et Paix, a
concocté le projet du Grand Domaine. Il partait d’un constat : les USA avaient
60% de la richesse mondiale et 6,3% de sa population. Ils devraient être sûrs
que cette situation en ferait l’objet d’envie et de ressentiment.« Notre
véritable tâche dans la période qui vient, nota ce groupe d’étude, est
d’imaginer un système de relations qui nous assure de maintenir cette
disparité. »
[3] Pour ce faire, ils
devaient rompre avec « les idées illusoires » telles que celles de l’élévation
du niveau de vie des citoyens, de la démocratisation et des droits de l’homme.

 

« Ne nous berçons pas de
l’illusion que nous pouvons nous permettre le luxe d’être altruistes et
bienfaiteurs de l’humanité, écrivit-il. » Pour ce groupe d’études, les rapports
sociaux sont exclus de l’approche de l’autre comme socle à partager. Il n’ya
que les rapports économiques qui comptent.

 

Disons que le contexte dans
lequel le Plan Marshal va être appliqué est celui du capitalisme prédateur,
excluant tout altruisme, toute philanthropie, toute justice sociale et tout
effort de gouvernement démocratique régulateur. Il participe du projet du «
Grand Domaine » conçu dans le secret.

 

De quoi s’agit-il ? Il s’agit
de la conquête de « l’espace mondial stratégiquement indispensable pour
s’assurer la maîtrise du monde, trouver de nouvelles terres, se procurer
facilement des matières premières, en même temps qu’exploiter la main-d’œuvre
‘servile à bon marché’ des indigènes. Développer l’esprit des colonies (…)
permettra également d’écouler les marchandises produites dans leurs usines. »
[4]Le « Grand Domaine » est le lieu de
l’organisation de la subordination des intérêts nationaux des pays dits « amis
» ou « alliés » à ceux des USA. Le Plan Marshall, la Banquemondiale, le FMI et
l’OMC en ont été « des créatures ». Il a été conçu par un petit groupe de
l’élite américaine pour l’expansion du capitalisme prédateur et non pour le
bien-être des peuples.

 

Mais ce n’est pas cela que
l’histoire officielle enseigne. Celle-ci présente les américains comme « les
libérateurs » des français et d’autres occidentaux du nazisme au point qu’un
discours comme celui que nous empruntons dans cet article à Danielle Mitterrand
est dérangeant. Elle note : « Libérer les Français du nazisme ! Sauver la
démocratie ! Ils ont débarqué sur les plages de Normandie pour sauver la démocratie.
Beaucoup ont donné leur vie. Mais ils ne savaient pas, eux non plus, qu’un
groupe d’études qu’ils ne connaissaient pas avait d’autres objectifs en tête,
et n’hésitait pas à en balayer les principes d’un trait de plume. »
[5] L’un de ces objectifs fut de
transformer l’Europe de l’Ouest en un terrain de guerre économique. « Première
victoire : dissolution du système monétaire par la fin de la référence-or,
stratégie élaborée des multinationales, manipulations boursières du dollar,
insertion dans une zone de libre-échange dont on connaît les effets. » L’un de
ces effets fut la soumission du Marché commun aux puissances extérieures et
plus tard, la création de l’UE
[6].

 

Quand certains pays
occidentaux parlent du « Plan Marshall » pour l’Est de la RDC, notre peur est
qu’ils ne soient en train de vendre « la version officielle » dudit Plan. Il
est possible qu’ils puissent se dire que « leurs alliés »congolais ne savent
pas que l’UE est « américanisée » et qu’elle est dirigée par la troïka composée
de la Commission Européenne, du FMI et de la Banque CentraleEuropéenne. Et que
plusieurs pays européens (ou même tous) ont perdu leur souveraineté face à
cette troïka
[7].La RDC va-t-elle avoir
affaire, pour « son Plan Marshall », à une petite élite européenne travaillant
pour le bien-être des multinationales, soutiens de la troïka, après tous les
crimes perpétrés en Afrique centrale par le capitalisme prédateur
[8] ?

 

Posons quand même quelques
questions bêtes. Comment l’Europe qui impose des plans d’austérité à certains
de ses membres, comment l’Europe où les entreprises ferment les unes après les
autres, où le chômage est galopant, où certains peuples sont stigmatisés à
cause de leurs origines identitaires peut-elle aller travailler au redressement
de l’Est de la RDC ? Pourquoi ne donne-t-elle pas un coup de main aux USA qui
ont maille à partir avec leur budget ? Pourquoi n’utilise-t-elle pas son argent
à payer sa dette intérieure abyssale ?

 

Aussi l’Europe est-elle en RDC
depuis très longtemps et davantage à partir des élections de 2006. Pourquoi
a-t-elle attendu si longtemps pour appliquer « son Plan Marshall » à l’Est de
la RDC ? Veut-elle poursuivre son travail de« destruction créatrice » dans ce
pays qui est au cœur de l’Afrique ? Quels sont les principes sur lesquels elle
veut bâtir « son Plan Marshall » ?

 

Il est possible que la
Belgique et certains pays européens aient un véritable « Plan Marshall » pour
l’Est de la RDC. La RDC pourrait être une exception dans l’histoire du
capitalisme prédateur. Mais pourquoi un « Plan pour » et non un « Plan avec » ?
Un« Plan pour » irait dans le sens de la logique néocoloniale et paternaliste.
Un « Plan avec »irait dans le sens de l’interdépendance des peuples. Et d’une
interdépendance responsabilisante. Il exigerait que les partenaires se mettent
d’accord sur les principes à respecter dans la réalisation commune de ce « Plan
».L’un des principes serait le respect de la souveraineté de la RDC afin que
les décisions prises pour la reconstruction d’une partie de son territoire ne
lui soient pas dictées de l’extérieur. Qu’elle décide seule en âme et
conscience des orientations à donner à cette reconstruction multiforme et
implique ses partenaires extérieurs à bon escient. (Or, la RDC est un pays sous
tutelle, sous occupation., etagencifié au niveau de ses ministères.
Donc, il ne peut rien décider par lui-même.)

 

Un autre principe serait celui
de la légitimité du pouvoir avec lequel les partenaires extérieurs veulent
travailler. Ou ceux-ci considèrent que le respect des droits de l’homme, de la
démocratisation participative, de la justice sociale, du pluralisme politique
(piliers d’un pouvoir légitime) est un objectif illusoire dont ils ne doivent
pas tenir compte au nom du capitalisme prédateur qu’ils servent ; ou ils y
recourent comme base politique indispensable à la lutte contre la crise
anthropologique dont souffre toute la RDC. (Or, ils voudraient travailler avec
un pouvoir illégitime qu’ils ont créé après les élections piège à con de 2006.
Donc, il n’y aurait rien à attendre de ce Plan.)

 

Un troisième principe serait
la refondation de tous ces échanges et « Plans »sur autre chose que les
rapports économico-financiers en reconnaissant la commune socialité (et la
solidarité) comme des valeurs sur lesquelles il ne faut pas transiger.

 

A notre avis, il pourra être
difficile à l’UE de repenser sa façon de faire avec la RDC. Sa prise en otage
par la troïka est un handicap sérieux à la promotion de relations
d’interdépendance responsable et responsabilisante. Dominée par « la démocratie
du marché », elle va travailler à l’extension du Grand Domaine. Elle va
contribuer à l’avancement du projet du « marché de l’Afrique de l’Est » aux
dépens des valeurs qui l’ont façonnée quand elle régulait encore le
capitalisme.

 

Avec le Plan Marshall UE, la RDCet
sa partie orientale ne seront pas sorties de l’auberge. Le réseau d’élite
transnational de prédation tirera son épingle du jeu après « les loyaux
services » qu’il aura rendu aux « cosmocrates », ces multinationales sans foi
ni loi.

 


 


 

 


 

[1] P. DALE SCOTT, La
machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue,
l’Afghanistan
,…, Paris, Demi-Lune, 2012,p. 69.

 

[2] Ibidem.

 

[3] D. MITTERRAND, Le
livre de ma mémoire
, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p.408.

 

[4] Ibidem.

 

[5] Ibidem, p.
416.

 

[6] Pour en savoir
plus, écouter la conférence de François Asselineau du 21 avril 2012 intitulée «
Qui gouverne la France et l’Europe »sur ce lien :
http://www.youtube.com/watch?v=Bb8dB7d3BdE

 

[7] Lire C. DELOIRE et
C. DUBOIS, Circus politicus, Paris, Albin Michel, 2012.

 

[8] Lire C. ONANA, Europe,
crime et censure au Congo. Les documents qui accusent
, Paris, Duboiris,
2012

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