11 01 14 La Libre: Omasombo – "On entre dans une période d’incertitude"

 Le Pr. Omasombo analyse la récente déstabilisation du Congo.

Quelle est votre lecture des attaques du 30 décembre par des fidèles du pasteur Mukungubila ?

D’abord,
je remarque que ce pasteur a pris la fuite et a disparu – comme
l’auteur d’une autre tentative de coup d’Etat, un Luba également
originaire du Nord-Katanga, Eric Lenge.

Rappelez-vous,
les 10 et 11 juin 2004, ce major responsable du groupe commando d’élite
de la garde présidentielle avait pris le siège de la radio nationale
avant de disparaître sans être jamais inquiété. Maintenant c’est le
pasteur qui a disparu selon le même schéma; on s’interroge bien sûr sur
la qualité des services de sécurité, de la police, voire de l’armée. Et
l’on s’étonne de la facilité avec laquelle les fidèles du pasteur ont à
la fois occupé la radio-télévision et attaqué l’état-major général et
l’aéroport international de Kinshasa.

On
note aussi que la déstabilisation survient dans des provinces réputées
encore favorables au président Kabila : attaques spectaculaires au
Katanga et, cette fois, le Maniema a été touché. On sait que le Kivu et
la Province orientale, les autres régions qui avaient voté massivement
Kabila en 2006, s’en sont éloignés progressivement. Cela paraît
significatif : le mécontentement gagne l’opinion.

Ces événements sont-ils liés à la longue attente d’un nouveau gouvernement ?

La
lecture par l’opinion publique de la défaite du M23 au Kivu et "des
concertations nationales" me semble avoir un lien avec ces événements.
Dans les attaques du 30 décembre, on peut percevoir le mécontentement
lié à la nomination à la tête de la police nationale du général Charles
Bisengimana – un Tutsi, comme la majorité des combattants du M23. Cette
promotion passe aux yeux de l’opinion pour une garantie donnée par le
président Kabila au M23. Il y aurait des garanties formelles, signées
par le gouvernement, et des garanties "réelles" ou alliances. Le CNDP,
duquel est issu le M23, était devenu un parti politique de la majorité
présidentielle en mars 2011, une alliance qui paraissait alors
intéressante pour gagner les élections de novembre. Quelle participation
au pouvoir était-elle convenue pour le CNDP ? Cette fois-ci, la
promotion de Bisengimana à un poste trop en vue, succédant à un
Katangais, John Numbi, survient à un moment très sensible, alors que
depuis la clôture des concertations nationales, le 24 octobre, qui ont
suscité énormément d’attente, il ne s’est rien passé sauf cette
nomination, qui sonne dès lors comme une explosion.

Pourquoi le président Kabila a-t-il convoqué ces concertations nationales ?

Je
pense qu’il a voulu s’en servir pour rebondir, à la fois réparer sa
réélection contestée de 2011 et, surtout, se trouver une place pour la
présidentielle de 2016. On sait qu’il a dû renoncer à modifier la
Constitution pour se permettre un troisième mandat. Par les
concertations nationales, il aurait espéré mettre en place une forme de
transition organisant un nouveau cadre et, ainsi, repartir pour de
nouveaux mandats comme en 2006, quand une nouvelle Constitution lui
avait permis de se présenter à deux mandats, les cinq années de pouvoir
effectuées auparavant étant "effacées".

Deux
mois et demi après le discours de clôture des concertations nationales
par M. Kabila, cependant, le gouvernement "d’union nationale" n’est
toujours pas en vue.

Tout le monde attend
! Alors que le gouvernement est en affaires courantes, l’atmosphère est
pesante à Kinshasa. Les concertations nationales ont échoué et en
voulant en tirer coûte que coûte des résultats, le Président, qui
annonce un gouvernement d’union nationale se crée lui-même de nouveaux
problèmes. Qui prendre et qui laisser ? Kabila a face à lui 3 000 ou 10
000 candidats, alors que le gouvernement, même élargi, ne peut dépasser
60 places. Il sait qu’il devra nécessairement mécontenter de nombreux
courtisans. Dans cette atmosphère, on peut se demander s’il ne sera pas
pris en otage, comme Mobutu l’a été dans la phase décroissante de son
pouvoir jusqu’à sa chute, en 1997. Sa garde présidentielle l’avait alors
retenu à Gbadolite et il avait dû payer une rançon pour pouvoir fuir le
pays.

Pourquoi n’y a-t-il pas de gouvernement ?

En
raison de divers facteurs. D’abord, la quantité des demandes et des
attentes. Et la diversité des réseaux à satisfaire. Sans compter la
manière d’opérer du Président qui, en particulier depuis les élections
de 2011, sort souvent du cadre légal pour s’attribuer des prérogatives
que ne lui donne pas la Constitution. Contrairement à ce qu’elle
prescrit, il a ainsi désigné ses Premiers ministres – Gizenga, Muzito,
Matata – chaque fois en dehors du parti majoritaire au Parlement, le
PPRD. Il faut souligner que Kabila prend toujours soin de se présenter
comme au-dessus de la mêlée et ne prend pas la direction du PPRD, avec
lequel il conserve une certaine distance. Il a, certes, besoin de ce
parti comme instrument de propagande mais ne peut compter sur lui pour
assurer et organiser son pouvoir réel. Ses conseillers, son énorme
machine présidentielle, sa Maison militaire et sa garde sont pour lui
des outils plus importants, qui échappent complètement à l’emprise d’un
parti qui n’en est pas réellement un.

Aujourd’hui
les principaux acteurs du PPRD sont mécontents du Premier ministre,
dont ils exigent le départ, notamment parce qu’en bancarisant les fonds
pour les institutions, Matata rend leur accès plus difficile. Ces gens
ne sont plus, pour la plupart, que de simples députés. Formellement les
alliés de Joseph Kabila, ils veulent qu’un Premier ministre soit nommé
dans leurs rangs; cela en ferait plus ou moins le dauphin du Président
pour 2016. Mais Kabila accepte-t-il ce schéma ?

Le chef de l’Etat est aujourd’hui dans une
position où il risque de créer de nombreux Kamerhe (1) : des mécontents
qui deviennent des rivaux dangereux parce qu’ils le connaissent bien.

Quelle conclusion tirez-vous de la situation ?

Joseph
Kabila ne devance plus les événements, il court derrière le temps. Il
se demande comment revenir à sa meilleure période, celle qui va de 2006 à
environ 2009. En 2006, élu, il avait annoncé : "la récréation est finie" et présenté son programme de "cinq chantiers". Mais il s’est mis lui-même en récréation et a raté ses objectifs.

La
question qui se pose aujourd’hui est : vers quel destin avance-t-il ?
Les événements de 2013 semblent indiquer qu’on entre dans une période
d’incertitude.

(1) Président de l’assemblée nationale (2006-2009) limogé, aujourd’hui président du parti d’opposition UNC.

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