Alors que le Congo demeure fragile, l'ONU ne doit pas porter son effort ailleurs Par Colette Braeckman, journaliste

Il est certain que la stabilisation militaire actuelle ne plaît pas à tout le
monde et que certaines forces, intérieures et extérieures, n’ont pas renoncé à
tirer profit d’un « chaos organisé ». Car à les ADF Nalu, si l’on peut dire, ont
bon dos : a-t-on jamais vu un mouvement décrit comme sortant de la brousse,
composé de terroristes armés de machettes, laisser derrière lui des
préservatifs, tandis que les hommes s’exprimaient dans l’une des langues de
l’Ouganda voisin et ressemblaient plutôt à des militaires en service commandé…

Alors que le rôle du président Museveni, ou en tous cas de membres de son
entourage apparaît de plus en plus suspect, ce dernier aurait suggéré aux
Nations Unies de dépêcher au Soudan du Sud la brigade d’intervention africaine,
composée de 3000 hommes et qui, épaulant les FARDC a permis une victoire
décisive contre le M23, ouvrant la voie à une réelle pacification de la région.
Comme par hasard, les protagonistes du Sud Soudan dont Riek Machar, proche de
l’Ouganda, souhaitent eux aussi le déploiement de forces africaines…

Si elle était appliquée, cette brillante suggestion dégarnirait le « front » du
Nord Kivu de sa meilleure défense et démoraliserait sérieusement les forces
gouvernementales ; elle risquerait aussi d’annuler les effets de la seule
réelle victoire militaire que les Nations unies aient engrangé au Congo en une
décennie de coûteuse présence…

Cela étant, bien des questions subsistent à propos de
l’attaque survenue la veille du Nouvel An…

Des « terroristes », disposant de « pauvres moyens » et
désireux de « perturber les fêtes »? Souhaitant calmer les esprits, Lambert
Mende, Ministre de l’Information et porte parole du gouvernement congolais, a,
quelques heures après l’alerte qui a secoué Kinshasa, essayé de minimiser la
portée de l’attaque qui avait eu lieu, lundi matin, en trois points
névralgiques de la capitale : le camp militaire Tshatchi, l’aéroport de N’Djili
et le bâtiment de la radio télévision nationale RTNC, faisant une quarantaine
de morts parmi les assaillants.

Ces assauts, menés par des jeunes gens en T-shirt, armés de machettes mais
aussi d’armes lourdes, ont été spectaculaires : en direct durant une émission
de télévision, les assaillants ont fait irruption sur le plateau, menaçant les
journalistes. Au même moment, d’autres groupes faisaient irruption à
l’aéroport, provoquant une interruption de tous les vols tandis qu’un troisième
groupe, scandant des slogans anti-Kabila et accusant le président d’avoir cédé
aux Rwandais, tentaient de s’emparer du camp militaire. Comment croire que ces
attaques, menées au même moment par plusieurs dizaines d’hommes aient pu être
un mouvement spontané ? Et, plus encore, comment croire qu’une telle action ait
pu être décidée en dernière minute, quelques heures après la nomination du
général Bizimana à la tête de la police nationale, intervenue durant le week
end précédent?

Certes, les assaillants puis le porte parole du pouvoir mirent en avant le nom
du pasteur katangais Mukungubila, qui fut candidat à l’élection présidentielle
de 2006 mais ne recueillit que 60.000 voix, mais il semble bien que les
véritables commanditaires de l’attaque étaient ailleurs et qu’ils disposaient à
la fois de moyens militaires, de capacités logistiques et de complicités au
sein de l’appareil d’Etat. Car au moment même où Kinshasa était secouée par les
tirs et où la population se hâtait de regagner les quartiers périphériques, une
autre attaque se déroulait à Kindu, dans le Maniéma : des hommes en armes
tentaient non seulement de prendre le contrôle du camp militaire mais de
rallier à leur cause les unités en place, dont un bataillon de troupes d’élite,
actuellement formé par des instructeurs belges.

Leurs arguments étaient les mêmes qu’à Kinshasa : ils dénonçaient la politique
du chef de l’Etat, présentée comme « pro rwandaise ». Là aussi, ils furent mis
en déroute et le bataillon encadré par les instructeurs belges récusa fortement
cette proposition de subversion. Si les militaires de Kindu avaient réagi
autrement, la situation générale se serait peut-être retournée en faveur des
mutins… On peut d’ailleurs se demander si les assaillants qui s’emparèrent
brièvement de la RTNC
ne souhaitaient pas eux aussi faire basculer l’opinion, dans une ville réputée
hostile à Kabila…

Réelle tentative de coup d’Etat ou avertissement sérieux adressé au régime ?
L’histoire n’a pas encore livré tous ses secrets, mais les évènements révèlent
en tous cas un sérieux malaise au sommet de l’Etat : il y a longtemps en effet
que les « Katangais » et plus précisément les originaires du Nord Katanga,
généralement appelés « Balubakat » s’estiment marginalisés alors que naguère,
du temps du regretté conseiller Katumba Mwanke ils formaient la garde
rapprochée des hommes de confiance autour de Kabila. En effet, le pasteur Ngoy
Mulunda, accusé de l’échec relatif des élections de 2011, a été écarté au
profit de l’abbé Malu Malu à la tête de la Commission électorale
indépendante, tandis que John Numbi, ancien chef de la police nationale et
forte personnalité, a été suspendu à la suite de l’assassinat de Floribert
Chebeya, le militant des droits de l’homme, retrouvé mort au sortir de ses
bureaux. Jusqu’à présent, John Numbi n’était qu’en disgrâce et suspendu de ses
fonctions mais la nomination de Charles Bisengimana a consacré sa mise à
l’écart.

Or Bisengimana, qui avait exercé l’interim du puissant général, demeure, malgré
son efficacité et sa loyauté à l’égard du chef de l’Etat, très contesté au sein
des forces armées. L’état major n’a pas oublié que ce Tutsi congolais banyamulenge
avait en 1998 rejoint la rébellion pro rwandaise du RCD Goma (Rassemblement
congolais pour la démocratie) et d’aucuns le rendent responsable de
l’exécution, sur l’aéroport de Kavumu près de Bukavu, d’une trentaine
d’officiers congolais, anciens mobutistes ou loyaux au président Laurent Désiré
Kabila, père de l’actuel chef de l’Etat et d’un massacre de civils à Mugunga.
Des crimes de guerre à propos desquels il ne fut jamais interrogé, ayant
bénéficié, comme tant d’autres, de l’impunité et de la réintégration dans la
hiérarchie militaire…

Voici quelques mois, le « clan des Katangais » avait déjà inspiré les miliciens
« bakata katanga » qui s’étaient brièvement emparés de Lubumbashi et avaient
ensuite été transférés à Kinshasa. Auraient ils aujourd’hui adressé un sérieux
coup de semonce au président soupçonné de vouloir modifier ses alliances pour
se recentrer sur le Centre et l’Ouest du pays ? Auraient ils voulu peser sur
les prochaines échéances politiques et profiter sinon du vide, du moins d’une certaine
fragilité du pouvoir ?

Le pays en effet attend depuis plusieurs semaines la nomination du Premier
Ministre qui devrait succéder à l’actuel Matata Mponyo qui est toujours en «
affaires courantes ». Alors que les candidats se bousculent et qu’au nom du
Katanga, l’ancien gouverneur de la
Banque
centrale Masangu brigue le poste ainsi que le Ministre
des Affaires étrangères Tshibanda, le chef de l’Etat tarde à prendre congé de
son très efficace Premier Ministre qui a remis le pays sur la voie de la croissance
et tente de fermer tous les robinets de la corruption. Au grand dam d’un élite
politique et militaire qui pourrait, elle aussi, avoir été tentée de jouer le
tout pour le tout ou, à tout le moins d’exprimer son mécontentement en
soutenant une aventure qui a tout de même entraîné une centaine de victimes…

 

 

 

 

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.