Tuer, tuer, tuer et ensauvager. Le lot quotidien de la RDC En mémoire Moustapha Ndala Par Jean-Pierre Mbelu, analyste politique
Qui sont tous ces messieurs ? Des fils du Congo. Souvent coupables
daimer leur terre-mère et de dire la vérité sur son exploitation éhontée
par les élites occidentales dominantes et leurs nègres de service. Ils ont eu
le malheur dêtre sortis dune terre aux richesses fabuleuses. En dehors
de ces noms connus, plus de 8000.000 des Congolais(es) paient le prix de cette
appartenance à cette terre depuis les années 90. Et les efforts sont déployés
pour effacer cette histoire ou en falsifier le fil rouge quand tous ces
compatriotes ne sont pas tout simplement criminalisés : « ils sont
des terroristes ».
Tuer et ensauvager, cest nier son humanité et celle de lautre. Le
Congo est en train de basculer dangereusement, par la bêtise de son actuel gouvernement
fantoche et de ses supporters, dans linhumanité. Il a le devoir de
redevenir humain. Contre vents et marées !
Quand, en 1996-1997,
lAFDL participant de ‘limpérialisme intelligent prend une part active à la
guerre de basse intensité orchestrée par les élites dominantes anglo-saxonnes
et ‘les nouveau leaders de la renaissance africaine, Kagame et Museveni,
elle ment aux Congolais(es) en prétendant quelle sest engagée à chasser
Mobutu du pouvoir pour ‘les libérer. Plusieurs dentre
nous ont cru en ce mensonge. Et cette crédulité perdure. Nos compatriotes sont
embrigadés dans larmée et envoyés au front comme chair à canon au profit
des entreprises transnationales.
Les Africains avertis
et les autres hommes et femmes de bonne volonté, à travers le monde, avaient
réussi à saisir lun des enjeux de cette guerre. Se confiant à René
Holenstein, Joseph Ki-Zerbo dit : « Je me rappelle que quand
Laurent-Désiré Kabila avançait vers Kinshasa, la capitale de ce qui devait
devenirla RDC, il était accompagné par de véritables meutes, par des groupes
qui chacun flairait sa concession minière. Au cours de la progression, on
négociait en même temps les droits concernant les différents secteurs miniers
du pays. »[1] Et il ajoute –ceci est très important- :
« Aujourdhui donc, il y a une autre sorte de nouveau partage de lAfrique
qui ne dit pas son nom, mais qui se fait à travers linvasion
capitaliste, financière surtout, dans les différentes zones du
continent. »[2] (Les exemples crèvent les yeux :
Soudan, etc.) Avoir accès aux concessions minières, procéder à un nouveau
partage de lAfrique, détruire ses identités culturelles et nationales, avoir
une main-dœuvre corvéable à merci, etc., sont les objectifs permanents des
multi et transnationales aidées par « les petites mains expertes du
capital » dans « une économie de guerre permanente ». Et Joseph
Ki-Zerbo ajoute encore : «Cela nous montre bien que les peuples
nintéressent pas ces gens. Il y a des guerres qui sont soutenues,
appuyées, trafics darmes y compris, par ces organisations et compagnies
minières transnationales. Et parfois, elles nhésitent pas à susciter des
rébellions pour affaiblir le pays avec lequel elles négocient. »[3] Elles sont de plus en
plus fortes et plus puissantes que les Etats. Elles arrivent, par des
lobbys interposés à infléchir les principes de gestion étatique pour leurs
intérêts privés tout en réservant aux pays où elles sont installées leur part.
Nous ne le dirons
jamais assez, la matrice organisationnelle sur fond duquel fonctionnent ces
multi et transnationales est porteuse de la violence et de la mort. Et ces
dernières doivent leur fonctionnement optimal à leur capacité dimpliquer en
les corrompant de mille et une façons « leurs petites mains expertes »
du Nord et du Sud, de lEst et de lOuest. Elles accomplissent « un
travail merveilleux » en réseau, dépassant la ridicule dichotomie des
‘méchants loups du Nord et des ‘doux agneaux du Sud. Dans lannexe citant
les principales sociétés impliquées dans le pillage et la criminalité en
Afrique, ‘Noir Canada est très instructif sur ce sujet[4].
Mensonge, travail
minutieux en réseau, corruption des élites compradores, fabrication des
rébellions et de la criminalité pour affaiblir les pays convoités, une
rhétorique à fortes doses de propagande criminalisant toute résistance à cette néocolonisation de lAfrique, des cœurs et des
esprits, décervelage, etc., telles sont ‘les armes de destruction
massive auxquelles recourent ces ‘cosmocrates ‘ sans scrupule,
créateurs de ‘lempire de la honte.
Avec leurs experts,
ils savent que « lopinion est fondée sur lignorance (…). »[5] Ils mobilisent les moyens
intellectuels[6], médiatiques,
matériels, spirituels, sociaux et économiques pour que lapprentissage de
lignorance finisse par démobiliser les cœurs et les esprits et laisser
le champ libre à leur exploitation éhontée de lhumain.
A ce point nommé, les
minorités organisées en conscience comprennent quelles ne doivent pas baisser
la garde. Elles savent ceci : « Informer, rendre transparentes les
pratiques des maîtres est la tâche première de lintellectuel. Les vampires
craignent comme la peste la lumière du jour. »[7]
Disons que ce que le
Congo de Lumumba est en train de vivre depuis la guerre de lAFDL est
« une criminalité organisée » par « une économie gangstériste de guerre permanente ». Elle
tient à éliminer tous les dignes fils et filles de ce pays. Kimbangu,
Kimpa Vita, Lumumba, Chebeya, Bazana, Mbuza Mabe, Tungulu, Mamadou Ndala,
Kalume, Serge Maheshe, Alain Moloto, etc. en sont tombés victimes. Et une
guerre menée en réseau est difficile à cerner quand on en connaît pas la
véritable nature. Elle a des ennemis à lextérieur et à lintérieur du pays.
Malheureusement, une relecture biaisée de notre histoire ne nous aide pas à
avoir le fil rouge de cette criminalité organisée. Souvent, certains
dentre nous citent Adam Hochschild et loubient aussitôt après. «La
terreur coloniale dans lEtat du Congo » se poursuit dans un Congo mis
sous la tutelle de lONU. Hier avec des ‘Kapitas médaillés ;
aujourdhui, avec ‘les nouveaux leaders de la renaissance africaine et leurs
complices opérant dans les institutions agencifiées du pays.
Sommes-nous le seul
peuple du monde à subir les affres de la colonisation et de la
néocolonisation ? Non. Plusieurs peuples de lAmérique Latine sont passés
par là. Le Venezuela, lEquateur,
Prenons un seul
exemple,
bonne partie de son peuple, réellement réussir à se débarrasser de lEtat
colonial quà lélection dEvo Morales en 2005. Pourquoi a-t-il cru en
cela ? Evo Morales lui a donné la fierté dêtre un peuple digne. En
faisant quoi ? En créant un Etat national pluriethnique ou plutôt un
Etat de droit plurinational ayant la souveraineté économique, culturelle,
spirituelle et matérielle. Cet Etat a récupérer en les nationalisant les
entreprises publiques gérant les ressources du sol et du sous-sol bolivarien et
en luttant contre la pauvreté. « Devenu maître de ses richesses et
souverain sur sa terre, le peuple bolivien, soutient Evo Morales, doit
construire une nation pluriethnique, démocratique et solidaire. » Et
« pour lui, lEtat national est synonyme dEtat de droit. Il organise la
justice sociale, léquité, la protection des droits de lhomme. Il assure à
chacun la liberté et la sécurité. » Le peuple bolivien a-t-il chassé les
entrepreneurs privés ? Non. Il les gère autrement. Quand ils sont
impliqués dans la gestion des entreprises bolivariennes, ils prennent 18% du
prix et les 82% vont à lEtat. Cette opération est légalisée. Le gaz, le
pétrole et les mines sont les propriétés du peuple bolivarien et cela ne se
discute pas. Une Assemblée constituante a légiféré sur toutes ces
matières.
Comment
est-il arrivé là ? Elle a une tradition de la résistance contre les
colons, les néocolons et leurs ‘Kapita médaillés. Déjà en 1781,
ses dignes fils, un indien, Julien Apaza, alias Tupac Katari. Après avoir
égorgé toute sa famille, les bourreaux espagnols le décapitèrent. « Au
bourreau qui allait le décapiter, le jeune Tupac Katari aurait dit :
« Vous ne faites que me tuer : mais je reviendrai et je serai des
millions. »[8] Ces paroles
ont été transmises de génération en génération au cours des veillées nocturnes.
Et le MAS (Mouvement vers le socialisme), le Front de résistance ayant porté
Morales au pouvoir en 2005 fut majoritairement composé des héritiers de cette
tradition. Et, il y a quelques semaines, Evo Morales vient dexproprier une
entreprise espagnole délectricité en vue de la nationaliser.
Récupérer sa
souveraineté en tout et pour tout, légiférer (à partir dune Assemblée
constituante représentative dune nation plurielle) sur les matières
sensibles de cette souveraineté pour éviter les pièges de la dérèglementation,
de la libéralisation et de la privatisation tous azimuts du néolibéralisme,
refonder lEtat sur la solidarité et la coopération aux dépens de la
matrice organisationnelle violente et mortifère du capitalisme du désastre,
tout cela peut permettre à un pays de se tracer une voie alternative. Il
ny a pas de roue à inventer. Tout ou presque est dans les livres. Il
faut oser lire et sinstruire. Relayer ce quon a lu aux autres sans
crainte de la critique et du conflit ‘maîtrisé.
Le Congo a besoin de
son Front de résistance, contre vents et marées. Il doit refonder lécole et y
enseigner la relecture de son histoire à partir de lengagement citoyen de ses
dignes filles et fils. Cest vrai. Il a opéré, au cours de son histoire, par sa
faute ou sous la pression des vampires, des mauvais choix politiques,
géopolitiques et géostratégiques. Il est obligé de les corriger et/ou de les
modifier en profondeur. Il doit user de beaucoup dimagination, de créativité
et dinventivité pour simposer des principes éthiques qui laide à rompre avec
le cycle infernal de lensauvagement où il est plongé depuis longtemps.
Ses dignes filles et
fils doivent lire et relire Frantz Fanon et savoir quil ny a quun peuple
souverain composé majoritairement de ‘démiurges qui renverse les rapports de
force dans ce monde dominé par largent.
Oui. Ils doivent
relire Frantz Fanon. Il écrit entre autres ceci : « Notre tort à
nous, Africains, est davoir oublié que lennemi ne recule jamais sincèrement.
Il ne comprend jamais. Il capitule mais ne se convertit pas. Notre tort est
davoir cru que lennemi avait perdu de sa combativité et de sa
nocivité. »
Relire Frantz Fanon et
bien dautres pour passer de notre collective crédulité à de nouvelles
croyances informées par notre processus historique relu de manière critique et
par les processus sans lesquels les autres peuples du monde nauraient pu se
débarrasser de limpérialisme et du néocolonialisme déshumanisants. Qui aurait
cru que John Kerry irait avoué, officiellement, quaprès avoir pratiqué la
doctrine Monroe en Amérique Latine, pendant longtemps en la traitant comme son
arrière-cour, son pays y renonçait ? (La doctrine Monroe na pas été
linvention des ‘apprentis politiciens sud-américain , mais de lempire
US comme les guerres de haute ou basse intensité que « sa politique
profonde » a imposée aux autres peuples au nom de son exceptionnalisme et
lidéologie du ‘choix divin dont il croit jouir.)
Le sang des martyrs
des peuples luttant sur le temps féconde leurs luttes. Ils peuvent, à la suite
de Mao dire : « De défaite en défaite jusquà la victoire
finale » ! Et quand leurs dignes fils et filles tombent au front
parce quils portent en eux des idéaux nobles, ils ne meurent
pas : ‘ils passent de lautre côté, dans ‘la cour-toujours-balayée
de Maweja. Nempêche que nous puissions apprendre collectivement à faire la
différence entre ‘passer de lautre côté pour une cause patriotique et juste
et mourir par notre faute ou par ignorance pour les entreprises. Même si cela
est souvent difficile à percevoir.
[1] J. KIZERBO, A
quand lAfrique. Entretiens avec René Holenstein, Paris, Laube, 2003, p.
48.
[2] Ibidem.
[3] Ibidem.
[4] A. DENEAULT et D. ABADI, Noir Canada. Pillage, corruption et
criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008.
[5] J. ZIEGLER, Lempire
de la honte, Paris, Fayard, 2005, p. 320.
[6] Lun des moyens intellectuels est la lutte que
leurs experts mènent contre les points de vue alternatifs. Ils en font des
points de vue communistes ou « travaillistes belges ».
Pernicieusement, ils ferment le chemin vers la lecture dautres textes, dautres
références ou dautres documents proposés par ‘les relayeurs et permettant
le choc des idées. Il y a dans leur chef comme un retour du principe :
« Magister dixit ». Ils veulent ainsi détruire lun des principes
chers aux Lumières : le ‘sapere aude. Cette invitation à oser user
de son entendement en sortant des sentiers battus par le capitalisme du
désastre et ses « petites mains expertes ».
[7] Ibidem.
[8] J. ZIEGLER, La
haine de lOccident, Paris, Albin Michel, 2008, p. 211.