RDC:du sang congolais sur le Canada ? Par Boniface MUSAVULI, analyste

Préfacé
par le journaliste d’investigation Keith Harmon Snow et postfacé
par l’avocat auprès du Tribunal Pénal International pour le
Rwanda, Christopher Black, l’ouvrage ouvre une lorgnette sur tout
ce qu’il y a de sombre au plus profond de nos respectables «
sociétés démocratiques », dirigées par des personnalités
au-dessus du soupçon, en apparence, mais, pour certaines d’elles,
terriblement « infâmes » – et le mot est assez faible à la
lumière des faits révélés. L’enjeu est l’accaparement des
gisements miniers d’un pays : la République Démocratique du
Congo. Et on ne reculera devant aucun excès dans l'horreur.

En
effet, lorsqu’on réfléchit sur le bilan apocalyptique de six
millions des Congolais morts du fait des guerres d’agression dont
le pays est l’objet, depuis 1996, l’horreur des centaines de
milliers des femmes violées rassemblées autour de l’Hôpital de
Panzi (Bukavu) que dirige le Docteur Denis Mukwege, la détresse des
trois millions de déplacés de guerre,… le pillage des régions
entières de l’Est du Congo,… il y a au moins un nom qui ne
viendrait pas tout de suite à l’esprit : « le Canada ».

Ce
pays si doux, habité par un peuple aimable et hospitalier, ne peut,
a priori, aucunement être mêlé à ces atrocités sans nom… Et
pourtant… « Le Canada dans les guerres en Afrique centrale », de
Patrick Mbeko, qui fait échos à « Noir Canada » ; d’Alain
Deneault, Delphine Abadie et William Sacher, révèle l'implication
économique et politique d’Ottawa dans des pays africains où
perdurent des conflits armés depuis plusieurs années. Les Canadiens
seraient « intrinsèquement bons » et capables uniquement du bien.
Une mystification à laquelle Patrick Mbeko et les trois auteurs
avant lui, s’attaquent avec des révélations qui ne laissent
personne indifférent.

L’ouvrage
commence par un évènement historique qui continue de hanter les
esprits au Congo, depuis un demi-siècle : l’assassinat de Patrice
Lumumba. C’est en effet un officier canadien, le lieutenant-colonel
Jean André Berthiaume, qui, en décembre 1960, fournit à Mobutu les
renseignements permettant de localiser puis de capturer Lumumba. Le
leader congolais avait réussi à s’exfiltrer de Kinshasa et
tentait de rejoindre son bastion de Stanleyville (actuelle ville de
Kisangani). Il est atrocement maltraité puis assassiné au Katanga
le 17 janvier 1961.

L’auteur
revient ensuite longuement sur l’instrumentalisation des conflits
interethniques entre Hutus et Tutsis au Rwanda, l’histoire de
l’implantation des populations rwandophones dans l’Est du Congo
et décrit la genèse de la guerre du Rwanda. Cette guerre était,
finalement, la première étape d’un projet plus global de
bouleversements géopolitiques en Afrique dans la foulée de la fin
de la Guerre Froide. Dans le collimateur des puissances
anglo-saxonnes, la France et le Zaïre qui découvrent trop tard
qu’ils ont affaire à une solide alliance militaire à laquelle le
Canada s’est associé aux côtés des Etats-Unis, du Royaume-Uni et
d’Israël.

Le
Canada est a priori insoupçonnable. Il n’a pas la réputation
d’être une puissance militaire agressive. Il n’a pas d’histoire
coloniale en Afrique. Il est bilingue (francophone et anglophone). Le
profil idéal pour passer quasiment inaperçu là où les autres
puissances comme les Etats-Unis ou la France se feraient facilement
remarquer. Et il va en profiter à fond.

Dès
les années 1990, des agents canadiens prennent une part active aux
guerres secrètes qui sous-tendent les vagues des violences dont les
populations du Congo et du Rwanda n’arrivent toujours pas à se
remettre. Au plus fort de la guerre du Rwanda, on remarquera la
présence dans le pays des JTF2 (Joint Task Force – Forces spéciales
canadiennes), une unité ultrasecrète de l'armée canadienne
spécialisée dans les opérations clandestines. Le sort des Rwandais
était scellé. La « coalition » était déterminée à prendre le
pouvoir à Kigali par les armes, seule façon de se projeter, deux
années plus tard, à la conquête du Zaïre et de mener les
bataillons tutsis jusque dans les rues de Kinshasa, à plus de deux
mille kilomètre des frontières rwandaises.

Mais
pourquoi le Pays de l’Erable est-il à ce point impliqué dans ces
conflits particulièrement meurtriers ?

La
réponse coule de l’évidence, mais encore fallait-il apporter un
éclairage. En effet, le Congo est mondialement réputé pour ses
immenses richesses minières. Dès 1892, le pays fut qualifié de «
scandale géologique » par le géologue belge Jules Cornet en
raison, non seulement de l’immensité des réserves minières
(cuivre, cobalt, diamant, or,…) mais aussi de la grande diversité
des minerais dont on continue de découvrir les gisements (cas des
mines de coltan révélées au déclenchement de la Première Guerre
du Congo).

Or,
le Canada abrite la plus grande bourse minière du monde. Plus de la
moitié des investissements miniers dans le monde, se font à partir
du marché canadien. En 2005, 85% du financement par action des
entreprises minières dans le monde se seraient effectués dans une
place boursière canadienne. Le gouvernement du Canada avance
lui-même que 75% des sociétés minières mondiales sont chez lui.
La majorité d'entre elles sont enregistrées à Toronto, la bourse
mondiale de mines.

Le
Congo et le Canada sont, de ce fait, deux nations qui ne pouvaient
que se croiser l’une sur le chemin de l’autre. Mais cette
rencontre sera atroce.

Ainsi
les compagnies minières du Canada n'ont pas hésité à utiliser la
violence, pour obtenir les droits d'exploitation des mines. Dans la
région des Grands Lacs africains, c'est une histoire d'horreur sans
précédent dans laquelle les dirigeants canadiens sont impliqués
jusqu’au cou. Depuis plus d'une décennie, Ottawa soutient un des
régimes les plus effroyables de la planète : le régime de Kigali,
qui mène des guerres sanglantes dans l’Est du Congo.

L’auteur
décrypte les mécanismes ayant permis de mettre ces crimes à l'abri
de toute critique : une terrible propagande absolument réussie, de
la désinformation et un terrorisme intellectuel qui a fini par «
museler » bien des gens à travers le monde. La France, cible
privilégiée du pouvoir rwandais, sera inlassablement accusée
d’avoir pris part au génocide et mise systématiquement sur la
défensive.

Opération
quasiment réussie puisque, pendant ce temps, on ne parle pas des
populations congolaises massacrées, des femmes violées dans l’Est
du Congo et du pillage des ressources minières du Congo grâce
auquel le Rwanda prospère économiquement et apparait, aux yeux
d’une communauté internationale complice, comme un modèle de
développement.

«
Comment expliquer que, depuis 1994, les médias du monde entier ne
cessent de marteler qu'il y a eu un génocide de 800.000 tutsis au
Rwanda alors qu'un groupe d'extrémistes tutsis a déjà exterminé
depuis cette date des centaines de milliers de Rwandais et
aujourd'hui plus de 6 millions de Congolais ? » s'est indigné, dans
l’ouvrage, le journaliste d'investigation Charles Onana.

Toujours
dans l’ouvrage, le New York Times, sous la plume de Nicholas D.
Kristol ajoute : « Pourtant, à ce jour, la guerre dans l'Est du
Congo a non seulement duré plus longtemps que l'Holocauste, mais
elle a été plus meurtrière, avec un bilan estimé à 6,9 millions
de morts. Et que faisons-nous ? »

Indignée
également, la congressiste américaine Cynthia Mc Kinney, qui ajoute
: « Je ne comprends pas pourquoi l'Armée patriotique rwandaise
(APR) massacre, pille et viole les femmes en RD Congo sans que
personne s'en émeuve. Je ne comprends pas le silence de la
communauté internationale à l'égard des crimes abominables
perpétrés par Kagame et ses hommes. »

L’auteur
revient avec de troublantes révélations sur le rôle de plusieurs
personnalités canadiennes ayant servi dans la région (le général
Roméo Dallaire, la Procureure du TPIR Louise Arbour, l'ancien
Premier ministre canadien Joe Clark, le lieutenant-général Maurice
Baril,…). Il décrit de façon pertinente les travers des missions
internationales de maintien de la paix et les dérives de la justice
internationale. Parlant d’un véritable « Apartheid judiciaire »
dont les Congolais sont victimes, Patrick Mbeko remet en question
tout le système de la justice internationale qui, finalement,
repose, à l’état actuel des choses, sur une logique mêlant
cynisme et manichéisme. D’un côté « les bons » qui échappent
à la sanction pénale, quelle que soit la gravité de leurs crimes,
et, de l’autre, « les méchants » qui, au moindre éternuement,
se retrouvent à la Cour Pénale Internationale.

L’ouvrage
s’adresse directement à la conscience des Canadiens dont les
gouvernements soutiennent coûte que coûte ses sociétés minières
à l'étranger, prétextant « défendre le bien public ». L'épargne
des Canadiens (fonds de retraite et de capitalisation) est, en effet,
étalonnée sur les cours de l’industrie extractive responsable de
violences en Afrique. Ce droit au confort dont jouissent les
Canadiens a ainsi un coût humain sans précédent qu’un peuple,
victime de ses richesses minières, subit à des milliers de
kilomètres du Canada.

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