RÉFLEXIONS SUR LE GÉNOCIDE RWANDAIS Hervé Cheuzeville)
Le gouvernement du président Habyarimana était, jusqu'en avril 1994, le
gouvernement légal du Rwanda, internationalement reconnu. Ce dernier était loin
d'être le pire du continent africain. Moins corrompu et beaucoup moins
meurtrier que d'autres, il était loin d'incarner un « nazisme tropical »
dépeint par certains. N'oublions pas qu'en 1990, la majorité des régimes
africains étaient encore soit des régimes militaires, soit des systèmes à parti
unique. C'est cette année-là que le discours de
François Mitterrand, en présence d'Habyarimana. Ce n'est qu'après qu'un vent de
démocratisation se mit véritablement à souffler sur l'Afrique. Il n'y avait
donc rien d'inadmissible ou d'anormal, à l'époque, à ce que le gouvernement
français entretienne de bonnes relations avec le gouvernement rwandais
La guerre et les massacres n'ont pas commencé en avril 1994, comme on l'entend
trop souvent, mais en octobre 1990. Il faut rappeler que cette guerre débuta
lorsque des unités de l'armée ougandaise franchirent la frontière entre
l'Ouganda et le Rwanda et attaquèrent les positions de l'armée rwandaise. Ces
unités ougandaises, composées majoritairement de fils de réfugiés rwandais,
établis en Ouganda depuis la fin des années 50, avaient formé le Front
Patriotique Rwandais, afin de masquer l'implication ougandaise dans cette
invasion. C'est alors que les premiers massacres furent commis. Ils visèrent
les populations du nord du Rwanda et furent commis par des éléments de ce FPR
que personne ne connaissait encore. Lequel FPR était dirigé par Fred Rwigyema
qui, avant le déclenchement de la guerre, occupait les fonctions de
vice-ministre de la défense de l'Ouganda. En réaction à ce qui pouvait
légitimement être vu, à l'époque, comme une agression militaire venue d'un pays
voisin, il n'était pas anormal que
France
le gouvernement légitime d'un pays ami.
Tout au long de cette guerre, le gouvernement rwandais a été soumis à un
embargo de l'ONU sur les fournitures d'armement, alors que l'Ouganda a
constamment violé ledit embargo en fournissant secrètement à son allié FPR de
grandes quantités d'armes et de munitions, et en lui permettant de maintenir
des bases arrières sur son territoire.
Tout au long de cette guerre, des massacres ont été commis, visant
principalement les populations du nord du Rwanda, majoritairement hutu.
En pleine guerre et sous la pression de la communauté internationale, le
président rwandais a été contraint d'introduire le multipartisme dans son pays.
C'est cette libéralisation du régime qui a permis l'émergence de mouvements
politiques au discours ouvertement racistes et hostiles aux Tutsi. Il faut
rappeler que ce sont des Tutsi qui composaient l'essentiel des forces et de la
hiérarchie du FPR.
Le président Habyarimana a signé les accords d'Arusha qui prévoyaient le
partage du pouvoir et des élections libres et démocratiques.
En vertu de ces accords,
France
C'est le président ougandais Museveni, « parrain » du FPR, qui a convoqué le
sommet de Dar es-Salam du 6 avril 1994 et qui en a délibérément retardé la
clôture. C'est ce retard qui a provoqué le décollage tardif de Dar es-Salam du
président Habyarimana, en compagnie de son homologue burundais, et qui fit que
leur vol dut entamer de nuit sa procédure d'approche de l'aéroport de Kigali.
Cette arrivée tardive a facilité le travail de ceux qui ont perpétré l'attentat
contre l'avion présidentiel. Cet attentat coûta la vie aux deux présidents, à
plusieurs ministres rwandais et burundais, au chef d'état-major de l'armée
rwandaise ainsi qu'à l'équipage français du Falcon 50. Premier attentat de
l'Histoire dans lequel périrent deux chefs d'États en exercice, il n'a donné
lieu à aucune enquête internationale. À titre de comparaison, une commission
d'enquête internationale fut créée après l'attentat qui coûta la vie à Rafik
Hariri, alors que ce dernier n'était même plus premier ministre du Liban lors
de sa mort.
L'attentat contre l'avion présidentiel a été immédiatement suivi par deux
évènements: le début des massacres à Kigali et la rupture du cessez-le-feu
alors en vigueur, par le FPR. Ce dernier déclencha, la nuit même de l'attentat,
une offensive générale contre les Forces Armées Rwandaises. Les massacres de
Kigali visaient les Tutsi et les opposants au gouvernement, essentiellement des
Hutu. Ces massacres s'étendirent, dans les jours et les semaines suivantes, à
la quasi totalité du territoire encore tenu par les forces du gouvernement de
Kigali. D'une ampleur inégalée, ils se sont poursuivis durant les cent jours
dramatiques qui ont séparé l'assassinat d'Habyarimana de la prise de Kigali par
le FPR (avril-juillet 1994). Cependant, alors que ces épouvantables massacres
étaient commis en zone gouvernementale, d'autres, tout aussi épouvantables
étaient commis par les éléments du FPR au fur et à mesure de leur avance.
Dès le déclenchement des massacres de Kigali, en avril 1994,
de Sécurité des Nations Unies de renforcer le contingent de casques bleus
présents au Rwanda. Les États-Unis, qui s'opposèrent à cette requête, exigèrent
au contraire l'évacuation des forces onusiennes. Tout au long de ces
dramatiques cent jours,
France
internationale qui aurait permis l'arrêt des massacres. Ce n'est que fin juin
que la voix de
fut entendue et que l'Opération Turquoise put enfin avoir lieu, trop tard
malheureusement pour des centaines de milliers de victimes. Cette opération
militaire ne couvrit qu'une petite portion du territoire rwandais, dans le
sud-est du pays. Trop tardive et trop limitée dans le temps et dans l'espace,
elle permit malgré tout de mettre fin aux massacres dans cette zone. Certes,
l'arrivée des soldats français ne mit pas un terme immédiat et absolu aux
tueries, et on peut bien sûr le regretter. Un semblant d'ordre fut cependant
progressivement rétabli et l'Opération Turquoise a indéniablement sauvé la vie
de dizaines de milliers de Rwandais, Tutsi et Hutus: Tutsi en mettant un terme
aux agissements des massacreurs interahamwe, Hutu en stoppant la progression du
FPR. Les États-Unis et l'ONU portent donc une lourde responsabilité dans les
évènements d'avril-juillet 1994: si le contingent des casques bleus avait été
renforcé, comme le demandait
France
étendue et leur propagation auraient certainement été plus réduites.
Malheureusement, après la victoire du FPR, les massacres ont continué, visant
essentiellement les Hutu, commis par les forces du nouveau régime. On se
souviendra, entre autres, de la tragédie de Kibeho, entre le 18 et le 22 avril
1995, lorsque l'armée de Paul Kagame massacra les déplacés du camp, comme
en témoignèrent les soldats de l'ONU présents sur place. Ce massacre qui fit au
moins 8000 victimes civiles, fut loin d'être un cas isolé, et ses instigateurs
n'ont jamais été inquiétés.
À partir de 1996, la tragédie rwandaise fut exportée au delà des frontières,
lorsque l'armée de Paul Kagame envahit le Zaïre voisin et donna la chasse aux
réfugiés rwandais qui y avaient trouvé refuge. Selon les chiffres du HCR, ce
sont 200 000 réfugiés hutu qui ont disparu durant cette offensive, la plupart
massacrés par l'Armée Patriotique Rwandaise. Il conviendrait aussi d'évoquer
les millions de morts congolais, victimes directes ou indirectes de cette
guerre qui n'en finit pas, depuis 1996. Cette guerre est une conséquence
directe des évènements du Rwanda de 1990-94.
Lors du procès que SOS Racisme intenta au journaliste Pierre Péan, auteur d'un
livre remarqué sur le génocide rwandais, Dominique Sopo osa déclarer: « Évoquer
le sang des Hutu, c'est salir le sang des Tutsi ». Curieuse phrase sortie de la
bouche du dirigeant d'une organisation à vocation anti-raciste. Le sang des
Tutsi aurait-il plus de prix que celui des Hutu? Nicolas Sarkozy semble
malheureusement lui avoir donné raison, en écrivant la phrase suivante, dans le
livre d'or du mémorial du génocide, lors de la visite qu'il y fit le 25 février
2010: « Au nom du peuple français, je m'incline devant les victimes du génocide
des Tutsi ». En s'exprimant de la sorte, le président français a « tribalisé »
la commémoration des victimes du génocide. Il aurait dû rendre hommage aux
victimes du génocide rwandais: cela aurait inclus toutes les victimes, qu'elles
fussent tutsi, hutu ou twa.
Il est indéniable que
a commis des erreurs au Rwanda. La cohabitation entre François Mitterrand et le
gouvernement d'Édouard Balladur durant cette période a certainement compliqué
les prises de décisions politiques, diplomatiques et militaires, et a nui à la
cohérence de ces dernières. Mais les allégations venant de Paul Kagame et de
ses relais français selon lesquelles
participé à la préparation et à l'exécution du génocide rwandais m'ont toujours
profondément révolté.
Il devient de plus en plus difficile d'évoquer le tragédie rwandaise. Lorsqu'on
le fait, on court le risque d'être taxé de « négationnisme » par les porte-voix
du dictateur de Kigali, tant au Rwanda qu'en France. Paul Kagame, qui a
pourtant commencé cette guerre et qui a participé au génocide, semble
inattaquable. Une certaine presse, un certain réseau d'activistes, voudraient
le présenter comme étant l'homme qui a mis fin au génocide. Rien ne saurait
être plus loin de la vérité. Si Paul Kagame avait continué à occuper son poste
de chef de
les services secrets de l'armée ougandaise, au lieu de se lancer dans cette
tragique aventure, le sang n'aurait pas autant coulé au pays des mille
collines.
Pour que le Rwanda panse ses profondes plaies, il faudra que soient reconnues
et commémorées toutes les victimes de la tragédie qui l'a frappé durant la
dernière décennie du XXè siècle.
(26.02.10)
Hervé Cheuzeville oeuvre dans l'humanitaire depuis plus de trente ans et depuis
1989, vit en Afrique, et plus particulièrement au Soudan, au Malawi, en République
Démocratique du Congo et en Ouganda.
Durant ces nombreuses missions humanitaires, Hervé Cheuzeville a rédigé des
chroniques sur son vécu qui ont fait l'objet d'édition