L’assassinat de Lumumba et le ‘larbinisme suicidaire’ pour le Congo

 L’assassinat de Lumumba le 17 janvier 1961 peut être considéré
un ‘’événement profond’’[1] engageant plusieurs
services secrets  des pays occidentaux et leurs complices
congolais. L’étudier en profondeur demeure, à nos yeux, un
ouvrage à remettre régulièrement sur le métier. Pourquoi ?
Un ‘’ événement profond’’ est toujours porteur d’un
message de déstabilisation et de soumission des politiciens et des
peuples qu’il implique. A notre avis, plusieurs filles et fils du
Congo de Lumumba n’en ont pas encore tiré toutes les conséquences,
eu égard à la peur et au syndrome du larbin  qu’il a
engendrés (dans les cœurs  et dans les esprits).


Le syndrome du larbin est ce culte conscient (et/ou 
inconscient ?) que certains individus vouent à leurs bourreaux
ou à ceux de leurs peuples au point d’en devenir des ‘esclaves
heureux’. Il peut résulter d’un viol de l’imaginaire lié aux
facteurs éducatifs ou médiatiques conduisant au décervelage  ou
à  la lobotomisation. Il peut induire un complexe d’infériorité
poussant les larbins à ne se voir que comme leurs bourreaux les
voient tout en prenant la défense de ces derniers. Insistons.
L’école, l’université et les églises jouent un rôle important
dans  la naissance et la maturation de ce phénomène. Lieux de
fabrications de la pensée et des croyances, l’école, l’université
et les églises peuvent enchaîner la pensée[2], la rendre esclave
de certains dogmes et de certaines croyances dominantes[3].


Ceux  et celles d’entre nous qui ont entendu parler des
‘’Chicago boys’’ connaissent (ou devraient connaître) le
rôle jouer par le professeur Milton Freedman  dans ‘’la
montée d’un capitalisme du désastre’’[4] dans plusieurs
pays latino-américains et dans les crimes qui lui sont liés.

Etudier l’assassinat de Lumumba dans
sa dimension d’’’événement profond’’ et lutter contre le
syndrome du larbin  peut participer de la thérapie collective
dont le Congo a besoin pour repartir sur de nouvelles bases.
Celles-ci devraient avoir comme fondations solides la famille, une
école, une université et des églises refondées sur des valeurs
humanisantes (ou humanistes). Cette refondation peut faire appel à
plusieurs approches de ces lieux de la fabrication de la pensée, des
dogmes et des croyances. A notre humble avis, l’approche
théorico-académique ne devrait pas être négligée.

Cette refondation ne devrait pas faire
l’économie de la re-visitation  et de la réécriture de
l’histoire congolaise en prenant appui, de temps en temps, sur
celles des pays impliqués dans l’assassinat de Lumumba.

Un exercice difficile ! Coûteux
en argent, en énergie et en temps. Se documenter, s’asseoir, lire,
relire et essayer de comprendre…Un exercice difficile. D’où
l’importance de créer des collectifs de la pensée congolaise
(interconnectés)  tournés vers la refondation du Congo de
demain. Le coup de pouce donné par les médias alternatifs congolais
dans ce sens est déjà louable. Mais il faudrait aux minorités
congolaises organisées en conscience un effort supplémentaire pour
aller plus loin.

Dans une approche refondatrice du Congo
du point de vue de la réécriture de l’histoire, les critiques de
la pensée  occidentale dominante et les promoteurs des valeurs
humanistes nous sont souvent sympathiques. Pour certains d’entre
eux, les fonctions occupées dans leurs pays respectifs, leurs
engagements politiques et citoyens, la documentation à laquelle ils
recourent et les propositions qu’ils font pour un monde solidaire
ont souvent retenu notre attention de ‘’relayeur’’.

Pour revenir au cas de l’assassinat
de Lumumba par ‘’le camp capitaliste’’, certaines remises en
question des croyances et des dogmes que ce camp a propagés peuvent
participer, de l’une ou de l’autre façon, de la thérapie
collective congolaise. En plus des auteurs cités dans ce texte, il y
a Paul Graig Roberts. Qui est-il ? Quel est son parcours US ?

Paul Graig Roberts connaît les USA de
l’intérieur. Il a occupé la Chaire d’économique politique
William E. Simon. Pendant une douzaine d’années, il a travaillé
au Centre d’études stratégiques et internationales. Il fut
secrétaire Adjoint au Trésor et rédacteur adjoint de Wall Street
Journal.


Dans un récent article intitulé  ‘’Why
War Is Inevitable’’[5]  du 26 mai 2014, Paul Graig
Roberts montre, avec  preuves à l’appui, qu’aucune guerre
menée par les USA ne l’a été pour une Amérique libre. Toutes
les guerres made in USA ont contribué à la restriction des libertés
civiles des Américains, à l’extermination des tranches faibles 
des populations des pays attaqués (femmes, vieillards et enfants) et
participé de l’enrichissement des banquiers, de la montée en
puissance de Washington et de l’accumulation des profits des
entreprises américaines et surtout de celle de l’armement. Cette
vérité difficile à supporter est souvent prise en otage par des
discours de bonnes intentions créant une fausse réalité[6]. En
d’autres termes, les discours officiels contribuent au décervelage
des populations dont les libertés sont enchaînées.

Et partant du Président Lincoln
jusqu’à Obama, Paul Graig Roberts étaye cette vérité  à
partir des faits. Et à son avis, le soutien US à l’Ukraine
pourrait aboutir inévitablement à une guerre contre la Russie.
(Paul Graig Roberts serait-il un anti-américain primaire ? Nous
ne croyons pas.)

Lire  l’assassinat de Lumumba en
prenant appui sur de l’histoire immédiate US aide à comprendre
que notre héros national a été tué pour que les élites
dominantes anglo-saxonnes et leurs alliés fassent main basse sur les
ressources du sol et du sous-sol congolais. Le motif officiel utilisé
pour cet assassinat fut son appartenance au camp communiste alors
qu’il n’en était pas question.

Aujourd’hui encore, défendre les
idées de Lumumba sur la gestion souveraine et maîtrisée des terres
africaines et de leurs réserves minérales, lutter contre les
politiques d’assujettissement et d’abâtardissement, lutter
contre l’hégémonie impérialiste et néolibérale peut coûter
cher  aux ‘’marxistes-léninistes’’ congolais ou aux
‘’membres supposés du PTB d’origine congolaise’’. Comme si
l’histoire passée ne passait pas ! D'où la peur, les
complicités internes et le syndrome du larbin chez certains
compatriotes.

Cependant, il est possible de les
vaincre en évitant les erreurs du passé et en apprenant des autres
sans penser à reproduire leur modèle. Oui. Apprendre  des
autres est possible. Surtout des peuples du Sud dont l’histoire est
proche de la nôtre.

Un exemple. Lula, l’ex-président
brésilien, fort de son passé de syndicaliste, a réussi à ne pas
baisser son pantalon devant les Présidents occidentaux au cours de
son mandat et a créé une dauphine qui a su résister  à Obama
dans l’affaire NSA. Dilma Rousseff  a appris de Lula à ne pas
céder aux chantages de ‘’faiseurs des rois’’. 

Dans une adresse aux Présidents
africains en 2011, Lula,  se référant à ce qui se passait en
Libye et en Côte d’Ivoire, avait attiré leur attention sur les
interférences dangereuses de la France et des USA.  Il les
avait accusés d’être avides et assoiffés de pouvoir, de trahir
leurs propres peuples et d’être  à la solde d’un Occident
saccageant le continent noir et décimant sa souveraineté. Il leur
avait adressé ‘’une parole vraie’’ tout en leur demandant
d’éviter de baisser leur pantalon devant ‘’les maîtres du
monde’’ dont plusieurs d’entre eux étaient des ‘’créatures’’.

Un dialogue entre les peuples du Sud et
une relecture partagée de notre commune histoire peut faciliter un
apprentissage porteur d’un autre avenir pour le Congo, l’Afrique
et le monde. Cet apprentissage devrait se faire en famille, à
l’école, à l’université et dans les églises (surtout dans les
communautés de base œcuméniques  et à taille humaine)
repensées comme structures sociales de reformatage humaniste du
citoyen et de la citoyenne. D’autres lieux peuvent être inventés
pour atteindre le même objectif ; et surtout la création d’un
imaginaire alternatif. 

Mbelu Babanya Kabudi 

[1] Sur
cette notion, le livre de Peter Dale Scott intitulé La machine
de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue,
l’Afghanistan,…Paris, Demi-Lune, 2012, reste une référence
incontournable.

[2]Lire
attentivement  S. GEORGE, La pensée
enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont
emparées de l’Amérique, Paris, Fayard, 2007.

[3] Lire
S. GEORGE, Cette fois-ci, en finir avec la démocratie. Le
rapport Lugano II, Paris, Seuil, 2011.

[4] Lire
N. KLEIN, La stratégie du choc. La montée du capitalisme du
désastre, Actes Sud, 2008.

[5] http://www.informationclearinghouse.info/article38612.htm

[6] Voici
comment il rend les choses en anglais : ‘’The speeches are
well-intentioned, but the speeches create a false reality that
supports ever more wars. None of America’s wars had anything
to do with keeping America free. To the contrary,
the wars swept away our civil liberties, making us unfree.’’ 
Ce
texte fait penser au titre du très instructif livre de N.
CHOMSKY, La doctrine de bonnes intentions.

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