LAPRES M23 AU NORD-KIVU. Interview réalisée à Goma par soeur Teresina Caffi, le 27.4.2014
1. M23: VICTOIRE RENVERSEE
M23 : Une victoire de toute la population
Mr Muiti : Avant de parler de ce qui sest passé après la date du 5 novembre 2013, jour de la défaite du mouvement rebelle M23, je voudrais brièvement rappeler ce qui sest passé avant. La population du Nord-Kivu a vécu des choses terribles dans les Territoires de Rutshuru et de Nyiragongo et dans la Ville de Goma.
A lentrée des troupes du M23 dans Goma en novembre 2012, une partie de la population avait applaudi, car les rebelles disaient venir pour la libérer. Mais face aux viols, pillages systématiques, assassinats perpétrés par le M23, la population a à nouveau applaudi quand elle les ont vus obliger de quitter la ville. Après cet événement, dans le Nyiragongo, ce fut le règne de la terreur, celui des assassinats ciblés. Toute personne qui osait manifester une quelconque opposition à leur endroit était ciblée. Le cas le plus frappant fut lassassinat du chef coutumier SEGATWA NZAINO Sylvestre qui avait refusé toute allégeance à la rébellion.
Dans le Territoire de Rutshuru, le chef coutumier de Rumangabo (en Groupement Kisigari), Mr MANISHIMWE NSHIMIYIMANA Rwahinage, a été tué la nuit du 04 au 05 septembre 2012. Peu avant, il avait été enlevé pour le punir davoir parlé :les rebelles du M23 ont lié sa langue et lont tirée jusquà le jeter chez-lui agonisant. Par après, ils sont rentrés pour lachever par balles. Toujours dans ce Territoire, le M23 moissonnait les champs de la population et emmenait la récolte, haricots et maïs, au Rwanda. Le lendemain, on voyait ces haricots et maïs rentrer au Congo à travers la grande barrière de Goma pour y être vendus. Alors, le prix de la nourriture est monté : la petite assiette de farine, « murongo », était passée de 500 à 900 FC.
Comme la population de Nyiragongo et de Rutshuru, terrorisée, commençait à quitter les villages, les miliaires du M23 len empêchaient. Ainsi, les parents envoyaient lun après lautre leurs enfants à Goma chez des membres de famille et enfin eux-mêmes montaient sans bagages dans un véhicule. Lorsque les militaires du M23 constataient le départ dune famille, ils amenaient des citoyens rwandais et les installaient dans sa maison ; ou bien ils enlevaient les tôles de la maison pour les amener au Rwanda. Dès ce temps-là, la Société civile avait fait voir au Chef de lEtat, qui parlait dune guerre des fils du Nord-Kivu, quil sagissait dune guerre dagression.
La population qui avait compris et savait ce qui se passait sétait mobilisée pour soutenir les FARDC en cotisant de largent et en collectant des vivres quelle donnait aux militaires. A chaque opération menée contre le M23, les femmes de Goma apportaient des vivres aux militaires sur la ligne de front, des jeunes arrivaient sur des motos avec des cartons deau ; des citoyens de Nyiragongo et de Rutshuru donnaient des informations aux FARDC et à la Société civile sur les positions et mouvements des troupes rebelles, sur les passages à la frontière des camions venant du Rwanda chargés darmes, de mutions et des renforts. Le front contre le M23 a été une appropriation de toute la population, tout le monde a donné sa contribution. Quand la population a appris que le M23 avait quitté le sommet de Runyoni et traversé la frontière pour se réfugier au Rwanda et en Ouganda, ce fut la fête. Tout le monde sest senti victorieux et libéré. Cependant, le M23 nétait pas que des hommes armés sur le front, il défendait une idéologie à laquelle adhérait une certaine population. Ce qui était célébrée comme une victoire pour la majorité de la population victime des exactions du M23 fut vécu comme un échec par une autre partie de la population qui, elle, était armée. Ainsi, après le 5 novembre, il y a eu des représailles dans Goma et ailleurs: plusieurs personnes dont des motards, des individus bien connus et des activistes en vue ont été tués à bout portant en pleine journée. Dautres ont été enlevées et portées disparues jusquà ce jour.
Dans le Nyiragongo, le M23 avait installé de nouveaux chefs coutumiers. LAdministrateur du territoire voulait réinstaller les chefs légitimes, mais il vient dêtre suspendu par les autorités de Kinshasa, aussi du fait davoir soutenu la dénonciation faite par la Société civile sur loccupation du territoire par les forces rwandaises. Aujourdhui la population de Nyiragongo bouillonne dindignation et se demande sur quel pied danse le gouvernement de Kinshasa et sil nest pas complice dans le complot de la balkanisation.
Armes et autres mystères
Me Kavota: La date du 5 novembre a été révélatrice de beaucoup de secrets quant à larsenal militaire dont disposait le M23 : il a laissé sur le terrain plus de 350 tonnes darmes et minutions. Parmi les armes abandonnées, il y en avait qui pouvaient frapper des avions de guerre. Sur les collines surplombant Runyonyi, ils avaient installé un radar capable de contrôler Goma, Kibumba, Rutshuru et une partie de Masisi… Des abris de fusiliers, sophistiqués et renforcés par du béton, étaient en construction. Ils étaient aussi en train de creuser un passage sous le mont Mikeno, la plus haute montagne entre le Rwanda et la RD.Congo. Tout cela montre que le M23 était bien résolu à sinstaller durablement, voire aller plus loin.
Sagissant de limportant arsenal abandonné sur le terrain par le M23 dans sa fuite vers le Rwanda et lOuganda, on peut se demander doù provenait-il. Nous demandons une enquête internationale neutre soit menée afin de déterminer lorigine et le pourvoyeur de ces armements.
Ce quon na pas aussi compris, après le 5 novembre, cest la pression internationale sur le gouvernement congolais pour quil poursuive les pourparlers avec le M23, alors que ce dernier était déjà dissout. Nous avons suivi les déclarations en ce sens de Martin Kobler, premier responsable de la Monusco, de Mary Robinson, représentante des Nations Unies pour les Grands Lacs, de Russ Feingold, envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands Lacs, des envoyés de lUnion Européenne et de lUnion Africaine. Nous pensions que la leçon infligée au M23 par les FARDC allait par elle-même être dissuasive vis-à-vis des autres groupes armés. En cherchant à reconstituer le M23, on a poussé aussi les autres groupes à se reconstituer. Si du moins de ces pourparlers ressortait le fait que les dirigeants du M23 considèrent que le mouvement nexiste plus et quils sollicitaient au peuple congolais le pardon à genoux, on pourrait encore comprendre le sens de la reprise de ces pourparlers. Mais nous avons vu la colère du président ougandais Museveni, à ce moment-là président de la CIRGL, quand il constata que le gouvernement congolais refusait de signer un acte qui le mettait sur le même pied dégalité avec le M23. Il montrait par là dêtre lallié et le parrain du M23. Et il marchait de pair avec les cinq envoyés spéciaux nommés plus haut. Le résultat de Nairobi cest effectivement la loi damnistie. Et en dessous de la table, nous allons peut-être le voir dans le prochain gouvernement dit de cohésion nationale, ce sera sans doute lintégration de ces gens dans la politique. Ce qui pointe à lhorizon cest lintégration de ces criminels dans les institutions politiques, militaires et policières de la République. La population, qui espérait un retour à la justice, est une fois de plus humiliée, parce que ces gens devraient être interpellés un à un pour répondre de leurs actes, alors quil y a forte probabilité de les voir bientôt revenir en chefs.
Mr Muiti : Une rébellion qui nexiste presque plus, puisque délogée et défaite, traverse la frontière pour se réfugier à létranger, mais on insiste pour quon continue à discuter avec elle ! Est-ce que lon peut avoir une seule jurisprudence dans le monde où cela sest déjà passé ? En RDCongo nous devenons une souris expérimentale. Ce nest quen RDCongo quon a donné au Président quatre vice-présidents, comme en 2003. Depuis lors on a multiplié les amnisties : pour le RCD, pour le CNDP, pour le M23…
Dailleurs, pourquoi cette amnistie ne concerne que le M23 alors quil y a dautres groupes armés comme lAPCLS, les Nyatura, les Nduma Défense, les Raia Mutomboki qui ont, à un moment où un autre, combattu du côté du gouvernement pour défendre le pays ? Ainsi, certains pensent que le gouvernement de Kinshasa ne veut pas réellement que la paix sinstalle définitivement au pays puisque certaines au pouvoir gagnent dans ces troubles. Nous nous posons aussi des questions sur la communauté internationale, dont le comportement semble montrer quelle ne voudrait pas que le conflit à lEst prenne fin !
Conséquences de lamnistie
Me Kavota : La consécration de limpunité par la loi damnistie a amené des conséquences bien visibles. Déjà le lendemain de la débâcle du M23, des groupes armés avaient remis leurs armes car ils se battaient contre le M23. Rien quau centre Bweremana il y avait plus de cinq mille anciens combattants. Ayant appris que quelque chose se négociait en faveur du M23, ils espéreraient obtenir aussi quelque chose. Mais, ils perçurent dans le comportement des représentants du gouvernement un déséquilibre. Les éléments du M23, qui ont la même identité que le CNDP/RCD et de même inspiration rwandaise, étaient privilégiés par rapport aux groupes armés nationaux dautodéfense. Dans les camps de regroupement, les éléments des groupes armés nationaux manquaient à manger pendant que le M23 et leurs leaders étaient bien choyés par Kinshasa à Kampala. Suite à cela, certains démobilisés rentrèrent en brousse et des groupes armés se reconstituèrent. On assiste même à la naissance dautres. Des sources indiquent que les M23 sont en train de se reconstituer à partir du district de Kisoro en Ouganda avec armes, uniformes, munitions de lUPDF pour attaquer Rutshuru à partir de Bunagana. En même temps, du côté du Rwanda, à partir de Ruhengeri, il y a des exfiltrations pour réoccuper Runyonyi et passer par le mont Mikeno pour réoccuper les anciennes positions.
Ce sont les conséquences de la mauvaise gestion de la question. Si cette libération avait été consacrée après le 5 novembre, si on avait imposé le retour au Congo de tous les rebelles qui avaient fui au Rwanda et en Ouganda, le M23 nexisterait plus et les autres groupes armés disparaitraient aussi. Mais lorsquon va revoir ces éléments revenir et être dirigeants, les autres penseront que cest celui-là le chemin pour gagner des postes. Combien dannées la population souffrira encore ? En effet, depuis le 5 novembre, ces gens ne font que monter des stratégies pour revenir avec le soutien des mêmes parrains.
2. LES OPERATIONS CONTRE LES ADF ET LA MENACE OUGANDAISE
La première victime des opérations contre les ADF: le col. Mamadou
Me Kavota : Après le 5 novembre, avant que larmée congolaise ne déclenche des opérations contre les rebelles ougandais des ADF dans le territoire de Béni, elle a connu la mort précipitée et planifiée du Col. Mamadou Ndala. Comment lexpliquer ? Déjà lors des opérations contre le M23 on avait constaté une sorte dinfiltration à lintérieur de larmée congolaise. A Mutaho des militaires congolais tiraient sur leurs collègues, sur la ligne de front. Un commandant avait dit à ses collègues quil venait de prendre Kibumba, alors quil était à Munigi ; ainsi il les mettait en étau. Cette infiltration de larmée a commencé depuis lentrée de lAFDL en 1996, conduite par larmée rwandaise : jusquen 1998 larmée congolaise a été inexplicablement dirigée par un officier supérieur rwandais et des militaires rwandais sont restés dans larmée congolaise.
Il y a eu quand même des officiers qui se sont démarqués de cette politique au service du Rwanda, qui avilissait larmée congolaise. Celui qui a porté ce flambeau à lépoque du M23 a été feu Colonel Mamadou Ndala. La population lavait perçu comme le véritable libérateur, ce qui lui a attiré la haine de ses collègues traitres infiltrés au sein de larmée, même au niveau de Kinshasa; mais aussi le planificateur de la déstabilisation devait lisoler se servant deux : les uns et les autres avaient lintérêt à léliminer.
Il y avait aussi la problématique des unités rwandophones qui depuis trois ans faisaient croire au gouvernement congolais dêtre engagées contre les ADF, alors quelles ne contrôlaient pas delà de deux km de la route nationale. Elles ont toutefois insisté pour gérer elles-mêmes ces opérations et voyaient dun mauvais œil les unités nouvelles qui devaient être commandées par Mamadou et dautres unités dont elles navaient pas le contrôle. Lassassinat du col. Mamadoul a provoqué le moral bas de ses unités engagées dans les opérations contre les ADF.
Recyclage du M23 envoyé à côté des ADF
Mr Muiti : Pendant ce temps, lensemble des combattants du M23 qui avaient traversé vers lOuganda ont été exfiltrés du côté du territoire de Béni pour être supplétifs au sein des ADF. Et cela sous la bénédiction de Kampala, qui a envoyé armes et munitions à ceux qui devaient être perçus comme ses ennemis : lADF. Cela a compliqué les opérations, car les FARDC se battaient contre une coalition : UPDF (larmée ougandaise), M23 et ADF.
Jusquà présent, dans le district de Bundibugyo, proche du camp de Kyangwali, en Ouganda, larmée ougandaise entraîne des éléments du M23. Une fois quils sont prêts, ils sont exfiltrés directement en territoire de Béni. Cela fait que même si les FARDC peuvent enregistrer des succès le lendemain il y a des revers, car il y a à tout moment des renforts. Entretemps, les autorités ougandaises ont déclaré que les NALU, cest-à-dire les Al-Shabab, nexistent plus au Congo, ils sont rentrés en Ouganda. Et les Nalu ont déclaré davoir mis fin à leur rébellion et dêtre devenus un parti politique.Qui sont alors les hommes armés se trouvant dans le Ruwenzori, dans le Beni-Mbau ou dans le Watalinga ? LOuganda na pas encore donné une réponse.
Nous pensons aujourdhui que les violences qui se passent dans la partie Beni sont lœuvre déléments du M23, accompagnés des Al Shabab et des militaires de larmée ougandaise (UDPF). LOuganda qui semble combattre les Al Shabad en Somalie, en réalité accompagne ceux qui travaillent avec les Al Shabab au Nord-Kivu. Que lOuganda réfute ce que nous disons en démontrant le contraire. A Kampala, un officier ougandais nous a dit : « Nous sommes en train de produire des armes. Vous pensez quelles vont fonctionner comment, si nous ne créons pas des conflits chez vous ? ».
Me Kavota : Dans les attaques à la grenade à Béni, nous sommes convaincus quil ne sagissait pas de lADF-NALU, mais du « phénomène », comme nous lappelons. En mai 2013, nous avons organisé des conférences de presse à Kinshasa pour alerter les missions diplomatiques et le gouvernement sur lexistence de réseaux terroristes au Nord-Kivu. Quelles sont les dispositions prises ? Et aujourdhui on assiste au jet de grenades dans des villes du pays, contre la Monusco, contre les civiles, contre les FARDC… Cest maintenant quon commence à comprendre ce que nous avions dénoncé officiellement ce jour-là. Même à la Maison Blanche, au Département dEtat et au Sénat des Etats-Unis nous avons expliqués que ce qui se passe cest du terrorisme, sous la bénédiction de Kampala.
Un naufrage douteux
Mr Muiti : Le naufrage du mois davril 2014 sur le lac Albert avait fait officiellement 251 morts et 41 survivants. Tous les Ougandais à bord se sont sauvés, alors quaucun Congolais na survécu. Il sagissait de réfugiés congolais qui rentraient chez eux. Nous doutons fort que cest un attentat. Des officiers ougandais du district de Bundibugyo et de Hoïma ont dit : « Comme nous avons perdu nos hommes dans votre combat à Béni, ces hommes-là ne doivent pas mourir seuls ». Lorsque les réfugiés congolais en Ouganda cherchaient à rentrer chez eux par route, à pieds, les Ougandais ont érigé des barrières, les ont maltraités et ramenés dans les camps. Alors ils sétaient résolus de passer par le lac. Ils leur ont donné le bateau le plus vétuste, qui a été surchargé. Nous continuons à demander quil y ait enquête.
Richesses naturelles contre armes
Me Kavota : En Ituri, dans le territoire dIrumu proche de Beni., des militaires FARDC combattent contre Cobra Matata. Quand il est sérieusement frappé, il demande deux semaines de temps avant de se rendre. Entretemps, il pille entre trois mille et cinq mille vaches dans les prairies du Territoire dIrumu chez les Hema et les amène en Ouganda. Elles reviendront au Congo par Kasindi pour y être vendues. En contrepartie Cobra reçoit armes et munitions, après quoi il refuse toute reddition. Sans compter les kilos dor et les planches que les Nalu, qui utilisent des tronçonneuses dans le parc de Virunga, envoient en Ouganda. Là, ce bois sera qualifié comme produit en Ouganda.
Inquiétudes à Beni
Les opérations contre lADF sont menées mais daucuns sinterrogent sur leur issue.Sur 894 otages, personne nest rentrée. Les déplacés qui tentent de rentrer dans leurs localités mais ne vont pas aux champs de peur dêtre kidnappés ; et pour la plupart sont encore obligés de les vider, à cause de nouveaux affrontements et des exécutions par les hommes de lADF. Fin avril, dans une localité sur la route Mbau-Kamango, six personnes ont été enlevées, dont trois ont été retrouvées cadavres sur la route. Non loin dOICHA, à Mukoko, pendant quon célébrait le dimanche des Rameaux, les ADF sont venus circuler autour de léglise et le prêtre et les fidèles ont fui. Les FARDC avancent, croient avoir pris le contrôle jusquà 80 km, mais à 5 km les rebelles ont assiégé léglise.
Lobjectif de lOuganda cest de créer la terreur et rendre cette partie ingouvernable et invivable, pour pouvoir continuer à exploiter le bois et les produits agricoles (cacao, café, bananes,…). Les vivres produits par les paysans, comme le cacao, sont des cultures exportables et sont amenés en Ouganda chaque jour. Mais aussi, si la situation perdure longtemps, on peut alors exploiter le pétrole et lor, sans témoin gênant.
Dans le territoire de Lubero, les FDLR sont en train de quitter Walikale pour sexfiltrer au sud du territoire et sinstaller là où il y des populations dites retournées, venues du Rwanda, quon appelle les Hutu-Nande pour se confondre avec elles, et le Gouvernement ne sen soucie même pas. Aujourdhui, les FDLR viennent dériger un centre dentrainement à Kasiki, Kanune et Mbuavinywa pour se faire passer pour des milices locales pour la protection des retournés Hutu (FPPH, Force de Protection du Peuple Hutu) et donc échapper à toute traque militaire de la FIB (Brigade dIntervention de la Monusco).
3. LA MONUSCO, LA FIB, LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
Une Monusco et une FIB retissant
Me Kavota : Concernant les défis des opérations ADF, il faut aussi considérer que la Monusco sétait réservée dintervenir militairement contre les ADF en disant que la priorité ce sont les FDLR. Ce nest que très récemment que la Monusco vient de sengager aux côté des FARDC, après que ces dernières aient fait le gros du travail, comme pour éviter le quen dira-t-on. Nous au bureau de la Société civile avons toujours cru, aux égards de la détermination des Etats contributeurs de la Force dintervention africaine mise en place en juillet 2013 (FIB), que si cette force navait pas été incorporée au sein de la Monusco, les résultats seraient autres que ce que nous connaissons aujourdhui.
Mr Muiti : Pour la population la priorité cest la lutte contre les ADF-NALU qui ont enlevé plus de 894 personnes, dont on na plus de nouvelle. Mais la FIB déclare que la priorité pour les Nations Unies ce sont les FDLR. Pourquoi ne pas écouter la population ? Les FDLR constituent une menace, mais ils nont pas huit cent personnes en otage ! Nous avons besoin de récupérer ces personnes, dont trois prêtres, un médecin, quatre agents de MSF-France, plus de 250 enfants et plusieurs centaines de femmes. Savoir leur sort cest notre priorité. Nous pensons que les Nations Unies accompagnent les forts dans leur force et découragent les faibles dans leur faiblesse, pour les entretenir davantage dans leur faiblesse.
Un plan qui demeure
Mr. Muiti : A notre avis, la Communauté internationale aux égards de la RDCongo na pas changé de plan, mais de stratégie. Le plan A avec lAFDL, le plan B avec le RCD, le plan C avec le CNDP, le plan D avec le M23 nont pas marché et aujourdhui on veut utiliser le plan E : les ADF… A chaque fois toutefois la réalisation du plan progresse. Le fait dimposer lamnistie, de vouloir que certains M23 soient réintégrés dans les institutions politiques et dans larmée, signifie que le plan continue. A cela sajoute limposition de ceux quon appelle de réfugiés congolais qui dans la grande partie ne sont pas congolais. Le plan vise à installer une armée et des politiciens favorables à la balkanisation et une population qui pourra provoquer le référendum pour que cette balkanisation ait lieu.
4. CAMPS DE DEPLACES : UNE REALITE A COMPRENDRE
Le phénomène des camps de déplacés
Me Kavota : Au Nord-Kivu et en particulier dans le Masisi et le Rutshuru, les camps de déplacés ne font quaugmenter. A Mugunga, bien que le Gouverneur ait obligé les déplacés à rentrer à Nyiragongo et à Rutshuru, désormais en paix, les camps sont peuplés de populations dites déplacées en provenance de ces territoires. Dans le Masisi, à Mweso, Kashuka, Kalembe, existe le plus grand camp, avec plus de 25.000 personnes. Doù sont-elles venues ? 68 Camps de déplacés dans lespace Goma-Masisi-Rutshuru.
A cela sajoutent des populations que lancien Gouverneur Eugène Serufuli, sans le moindre respect des normes de rapatriement des réfugiés, avait installées dans les zones de Kilolirwe. Ces populations, dont lidentité nest pas reconnue, aujourdhui ont érigé des villages dans le parc national de Virunga et sont en train de solliciter des entités coutumières. Le « recensement national des citoyens » quon est en train de décider nest-ce pas une occasion pour les faire passer pour Congolais ?
En 1994, après la prise de pouvoir du FPR au Rwanda, un certain nombre de réfugiés rwandais de 1961 et de 1973, installés dans les zones de Bibwe, de Kalembe, dIhula, avaient choisi de rentrer chez eux. Ils ont écrit des lettres de remerciement aux chefs de chefferies qui les avaient accueillis et ont jeté leurs cartes pour citoyen congolais à la frontière. Le gouvernement rwandais na pas apprécié leur retour, les a installés dans des camps de réfugiés : ce sont eux qui sont comptés aujourdhui comme des réfugies congolais et ce sont leurs fils qui font la guerre contre la RDCongo.
Le Congo semble ne pas être très peuplé : nous comprenons que le Rwanda veuille envoyer chez nous le trop plein et nous sommes daccord quils viennent. Toutefois, le problème est que, arrivés au Congo, ces personnes continuent à soutenir la politique déstabilisatrice de leur pays dorigine, contre le Congo. Nous ne voudrions pas que la Communauté internationale continue à entretenir ceux quils appellent les Hutu-Nande, les réfugiés congolais au Rwanda pour déstabiliser la RDCongo.
Trois catégories de personnes dans les camps
Mr Muiti :. Un chef de poste et dencadrement à Kibati nous a dit : « Quand vous dites aux humanitaires quil faut démanteler tel camp, ils refusent en disant que le retour des déplacés est volontaire. Or, le camp de déplacés devient lendroit où lon entretient linsécurité : des hommes armés sy trouvent, entre autres les FDLR, sachant que ni larmée ni la police ne peuvent y entrer. Dites aux autorités de ne pas tenir compte des arguments des humanitaires, qui craignent la perte de fonds et le chômage ». Il ny a pas moyen de distinguer les Hutu congolais des Hutu rwandais et dans tous les camps qui restent au Nord-Kivu la majorité ce sont des Hutu.
Dans les camps il y a aussi des résidents, qui à cause de la pauvreté préfèrent rester dans les camps où ils reçoivent des objets quils peuvent vendre en gagnant un peu dargent. Il y a aussi la catégorie des personnes quon appelle « sans terre ». Dans le temps, des personnes vivaient et travaillaient dans de grandes concessions cultivées à thé et café. Les anciens concessionnaires réservaient une partie du terrain à ces ouvriers, mais les acquéreurs congolais, qui sont des éleveurs, nont besoin de que deux personnes. Or, le colon avait laissé 500-600 ouvriers, qui ont mis au monde, ce qui fait quil peut y avoir aujourdhui 1.500 personnes qui nont pas où aller : cest eux qui sont dans les camps des déplacés. Cest ainsi quon a plus de rien que trente camps de réfugiés dans le Masisi. Nous avons alerté les autorités sur cette situation.
5. LA QUESTION FONCIERE
Me Kavota : Pendant la rébellion du RCD, surtout dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, des gens qui ont pris le pouvoir se sont auto-attribué des concessions sans les acheter. Jusquà présent il y a des personnes qui possèdent 10 kmq, qui auparavant faisaient vivre des familles entières par lagriculture : ils ont expulsé les propriétaires et ensuite les travailleurs, et ont acquis des titres, grâce au gouvernement quils ont installé. Après la guerre du RCD, lEtat a adopté la résolution de considérer les actes pris par les rébellions comme authentiques. Ainsi, y a-t-il la concession de Kazarama dans le Rutshuru, de Serufuli dans le Masisi et dans le Rushuru, de Bosco Ntaganda dans le Masisi et Rutshuru, de Laurent Nkunda dans le Masisi, de Bizima Karaha… Et ce sont ces mêmes concessionnaires rebelles qui sont soit aujourdhui au pouvoir à Kinshasa comme généraux, députés, sénateurs ou ministres… sauf Bosco Ntaganda qui est à La Haïe et Laurent Nkunda qui est à Kigali. Tous ces gens-là ont des gérants dans leurs concessions, parce quils ont les titres.
Mr Muiti : Les conséquences de la guerre sont encore très perceptibles sur le terrain quant à ce qui est des petits conflits. Ici dans la ville de Goma vous pouvez trouver une parcelle avec deux certificats : un certificat pour lancien propriétaire et un certificat pour un membre de la rébellion et qui demande à lancien propriétaire de quitter la parcelle.
Me Kavota : Dans la plupart des cas, personne des vrais propriétaires nose aller en justice, car ces nouveaux propriétaires sont souvent des autorités. Ceux qui ont ravi même récemment des terres à Rutshuru vont être des Ministres… que peut faire un paysan ? Si Kazarama, qui est en conflit avec des milliers de familles dans une concession quil a arraché à la population à Tongo, est aujourdhui commandant de la VIII Région militaire, quel citoyen de Tongo oserait revendiquer ses droits ?
6. TRAÇABILITÉ DES MINERAIS, CHEMIN DE PAIX
Mr Muiti : Je fais partie du « Comité provincial de suivi des minerais » et jai été délégué pour lactuation de larrêté du ministre demandant que soient validés et qualifiés les sites où les minerais sont exploités selon les normes standard internationales et quil y ait un certificat de la CIRGL permettant la commercialisation. Jai aussi fait partie des membres de la « Conférence sur les mines » au niveau de la République et jai été membre dun panel.
Pour ce qui est de la situation globale des minerais au Nord-Kivu, dune part nous devons reconnaître quen arrêtant lexploitation et lexportation des minerais, on permet aux fraudeurs de bien gagner et on favorise ceux qui veulent que les minerais de la RDCongo profitent aux pays voisins ou aux multinationales. Cest pourquoi jai milité pour quon puisse qualifier le plus grand nombre de sites, pour permettre la transparence dans la commercialisation du produit.
Le problème se situe au niveau de la distribution des permis : il y a des permis qui ont été produits à lépoque des rébellions et donc il y a des propriétaires légitimes et des usurpateurs qui ont aussi reçu leur permis. Nous avons parlé aux uns et aux autres en leur montrant que cest dans leur intérêt de saccorder pour que lexploitation soit propre. Encore, on qualifie un certain nombre de sites, mais dautres sites proches ne sont pas qualifiés. Comment considérer propres les minerais qui proviendront de ces milieux, alors quil y aura en circulation des minerais qui proviendront de ces sites non qualifiés ? Cest ainsi que je suis en train pousser pour que tous les minerais dans le milieu soient considérés comme minerais propres. Cela se passe dans le Masisi.
Il y a aussi les minerais provenant de Rutshuru, qui nont jamais été qualifiés et qui quittent le pays illégalement. Lor de Mangorejipa, dans le Lubero, et de Beni, part directement vers lOuganda, qui aujourdhui est considéré comme grand producteur dor alors quil nen a presque pas. Sil y a eu la Loi Dodd-Frank, cest à cause des minerais de Bisiye, à Walikale. Il ne faut pas tergiverser sur la qualification de ces minerais sous prétexte quil y a la milice de Cheka : il faut quon parvienne à les certifier, pour que la Communauté internationale sente que tous les minerais en provenance du Nord-Kivu sont des minerais propres.
Le problème se situe à plusieurs niveaux. Lors de la Conférence, le Premier ministre a fait un constat amer : cest comme si au Nord-Kivu il y avait beaucoup dargent, mais cela ne se remarque pas dans le trésor public : il doit y avoir fuite fiscale. Nous lavons toujours fustigé au Nord-Kivu : lorsquun député devient exportateur de véhicules, quand il leur fait traverser, personne nose lui demander de payer, craignant ses menaces. Pourtant, la loi est claire : le commerce est incompatible avec les prérogatives des militaires, des députés, du gouverneur. A notre avis, il y a fuite fiscale au Nord-Kivu puisque tous ceux qui font le commerce, qui ont des quincailleries, des stations de pétrole, qui font le commerce de véhicules ce sont des dignitaires. Cela ne permet pas à la Nation de renfler ses caisses. Par nos sept observatoires, nous partageons et soutenons les efforts que lUnion Européenne est en train de faire pour la traçabilité des minerais dans notre pays.
7. LE PROBLEME MAJEUR
La plaie du pays
Mr Muiti : Le problème majeur du pays cest le trafic dinfluences, le tribalisme, la corruption : avec toutes ces antivaleurs mises ensemble, quelle que soit la vérité que nous mettons sur la table, souvent on nous qualifie dalarmistes. Récemment à Goma on a fait arrêter un Imam, qui pratiquait le trafic des jeunes : moyennant des promesses, il faisait partir des jeunes à Béni chez les ADF. Malgré les preuves à lappui, le magistrat la libéré. Le magistrat a été poursuivi, mais il est libre et menaçant, alors que des familles cherchent leurs enfants sans savoir sils sont encore vivants.
Nécessité de lalternance
Au delà de notre travail ici, nous voudrions pouvoir rencontrer les grands, comme Obama, le président de la Grande Bretagne, les influencer en faveur de lalternance. Tous les Présidents dans la Sous-Région des Grands Lacs, Kagame, Museveni, Nkurunziza, Kabila, sont fin mandat, mais tous, durs comme fer, ne veulent pas lâcher. Quon encourage lalternance et nous verrons si ce vent nouveau va tomber dans les mêmes erreurs ou contribuera à un changement positif. Quils respectent leurs textes et permettent quil y ait des élections vraiment transparentes. Le problème que vivent nos populations, nous pensons que cest un problème dhommes. Il y a la possibilité que ces hommes coalisent pour troubler les Grands Lacs et ils resteront troublés le plus longtemps possible. Il y a possibilité de procéder à un changement et alors on naura pas besoin de festivals, de matchs !
8. A PROPOS DES INITIATIVES INTERLACUSTRES DE PAIX
Mr Muiti, Me Kavota : Nous assistons en ce temps à plusieurs initiatives visant à réunir les jeunes ou les adultes de Burundi, RDCongo. Rwanda et Ouganda : des matchs, des festivals, des centres communs de formation… A notre avis, ce sont des distractions pour quon nait pas le temps daffronter les problèmes. Il ny a aucun problème entre les populations : des citoyens rwandais traversent chaque matin la frontière pour travailler à Goma comme maçons ou pour vendre leurs produits.
Les grands du monde ont poussé pour quon donne lamnistie aux membres du M23, qui ont tué et violé et reviennent en chefs. Et après on organise des festivals de paix : quest-ce que cela rapporte ? La plupart des partenaires agit de bonne foi, mais ceux qui bénéficient de leur appui le détournent et font perdurer le problème. Le problème est dinfluencer les décisions au sommet. Sil faut organiser des rencontres pour la paix, quon réunisse les responsables des Sociétés civiles susceptibles dinfluencer les décisions du pouvoir, des professeurs des Universités qui peuvent écrire des articles, des responsables de confessions religieuses qui peuvent parler aux autorités. Pour arrêter la manipulation il faut toucher le manipulateur.
9. ENSEMBLE NOUS POUVONS AVANCER
Mr Muiti : Ce que nous disons, nous le vérifions et nous ne craignons pas dêtre contredits. Nous sommes organisés de la base, par des rapporteurs vivant dans chaque localité, par des coordinations et des groupes thématiques, qui travaillent même à lintérieur de la province. La population elle-même nous envoie des messages et nous donne même des stratégies.
Me Kavota : Ce que nous faisons vient de nos efforts personnels ; nos familles mêmes sont parfois sacrifiées. Nous sommes en ville et faisons comme si on ny était pas ; nous ny sommes pas et faisons comme si on y était. Des fois on ne sait pas qui est qui, on ne peut pas se dévoiler à tout le monde, on peut avoir sa résidence et passer la nuit à lhôtel. Nous nous disons toutefois : « Si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? Même une goutte deau quon aura ajouté servira à quelque chose ».
Face à tant de réactions contraires des autorités nationales et internationales, il nous arrive de nous demander si cest nous qui sommes perdus sur la piste ou ce sont les autres qui ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre. Ceux qui voient ce que nous faisons ce sont les pauvres paysans, les sans voix, qui nous disent : « Si vous nexistiez pas… »
Pourtant ceux qui détruisent ont accès facile aux financements. Au niveau national, laccès aux médias est pour nous très limité, alors que dautres propagent facilement des informations en les habillant comme étant la voix de la population. Des projets visant à justifier le M23 reçoivent des millions de dollars. Certaines organisations internationales disent venir dans le cadre de la paix mais nous refusent toute aide si nos actions sont menées sans les anciens acteurs du M23, du CNDP. Nous nous demandons pourquoi elles sont toujours là pour défendre ceux qui combattent la nation congolaise.
Mr Muiti : La Communauté internationale peut beaucoup nous épauler. Notre travail à la coordination de la Société civile est le plaidoyer, qui comprend le monitoring, la communication, le reporting : souvent nous commençons, mais nous narrivons pas au bout faute de moyens.