Russ Feingold et la poursuite de la guerre de basse intensité en RDC Par M. Jean-Pierr Mbelu, analyste géopolitique
Depuis un certain temps, il ne se passe plus un seul jour sans que les médias congolais au pays et à létranger ne traitent des pressions faites par ‘la communauté occidentale sur les gouvernants de Kinshasa pour quils respectent la constitution congolaise (de Liège) et que Joseph Kabila quitte ‘le pouvoir à la fin de son mandat en 2016. Sur cette question, une bonne majorité de compatriotes congolais soutient que ‘Kabila doit partir. Plusieurs compatriotes trouvent que les pressions de ‘la communauté occidentale tombent à point nommé. Elles sont induites par ‘les Accords dAddis-Abeba.
Qui a initié les accords dAddis-Abeba ? Qui a mis ‘Kabila au pouvoir ? Cest la même ‘communauté occidentale. La Chine et la Russie en sont exclues. Elle instrumentalise lUA quelle finance par lUE interposée. Pourquoi ? Pour assurer lhégémonie occidentale sur cette partie de lAfrique. Où est la part des Congolais(es) ?
Il se pourrait que les pressions de ‘la communauté occidentale soit aussi le fruit du lobbying mené par les Congolais(es) de lintérieur et de lextérieur du pays. Cela pose quand même certaines questions dont celle-ci : ‘Qui finance une bonne partie de la société civile congolaise et ses ONG ? ‘Souvent cest lUSAID, le NED ou le NDI, ‘‘façades de la CIA. Dailleurs, certains partis politiques congolais dits de lopposition travaillent officiellement avec le NDI. Disons donc que le processus de changement tel quil se déroule aujourdhui en RDC est bien contrôlé par limpérialisme anglo-saxon. Pourquoi ? Lexceptionnalisme américain oblige ! Cest-à-dire que lélite dominante anglo-saxonne croit en une mission providentielle reçue den haut pour répandre à travers le monde ‘la démocratie et ‘la liberté. Pour ce faire, elle sape, depuis toujours, tous les principes dégalité entre les nations et dautodétermination des peuples pour imposer au monde (et de plus en plus aux faibles) ‘la pax americana ou ‘the way US of life tout en considérant les valeurs quelle prétend défendre officiellement comme étant des ‘objectifs vagues et irréels. Elle croit et agit ‘selon les concepts de pure puissance[1] même quand celle-ci se révèle‘irrationnelle.
Nest-ce pas là de lanti-américanisme primaire ? Lingérence de loligarchie américaine dargent dans certains pays du monde et de Russ Feingold en RDC ne se nourrit-elle pas de la dépendance, de lirresponsabilité des gouvernants et de lélite intellectuelle congolaise ?
En partie, oui. En partie non. Pourquoi ? Depuis lindépendance formelle de la RDC jusquà ce jour, les gouvernants congolais sont, en majeure partie, créés de lextérieur. Cest une lapalissade que de rappeler que Mobutu a été créé par les services secrets belges et américains[2]. Quand en font-ils ‘une créature de lhistoire ? Quand ils nouent de nouvelles alliances après la chute du mur de Berlin. « Après la chute du mur de Berlin, écrivent Marie-France Cros et François Misser, le rôle de réserve stratégique dévolu au Congo et à lAfrique durant la guerre froide sest trouvé diminué par laccès de lOccident aux réserves de lex-URSS et des autres pays de lEst européen. Cela explique pourquoi les puissances occidentales tutélaires de fait (la Belgique, la France et les Etats-Unis) ont lâché progressivement le régime de Mobutu jusquà sa chute en 1997. »[3]Cette chute sest opérée au cours dune guerre de basse intensité supervisée par ‘limpérialisme intelligent US par des proxys interposés. De ceux-ci est né ‘le cheval de Troie qui ‘dirige la RDCaujourdhui. Joseph Kabila est donc ‘la créature de faiseurs de paix au Congo[4].Ce sont eux qui en ont fait ‘roi après les élections-bidons de 2006[5] en participant de près ou de loin aux crimes abominables commis par sa ‘police politique à Kinshasa.
Pour rappel, les résultats de ces élections présidentielles ont dû être communiqués par lAbbé Apollinaire Malumalu conduit à la RTNC dans un char de combat de lONU. (Tiens ! Cest le même qui est aux commandes de la CENI actuellement !)
Les élections de 2006 comme celles de 2011nont pas permis aux Congolais(es) de se choisir leurs gouvernants de manière libre, démocratique et transparente. Elles ont été des pièges à con. Il y a eu des ingérences extérieures beaucoup plus liées au ‘rôle de réserve stratégique dévolu au Congo quà lirresponsabilité de ses fils et ses filles. En 2011,le 07 décembre 2011 plus précisément, cest Arnaud Zajtman, un Belge, qui a été parmi les premiers à dénoncer ces ingérences à lissue des élections truquées et frauduleuses dans un article intitulé ‘Il est minuit moins une à Kinshasa.
Dans ce contexte, partir de la constitution congolaise (de Liège) pour demander à Joseph Kabila de respecter son ‘mandat présidentiel est beaucoup plus un subterfuge quun appel à sengager dans un processus démocratique digne de ce nom. ‘Les faiseurs des rois dans les Grands Lacs africains voudraient en destituer un tout en justifiant un éventuel tripatouillage de la constitution au Rwanda. Ils disent :« Kagame a bien travaillé. »Il nous semble que cest ici que leur manœuvre devient claire et limpide et que leur politique de deux poids deux mesures devient plus que palpable.
La destitution de ‘Joseph Kabila par ses créateurs que nous sommes plusieurs à applaudir nous semble être beaucoup plus une réponse ‘intelligente faite au patriotisme et à la résistance congolais.Mains nues, les Congolais(es) se battent à travers le monde en décriant ‘le génocide silencieux que subit leur pays depuis plus de cent ans. Pour les dribbler, ‘les maîtres du monde recourent à une constitution fabriquée à Liège et déjà tripatouillée par Joseph Kabila en 2011 afin de les convaincre que leurs cris ont été entendus. Ils jouent sur la fatigue psychologique que nous sommes plusieurs à ressentir. Ils associent‘lopposition politique et les forces sociales à ce jeu quils contrôlent. Et nous applaudissons !
Ne devrions-nous pas avoir les yeux et les esprits un peu plus ouverts ? Géostratégiquement, la Russie et la Chine recréent le marché eurasiatique.La Russie revient sur le devant de la scène internationale en force. Larrière-cour US, lAmérique Latine, sest majoritairement émancipée politiquement de lhégémonie occidentale. Elle procède à une intégration économico-sécuritaire fructueuse. (Même si, depuis un temps, sa souveraineté est de plus en plus attaquée par les chiens de garde de loligarchie dargent occidentale ! Le Venezuela, la Bolivie et lEquateur sont dans leur collimateur.)
Dans le jeu géostratégique du monde, les pays africains ayant connu des guerres récurrentes comme la RDC sont affaiblis et déroutés économiquement. Pourquoi ? Les guerres récurrentes préparent‘lennemi à accepter, à un certain moment, les principes qui lui sont dictés par ladversaire.
Longtemps avant la RDC, lURSS est passée par là. Elle peut servir comme un exemple historique au cours de la guerre dite froide. « En février-mars 1944, le milliardaire Harriman, ambassadeur à Moscou depuis 1943, saccordait avec deux rapports des services « russes »du Département dEtat (…) pour penser que lURSS, « appauvrie par la guerre et à laffût de notre assistance économique (…), un de nos principaux leviers pour orienter une action politique compatible avec nos principes », naurait même pas la force dempiéter sur lEst de lEurope bientôt américaine. Elle se contenterait pour laprès-guerre dune promesse daide américaine : ce qui nous permettrait « déviter le développement dune sphère dinfluence de lUnion Soviétique sur lEurope orientale et les Balkans. »[6]Ce rêve datant des années 40 fut réalisé avec Gorbatchev ; et le retour de la Russie avec Poutine rend lélite dominante anglo-saxonne furieuse et folle de colère. Les derniers évènements de lUkraine en donnent la mesure.
De lEst de lEurope à lEst de la RDC, il y a un pas que cette élite (et ses alliés) est en train de franchir. Elle tient à faire de lIturi, des Kivus et du Katanga son protectorat en en retirant à la RDC le droit de regard. Lalliance public-privé a été déjà conclue en novembre 2011[7].Russ Feingold en sait quelque chose. Sa lutte na rien à voir avec lavènement de la démocratie en RDC.
A ce point nommé, lune des questions essentielles ne serait-elle pas celle de la maîtrise du mode opératoire de cette élite pour mieux rompre avec notre collective dépendance à son endroit ? Cela est difficile et même très compliqué. Mais ce nest pas impossible.Cela exige un travail titanesque abattu dans des think tanks congolais sur le court, moyen et long terme.
La France[8](et même lEurope) peut être citée comme un exemple illustrant cette difficulté. Ecoutons à ce sujet Danielle Mitterrand : « Mai 1981 fut un mois de grande activité, car cétait la préparation de larrivée au pouvoir de François. Jessayais dapporter tout ce quil y a de meilleur en moi, pour que ces rêves davoir une société socialiste, quoique à lEuropéenne, deviennent réalité. Mais bien vite, jai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas sétablir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il me répondait quil navait pas le pouvoir daffronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme.Quil avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. »[9]
Demain, lopposition politique et les forces sociales travaillant aujourdhui avec ‘la communauté occidentale risquent de confirmer ces propos de François Mitterrand : « Gagner un gouvernement nest pas synonyme davoir le pouvoir. » Cela dautant plus quelles sont coachées par les services secrets occidentaux. Elles sapprêtent à aller aux élections sans ‘pouvoir intérieur ; sans argent propre. Les USA ont promis trente millions de dollars pour ces élections. LUE et certains de ses pays pourront aussi mettre la main à la poche. La Banque mondiale et les autres ‘bailleurs de fonds ne seront peut-être pas en reste. Voilà comment, comme des moutons, nos populations seront conduites à leur abattoir. Ces élections, si elles ont lieu, seront la continuation de la guerre de basse intensité menée contre la RDC sous ‘une forme démocratique. Pour cause. La récupération de linitiative historique pour lédification dun autre Congo na pas eu lieu. Si Etienne Tshisekedi était devenu Président en 2011, la donne aurait changée. Il était porté par les masses congolaises debout. La communauté occidentale la dribblé. Elle a eu peur dun pouvoir qui aurait majoritairement des assises populaires. Arnaud Zajtman en témoigne dans larticle susmentionné. Malheureusement, ces masses ne sétaient pas préparées à soutenir une lutte de longe haleine pour renverser les rapports de force. Elles sont en train dêtre prises dans le piège de lopposition politique et des forces sociales contrôlées par les services secrets occidentaux. ‘La situation est grave mais pas désespérée.
Mbelu Babanya Kabudi
[1] D. MITTERRAND, Le livre de ma mémoire, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p. 409.
[2] Lire J. CHOME, Lascension de Mobutu. Du sergent Joseph-Désiré au général Sese Seko, Bruxelles,Complexe, 1974.
[3] M.-F. CROS et F. MISSER, Géopolitiquedu Congo (RDC), Bruxelles, Complexe, 2006, p.33.
[4] Lire J.-C. WILLAME, Les ‘faiseurs de paix au Congo. Gestion dune crise internationaledans un Etat sous tutelle, Bruxelles, Complexe, 2007.
[5] C. ONANA, Europe,crimes et censure au Congo. Lesdocuments qui accusent, Paris, Duboiris, 2012.
[6] A. LACROIX-RIZ, Le débarquement du 6juin : du mythe daujourdhui à la réalité historique, dans Le Grand Soir Info du 05 juin 2014.
[7] Lire R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investigaction, 2013.
[8] En plus de DanielleMitterrand, il serait sage de lire le dernier livre dAnnie Lacroix-Rizintitulé ‘Aux origines du carcan européen (1900-1960). La France sousinfluence allemande et américaine, Paris, Delga, 2014.
[9] H. CALVO OSPINA, Danielle Mitterrand :‘La démocratie nexiste ni aux USA, ni en France. Extrait dun entretienavec Danielle Mitterrand, Présidente de ‘France libertés, dans Le Grand Soir Info du 22 novembre 2011.