Kabila… tel est pris qui croyait prendre? Par Anicet Mobe, chercheur en Sciences Sociales, Membre du Collectif des intellectuels congolais "DEFIS" – Paris
Demblée, les esprits avisés ont flairé dans ces concertations une sordide manoeuvre pour détourner lattention de noirs desseins du Chef de lEtat, soucieux de consolider un pouvoir issu délections entachées de fraudes massives avérées. Aussi sest-il évertué à appâter des politiciens retors avec des promesses de promotion politique pour élargir le cercle des courtisans qui soutiennent son projet de se cramponner au pouvoir en violation de la constitution.
Laminées par la violence sociale quengendre la brutalité dune prédation des ressources économiques dont tire profit la classe dirigeante. Brisées par la violence armée des seigneurs de guerre soutenus par le gouvernement rwandais (M23), des milices (Kulunas) agissant en toute impunité et des soldats de larmée rwandaise dans laquelle a servi lactuel chef de lEtat, les masses populaires se trouvent anéanties. Rappelons quen 2009,il a accepté que les soldats ruandais se déploient au Congo. Le président de lAssemblée nationale démissionna pour protester. Lamnistie accordée aux auteurs dassassinats politiques scandalise le peuple.
Outrés par la mollesse de réaction du chef de lEtat face aux dénégations du président Kagame, en dépit de multiples rapports de lOnu et à larrogance du commandant James Kabarere qui fut son chef hiérarchique dans larmée rwandaise, les partis dopposition et de larges secteurs de la société civile ont finalement accepté de participer aux concertations nationales.
Quoique méfiants et sceptiques, ils étaient déterminés à sapproprier cet événement politique pour en faire un espace citoyen où ils peuvent exprimer leurs revendications, un lieu de réinvention du politique afin de reconstruire lEtat. Rien ny fit : les dés étaient déjà pipés.
De lescroquerie politique de lAFDL à la forfaiture….
La forfaiture que constituent la révision constitutionnelle de janvier 2011 et celle projetée pour contourner le prescrit constitutionnel limitant à deux le nombre de mandat présidentiel, ainsi que le holdup électoral de novembre 2011 nest pas un simple incident de parcours. Elle illustre piteusement les multiples contradictions qui ont émaillé lintrusion et lascension de Joseph Kabila dans le champ politique – grâce à larmée rwandaise – et le renforcement de sa position dans lappareil militaire, ainsi que sur léchiquier politique.
Il importe de tenir compte à la fois du contexte historique et politique dans lequel sinscrivent ces contradictions, ainsi que son équation personnelle: en 2001, sa désignation à la tête de lEtat – dans des conditions opaques – a ouvert le sinistre bal d une lamentable régression intellectuelle et politique qui peu à peu transforme certains pays africains en satrapies gérées comme des fiefs claniques par des "seigneurs des guerres".
En 2006, en insistant sur la nationalité, clairement établie, de tout candidat à lélection présidentielle; les Congolais voulaient briser un engrenage infernal: depuis 1960, les ingérences étrangères ont érigé un dogme selon lequel, nul ne peut accéder aux plus hautes fonctions de lEtat sil nest soutenu – voire "fabriqué" – par les gouvernements belge, américain et français depuis 1977-1978. Appréciées à laune de lhistoire du Congo, les tutelles diplomatiques, militaires et politiques quexercent le Rwanda et lOuganda, avec laval américain, sur les "rébellions " depuis 1996-1998, ainsi que sur les composantes politiques qui en sont issues, sanalysent comme une double rupture.
Rupture avec la clairvoyance politique des personnalités qui ont pensé et dirigé le mouvement démancipation politique – intellectuels de Conscience Africaine,de lAbako ; leaders politiques du MNC ,de lABAKO et du PSA en1956/1960 – ayant abouti à lindépendance. Rupture aussi avec les engagements intellectuels du mouvement étudiant – UGEC et lAGEL – (1961-1991) résolument opposé à un régime inféodé aux parrains étrangers.
Cette régression ne cesse de saggraver et de samplifier comme lillustrent, dune part, lindignation suscitée par la révélation en 2012 de la présence des soldats rwandais sur le territoire national alors quils étaient censés être rentrés chez eux depuis décembre 2009, et dautre part, le curieux itinéraire électoral quemprunte labbé Malu-Malu et qui sinscrit dans une vaste escroquerie politique.
Avant de débattre du calendrier électoral avec la représentation nationale, il est venu dabord en Belgique sassurer du soutien des parrains de Kabila pour les rassurer du sort de leur poulain. Il nest donc pas étonnant que- fort des assurances des tuteurs – lors des discussions à lAssemblée nationale chez nous quil ait envisagé -en des termes à peine voilés – lhypothèse dune révision constitutionnelle.
Par ailleurs, dès 2006, les Congolais voulaient éviter quun drame familial personnel ne se transforme en un facteur structurant de la tragédie dun peuple. Ils nont pas oublié les immenses dégâts politiques et le gouffre financier occasionnés par lesprit de lucre dinnombrables oncles maternels attitrés du Président Mobutu. Chacun deux gérait des multiples coteries regroupant des proches parents du Président et leurs alliés, ainsi que quelques personnalités originaires dautres régions.
Ces coteries servaient de lieux de cooptation des individus devant intégrer la clique présidentielle et la confrérie régnante, repaires de ceux qui bénéficiaient des dons personnels du Président, notamment les nominations à de hautes fonctions dans les organes du Parti unique et de lappareil dEtat. Aussi, il fallait sans cesse augmenter la "dotation présidentielle" pour entretenir ces écuries en compensation de ladoption que le clan Ngbandi accorda à lancrage familial du Président.
A la fin des années 1990, sur trente-sept officiers supérieurs de larmée, la région de lEquateur en comptait dix-huit, soit 46% ; tous les services de renseignements (civils et militaires) étaient dirigés par les Ngbandis ou, à défaut par un ressortissant de lEquateur. Ces favoritismes ethniques nont guère accru lefficacité de nos soldats comme le prouve la déroute devant larmée rwandaise en 1996-1997.
Le clan des Balubakat fait payer aux Congolais le prix le plus fort de la "reconnaissance parentale" accordée au Chef de lEtat. Ils ont exigé et obtenu quasiment tous les ministères régaliens du gouvernement. Craignant dêtre évincés par le "clan des Tutsis" – puissamment soutenus par le Rwanda – les Balubakat intensifient les surenchères, qui parasitent le jeu institutionnel. Le devenir du Congo et le sort des Congolais sont sacrifiés sur lautel de sinistres desseins de véreux personnages.
Ainsi le piège grossier quil tendait aux Congolais se retourne sur Kabila lui-même, soumis à la fois aux revendications de "ses parents" et aux exigences de ceux dont les soutiens militaires lui ont ouvert les voies du champ politique en 1996-1997; sans oublier les pressions de tuteurs qui lont adoubé en 2001, 2006 et 2011 et qui ne cessent de relayer les appétits insatiables des intérêts économiques qui pillent les ressources du Congo avec la complicité de la nomenklatura regroupée au tour de lui.
Quil soit rappelé au Chef de lEtat que tous ceux qui ont méprisé le peuple congolais en privatisant la gestion des ressources publiques à leur profit, à celui de leurs clientèles et de leurs tuteurs étrangers ont connu une fin lamentable.
En 1908, le Roi Léopold II est contraint de "céder" le Congo à la Belgique, en dépit de nombreuses obstructions. Le 8 juillet 1960,le général Janssens, dernier commandant en chef de la Force Publique, auteur de (" après lindépendance = avant lindépendance ") et le 16 mai 1997,le Maréchal Mobutu (" je ne dois rien aux Zaïrois,ils me doivent tout ") quittent furtivement Kinshasa, comme de quelconques quidams cherchant à échapper à une interpellation policière pour se soustraire à la justice. Ce piteux épilogue contraste avec les éblouissants fastes quils déployaient du temps de leur splendeur.
De nombreux signes annonciateurs indiquent que le Congo va bientôt revivre un scénario similaire. Plus tôt, il se produira, mieux ça vaudra. Pris dans son propre piège, paralysé par les impérities de son pouvoir et la concussion des prévaricateurs de sa cour, Joseph Kabila multiplie les chausse-trappes contre les Congolais comme cet engagement des partis politiques sous la houlette du président de la commission électorale. Le Président ne sest pas publiquement engagé à respecter le prescrit constitutionnel qui lui interdit de briguer un 3° mandat.
Les thuriféraires du pouvoir annoncent la formation imminente du gouvernement au moment où le paysage politique se recompose sous la férule danciens barons mobutistes. Un " deal " semble être conclu avec eux pour utiliser leurs réseaux nationaux et internationaux afin que le président brigue un 3° mandat sans lemprise du clan " Lubakat " en sappuyant sur lopposition " républicaine " qui a parasité lopposition radicale.
Peuple congolais…débout !
Le tableau dépeint ci -haut paraît si sombre quon serait tenté de croire que tout serait irrémédiablement perdu. Les apparences sont si trompeuses quelles noffrent quune vision tronquée datouts dont peuvent disposer les Congolais.
Ce pays reste un gisement inépuisable de richesses humaines; des ressources culturelles et économiques, des compétences scientifiques et dexcellences intellectuelles. Lintense mobilisation politique des diasporas congolaises, la créativité sociale des masses congolaises et la probité intellectuelle de nombreux universitaires sourds aux sirènes du pouvoir suggèrent que limmense majorité des Congolais refusent que leur pays soit pris en otage par des analphabètes politiques tirant leur légitimité des appuis extérieurs. Expression dun patriotisme éprouvé, ce refus ouvre des perspectives despoir quil appartient aux diasporas de concrétiser.
Il faut se féliciter que les diasporas congolaises aient pris conscience des enjeux de lampleur et du caractère récurrent et multiforme des interventions politiques, militaires étrangères – quelles soient publiques ou secrètes – et leur impact sur le sort du pays.
Coup sur coup, les diasporas congolaises ont réussi : à obtenir une audience avec le Président de la République française pour lui demander que la France use de son influence diplomatique afin que lONU crée un tribunal international pour juger les auteurs de crimes contre lhumanité commis au Congo; à rencontrer lenvoyé spécial de lUE dans la région des Grands Lacs et à faire annuler le concert dun artiste transformé en griot du pouvoir. Il importe damplifier et de rationaliser cette mobilisation politique pour mieux orienter lindispensable travail de "lobbying" afin que les Congolais soient partie- prenante du ballet diplomatique déployé autour de la tragédie qui décime leur pays.
Il faut se donner les moyens de se ménager un espace daction dans les réseaux dinfluence qui pèsent sur les décisions prises de létranger concernant notre pays. Cest aussi le moment de lancer une vaste opération "100 dollars pour le Congo" afin quà court terme, les citoyens congolais sapproprient le processus électoral en finançant les opérations de recensement obligatoire; lachat du matériel ; les campagnes dinformation et déducation civique pour faire respecter la constitution afin que le choix électoral saccomplisse avec discernement.
A moyen terme, il faut songer à constituer des fonds dinvestissement pour que les Congolais soustraient les importants secteurs de léconomie de la prédation et des convoitises étrangères. Les flux financiers entre les diasporas et le pays se déclinent sur le mode micro-économique des solidarités familiales. Ils peuvent se décliner aussi sur un mode macro-économique.
Peuple congolais, Debout! Tel est lintitulé de léditorial de Conscience Africaine (n° nov-déc. 1956) revue éditée par un collectif des intellectuels du groupe éponyme que fonda en 1951, labbé Joseph Malula. Léditorial faisait le point sur les réactions quavait suscitées la publication de leur Manifeste le 30 juin 1956.
58 ans après, léditorial reste de brûlante actualité: dans un autre contexte historique, il reste à déterminer les fondements dune nouvelle alliance de classe entre le peuple congolais et une fraction de son intelligentsia qui se défait dune conception cléricale de luniversité et mandarinale du rôle des intellectuels pour réinventer le politique afin quil prenne en charge les revendications des milieux populaires.