24 02 15 Le Phare – Fibre optique : nouvel éléphant blanc pour la RDC
Le Phare : Le contenu de votre livre dont le
titre est « Le blocage des télécommunications congolaises » parait très indiqué
dans les circonstances actuelles. Les congolais ont vécu au mois de janvier la
coupure intempestive des services Internet, SMS ainsi que des Réseaux sociaux.
Pour avoir analysé la question en profondeur dans le cadre de vos recherches,
comment avez-vous accueilli cette décision gouvernementale dempêcher les
Congolais de communiquer et surtout le fait de pousser les opérateurs des
télécommunications à ne pas respecter leur contrat vis-à-vis des
clients.
Pr AVB : Il est vrai que chaque Gouvernement a le devoir de protéger
sa population et dassurer la sécurité de son territoire, mais il doit pour ce
faire respecter la procédure préalablement définie par la constitution, par les
lois du pays et ne pas fouler aux pieds les engagements internationaux librement
souscrits et ratifiés.
Le Congo ne sétant pas doté dun Code des
Télécommunications, il est difficile de savoir de quelle légalité le
Gouvernement congolais a couvert son acte. Ce que je peux vous assurer, est le
fait que tous les Gouvernements du monde ont souscrit à la neutralité de
linternet. Même dans les pays ne portant pas le nom de République démocratique
comme le Congo on ne coupe pas la transmission pour toute une nation. On met par
contre les hommes dangereux, les terroristes ou ceux poursuivis par la justice
sous écoute ou sous surveillance. En coupant lInternet au Congo, lEtat a puni
non seulement les Congolais, mais aussi tous ceux qui en Amérique, en Europe, en
Asie ou en Océanie devaient entrer en contact avec les correspondants ou les
entreprises congolaises !
Empêcher les gens de communiquer au vingt
et unième siècle est une utopie quaucun Gouvernement au monde ne peut réussir,
même sil mettait toute sa population en prison. Communiquer pour un humain fait
partie des droits des individus, droits répertoriés dans la déclaration
universelle de droits de lhomme enregistrée dans la Charte des Nations Unies en
1948.
Sur le plan moral, cela me paraît disproportionné, car punir 65
millions dhabitants parce que quenviron 100 milles personnes manifestaient est
difficile à soutenir.
Sur le plan des effets recherchés, le résultat
a été contre-productif. Les images sur la manifestation circulaient à
lextérieur du pays. Elles étaient envoyées par ceux qui ont des téléphones
satellitaires ou dautres réseaux spécialisés qui échappent au contrôle du
Gouvernement. Cela va favoriser encore laugmentation des réseaux satellitaires
privés dans le pays et risque de pousser certains à se méfier du réseau
officiel. Je pense que dans létat actuel des choses, le Gouvernement navait
pas besoin dun tel geste. Il a fait lui-même sa contre-propagande.
Sur le plan économique, il y aura des problèmes. Les abonnés à lInternet ayant
déjà payé leurs souscriptions doivent être rétablis dans leurs droits pour
quinze jours, de même pour les compagnies des télécommunications. Si on admet
lhypothèse selon laquelle le chiffre de dépenses des utilisateurs est de 1
million de dollars par jour, cela veut dire que rien que pour les abonnés,
lEtat doit débourser quinze millions de dollars. A cela il faut ajouter
lindemnisation des sociétés qui fournissent ces services. Largent à donner
proviendra du trésor public, cest à dire des impôts payés par les contribuables
congolais, les mêmes contribuables qui sont les victimes.
On ne peut pas dun
côté parler de développer le pays en faisant appel aux investisseurs et de
lautre prendre des décisions qui vont à lencontre de sa proclamation. La
circulation de linformation, faut-il le rappeler, permet justement aux hommes
daffaires et aux entrepreneurs de vendre leurs productions. Quand on les
bloque, il y a tracasserie administrative. Cela véhicule une très mauvaise image
à lextérieur du pays. La confiance risque de demander beaucoup de temps pour
revenir.
Le Phare : Finalement le Gouvernement a rétabli le service SMS
et Internet. Mais on constate quil se pose beaucoup de problèmes au niveau de
la vitesse devenue très lente et des réseaux sociaux qui ne sont pas rétablis.
Pensez-vous que nous sommes entrés dans une sorte de dirigisme dans le secteur
des télécommunications ou quil y a encore une expression libre comme le
rappelle la constitution congolaise qui institue le droit dinformer et de
sinformer en toute liberté en son article 4.
Pr AVB : Dans le secteur des
télécommunications congolaises il y a à boire et à manger. La RDC a opté pour
une économie du marché, une économie libérale. Cest la loi 013 du 16 octobre
2002 qui libéralise le secteur des télécommunications au Congo. Elle a été votée
par le Parlement de Lubumbashi. Cette loi comporte des contradictions. Elle
libéralise le secteur à lentrée et veut garder le monopôle à la sortie. Je
mexplique : elle libéralise la transmission mais garde la commutation en
forçant les opérateurs à passer par le Centre de transit de lOCPT pour toute
communication locale ou internationale. Or dans le monde libéral des
télécommunications on procède par la régulation, alors que le dirigisme fait
appel à la règlementation. Dans le premier cas, il y a lautorité de régulation
qui remplace le Ministère des PTT, et dans le second cas il ny a que le
Ministère des PTT. Au Congo on a les deux. Qui
dirige, qui régule, cest
difficile à cerner. Ce qui est sûr est quil y a deux têtes sur un même
tronc.
Le régulateur est un arbitre du match qui se joue entre les
opérateurs, les utilisateurs et le Gouvernement. Il protège les intérêts des uns
et des autres. Ses décisions sont prises après consultations des partenaires et
par consensus. Le problème au Congo est quil n y a aucune association des
consommateurs dans ce secteur. En 2002 on est peut être allé trop vite, et peut
être même avoir négligé certains préalables. En France par contre, la
libéralisation du secteur a commencé en 1986 pour prendre corps réellement en
1996, soit dix ans.
Pourtant, le but poursuivi par les acteurs de
2002 était de pallier les carences de lEtat dans les investissements. Le
Gouvernement congolais confiait son secteur des télécommunications aux privés
pour le développer et répondre aux besoins de sa population. Comme souvent les
privés se méfient du Pouvoir étatique, pour créer un climat de confiance, il a
supprimé le pouvoir direct de lAdministration sur ce secteur. Ensuite afin
déviter le risque de désinvestissement par la non atteinte du niveau des
recettes nécessaires permettant de réaliser de nouveaux projets et se donner
loccasion davoir de plus en plus de visibilité dans le flux dinterconnexion
et faire valoir ses droits sur la fiscalité de ces services, et enfin dencadrer
les tarifs qui risqueraient de freiner laccessibilité au service, le
Gouvernement congolais doit avoir soumis un cahier des charges aux
industriels.
Les dirigeants de lépoque avaient pensé que voulant
élargir leurs marchés pour réaliser les économies déchelle, les opérateurs de
communications électroniques allaient étendre leurs réseaux et toucher par la
même occasion le monde rural congolais, évitant ainsi au pays de connaître une
fracture téléphonique.
Dans mon entendement, après échec de plusieurs
tentatives avec lopérateur public « OCPT »et par manque dargent, lobjectif
poursuivi par les pouvoirs publics congolais dans la loi de 2002 était de
favoriser lexercice au bénéfice des utilisateurs dune concurrence effective et
loyale, veiller à la fourniture et au financement de lensemble des composants
du service public à savoir la fourniture à tous dun service universel de
qualité à un prix abordable, linstauration dun service de renseignement et
dun annuaire dabonnés, veiller à la création demploi, faciliter
lintroduction de la technologie par le biais de la formation et prendre en
compte lintérêt des utilisateurs darrière-pays. Malheureusement, les
initiateurs du projet ont pris certaines dispositions de la loi française sur la
régulation pour les insérer dans leur projet. Le Congo ne poursuivant pas les
mêmes objectifs que la
France, certains articles de la loi sont
inappropriés. La France comme certains pays membres de lOCDE possède les
industries des matériels de télécommunications alors que le Congo nen a
pas.
Quant à la lenteur que vous évoquez, elle peut tirer son origine
du mécontentement des opérateurs. Noubliez pas que ces sociétés ont eu à faire
face aux coûts de limmobilisation de léquipement, aux dépenses du personnel
alors que celui-ci ne travaille pas. Aucun industriel naime se trouver dans ce
cas de figure. La situation deviendra normale au fur et à mesure que le
fonctionnement du matériel atteindra sa vitesse de croisière et que le
Gouvernement dira comment il compte indemniser les victimes de toutes ses
mesures.
Pour ce qui est du dirigisme de lEtat dans les télécommunications,
je pense que quelle que soit sa volonté, le Gouvernement congolais na ni la
capacité financière, ni la hauteur technique, ni létoffe nécessaires pour
entreprendre une telle politique, dailleurs ruineuse. Le domaine de la
téléinformatique est un monde habité par la technologie fine de pointe exigeant
de lourds investissements dans la Recherche Développement et dans la production.
Ce nest pas avec un budget global de 8 milliards de dollars annuels quon peut
y faire face. Penser à une telle politique, cest être irréaliste.
Le
Phare : Vous dites quil y a une contradiction dans la loi du 16 octobre 2002.
Est-elle dépassée ou bien elle nécessite dêtre réformée ? La deuxième
question, le Président de la république nétant pas responsable devant le
parlement, est-ce quon ne se retrouve pas devant une loi inconstitutionnelle
dans la mesure où lARPTC est une institution et ne devrait donc pas dépendre
dune autre institution ?
Pr AVB : Comme je vous lai dit, généralement quand
on veut faire appel aux capitaux privés, pour faire marcher un pan de léconomie
nationale, on négocie avec les investisseurs. Ceux-ci posent leurs conditions.
Et lune de ces conditions consiste à éviter les tracasseries administratives,
par lobtention de la sécurité juridique de linvestissement. Il y a trop des
conditions, cest difficile de les énumérer toutes ici. Et vous savez le secteur
des télécommunications est un secteur qui demande des investissements lourds.
Cest pourquoi les industriels sont exigeants.
En réalité les
aménagements essentiels apportés par cette loi portent sur le monopole, la
séparation des fonctions de régulation de celles dexploitation, le statut de
lexploitant, les régimes dexploitation, le service universel, les
radioélectriques privées et la position du Gouvernement. De même limportation
et la fabrication des équipements et terminaux sont libéralisés. Ce qui appelle
la nécessité de lélaboration dune réglementation adéquate de la normalisation
et de lhomologation des équipements terminaux, chose qui jusquaujourdhui
nest pas réalisée. Tous les téléphones portables introduits au Congo sont-ils
adaptés pour la protection de la santé du consommateur congolais. Personne ne
peut le dire. Dune manière générale, lon constate que la loi par ses
contradictions consacre la situation anarchique et désastreuse qui prévalait sur
le terrain et qui résultait de linterprétation
intéressée du régime de
concession et dautorisations particulières définies par lOrdonnance coloniale
de 1940, légèrement modifiée en 1956. Le réaménagement du monopole et
lintroduction de la concurrence avaient réellement conduit à une profonde
transformation juridique mais non achevée du secteur des Télécommunications par
la séparation théorique des fonctions de réglementation et dexploitation. La
distinction des autorités chargées dune part dexploiter un service «OCPT» et
dautre part de déterminer le cadre juridique dans lequel il est offert au
public « ARPTC », répond à un principe de bon sens : on ne peut être juge est
partie. Contrairement à ce quattendaient les opérateurs, cette loi nest pas
allée loin. Au lieu de restructurer profondément le secteur, la loi ajoute à
la confusion le désordre qui régnait au sein de lOCPT. Cette loi oblige tous
les opérateurs à faire transiter
leurs communications urbaines,
interurbaines et internationales par le commutateur central de lOffice
congolais des PTT, lOffice qui doit taxer ce passage. Ce qui alourdit la
procédure de transmission par lajoute des dispositifs inutiles, augmente le
prix de communications et rend aléatoire lefficacité que tout le monde
recherche, car en cas de panne du Centre de transit de lOCPT, tout le réseau
sera bloqué. La loi ne dit rien sur la définition des organes dinterface.
La régulation juridique congolaise basée sur cette loi de 2002 porte sur
les télécommunications de 1956 alors que sur le terrain, il sagit des
communications électroniques comprenant la télévision, la télédistribution,
linternet, et la radiodiffusion, toutes les trois couches de communications
électroniques. La loi ne parle pas de gérer le plan national des fréquences en
le mettant à jour et en le publiant ; ne veille pas à ce que le public
congolais ne soit exposé aux champs électromagnétiques par la pose des pylônes
dantennes surmultipliées dans les parcelles ; ne fixe pas les conditions
dhomologation des terminaux portables et détablissement dannuaire
téléphonique.
Deuxièmement, la même loi attribue les mêmes
compétences à lArptc et au ministre des PTT. Vous pouvez vous promener dans le
monde, vous allez voir que partout où on a créé lautorité de régulation, on a
supprimé le ministère des PTT. Et en Europe ou en Amérique, vous verrez quil
ny a pas de ministère des PTT. Ça nexiste pas. Parce quil y a déjà une
autorité de régulation. Alors, entendons-nous bien, quest-ce quon veut faire
par la régulation? Par la régulation on gère par consensus, entre les privés et
le régulateur, les fournisseurs et leurs utilisateurs. Comment les décisions
sont-elles prises ? Cest par des appels à candidatures, par des propositions
qui sont publiées, les opérateurs se prononcent, les utilisateurs se prononcent
aussi. On se met ensemble et on prend la décision. Cest ça la régulation,
cest-à-dire larbitrage. .
Personne dautre ne peut le remplacer. Or, au
Congo quest-ce quon voit ? Il y a larbitre -lARPTC – et en même temps il y a
le ministre qui a le pouvoir de règlementation et qui veut règlementer. Et pour
que le ministre ne puisse pas règlementer, on a rattaché la régulation à la
présidence de la République. Et comme le président de la République na pas le
pouvoir règlementaire, la régulation est devenue un corps sans tutelle. Cest
ça le drame. Parce que ne dépendant pas du ministre tout en dépendant dune
autorité qui na pas le pouvoir règlementaire, elle est devenue un électron
libre. On fait la publicité mensongère à la télévision, on jure par les jeux du
hasard, personne ne dit mot, et il ny a pas des sanctions. On oublie même
lexigence qui devait porter sur lexposition du consommateur congolais aux
champs électromagnétiques produits par les réseaux locaux
radioélectriques
fonctionnant dans la bande de 900, 1800 MHz et 2,45
GHz.
Le Phare : Revenons à lobservation de tout à lheure. Vous avez
parlé de sociétés des télécommunications qui devaient faire transiter par
lOcpt, leurs communications entrant et sortant du pays. Si nous avons bien
compris, vous faites allusion au code 243 qui est lidentité de la RDC sur le
plan international. Ce code appartenant à la République, nest-ce pas logique
quil soit géré par un organe de la république et quil soit fait obligation de
passer par lOcpt ? Deuxième question, ce transit est contourné dune certaine
manière par certains opérateurs qui ont mis sur pied des stratégies
descroquerie qui consistent à faire passer les appels à travers des filtres
locaux et internationaux. En clair, un appel venu de lextérieur est réceptionné
comme un appel local et quand quelquun de lintérieur appelle lextérieur,
cest un numéro de Londres, Paris ou Amsterdam qui saffiche.
Comment
faut-il analyser tout cela et Comment protéger le code 243 ?
Lindicatif 243 est un chiffre donné par la Conférence Mondiale de
Radiocommunication de lUnion Internationale des Télécommunications « UIT » à
chaque pays pour le distinguer des autres. En fait, au niveau des
Télécommunications, cest le nom du pays, mais en chiffres. On aurait pu aussi
lui donner les lettres ou les abréviations comme le fait le Touring Club
International pour les véhicules. Sur les voitures congolaises on met les
lettres CGO. Ainsi quand une voiture congolaise entre dans un pays étranger, on
peut la distinguer de lautre véhicule local.
Dans la transmission,
lindicatif 243 est utilisé par le sélecteur de lautocommutateur pour chercher
dans le concert des nations, un pays qui sappelle RDC pour lui acheminer les
communications. Il y a des pays qui ont plus de deux indicateurs et certains
organismes qui ne sont pas des Etats en ont. Cest ainsi que nous dépassons le
chiffre 250, alors quil ny a pas 200 pays sur la terre. Avec larrivée de
protocoles Internet on est entré dans la révolution de la commutation, je pense
que ces anciennes procédures laisseront la place à dautres plus adaptées.
Aujourdhui par exemple, alors que vous êtes à Kinshasa, vous pouvez
domicilier votre boîte e-mail aux Etats Unis (yahoo.com), en France (yahoo.fr), en Belgique (yahoo.be) ou même dans les nuages (netskape.net). Neut
été le souci de contenir le terrorisme, de surveiller des réseaux criminels et
arrêter les opérations maffieuses, lutilisation du fameux 00243 allait
connaître sa fin depuis 2014. La transmission par protocoles Internet ignore
cette procédure.
Le 243 est précédé de 00 qui veut dire vous
téléphoner à lextérieur et un seul 0 indiquant que vous allez effectuer un
appel local. Si vous êtes à Bruxelles par exemple et si vous formez le 00243
suivi dun numéro cela veut dire : 00 vous allez en dehors de la Belgique et 243
vous sonnez au Congo. Cest un problème de numérotation téléphone destiné à
faciliter latteinte de labonné désiré.
Ce nest pas la bonne ou la
mauvaise utilisation de lindicatif 00243 qui est à la base des fraudes que vous
observez. Il n y a pas que dans lacheminement des communications où il y a la
fraude.
Vous avez la même situation dans les mines, dans le pétrole et la
forêt de notre pays. Pourtant ces créneaux nutilisent pas lindicatif 243.
Le secteur des télécommunications est un monde qui brasse les milliards
de dollars même au Congo. Notez que daprès mes calculs, les dépenses moyennes
dun abonné congolais sont de lordre de 8,3 dollars par mois, soit 99,60 $ par
an. En multipliant ce chiffre par 42 millions des SIM utilisées dans le pays par
ce montant, vous obtenez 4,183 milliards de dollars. Sur un terrain comme
celui-là lorsquon est dans un pays aux institutions que lONU qualifie de
fragiles, la corruption et la fraude remplacent la loi.
Il y a
aujourdhui sur le marché congolais des opérateurs qui ont obtenu des licences
dexploitation sans paiement de pas de porte à lEtat, dautres ont donné la
promesse de payer, certains ont bénéficié des subventions indirectes sans
contrepartie. Par manque dappel doffres, dappel à candidature ou dappel à
manifestation dintérêt, les opérateurs ne sont pas tous logés à la même
enseigne, cest-à-dire les opérateurs ne sont pas mis dans les conditions saines
de compétition. Les licences sont accordées par simple agrément sans précision
pour dire sil sagit dattribution par assignation ou par allotissement.
Pourtant la différence est de taille et les obligations qui en résultent aussi.
Tout cela crée la confusion et permet aux opérateurs de profiter de la
faiblesse morale de ceux qui devaient les contrôler à contourner les procédures
et les normes. Il nexiste pas au Congo un code des
télécommunications. Sur
quelle base allez-vous les juger. Lorsque vous conduisez votre voiture vous
savez quil a un code de roulage qui vous interdit de bruler les feux rouges.
Lorsque vous le faites, vous commettez une infraction qui peut donner lieu à
des poursuites. Sil n y a rien, sur quelle base va-t-on vous poursuivre? On ne
peut pas violer une loi qui nexiste pas ! Labsence de la définition du cadre
de fonctionnement des télécommunications aidant, chacun tire la couverture de
son côté. Sur quelle base légale allez-vous leur faire des procès ? Tout ce que
la loi ninterdit pas est bon à faire. Noubliez pas que dans notre pays autant
chez les Congolais que chez nos partenaires la corruption a atteint des
proportions inquiétantes. Beaucoup des décisions économiques, judiciaires, voire
même académiques sont monnayées.
Pour répondre à votre question,
lapparition du numéro local de la téléphonie, lorsquon vous appelle de
lextérieur, est due au fait que les firmes de télécommunications congolaises
sont des filiales de multinationales étrangères. Ainsi ces firmes passent les
accords avec leur maison mère pour lacheminement des communications venant de
lextérieur. Par exemple si lappelant se trouve en Allemagne et appelle le
Congo par Vodafone, à larrivée de la communication au Congo, elle sera
acheminée à votre combinet par Vodacom Congo. Ceci va faire apparaitre le numéro
local de Vodacom qui a aiguillé la communication. Cela nest pas nécessairement
mauvais. Cependant il faut reconnaître que dans un pays comme le Congo, le
commerce entre une maison mère et sa filiale peut poser problème.
Le
problème du numéro local alors que vous êtes en international, dépend des
accords passés entre les opérateurs congolais et ceux de lextérieur, ils
peuvent laisser passer le numéro international ou national. Bon, cela peut
ne pas se traduire par une fraude si un dispositif de contrôle existait. Les
fraudes existent parce quil ny a pas de contrôle. Linefficacité du management
congolais ne touche pas seulement le secteur des Télécommunications, elle
sétend à tous les compartiments de la vie nationale.
Dans le temps,
un Ministre scandalisé par les fraudes, avait envisagé dinstaller, grâce à la
fibre optique, un centre de centralisation des communications entrant et sortant
à Moanda. Cette hypothèse na pas été retenue. Dabord, elle demande un
investissement lourd en hommes et en matériels, chose que le Congo na pas.
Ensuite, compte tenu des dysfonctionnements de lOcpt que les Congolais ont
connus, il serait hasardeux de centraliser les communications et despérer
capter la confiance des opérateurs extérieurs. Le vrai problème qui se pose à
notre pays est celui de dysfonctionnement de lautorité de régulation ou du
ministère des PTT. Cest le même dysfonctionnement qui accompagne aujourdhui
lintroduction de la fibre optique.
Le Phare : Parlons de cette fibre
précisément. Vous doutez quelle soit la panacée tant annoncée
Pr AVB. : De
quoi sagit-il en fait? Il sagit dun câble qui vient dEurope vers lAfrique,
qui atterrit à Alger et passe par la côte ouest dAfrique, va jusquen Afrique
du sud et lAfrique de lEst. Ce câble relie tous les points par lequel il
passe. Dans le temps, on avait le câble sous-marin, mais compte tenu des
difficultés dentretien et de lévolution de la technologie, on a opté pour la
fibre optique. Dans la même gaine où il y avait le fil métallique, on a mis le
fil en fibre de verre. Cest ça la fibre optique. Elle offre des avantages,
parce quelle ne demande pas des amplificateurs-diffuseurs à certaines
longueurs et sous leau. Avec la même gaine, on peut y mettre cinq ou six fois
des fils et augmenter ainsi le nombre des voix. Avec la fibre, on a de la
vitesse qui peut dépasser 10 méga bites/seconde, cest la vitesse théorique
alors que la vitesse réelle est fonction de
léquipement que chaque abonné
utilise pour se connecter. En RDC, la fibre optique vient de Moanda, passe par
Boma, Matadi… Kinshasa. Elle est censée relier le Congo au monde entier. Pour
amener cette fibre-là de Moanda à Kinshasa, il faut des travaux, des
investissements. Et quand la fibre arrive à Kinshasa, il faut lamener chez
lutilisateur. Il ne suffit pas de tirer le câble jusquà la grande poste et
croire que tout est fait. Il faut lamener chez lutilisateur, parce que le but
est quelle soit utilisée. Et là, il y a un problème.
Vous avez posé
la question de savoir si la fibre optique est une panacée. Ma réponse est sans
équivoque : cest «non» et je vais vous dire pourquoi. Sur base des statistiques
de lUIT. Le premier pays qui utilise beaucoup la fibre optique est la Corée du
sud. Dans ce pays, il y a au moins 10 millions dabonnés reliés à la fibre
optique. Ils sont suivis par les Usa avec 4 millions dutilisateurs, la France
et lAllemagne avec à peu près 3 millions. Pourquoi un chiffre aussi mince par
rapport à la population ? Tout simplement parce quils ont dautres
possibilités et aussi parce que la fibre optique nest pas gratuite. Pour un
pays comme la France, la généralisation de lutilisation de la fibre optique
nécessité 28 milliards de dollars, malgré lexistence dun réseau fixe de
meilleure qualité. Au Congo, jai fait le calcul, il nous faut 178 milliards de
dollars pour interconnecter les villes et les
villages du pays. Cest le
chiffre le plus bas et cest un chiffre terrible pour un pays dont le budget
natteint même pas dix milliards de dollars ! À moins quon veuille rééditer le
cas INGA, on ne peut mettre tout un pays à contribution juste pour faire des
montages irresponsables comme cette construction dune ligne à haute tension qui
laisse tout le pays dans lobscurité et qui se contente de conduire le courant
au Katanga où existent pourtant une multitude de chutes deau pouvant être
transformées en barrages. Si cest pour disposer à nouveau de ce type
déléphants blancs, en endettant lourdement le pays à hauteur de 178 milliards
de dollars, il y a de quoi désespérer. Pour aboutir à Kinshasa, la fibre optique
traverse les villes de Moanda, Boma, Matadi, Kimpese, Inkisi, et Kasangulu,
villes habitées par les Congolais qui paient aussi des impôts à lEtat. Cette
façon dagir est moralement et
civiquement difficile à justifier. Il faut
arrêter de mécontenter les Congolais car à force de multiplier les frustrations,
on fait le lit de la balkanisation. Si on veut quun jour les Congolais
deviennent des citoyens ayant les mêmes droits, on ne peut pas prendre la fibre
optique de Moanda pour servir Kinshasa uniquement. Cela na aucun sens. Cest ça
la balkanisation. Puiser largent à Goma, au Bas-Congo, au Kivu et venir servir
le monsieur qui est à Kinshasa en laissant les autres dans lobscurité, est une
politique économique suicidaire.
En plus de cet aspect, il y a encore
dautres problèmes : les écueils techniques qui ne sont pas encore surmontés.
Vous avez en France, aux Usa, en Allemagne, ou en Corée des téléphones fixes
comme ceux de lOcpt. Ces pays-là ont des téléphones fixes bien développés.
Quest-ce quon fait pour amener la fibre optique jusquà lutilisateur ? Eh
bien, dans ces pays-là, lorsquil sagit de nouveaux bâtiments, on fait monter
la fibre dans la maison de chaque utilisateur. . Et lorsquil sagit dun
utilisateur de classe moyenne, on prend son équipement de téléphone fixe quil
avait pour le connecter à la fibre optique, à partir par exemple de la poste
centrale. En ce moment-là, ce nest plus la vitesse de la fibre optique qui
vient de la poste jusque chez lutilisateur, cest la vitesse de son ancien
matériel. Après, il faut payer. Le problème, au Congo, est que nous navons pas
de
téléphones fixes. Que va-t-on faire ? Doit-on aiguiller la fibre vers
les téléphones portables en utilisant les mêmes fréquences ? Et ce sera encore à
quelle vitesse ? Et quel est le gain en ce moment pour lutilisateur ? Deuxième
élément, le Congolais a-t-il un pouvoir dachat lui permettant de payer un
abonnement de 100 dollars chaque mois pour recevoir la fibre optique chez lui à
la maison? Bien sûr que les entreprises paieront mais combien sont-elles ?
Est-ce que la seule consommation des entreprises suffira pour amortir
linvestissement quon aura fait pour lutilisation ou linstallation de la
fibre optique? Non ! Je pense quil y a beaucoup des préalables quon devra
cerner et résoudre.
Voici comment les choses se passent ailleurs. Le
gouvernement, les banques du pays et les opérateurs sentendent et forment un
consortium. Cest ce consortium qui soccupe du financement, de
linstallation de la fibre optique et les opérateurs sont actionnaires dans ce
consortium. Cest eux les vrais gagnants. Je crois quau Congo, cest mal parti
parce que le gouvernement sengage à prendre en charge linstallation de la
fibre optique alors quil na pas les moyens de lamener chez
lutilisateur.
En 2008, jai été contacté sur la question par des
opérateurs américains soucieux de venir investir en RDC dans le même créneau.
Ma réponse a été toute simple. Faites dabord létude de marché pour savoir si
linternet utilisé en RDC a besoin de la fibre optique. Si les études sont
concluantes, il faudra élaborer une étude de faisabilité technique qui vous
indiquera ce que vous devez faire pour rentabiliser vos investissements. Si non,
remettez la question à plus tard. A mon avis, le Gouvernement congolais aurait
dû procéder de la même manière. Or à ma connaissance, aucune étude impartiale
na été publiée jusquà ce jour, disons quelle na jamais été faite. Je me pose
alors la question de savoir sur quelle base fait-on des promesses aux
utilisateurs. Je suis vraiment curieux. Jaimerai quon mexplique comment on va
amener la fibre à Inongo, à Mbandaka, à Bumba, à Lisala etc. Les
habitants
de ces villes sont des congolais au même titre que ceux de Kinshasa. Ils nont
pas lélectricité et parfois même pas leau potable. Vont-ils se servir des
bougies pour utiliser leur fibre optique. Quand vous me donnerez une réponse à
cette question, je cesserai dêtre sceptique.
Le Phare. Puisquil faut
malgré tout améliorer les services rendus à lutilisateur, cest-à-dire les
communications, la qualité de transmission etc. On ne peut douter que le besoin
daccélérer la vitesse devienne de plus en plus évident. Dans la recherche des
solutions, pensez-vous quil soit réaliste de recourir aux mêmes stratégies que
dans les pays avancés ? Pour être plus précis, vous avez évoqué le cas des
Etats-Unis, un pays de 400 millions dhabitants, où la fibre optique est à
peine utilisée par 4 millions de personnes. Dans ce pays, il y a plus de 300
millions dhabitants qui utilisent autre chose. Quelles sont nos chances de nous
engager dans une telle voie sans redouter les mêmes problèmes dinvestissements
trop onéreux et la contraction des dettes qui risquent dobérer lavenir du pays
?
Le souhait dun service amélioré et rapide est exprimé par tout le
monde ; personne ne peut le nier. Mais pour quon y arrive, il y a des
préalables. Le premier est tout simple et ne demande pas des millions de dollars
Cest celui de responsabiliser lAutorité de régulation pour lui permettre de
remplir sa mission dans le respect des lois, des normes et des procédures. Rien
quavec cela beaucoup dabus, des fraudes et de publicités mensongères vont
disparaître.
Pour répondre à votre question, je vous dirai que la
Corée du Sud, dans lintérêt de son industrie, a misé sur linternet haut
débit, en investissement massivement dans la technologie de la fibre optique
pour gagner les parts du marché à lexportation. Pour amortir les coûts de
structure, elle a intéressé sa population au haut débit véhiculé par la fibre.
Dans ce pays, la transmission commerciale est la plus élevée. On dépasse
facilement 12 méga bytes par seconde. Mais vous comprenez que le but poursuivi
était de gagner des parts de marché à lexportation et non de servir seulement
lutilisateur coréen. Les investissements dans ce domaine ont créé des milliers
et des milliers demplois et contribué à laugmentation des richesses produites
dans le pays. La participation de lindustrie de la fibre au PIB du pays avait
dépassé 2%, ce qui est énorme. Lobjectif était donc de promouvoir
lindustrie
nationale. Le niveau de formation de ses ingénieurs, le standing
de vie et le pouvoir dachat de sa population ont permis à lindustrie
nationale, par les raccordements à la fibre, datteindre cet objectif.
Pour
des raisons militaires et de sécurité nationale, les Etats-Unis ont été les
premiers à introduire la fibre optique. Pour ce faire, on a investi de grosses
sommes dargent, et créé beaucoup demplois. Lutilisation de la fibre par les
opérateurs a plus pour raison de protéger les emplois, de maintenir en vie
lindustrie nationale de la fibre optique très implique dans la fabrication des
radars et les lasers militaires. Les américains ont des satellites qui au final
rendent les mêmes services à des coûts acceptables. La France et lAllemagne
possèdent ces industries. Comme les américains, ces pays doivent protéger
lindustrie nationale et les emplois, et si possible exporter leurs productions
à létranger. Ils sont, pour des raisons de publicité pour leurs entreprises,
obligés de vanter les bienfaits de la fibre à lextérieur alors quà linterne
ils ne font pas beaucoup defforts pour intéresser toute la
population. Ils
utilisent les satellites sur des longues distances et des stations-relais sur
des distances moyennes. Lutilisation de la fibre optique dans ces pays-là ne
pose pas les mêmes problèmes quau Congo. Eux ont déjà des artères de fibres
métalliques quils remplacent en insérant la fibre dans les gaines qui servaient
autrefois au câble métallique. En outre, presque dans chaque ville de lun de
ces pays, il y a des galeries souterraines creusées pour des raisons militaires.
Cest dire que là où eux peuvent dépenser 1000 dollars pour un kilomètre de
fibre optique, objectivement le Congo en dépensera 3000. Cela nest pas
uniquement le cas pour notre pays. Ne nous laissons pas prendre au piège comme
cela a été le cas avec la construction de la ligne électrique
Inga-Shaba.
Le Phare : Dans votre ouvrage sur le blocage des
télécommunications, vous exprimez une forte dose de pessimisme. A votre avis,
quest-ce qui empêche les télécommunications de décoller en RDC :
infrastructures, cadre juridique ou économique ?
Pr AVB : Tout est lié. Le
secteur ne peut pas se porter mieux en labsence dune bonne politique
économique cohérente dans le pays. Tout se tient. Dès lors quil y a un
dysfonctionnement dans un segment, tout est contaminé.
Il ne sagit pas du
pessimisme. Vous pouvez être optimiste mais cela ne changera rien à la situation
du pays. La politique de lautruche na jamais amené le progrès dans un pays.
Jai les pieds sur terre. Jinsiste pour dire que nous devons faire les choses
dans lordre et en définissant les priorités dans un plan de développement des
télécommunications. Cela nous attirera lestime de nos partenaires.
Le
Phare : Mais a-t-on pas dautres solutions en dehors de la fibre optique ?
Pr
AVB : Bien sûr que oui. Souvenez-vous, je vous ai parlé de la France, des Etats
Unis et de lAllemagne. Des solutions moins couteuses existent. Elles ont déjà
fait leurs preuves même au Congo. Quand nous téléphonons ou regardons les
télévisions européennes cest par le satellite que nous passons. Pour contourner
les difficultés financières et techniques de la fibre, beaucoup de pays ont
investi dans les « satellites des télécommunications ». Ils coûtent moins cher
et sont très efficaces. On peut atteindre directement nimporte quel village
congolais sans construire des stations relais. Ce nest pas la mer à boire pour
un pays comme la RDC. Avec deux cents millions de dollars, la RD Congo peut
soffrir un satellite géostationnaire. Ce sont des satellites multiservices qui
peuvent servir au-delà des télécommunications, pour exercer la surveillance du
territoire, de ses frontières et de ses forêts. On peut
également penser
embarquer dans cette aventure nos voisins avec qui nous entretenons de bonnes
relations. A moindre coût, ce satellite a la capacité de couvrir lensemble du
pays. Létude comparative nayant pas été faite, il est difficile de dire que
la fibre optique est adaptée pour la RD Congo ou pas. Je crois que ce nest
pas tard, il faut mener des études et opter pour des solutions
optimales.
Le Phare : A vous entendre parler, si chaque congolais sur les
70 millions que compte le pays, contribuait pour 3 dollars, on peut acheter un
satellite ?
Pr AVB : Effectivement, cette comptabilité est exacte. Cest la
solution adoptée ailleurs, Pourquoi pas chez nous ? Mais la question cruciale
reste damener lEtat congolais à assumer ses responsabilités et exercer son
contrôle dans ce domaine comme dans dautres.
Le Phare : Quelle
conclusion tirez-vous de la situation actuelle
La conclusion que je
tire de la situation actuelle de nos télécommunications ? Excusez-moi dêtre
direct : Est-ce que la Politique économique que mène le Gouvernement congolais
est cohérente ? Pouvez-vous parler dinternet haut débit alors que vous navez
pas encore résolu le problème de lélectricité même à Kinshasa ? Avec quelle
énergie va-t-on faire fonctionner le matériel ? Avec le bois de chauffage ? La
braise ? Non ! Soyons simple, soyons réaliste et faisons les choses de manière
ordonnée. Ne cédons pas aux sirènes de vendeurs des équipements, même sils nous
font miroiter des avantages personnels.
Interview réalisée par Perside
Diawaku et VAN