02 10 15 – Les messages du Sud-Kivu poussent à relire lhistoire pour éviter la guerre perpétuelle (Suite et fin).Par Jean Pierre Mbelu analyste géopolitique
La surdité à lendroit des messages venant de la partie orientale du pays risque denfoncer davantage le Congo-Kinshasa dans un gouffre sans fond. Elle ne peut se justifier que par un refus conscient ou inconscient de revisiter et de questionner notre histoire collective de ces trois dernières décennies.
Bien longtemps avant les jeunes du Sud-Kivu qui viennent de sadresser à Martin Kobler le 16 septembre 2015, Mgr Munzihirwa avait écrit au président américain Jimmy Carter en relatant la tragédie du Congo-Kinshasa et de la sous-région des Grands Lacs depuis les années 1990. Dans une lettre dont lobjet était le ‘retour des réfugies rwandais et massacres massifs au Rwanda, il écrivait ceci :
«Au Rwanda, les conditions de détention des personnes arrêtées pour la plupart arbitrairement, dont des milliers de femmes et denfants, conditions connues du monde entier, sont abominables et inqualifiables (…)Tout comme dautres lont fait, nous demandons louverture dune enquête internationale sur les massacres en cours au Rwanda : sur les massacres commencés depuis octobre 1990, sur les conditions de détention visant à la purification ethnique, sur la planification des détentions et des massacres… »[1]
Lenquête internationale na jamais eu lieu. Depuis les années 1990, lAPR de Paul Kagame jouit dune grave impunité.
Cette lettre de Mgr Munzihirwa est historiquement importante. Elle situe ‘la planification des détentions et des massacres en octobre 1990 au Rwanda.
Du point de vue de la politique internationale, le mur de Berlin tombe en 1989. Le Président Mitterrand tient son discours de la Baule conditionnant laide à accorder aux pays africains à leur ouverture à la démocratie en le 20 juin 1990. Plusieurs pays africains (et leurs oppositions politiques) sont effectivement en train de se battre contre les dictatures et optent pour les conférences nationales souveraines afin de baliser un avenir démocratique pour le continent.
Ces luttes africaines pour ‘la démocratie semblent passer à côté dun ‘fait historique de taille : la proclamation de ‘la fin de lhistoire par un néoconservateur américain du nom de Francis Fukuyama. Cet oubli sera préjudiciable pour ‘les fous de la démocratie en Afrique et surtout dans la sous-région des Grands Lacs africains. Ils nont pas compris que ‘la fin de lhistoire symbolisait la domination unilatérale du monde par le néolibéralisme anglo-saxon.
Au Congo-Kinshasa, les artisans et les partisans de la conférence nationale souveraine et de ‘la démocratie nont pas compris, à cette époque là que « les Etats-Unis apportent une aide financière et militaire importante à Kigali. (…) que 50 instructeurs américains contribuent à la formation des soldats de larmée patriotique rwandaise, comme lécrit Mgr Munzihirwa. »[2]
Il y a dautres témoignages allant dans le sens de celui de Munzihirwa. Ils nont malheureusement pas été pris en compte par Kinshasa. Au point que, quand ‘la planification des détentions et des massacres sétend jusquà Bukavu et dans plusieurs autres coins du territoire congolais, les Congolais(es) resté(es) sourd(es) aux messages venant de la partie orientale du pays crieront : « Libérés, libérés, libérés, etc. »
Plus ou moins deux décennies après, la même situation est en train de se reproduire. En plus de ses infiltrations dans les institutions congolaises, le Rwanda de Paul Kagame occupe certains coins du pays à lest. Les proxys de la guerre raciste et de prédation contre le Congo-Kinshasa tiennent à la mise en pratique des ‘accords de Lemera. Ils veulent, avec lappui des acteurs pléniers de cette guerre, déposséder le Congo-Kinshasa dau moins 300 km de son territoire[3]. Pour dire les choses autrement, les initiateurs de la Conférence de Berlin veulent redessiner les frontières du Congo-Kinshasa par-delà leurs discours officiels, en se servant de leurs proxys.
Pendant ce temps, comme vers les années 1990/92, à Kinshasa, les politicards parlent de ‘la démocratie, de ‘lalternance, du ‘processus électoral, etc. Ils sont loin de comprendre que ‘la démocratie et ‘les élections constituent une distraction dans un contexte où la guerre économique entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie et lEU est en train de choisir le continent africain comme terrain de prédilection.
Ces politicards ont lhabitude de compter sur le changement des présidents américains en particulier et les présidents occidentaux en général pour croire en un éventuel changement de politique dans les pays africains grâce aux pressions exercées par ‘les vielles démocraties. Ils sont plusieurs à ne pas voir et comprendre que de Jimmy Carter, en passant par les Bush et Obama, les présidents américains ont changé et que la guerre sest perpétuée au Congo-Kinshasa. Quest-ce que cela veut dire ? Que souvent, ces présidents sont au service de lEtat profond anglo-saxon et des multinationales. Celles-ci ont besoin de la guerre pour plusieurs raisons : avoir un accès facile aux matières premières stratégiques par le pillage, avoir une main dœuvre corvéable à merci dans les pays en guerre, couper aux éventuels concurrents laccès à ce marché, etc.
Initier un mouvement anti-guerre, dans ce contexte, aiderait à aller au-delà des divisions partisanes pour sattaquer au mal à la racine. Un pays comme le Congo-Kinshasa a besoin de sallier à beaucoup dautres dans cette initiative et à avoir certaines de ses fils et de ses filles qui nauront comme travail que : « 1. Analyser et exposer les stratégies de guerre cachées par les médias. 2. Etudier les grandes pages de lhistoire des mouvements anti-guerre. 3. Et surtout, lier les guerres aux problèmes quotidiens des gens. Où quon se trouve, nous affrontons le même ennemi : les multinationales. Si on les laisse dominer le monde et toutes ses richesses, matières premières ou travail, lécart riches – pauvres croîtra, et aussi la guerre qui sert à maintenir linjustice. »[4] Identifier ‘les petites mains de ces multinationales pour les mettre hors détat dagir serait aussi une tâche importante.
Les Congolais(es) ont donc intérêts à comprendre que les guerres menées contre leur pays par des proxys interposés sont celles des ‘usurpateurs ; cest-à-dire celle des entreprises transnationales qui, depuis les années 1990 sont en train dusurper le pouvoir légitime en se servant des gouvernants visibles comme acteurs apparents ou garçons de course et de lONU comme instrument de neutralisation de toute velléité de souveraineté.
La Chine a compris cela. Là où ses intérêts sont en jeu, ses casques bleus intègrent les missions de lONU. La Russie mène une diplomatie plus ou moins agressive pour sauvegarder ses intérêts et sa souveraineté. Plusieurs pays africains essaient de diversifier leurs partenaires stratégiques pour résister aux ‘usurpateurs. Le Congo-Kinshasa et ses politicards est encore à la traîne. Ils continuent à croire, naïvement, en une communauté internationale imaginaire pour rompre avec lordre néolibéral et néocolonial. Il ne comprend pas encore quil doit compter sur un grand mouvement citoyen pour renverser les rapports de force ou sur un leadership collectif sage, intelligent et responsable.
Actuellement, plusieurs de ses filles et fils parlent de ‘démissions et de ‘coup de tonnerre là où il est purement et simplement ‘blanchiment de ‘nouveaux prédateurs après celui de ‘vieux dinosaures mobutistes superficiellement convertis au ‘kabilisme. (Nous y reviendrons avec deux ou trois articles.)
[1] C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 109-110.
[2] Ibidem, p.110.
[3] http://ikazeiwacu.fr/2015/09/30/rdc-larmee-rwandaise-occupe-les-positions-ambadonnees-par-les-fardc/
[4] Obama envisage un conflit mondial – InvestigAction