Lever le voile sur une imposture par Marcel YABILI
Cest bien que la Cour Constitutionnelle (CC) soit dans toutes
les conversations. Elle mérite dêtre connue et exploitée, car elle
apporte de nouvelles bases de raisonnements et dexpression. Lune des
particularités congolaises est que « tout citoyen » peut sadresser à ce
gendarme de lÉtat de Droit. Ainsi, une loi qui ferait lunanimité des
élus, de la classe politique et de la société civile pourrait être
annulée par l initiative d un simple individu. Cette capacité
citoyenne directe nexiste pas dans les grandes démocraties qui filtrent
les dossiers examinés en si haut lieu.
Mais il y a deux
conditions à cela. Lintrépide citoyen doit exprimer une demande à la
CC, parce quun tribunal ne descend pas sur le terrain pour corriger les
anomalies ; tel le cas dun mari qui trompe sa femme et qui ne verrait
intervenir la justice que si lépouse le demande. Ensuite, il faut que
le citoyen intrépide apporte à la CC la preuve de lirrégularité de la
loi ou de la mesure gouvernementale qui dérange lÉtat de Droit.
Cette
capacité citoyenne du « seul contre tous » a de quoi réconforter. Et de
rappeler quil n est pas nécessaire d être plusieurs pour détenir la
vérité. Que même, tout le monde : peuple, gouvernement, élus et élites,
experts et la fameuse communauté internationale, pourraient se tromper.
Et il est bien possible que le vent tourbillonnant des craintes de
glissement, un dialogue, des exclusions en direction des échéances de
2016 procède dune illusion collective. Pour ne pas dire imposture.
Que
voit-on ? « les ministres, les gouverneurs, les administrateurs
demeurent des personnes décoratives et le bureau de la présidence
gouverne et administre le pays… Cest en leur qualité de prisonniers de
luxe que (le chef de lÉtat) sest accordé la liberté délever le
népotisme au niveau de linstitution ». Ces propos qui semblent évoquer
2015 décrivaient le régime Mobutu en… 1977, sous la plume de Monguya
Mbenge (Histoire secrète du Zaïre, cité par Delly Sesanga dans La voie
du changement – LHarmattan- 2011).
Comment en est-on revenu là ?
En
1960, l instabilité du pays n avait pas permis de bien ancrer les
devoirs et les mérites respectifs du « président de la République et
chef de l État » et ceux du « Premier ministre et chef de gouvernement
». Kasavubu avait destitué légalement Lumumba, mais la disparition
tragique de ce dernier a légué à la mémoire collective la légitimité
dun Premier ministre « fort » de sa « majorité parlementaire ». En
1965, Kasavubu avait récidivé en déniant à Tshombé les mérites de la
majorité des élus. Mobutu prit le pouvoir avec un Mulamba Premier
ministre rapidement écarté avec la fonction. Le régime devint «
présidentiel » et « personnel ». Et dans limaginaire populaire, les
deux étaient devenus des synonymes. La chute de Kolwezi en 1978 mena à
un parlement qui engendra les fameux « treize parlementaires » et à la
nomination d un « premier commissaire d état ». Au lendemain de la «
démocratisation » de 1990, le vocable changea en « Premier ministre ».
Mais Lunda Bululu prêta serment en abacost au lieu du costume-cravate
réhabilités, et les étudiants virent dans ces signes vestimentaires la
poursuite du régime présidentiel ; il y eut des émeutes, l épisode du
massacre au campus de Lubumbashi, lisolement international de Mobutu,
puis le multipartisme intégral, la conférence nationale souveraine, et
les pillages. Appelé au pouvoir, Tshisekedi voulut réincarner, avec son
tempérament, un chef de gouvernement à la Lumumba et il refusa de prêter
le serment dallégeance au chef de létat en 1991. En 1992, il se
faisait élire et investir directement par la conférence nationale. Mais
la parenthèse fut vite refermée ; jusqu à son départ, Mobutu garda les
manettes avec des premiers ministres arborant le titre. Vint Laurent
Désiré Kabila qui gouverna seul, suivi par Joseph Kabila de 2001 à 2003.
Les trois années de la transition firent un partage en 1+4 (un
président et 4 vice-présidents). Ces péripéties ont conduit à la
constitution de 2006, à la rupture avec le régime présidentiel dun
Mobutu et au rétablissement dun Lumumba « chef de gouvernement et
maître de la conduite de la politique de la Nation » avec le soutien
dune majorité parlementaire.
Mais ceux qui devaient implanter
cette réforme étaient danciens belligérants et protagonistes. Dans son
livre, Delly Sesanga témoigne. « Des concepts flous définissent les
pouvoirs du président de la République tel que : magistrat suprême,
commandant suprême des armées, garant de la nation. On fait dire à ces
concepts tout ce que la Constitution n a pas voulu et, parfois, a
écarté expressément… L intérêt excessif accordé au scrutin présidentiel
comparé à la relative banalisation de la législative donne l
indication de ce que tous les partis étaient engagés dans la
présidentialisation du régime. Chacun a pensé quune fois porté à la
magistrature suprême, il pouvait par son arbitrage au sein de
lAssemblée nationale arranger à sa guise, et au besoin moyennant
finances et distribution des portefeuilles, une majorité de connivence à
sa politique ».
Côté population, on avait assisté au sprint final
entre Kabila et Bemba. On crut que lélu était libéré de lombrage de
lautre et sortait renforcé pour gouverner. Cette perception a été
renforcée par un Premier ministre virtuel, un vieillard affaibli auquel
ont succédé deux profils bas. De même, on a inventé le concept de «
majorité présidentielle » qui est contraire à la constitution dans la
mesure où il porte atteinte au principe fondamental de la « majorité
parlementaire » de gouvernement et de responsabilité gouvernementale. Il
y a plus grave. La révision constitutionnelle de 2011 navait pas
seulement supprimé le second tour de la présidentielle, elle proclame le
candidat le mieux placé. Cest ainsi que le gagnant de 2011 navait pas
obtenu 50 %. Mais on parle de « majorité présidentielle » sans
fondement institutionnel, ni même arithmétique.
LEtat de Droit
est en mal avec pareilles manipulations. Parce que la question nest pas
dêtre pour X et contre Y. Ni de penser quun pays aussi vaste que le
Congo aurait besoin dun homme fort et providentiel ou dun régime
présidentiel dans lune de ses multiples déclinaisons. Des textes
existent ; ils ont même le mérite dêtre équilibrés, davoir des
garde-fous et de sinscrire dans le cheminement historique du pays. La
question doit être posée par le commencement : combien ont lu, ne
serait-ce quune seule fois, les 80 pages officielles et les 229
articles de la constitution ? Combien en ont compris le sens grammatical
et lesprit ? Les interactions des règles ?
Brièvement. En RDC,
comme dans plusieurs pays, il nest pas attribué au chef de lEtat de
gouverner. Et cest parce que le président de la République ne prend pas
de décisions de gouvernement, quil ne peut pas être interpellé… De son
côté, le gouvernement décide et agit ; à cause de cela, il doit en
répondre devant le peuple représenté par ses élus : les parlementaires
(députés et sénateurs). On peut se poser des questions ; les réponses
sont aisées. Le chef de lÉtat désigne le Premier ministre ? Comme dans
tout régime parlementaire, il prend le Premier ministre dans la majorité
des députés, mais cest le parlement qui investit et qui nomme
réellement le premier ministre. Le chef de l'État est élu au suffrage
universel ? Ce mode de désignation est coûteux, et nest pas nécessaire
pour sa légitimité. On a bien vu des gouverneurs rayonner de légitimité
alors quils avaient été nommés par des députés. La réforme
constitutionnelle de 2011 a abouti à lélection présidentielle avec le
quart des voix des électeurs inscrits ; ainsi, le seul suffrage
universel n apporte plus du tout de la légitimité. La vérité est que le
suffrage noctroie aucune prérogative en plus ou à lencontre des
textes. Le président de la République a des fonctions spéciales ? Cest
normal, il faut à la tête du pays un chef de lEtat ; mais il na pas de
domaine réservé. Il se concerte avec le Premier ministre ? Cest
normal, car tous les deux sont des responsables dun même pays et la
moindre des choses est quils dialoguent ; mais cest le Premier
ministre qui a le dernier mot… Imaginons un désaccord, le chef de l'État
ne pourrait pas démettre le chef du gouvernement. Celui-ci ne peut être
révoqué que par ceux qui lont investi et qui le contrôlent, à savoir
la majorité des députés. Le chef de létat peut dissoudre lassemblée
nationale ? Oui, pas pour désaccord entre eux deux, mais en cas de crise
grave entre le premier ministre et les parlementaires qui lont
investi. Etc. Etc.
Les acteurs de laffabulation le savent très
bien. Ils ne manquent pas de lexprimer clairement. Ils ont décompté,
non pas la « majorité présidentielle », mais « la majorité parlementaire
» pour affirmer à haute voix quelle restait « intacte » … au sein de
lAssemblée nationale où le décompte des députés de la plateforme donne
331 membres contre 359 avant la fronde. De même, les ordonnances
présidentielles n°15/069 du 17 septembre 2015 révoquant les ministres
frondeurs et n°15/075 du 25 septembre 2015 réaménageant le gouvernement
stipulent que ces décisions ont été prises « sur proposition du Premier
ministre ».
On peut bel et bien honorer les textes. Le véritable
enjeu pour 2016 est une « majorité parlementaire » qui soutiendrait et
accompagnerait le programme de gouvernement dun Premier ministre, qui
le contrôlerait et le sanctionnerait si nécessaire. Sans imposture, le
cap sur les législatives ramènerait de lapaisement.
Voilà un cas concret. LÉtat de Droit nest pas une théorie. Lappliquer est vertueux et utile. Mais aussi urgent.
© Marcel YABILI Juriste, 15e licencié en droit de lUniversité Officielle du Congo, en exercice et résidant au Congo depuis 46 ans.
Dernières publications
– Etat de droit : les contrôles de constitutionnalité par la Cour Constitutionnelle, les Cours et les Tribunaux – 335 pages, PUL 2012
– Les Juridictions Judiciaires – 200 pages – Ed.M.Yabili 2013
– Je crois en droit – 45 ans d exercice – 240 pages – Ed. BahûBab. 2014. En version Ebook chez:
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