05 11 15 Jeune Afrique – RDC – Henri Mova Sakanyi : « Lopposition voit des manœuvres dilatoires partout »
Au cœur du débat, les soupçons qui pèsent sur le président Joseph Kabila. Lopposition est convaincue quil ne respectera pas lactuelle Constitution, qui loblige à quitter le pouvoir fin 2016.
Lex-diplomate – il était précédemment en poste à Bruxelles – veut encore croire que le dialogue est possible. Mais il nest pas sûr que cela suffise à rassurer. Car il nexclut, a priori, aucun des scénarios redoutés par lopposition.
Jeune Afrique : Plusieurs personnalités viennent de faire défection, comme les leaders des partis dits du G7 et lex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi… Que se passe-t-il au sein de la majorité présidentielle ?
Henri Mova Sakanyi : Pour la première fois dans lhistoire de notre jeune démocratie, nous sommes face au scénario de la fin dun deuxième mandat présidentiel. Certains estiment que la majorité présidentielle a peu de chances den sortir indemne. Et donc, ils élaborent des stratégies de sortie pour en tirer les meilleurs dividendes. Cest un calcul opportuniste. Dailleurs, litinéraire de la plupart de ces personnes est très sinueux. Ils ont mangé à tous les râteliers, certains depuis la Ire République.
JA Il y a donc une crise de confiance au sein de la majorité ? Certains doutent de sa capacité à remporter de nouvelles élections ?
HMS Non. Cest eux qui sont en crise didentité. Ils ne savent pas en quoi ils croient et pourquoi ils se battent. Certains ont des raisons mesquines, liées à largent. Ils ont été attirés par les sirènes de celui qui se présente comme le plus offrant…
JA Le plus offrant, dans votre esprit, cest Moïse Katumbi ?
HMS Cest ce quils pensent. Avec ce qui se dit sur les richesses minières au Katanga, ils ont cru quil y avait un coffre-fort ouvert. Nous verrons bien ce qui se passera…
Tout dun coup, les frondeurs se seraient transformés en défenseurs de la démocratie… Pourtant, certains ont servi Mobutu et la dictature
Ces frondeurs affirment surtout se battre contre les projets de la majorité qui violeraient la Constitution…
Cest fantaisiste. Ils ne disent jamais qui est à lorigine de ces projets. Personne na élaboré de stratégie qui consisterait à transformer les acquis constitutionnels du peuple congolais. Ces personnes devaient justifier leur départ. Pour lembellir, ils se sont trouvé des raisons prétendument démocratiques. Tout dun coup, ils se seraient transformés en défenseurs de la démocratie… Pourtant, certains ont servi Mobutu et la dictature.
JA Le dialogue politique voulu par le président a été rompu par les opposants de lUnion pour la démocratie et le progrès social (UDPS). La majorité présidentielle nest-elle pas de plus en plus isolée ?
HMS Lopposition a été la première à demander ce dialogue. Quand le président sy est résolu, une partie a dit non par réflexe pavlovien… Avec lUDPS, il y a eu des consultations à lextérieur du pays, jusquà ce que son président, Étienne Tshisekedi, sorte ce communiqué. Mais il na pas dit que lidée du dialogue était abandonnée.
JA Donc, pour vous, le dialogue nest pas enterré ?
HMS Bien au contraire. Il ny aura pas dautre choix. Le contraire du dialogue, cest la guerre. Le calendrier électoral est par exemple trop chargé pour le temps quil nous reste. Comment peut-on faire ? Nous devons nous mettre daccord sur les priorités.
Nous sommes un pays postconflit. Chacun doit être responsable. Dans les pays où lirréparable sest produit, comme en Libye ou en Syrie, on appelle à la négociation. Évitons la catastrophe en négociant avant. Personne en RD Congo ne pourra gagner et gérer seul.
JA Des députés de la majorité ont introduit une loi pour encadrer un possible référendum. Sur quoi pourrait il porter ?
HMS Il ny a pas de référendum en vue. Seulement un texte pour le permettre, si un jour les Congolais le décidaient.
Aujourdhui, lambiance générale est assez délétère, et lopposition voit une manœuvre dilatoire derrière tout texte proposé par la majorité. En janvier, une loi proposait par exemple de faire un recensement. On a voulu faire croire que cétait un préalable à toute élection, ce qui était faux mais nous a valu des troubles. Et maintenant, les mêmes se rendent compte que nous devons enrôler 10 millions délecteurs nouvellement majeurs. Or le recensement laurait permis !
Il ny a pas de référendum en vue. Seulement un texte pour le permettre, si un jour les Congolais le décidaient. Cela pourra être en 2100, en 2030 comme en 2015.
JA Pourquoi ne pas avoir attendu que les élections se terminent pour introduire cette possibilité ?
HMS De quel droit aurait-on empêché un député de déposer une proposition de loi ? Ils sont libres.
JA Le calendrier électoral a déjà pris du retard. Faut-il le revoir ?
HMS Je fais le même constat que vous. Des événements qui complexifient la situation sont récemment advenus, comme le démembrement des provinces et la démission du président de la Commission électorale nationale indépendante [Ceni], labbé Malumalu, pour des raisons de santé. À nouveau, cela incite les acteurs politiques à se retrouver pour avancer.
JA Le démembrement des provinces était une réforme planifiée de longue date. Comment se fait-il quil soit devenu un élément perturbateur des élections ?
HMS Nous menons des réformes dans tous les secteurs, aux niveaux économique, culturel, politique et social. Celle-ci était indispensable car prévue dans la Constitution, et il y avait une pression de la base en ce sens. Cette réforme a nécessité une loi de programmation, qui a tardé à arriver et qui a ajouté un scrutin à un calendrier déjà publié. Cela pose des difficultés, mais ce nest pas une raison pour reculer.
Ces élections vont coûter au bas mot 1,2 milliard de dollars [environ 1,06 milliard deuros]. Le budget congolais ne le permet pas et la communauté internationale devait nous accompagner
JA Une partie de la communauté internationale sinquiète du respect des délais pour la présidentielle. Que lui répondez-vous ?
HMS Moi aussi, jai des inquiétudes. Ces élections vont coûter au bas mot 1,2 milliard de dollars [environ 1,06 milliard deuros]. Le budget congolais ne le permet pas et la communauté internationale devait nous accompagner…
Surtout, il est étonnant que ces inquiétudes ne portent que sur le scrutin présidentiel, car toutes les élections doivent respecter des délais constitutionnels. La dernière présidentielle a eu lieu il y a quatre ans. Or nous attendons des élections locales depuis lindépendance. Penser que seule la présidentielle est indispensable, cest faire preuve délitisme. Sans autorités de base consolidées par des élections, la démocratie ne peut être que fragile.
JA Soutenez-vous le mouvement « Kabila désir », initié par le ministre des Relations avec le Parlement, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, qui plaide ouvertement pour une prolongation du président à la tête de lÉtat ?
HMS Dabord, le ministre jouit de la liberté de conscience et dexpression. Il a le droit de le penser. Qui doit trancher ce genre de débat ? Le peuple souverain. Celui-ci peut même se dédire et changer sa Constitution. Quon se saisisse de cette discussion. On verra ce quen disent les Congolais. Personne nest au-dessus du peuple.
JA Le parti se prépare-t-il à désigner un candidat à lélection présidentielle ?
HMS Nous sommes prêts pour les locales et les provinciales. Pour les élections les plus éloignées, la présidentielle et les législatives, nous allons nous mettre en ordre de marche, mais ce nest pas notre préoccupation pour linstant.
JA Pour faire revenir la confiance, pourquoi le président ne dit-il pas publiquement son intention de se retirer à la fin de son mandat ?
HMS Mais qui est ce bébé qui a besoin dune berceuse pour se calmer ? Ces questions sont réglées par la Constitution. Elle est claire. Le président a dit quil la respectera. Que faut-il de plus ?
Pierre Boisselet