07 02 16 – « KABILA WUMELA » CONTRE « KABILA MANDAT ESILI » : QUAND LE FOOTBALL S’INVITE EN POLITIQUE par Kapinga Malu

Gagner le match ou mourir 

D’abord ce patriotisme -chauvinisme me diront certains- de
cette population du Nord et Sud-Kivu qui soutient son équipe nationale
au point d’y laisser,  hélas,  sa peau. Non seulement les kivusiens
 n’hésitent pas à se déplacer par milliers chaque jour où leur équipe
livre un match (Goma se trouve à quatre heures de route de Kigali ),
mais aussi deux personnes ont succombé des maladies cardiovasculaires
depuis le début de la compétion. Le premier, la cinquantaine révolue et
père de huit enfants, n’a pas supporté de voir le Rwanda égaliser en
quart de finale contre la RDC. Pour lui c’était certainement une
humiliation de trop après la longue période d’invasion rwandaise.
Saura-t-il un jour que son équipe avait fini par avoir raison du Rwanda?
Cette nouvelle apaisera peut etre son séjour dans la terre des
ancêtres. La deuxième, une jeune fille d’une vingtaine d’années,
habitant Goma comme le cinquantenaire cité plus haut, ne supporta pas
l’égalisation des guinéens à la dernière minute du temps additionnel de
la dernière partie de la prolongation dans un match déjà sous haute
tension. En finale ce dimanche, les léopards feront mieux de l’emporter sans encaisser de buts,  espère un habitant de Bunia qui a traversé la frontière entre la RDC et le Rwanda tard ce samedi en passant par Goma.  Nos cœurs visiblement fragilisés par tant d’années de guerre ne supporteront pas une défaite,  ajoute une Congolaise vivant à Gisenyi. Le décor est planté…

Kabila, Oyebela…

De l’autre côté du pays, à 2000 km de la frontière
Rwandaise, les élans patriotiques sont également observés. S’il y a eu
moins, si pas aucune crise cardiaque liée au CHAN, il y a eu tout de
même des foules en liesse dans plusieurs quartiers de la capitale. Et
comme à son habitude, c’est en chanson que le public kinois a célébré la
victoire des léopards aussi bien en quart qu’en demi finale. Seulement,
par endroit, ces chansons avaient très peu à voir avec le Football.
Dans un environnement répressif où toutes les manifestations publiques
sont systématiquement interdites lorsqu’elles ne sont pas violemment
réprimées, les kinois ont vu en cette victoire une trêve dans ce champ
de bataille militaro-policier qu’est devenue la ville de Kinshasa. Une
parenthèse, une pause, un petit no man’s land pouvant servir de
defouloir à leurs ressentiments longtemps refoulés contre le régime de
Kabila. De loin, on pouvait les entendre scander à tue-tête : « Kabila,
Oyebela, Mandat esili, eloko nini esilakate » . Comprenez :  » Kabila,
faites attention, votre mandat est épuisé, chaque chose a sa fin ».

Kabila Wumela !

Cependant, la contre attaque, mi-spontanée, mi-calculée, ne s’est pas
fait attendre. Le président, qui visiblement apprend à améliorer sa
communication (il a fait, en moins d’un mois, deux promenades à pied en
plein Kinshasa) decide d’aller visiter les stades en construction ou en
réhabilitation dans les quartiers de Kinshasa en s’offrant pour
l’occasion des bains de foule. Toujours en chanson, les kinois
scandaient cette fois un message bien différent du premier: « Kabila,
Wumela, mandat esili te » (Kabila, règne, ton mandat court encore). Ces
attroupements, supposés être spontanés comme les précédents , avaient
quelque chose de particulier. En effet, outre les centaines de drapeaux
de partis politiques visibles, des jeunes en chemise en pagne de même
motif chantaient joyeusement le « Kabila wumela ». Curieuse spontanéité
tout de même …! Le lendemain, le président annonça offrir un voyage
aller-retour à ceux qui voudront aller suivre le match. Belle
récupération !

Partira,  partira pas?

Du coup, dans chaque camp l’on veut pousser plus loin. Quitte à mettre à son actif l’issue hereuse de cette finale.

Pour le pouvoir , c’est la « Révolution de la modernité » qui a attiré
ces exploits inopinés et inattendus. Et c’est parti: l’événement doit
occuper tout l’espace public. Il est important, ainsi en ont décidé les
caciques du régime, de bien l’assaisonner. La Rtnc (chaîne officielle)
est vite entrée dans la danse. Certains animateurs y voient une preuve
que le Congo ne peut aller mieux qu’avec Kabila à sa tête. D’autres y
voient même un signe… en faveur du dialogue. Mais il y a un hic ! Le
Président Kabila devrait-il pousser plus loin sa communication politique
et sa stratégie de récupération au point de se rendre à Kigali assister
personnellement à la finale et, pourquoi pas, brandir personnellement
la coupe? Partira, partira pas ? Ce serait intéressant qu’il y soit.
Mais à la seule condition que les léopards gagnent. Au cas contraire,
l’effet opposé sera automatique. Les kinois ne manqueront certainement
pas de mettre tout éventuel échec sur son dos comme ce fut le cas au
cours de la dernière CAN où l’élimination des léopards en demi-finale
avait été mise sur le dos du Rais qui leur avait rendu visite en Guinée
équatoriale. Cette problématique a occupé toutes les conversations des
milieux mondains de Kinshasa d’hier à aujourd’hui. Les politiques ne
l’ont sans doute pas ratée. Dans le camp de Kabila, l’enjeu devait être
très complexe. Fallait-il faire courir au « Rais » ce risque. Non: Les
temps sont mauvais, très mauvais. Les démons de janvier 1959 (allusion
aux émeutes ayant précédé l’indépendance et déclenchées au sortir d’un
match de football) ne devaient pas être ressuscités en ce moment crucial
où les rapports entre la population et le pouvoir ne tiennent qu’à un
fil. Tous les kinois ont encore en mémoire la gestion des obsèques de la
chanteuse Marie Misamu dont la dépouille mortelle a été prématurément
évacuée par le Général Kanyama extrêmement prévenant. Avec ces kinois,
on ne sait jamais…

Du côté de l’opposition, ça bouillonne. Kabila ne doit pas capitaliser
ces succès opportuns, doivent se dire les vieux loups anti-Kabila. Dans
certains milieux des opposants, l’on doit sans doute se surprendre à
souhaiter la défaite des léopards. Quitte à ne pas le manifester.
Partira, partira pas ? Là, la question ne se pose plus. En cas de
victoire, les tonitruants Kamhere et Katumbi en tireront bénéfice s’ils
sont sur place. Katumbi améliorera son image de manager sportif tandis
que Kamhere renforcera sa proximité avec son terroir politique. Pour
éviter que le camp Kabila récupère une éventuelle victoire des léopards,
ils pourront essayer de mettre cela dans le compte de Marie Misamu, la
chanteuse récemment décédée à Kinshasa et sérieusement vénérée par les
kinois qui avaient même déjà envisagé sa résurrection. Auprès d’une
population qui passe plus de temps à prier et à chanter qu’à travailler
et à réfléchir, un tel discours passera (on l’a déjà entendu d’ailleurs)
et occultera tout effort de Kabila tendant à récupérer l’affaire. En
cas d’échec, ils ne manqueront tout de même pas de critiquer la
politique sportive de Kinshasa jugée trop opportuniste et laxiste. Les
jeux étaient faits. Les deux figures de l’opposition ont atteri à Kigali
cet après midi, rassurés de n’avoir rien à perdre.

Dans mon esprit, l’idée de voir des jeunes gens dans une république
chantant et souhaitant l’éternité à un chef de l’État en fin mandat
était totalement anachronique. Je me suis demandé comment cela
pouvait-il arriver. Était-ce la pauvreté? D’autre part, comment
comprendre que cette même population jugée immature réussisse à esquiver
la répression et à exprimer son ras-le-bol contre Kabila sous couvert
du football ? Qu’ils sont ingénieux ces congolais..

En attendant, on ne peut que souhaiter bonne chance à nos vaillants léopards!

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