25 07 16 le Monde Afrique – Docteur Mukwege : « Lalternance est possible en RDC, sans esprit de revanche »
Samedi 23 juillet, le gynécologue ayant soigné des milliers de victimes de violences sexuelles dans lEst de la République démocratique du Congo (RDC) a dénoncé le harcèlement policier et judiciaire dont sont victimes ces activistes lors dune marche organisée à Bukavu (Est du pays). Filimbi la dailleurs nommé « ambassadeur des citoyens » en lui remettant un flambeau forgé, un sifflet et un carton rouge. Une nouvelle responsabilité pour cet homme sans parti que certains aimeraient voir succéder à Joseph Kabila.
Que représente pour vous cette nouvelle nomination par Filimbi ?
Cest une tâche lourde, avec toutes les difficultés que les jeunes rencontrent aujourdhui en RDC. Je dois porter leur cause qui est juste. Car cette jeunesse veut se battre, trouver des solutions, sengager pour le pays. Et je nai dautre choix que mengager à leurs côtés pour construire lavenir de cette jeunesse congolaise.
Quel rôle allez-vous jouer concrètement en RDC, voire à létranger ?
Léveil de la conscience, pour moi, est capital. Si la population congolaise peut prendre conscience de tout le potentiel que nous avons en RDC – que ce soit le potentiel humain, les ressources naturelles – elle pourra tout simplement réaliser quil nest pas acceptable que les Congolais vivent dans la situation quils connaissent aujourdhui.
Quallez-vous faire personnellement en tant qu« ambassadeur des citoyens » ?
La priorité, cest amener la population à comprendre quelle doit réclamer ses droits et que si elle ne les défend pas, il ny a personne qui va les lui donner en cadeau. Cest mon devoir de contribuer à convaincre la population que la Constitution quils ont votée doit être respectée pour ne pas risquer de sombrer une nouvelle fois dans la violence. Lalternance est possible sans esprit de revanche ou de destruction.
Nous sommes prêts à discuter avec aussi bien lopposition quavec la majorité. Jappelle tout le monde à la responsabilité individuelle. Ce dont on a besoin aujourdhui, cest dun changement du système, et pas seulement du changement dun individu. Il nous faut une révolution morale, une révolution des mentalités, sans violence.
Est-ce pour vous un virage politique, ce que vous avez toujours refusé jusque-là ?
Cest dabord une action citoyenne. Ce nest pas de la politique, cest participer à la gestion de la nation en fédérant des organisations de la société civile dans lespoir détablir une feuille de route qui sera ensuite soumise au pouvoir comme à lopposition.
Filimbi est une plateforme jugée subversive par Kinshasa. Craignez-vous quon vous assimile à Filimbi et quon vous considère comme subversif aussi ?
Si recevoir un flambeau des jeunes devient subversif, alors ce mot « subversion » perd aussi sa valeur, ça na plus de sens ! Sincèrement, jai insisté avec les jeunes : il ne faut jamais être hors-la-loi. Lorsque les jeunes réclament quune constitution soit respectée, quest-ce quil y a de plus normal ?
Comment allez-vous concilier votre engagement en faveur des femmes et votre nouvelle fonction d« ambassadeur des citoyens » ?
Sil ny a pas la paix, les femmes ne seront pas non plus en paix. Pour moi, les deux sont liés. Les jeunes ne veulent plus voir le sang de leurs parents ou de leurs frères couler une nouvelle fois inutilement. Pour moi faire un plaidoyer pour la paix, cest continuer à faire ce que jai toujours fait.
Vous êtes célèbre à létranger mais encore relativement peu connu en RDC.
Cest ça qui fait la force du prix que les jeunes de Filimbi mont octroyé. Cest un prix qui veut tout simplement dire : « Nous vous connaissons en RDC ! » Cétait très émouvant de recevoir un prix au Congo et pas à létranger. Je suis fier de voir que ce prix vient du Congo et que ce sont les jeunes qui me lont donné : ça donne de lespoir. Je crois que les jeunes sont en train de prendre les choses en main pour le bien-être de tous.
Est-ce que le dialogue que propose le président Joseph Kabila pour des élections crédibles et apaisées vous semble être une bonne initiative ?
Ce nest pas un dialogue dune semaine qui va permettre que ces élections soient organisées. Ouvrons les yeux et arrêtons dêtre naïfs ! Sil y a des gens qui veulent aller au dialogue, quils aillent au dialogue, mais il y a les délais constitutionnels quil faut respecter. Et il faut que cette élection se tienne. Je veux croire que si la communauté internationale continue à insister sur lorganisation des élections dans les délais constitutionnels, cest que cest possible. Il faut le vouloir.
Certains souhaitent une transition et citent votre nom pour la diriger…
Commencer à ouvrir des brèches de la transition, cest en fait favoriser tout simplement le désordre. Aujourdhui, il y a lieu de prévenir ce désordre simplement en organisant les élections.
Quel bilan faites-vous de lère Joseph Kabila ?
Quand il est arrivé au pouvoir [en 2001], il est vrai que le pays était complètement déchiré et il y avait une balkanisation de fait. Il a réunifié le pays, il faut reconnaître quand même que cest très positif. Mais dix ans après, ce qui se passe à lEst montre bien quil y a des limites qui ont été atteintes. Il na pas pu mettre fin aux groupes armés. Et ce quil na pas réussi à faire depuis 2001, il ne pourra le faire durant ces quelques mois de prolongation quil veut imposer au pays.
Des opposants, des militants, notamment de Lucha et Filimbi, ont été emprisonnés après avoir demandé le respect de la constitution. Et Moïse Katumbi, candidat à la présidentielle, dit être la cible de procès politiques. Quest-ce que cela vous inspire ?
Cest dramatique darrêter quelquun juste parce quil a défendu une opinion. Il faut vraiment que cela cesse. On ne peut pas exercer la démocratie si on na pas le droit de sexprimer librement. Dans notre constitution, cest très clair. Si des citoyens sont arrêtés parce quils ont donné leur opinion, je trouve que ce nest pas du tout normal et il faut pouvoir le dénoncer avec force. Nul nest au-dessus de la loi, mais il faut que cette loi puisse sappliquer à tous de façon équitable. Il ne faut pas commencer par arrêter les gens et puis donner une grâce présidentielle. Il faut tout simplement ne pas arrêter les innocents.
Habibou Bangré
contributrice Le Monde Afrique, Kinshasa