22 11 16 JEUNE AFRIQUE – Interview exclusive de Matata Ponyo : « J’ai navigué dans des eaux infestées de crocodiles »

 

 

Peut-on passer tant de temps dans le marigot
kinois sans se compromettre ? Il le prétend. C’est en tout cas pour des raisons
purement politiques
qu’il est parti
:
l’accord du 18 octobre entre le pouvoir et une
partie de l’opposition
prévoyait qu’il
soit remplacé par un opposant.

Pour Matata, c’est peut-être un mal pour un
bien : après avoir enregistré un taux de croissance moyen de 8,2 % pendant son
séjour à ce poste, l’économie a fortement ralenti (4,3 % cette année selon les
prévisions de la primature) et l’inflation est repartie à 3,9 %, tandis que le
franc congolais perdait plus de 20 % de sa valeur en six mois.

À cela s’ajoutent les incertitudes
politiques :
le dernier mandat légal du président Joseph Kabila
expire le 19 décembre
et aucun
successeur ne sera élu d’ici là. Le
prochain locataire de la primature, Samy
Badibanga
, a du pain sur la
planche.

 

Jeune Afrique : Vous avez quitté vos fonctions après quatre ans et
demi passés à la primature. Dans quel état d’esprit êtes-vous
?


Matata
Ponyo
: Je suis satisfait et serein, ma démission est logique
car conforme à l’accord du Dialogue politique. Les objectifs qui m’ont été
assignés ont été atteints et le bilan est globalement positif. J’ai préservé la
stabilité du cadre macro-économique.

Entre 2010 et 2015, le taux de croissance
annuel a été de 7,8 % en moyenne. Sur la même période, la monnaie est restée
stable et l’inflation a été ramenée à environ 1 % en moyenne par an. Cela a eu
des conséquences positives sur la vie des Congolais : le taux de pauvreté est
passé de 80 % à 63,4 %, la RD Congo a gagné dix places au classement 2015 de
l’Indice de développement humain (IDH) du PNUD. Le budget de l’éducation est
passé de 1 % des dépenses publiques en 1990 à 16 % aujourd’hui. Sept-cent écoles
ont été construites et des centaines de dispensaires ou
hôpitaux….


C’est sur cette stabilité que vous avez
bâti votre réputation. Mais ces derniers mois, il y a eu un relâchement sur le
taux de change, les réserves de change, le budget, l’inflation… Comment
l’expliquez-vous ?


Je tiens d’abord à souligner que cette
stabilité était historique. Lorsque je suis arrivé au ministère des Finances en
2010, j’ai dit que j’allais stabiliser le taux de change et personne ne me
croyait. On disait : « les Congolais parlent beaucoup mais n’agissent jamais ».
À l’époque, certaines institutions crédibles prévoyaient même une très forte
dégradation du taux de change, mais il n’a pas bougé pendant plus de cinq ans.
C’est le fruit d’un travail herculéen, qui a consisté, entre autres, à boucher
les trous par lesquels s’échappaient les recettes de
l’État.

En réalité, le taux de change ne s’est
dégradé que ces dernières semaines. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui, les choses
ont changé. Notre économie traverse une crise sérieuse. Les recettes fiscales
sont en baisse à cause notamment de la chute des cours du cuivre et du pétrole.
Et puis il y a eu ces coûts d’ajustement politique qui ont affecté négativement
la rigueur.


Qu’entendez-vous par « coûts
d’ajustement politique » ?


Je fais référence au remaniement gouvernemental de la fin
2014
. Mon gouvernement resserré qui
comptait jusque-là 36 membres, des technocrates pour la plupart, a été élargi à
près de cinquante personnes, parmi lesquelles de nombreux hommes politiques de
carrière. Cela a affecté l’efficacité du gouvernement et entravé la bonne marche
de l’économie.


Diriez-vous que vous avez perdu la main
sur certains secteurs ?


Oui.


Lesquels ?


Je vous laisse en faire
l’analyse.


Les réserves de change ont beaucoup
baissé ces derniers mois. Dans ce contexte, la rupture avec le FMI, en 2012,
n’est-elle pas un sérieux handicap ?


Le succès, la croissance, la stabilité sont
des résultats. On les obtient par la rigueur, l’efficacité et la transparence.
En 2012, nous avions rempli tous les critères d’exigence du FMI – à sa grande
surprise, d’ailleurs. Il devait renouveler son programme, mais il l’a finalement
suspendu à cause d’un contrat de la Gécamines qui ne respectait pas les normes
de transparence. C’est une entreprise publique à 100% mais je n’en avais pas le
contrôle.


Et pensez-vous que le FMI serait prêt à
reprendre ce programme ?


Que vous répondre ? Je pense que le FMI a
voulu me mener en bateau… Nous avons réalisé des performances exceptionnelles et
inédites et le FMI aurait bien voulu y participer. Mais je rappelle que le rôle
du FMI est d’aider un pays à stabiliser son cadre macroéconomique afin qu’il
maintienne sa balance des paiements. Si vous pouvez le faire sans lui, tant
mieux.


Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est plus le
cas…


Être avec le FMI, c’est comme être malade et
aller chez le médecin. Un patient ne choisit pas son traitement : on lui fait
une prescription et, tous les trois mois, on vérifie que celle-ci a été
respectée. Pendant le temps que j’ai passé à la Primature, la Gécamines a vendu
des actions à de nombreuses reprises. Que se serait-il passé si, à chaque fois,
le programme était arrêté ? Ce n’était pas tenable…


Cette situation, sans contrôle
extérieur, n’arrange-t-elle pas certains opérateurs qui préfèrent l’opacité
?


Écoutez, si j’avais eu le contrôle de tous
les secteurs, la Gécamines aurait dû m’obéir. J’ai eu à le dénoncer plusieurs
fois.


Jusqu’à ces derniers mois, la
conjoncture internationale était très favorable à la RD Congo, et ce pendant
plusieurs années. L’État a-t-il suffisamment investi pour préparer l’avenir
?


Bien sûr. Mais diversifier des secteurs de
production, c’est comme faire grandir un enfant : ça ne se fait pas en un jour.
Nous avons construit le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo salué par toutes
les institutions internationales. C’est un choix judicieux car nous consommons
la plupart de nos devises, plus de 1,5 milliard de dollars, en important des
produits alimentaires que nous pouvons produire sur place !


La bancarisation de la paie des
fonctionnaires était aussi une réforme d’avenir car elle a redonné du pouvoir
d’achat à un million de personnes. Dans le domaine des transports, nous avons
fait de grands progrès. Outre la construction et la réhabilitation de 6000 km de
routes, nous avons créé une compagnie aérienne publique, Congo Airways, qui est
le leader aujourd’hui. Idem dans le domaine des transports terrestres avec la
compagnie publique de bus Transco à Kinshasa. Sur les voies fluviales, nous
avons remis en activité de grands bateaux et redonné de la vigueur aux
entreprises publiques ferroviaires Onatra et SNCC.


Tout cela était crucial pour plusieurs
raisons. D’abord, parce que la plupart de ces marchés de transports étaient
exclusivement aux mains du privé, ce qui ne permettait pas à l’État d’intervenir
pour réguler les prix. Ensuite parce que cela nous a permis de désenclaver des
villes entières comme Kalemie, Kongolo, Kamina, Tshikapa… Les prix des biens et
services y ont été divisés par quatre ou cinq. Les transports, c’est comme les
vaisseaux sanguins d’un corps : leur bon fonctionnement est vital. Mais tous ces
projets restent en phase de croissance. Nous souhaitons qu’ils soient poursuivis
par nos successeurs.

Mes adversaires étaient
parfois issus de mon propre camp

Avez-vous le sentiment d’avoir été
suffisamment soutenu par les autres cadres de la majorité ?


Lorsque le Président m’a choisi, je n’étais
qu’un simple rouage de la machine PPRD, un élément parmi d’autres. Depuis, il
m’a toujours fortement soutenu.


On avait parfois le sentiment que
certains lorgnaient sur votre poste et vous mettaient des bâtons dans les
roues…


C’est sans doute inhérent à la vie politique
! C’est vrai que j’ai navigué dans des eaux infestées de crocodiles. Mes
adversaires étaient parfois issus de mon propre camp.


L’une des affaires qui a marqué votre passage à la primature est
celle de la banque BIAC
. Vous avez
critiqué son lien avec la Banque centrale. Vous avez même parlé de « mafia ». De
quoi s’agissait-il ?


Une Banque centrale joue toujours un rôle
crucial. Je suis bien placé pour le savoir puisque que c’est là que j’ai
commencé, lorsque j’avais tout juste 24 ans. Or, dans cette affaire, elle a
failli à ses obligations puisqu’elle comblait systématiquement les déficits de
la BIAC. C’était bien la preuve qu’il y avait une mafia financière et je ne
pouvais l’accepter. D’ailleurs, dès que nous avons débranché la perfusion, cette
banque a périclité et elle vient d’être mise en liquidation.


Était-ce le seul établissement dans ce
cas ?


Oui. Le gouverneur de la Banque centrale
nous l’a certifié, chiffres à l’appui.


Diriez-vous aujourd’hui que le secteur
financier congolais est sain ?


Il serait présomptueux pour moi de
l’affirmer. Je ne suis pas gouverneur de la banque centrale et je n’ai pas fait
d’analyse suffisamment rigoureuse.


Début octobre, vous avez limogé votre ministre des Affaires foncières, Gustave
Booloko
. Pourquoi ?


Le ministre a vendu trois parcelles comme
bien sans maître, comme si elles n’appartenaient à personne. Or il s’est avéré
que la République tchèque en était le propriétaire. J’ai agi en toute
indépendance et avec beaucoup de discrétion, mais je n’avais pas d’autre choix
que de le suspendre pour faute professionnelle et d’annuler toutes les
opérations.


Il y a eu une autre affaire, celle du fonds d’investissement américain
Och-Ziff
. Il a reconnu avoir corrompu
des responsables congolais avec l’aide de certains intermédiaires entre 2007 et
2011. Il a payé 413 millions de dollars d’amende pour cela. En aviez-vous
connaissance ?


Non. J’ai bien sûr entendu parler de cette
affaire, mais je n’en connais pas les tenants et aboutissants. Je suis un
fervent partisan de la bonne gouvernance. J’essaie de ne pas être impliqué dans
des opérations de cette nature.


Un sondage conduit par des chercheurs américains de
l’université de New York en partenariat avec l’institut congolais Berci a évalué
les intentions de vote
au cas où
l’élection présidentielle serait organisée cette année. Il situe le chef de
l’État à 7,8 % et vous à 1,8 %. Qu’en pensez-vous ?


Laissez-moi vous rappeler que cet institut
appartient à Francesca Bomboko qui a été révoquée de son poste au ministère du
Plan pour détournement de fonds publics. Elle est par ailleurs connue pour être
proche de l’opposition. Alors quel crédit accorder à l’étude que vous mentionnez
? À mes yeux, aucun.

Dans la Primature que
j’ai dirigée, nous n’avions qu’une seule « tribu », celle de la
compétence

Vous avez aussi des détracteurs. Ils
pointent souvent votre famille. Une partie de la presse soupçonne notamment
votre épouse de vivre de contrats publics.


Cela fait longtemps que j’ai à gérer de
l’argent public – c’est le cas depuis ma nomination au BCECO, en 2003. Mais je
considère qu’il doit y avoir une frontière étanche entre vie privée et vie
publique. Mon épouse peut avoir des affaires. C’est son droit. Mais elle reste
dans le secteur privé et ne perçoit aucun paiement du Trésor.


Votre successeur va devoir affronter
une situation difficile. Quel conseil lui donneriez-vous ?


Il lui faudra veiller à la bonne gestion des
finances publiques. Il devra aussi constituer une équipe composée de
professionnels, compétents et intègres. Dans la Primature que j’ai dirigée, nous
n’avions qu’une seule « tribu », celle de la compétence.


Êtes-vous inquiet pour la stabilité du
pays après votre départ ?


Ce sera à vous de juger.


Quels sont vos projets désormais
?


J’ai 52 ans dont presque 30 ans de carrière.
Je pense avoir accumulé une certaine expérience en matière de politiques de
développement et sur les questions budgétaires et monétaires qui pourra me
servir. Dans le domaine de la consultance, par exemple, à l’intérieur comme à
l’extérieur du pays.

 


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