12 03 17 – La Libre – Moïse Katumbi: "Sans l'accord de la saint-Sylvestre, Kabila n'a plus aucune légitimité"
Depuis le 31 décembre et les accords de la saint-Sylvestre entre la
majorité présidentielle et le Rassemblement (réunion de 9 plate-formes
de l'opposition) sous l'égide de l'Eglise catholique congolaise, tout
semble en place pour que le pays puisse enfin se diriger vers la
première alternance démocratique au sommet du pouvoir. Sauf que depuis
70 jours, tout est au point mort. Pas la moindre virgule de cet accord
n'a sorti ses effets et le décès, le 1er février dernier d'Etienne
Tshisekedi, leader incontesté de ce Rassemblement, a encore compliqué la
donne.
Rencontre :
Monsieur Katumbi, pensez-vous que cet accord de la saint-Sylvestre sera un jour d'application ?
"Personnellement, je veux croire en cet accord. Que les choses
soient dites clairement, ce sont le président de la République et la
majorité présidentielle qui font tout pour bloquer le processus. Mais
ils ne doivent pas perdre de vue que si cet accord n'est pas appliqué,
Joseph Kabila n'est plus légitime. Son dernier mandat s'est terminé le
19 décembre. C'est de cet accord de la saint-Sylvestre qu'il peut tirer
sa petite légitimité pour prolonger un peu son maintien au pouvoir."
Quels sont les moyens dont vous disposez pour contraindre la majorité présidentielle à appliquer cet accord ?
"On ne veut pas le chaos dans le pays mais Kabila et les siens
nous y emmènent tout droit. Nous, si vous voulez bien regarder toutes
les négociations de ces derniers mois, vous constaterez qu'on a tout
fait pour éviter ce chaos, pour éviter la confrontation. On n'est pas
des demandeurs d'emploi qui se sont assis à la table des négociations
pour décrocher un job. On veut sauver le peuple congolais. On ne va pas
se laisser balader par le président, on va se réunir avec le
Rassemblement et on va fixer une date butoir à la majorité
présidentielle pour l'application de l'accord de la saint-Sylvestre…
Vous savez, aujourd'hui, on sait ce que trame le clan Kabila. Lors de la
réouverture de la session parlementaire, certains députés ont été
chargés de lancer un projet pour l'organisation d'un référendum. Ce qui
est explicitement interdit dans l'accord de la saint-Sylvestre. Cela
indique donc clairement que la majorité ne veut pas appliquer ce texte
et veut passer en force. On n'est pas dupe."
Que comptez-vous faire si ce scénario se produit?
"On appellera le peuple congolais à barrer la route à ces gens et à
leur projet. On demandera l'application de l'article 64 de la
Constitution qui dit que tout Congolais a le devoir de faire échec à
tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou
qui l'exerce en violation des dispositions de la Constitution. Plus
aucun élu n'est légitime dans notre pays puisque tous les délais pour le
renouvellement des fonctions électives ont été largement dépassés, nous
sommes donc bien dans ce scénario décrit par l'article 64. Mais nous
demanderons que ce mouvement se fasse pacifiquement. Il y a déjà eu
beaucoup trop de Congolis qui ont été tués par ce pouvoir."
Jusqu'ici, le pouvoir en place ne s'est pas montré très sensible à ces menaces ?
"On a le sentiment qu'il considère le fait que l'on s'assoit à la
table des négociations comme une faiblesse. Mais ce n'est pas le cas. Je
me répète, le Rassemblement veut, exige même, la fin des souffrances
pour le peuple congolais. Nous sommes devenus le peuple le plus pauvre
du monde. Même le sud-Soudan est mieux loti que nous. C'est inacceptable
et cela va empirer si le pouvoir s'obstine. Comment voulez-vous faire
venir des investisseurs sérieux dans un tel environnement, les
institutions internationales ne suivront plus. Le pays est au bord de la
faillite. Le gouvernement va faire tourner la planche à billets,
l'inflation sera terrible et les Congolais souffriront encore un peu
plus. Je ne sais pas comment l'Etat va payer les fonctionnaires dès le
mois d'avril. Le seul responsable de cette situation, c'est Joseph
Kabila et quelques-uns de ses caporaux dont certains étaient déjà en
place sous Mobutu avant de fuir quand la situation est devenue
désespérée. Le scénario pourrait fort bien se répéter dans un avenir pas
si lointain."
Ces dernières semaines, des tensions sont apparues au sein du Rassemblement?
"Beaucoup de choses ont été dites. Je constate qu'aujourd'hui nous
avons un président du Rassemblement en la personne de Félix Tshisekedi
et un président du comité du suivi de l'accord avec Pierre Lumbi. Les
choses se sont mises en place. Il a fallu se restructurer après la perte
d'Etienne Tshisekedi. C'est un géant qui est parti, mais on a pu
trouver une solution et repartir de l'avant grâce à des négociations en
interne. C'est le jeu démocratique. Les noms de Félix Thisekedi et de
Pierre Lumbi sont sortis de ces négociations et je félicite tout le
Rassemblement pour être parvenu à ce compromis."
Certains vous ont quitté ?
"Ils ont été beaucoup trop impatients. Ils ont oublié que le
Rassemblement ce n'était pas un ensemble d'individus mais bien des
plate-formes. Ceux qui ont signé l'accord lors du conclave de Genval,
qui a donné vie au Rassemblement, l'ont fait pour le compte des
plate-formes, pas en leur nom. S'ils quittent la plate-forme, ils
n'emmènent pas la signature avec eux."
Pensez-vous sérieusement que le président Kabila mettra en oeuvre les accords de la saint-Sylvestre ?
"Il doit comprendre qu'il n'a plus le choix. Il lui reste une
petite fenêtre pour quitter le pouvoir grâce au travail des évêques de
la Cenco. S'il ne saisit pas cette dernière opportunité, ce sera
terrible pour lui et il sera seul. Tous les autres qui le suivent
aujourd'hui vont l'abandonner. Tous les jours, je reçois des coups de
fil des membres de la majorité. Des membres importants qui me disent
qu'ils ne sont pas d'accord avec le président et qu'il faut sauver le
pays. C'est pour cela que je sais qu'il sera vite lâché et que le Congo
sera là après Kabila. Ce n'est pas la fonction qui est importante, c'est
l'Etat."
Comptez-vous présenter la candidature de Félix Tshisekedi pour le poste de Premier ministre tel qu'évoqué dans l'accord de la saint-Sylvestre ?
"Evidemment. Il y a un consensus chez nous et il y a le courrier
qu'Etienne Tshisekedi avait envoyé pour qu'il soit remis aux évêques.
Dans les tout prochains jours, le duo composé de Pierre Lumbi (président
du conseil des sages ) et de Félix Tshisekedi (président du
Rassemblement) ira remettre ce nom au président Kabila, comme demandé
par ce dernier aux évêques."
Le président Kabila, lui, pourrait refuser cette candidature ?
"Non ! Il n'est plus en mesure de refuser. L'accord de la
saint-Sylvestre ne laisse pas cette marge au président. N'oubliez pas
que c'est de cet accord qu'il tire sa petite légitimité".
La présidentielle en 2017, vous y croyez toujours ?
"Bien sûr. La Ceni a déjà enregistré près de vingt millions
d'électeurs. Soit près de la moitié du corps électoral. En juin, tout
peut être fini. Le pouvoir a fait accélérer le processus, non pas pour
la présidentielle mais pour le référendum qu'il veut organiser."
Après, il faut encore organiser le scrutin. Cela a un coût. L'Etat congolais aura-t-il les moyens ?
"Je sais que l'actuel gouvernement affirme que le pays n'a pas les
moyens d'organiser ces élections. C'est encore une manoeuvre pour
tenter de modifier le système électoral et passer au suffrage indirect.
Le président serait ainsi élu par les députés. Je mets en garde ces
députés, ils doivent savoir que le peuple ne veut pas se faire voler son
scrutin. Il veut élire son prochain président. Qui plus est, les
députés en place ne sont plus légitimes, leur mandat est arrivé à
échéance, comme celui du président. Donc, pour en revenir à votre
question, oui, l'Etat congolais peut et va organiser ces élections. On
va contribuer à l'organisation des élections. Les Congolais qui ont les
moyens ouvriront largement leur portefeuille, le peuple se mobilisera
pour donner ce qu'il peut, même 50 cents. C'est un message à envoyer à
la communauté internationale pour lui montrer la détermination de tout
un peuple. Avec un tel message, elle nous soutiendra, je peux vous le
garantir. Chaque semaine, je suis dans les avions. Je parcours le monde à
la recherche de soutiens pour le scrutin et pour l'après scrutin. Si on
a l'alternance, en deux ou trois mois, on peut changer le visage du
pays et mettre un terme à toutes ces tueries derrière lesquelles on
retrouve la main du pouvoir. Cela doit cesser. Mon pays n'est pas une
boucherie. Aucun peuple n'a le droit de souffrir comme souffre le peuple
congolais. Ces voyages portent leurs fruits. La communauté
internationale a compris qu'il y avait une forte opposition au Congo,
qu'elle est crédible et qu'elle n'est pas là pour chercher un poste et
les dollars. On voit que le regard change aux quatre coins du monde."