05 04 17 – Guerre hybride 8. La Chine, le cobalt et les plans de révolution de couleur des USA pour le Congo; Par Andrew-korybko
Le Financial Times a publié un rapport dinformation sur limportance de cet accord, qui, selon lui, fera de la Chine le leader mondial de la technologie des batteries électriques, à lavenir, grâce à son contrôle de 62% du marché mondial du cobalt dont il est attendu un accroissement de la demande des deux tiers dans les dix prochaines années. Stratégiquement parlant, cela place la Chine à lavant-garde du mouvement mondial vers les véhicules électriques, donnant ainsi au leader multipolaire encore un autre pas davance sur le monde unipolaire en obtenant un contrôle influent sur lavenir des systèmes de transport personnels, commerciaux et militaires.
Le problème, bien sûr, est que la Chine reçoit 93% (ou selon Bloomberg, 99%) de son cobalt du Congo, ce qui signifie que ses perspectives davenir en tant que leader mondial dans le domaine des batteries électriques dépend entièrement de la stabilité de ce pays fragile, que les États-Unis ont commencé à miner depuis son indépendance en 1960. Scène de la « Guerre mondiale de lAfrique » dans les années 1990 et cimetière denviron 5 millions de personnes, en conséquence, le Congo est une fois de plus poussé dangereusement vers le précipice du désastre en raison de lintrigue internationale qui lentoure.
Ce nest pas seulement une spéculation sauvage. Les États-Unis et leurs médias unipolaires affiliés aux ordres ont été occupés à pré-conditionner le monde à la perspective dun désastre en RDC si le président en exercice, Kabila, ne démissionnait pas à la fin de son deuxième mandat, constitutionnellement en cours, à la fin de lannée et sil retardait indéfiniment le vote à venir et / ou modifiait la Constitution une nouvelle fois.
Il ne fait aucun doute que le Congo est aux prises avec la Nouvelle Guerre froide des États-Unis et que le pays devrait se préparer à ce qui pourrait très bien se révéler être une autre période prolongée de conflit catastrophique. Ce qui se passe actuellement dans cet État dAfrique centrale et ce qui pourrait bientôt y transpirer, nécessite dêtre replacé dans le contexte global approprié. En conséquence, la recherche commence en expliquant la centralité du Congo dans la grande stratégie africaine de la Chine. Une fois que la signification du pays aura été pleinement établie et que le lecteur sera plus conscient des raisons pour lesquelles les États-Unis veulent le jeter dans le chaos, je décrirai la guerre indirecte qui a germé autour du Congo lannée dernière. Enfin, considérant que les plans indirects évoqués ont échoué lamentablement, la dernière partie de larticle traitera de la façon dont Washington essaie de frapper directement Kinshasa en fabriquant plusieurs scénarios de guerre hybride dans le cœur géostratégique (Heartland) de lAfrique.
Les grandes ambitions de Pékin en Afrique
Le Congo est de retour dans les médias du monde non pas en raison de sa transition de leadership attendue (ou de son absence), mais en raison de son importance pour la Chine dans le contexte de la Nouvelle Guerre froide. La plupart des gens sont conscients que la Chine poursuit sa vision One Belt One Road et construit des « nouvelles routes de la soie », ou corridors dinfrastructure, partout dans le monde, mais pratiquement personne na étudié de façon exhaustive comment cela devrait se rapporter à lAfrique. Lauteur a entrepris une telle mission dans un article précédent pour Oriental Review sur la façon dont Les Problèmes de lAfrique de lEst pourraient briser les rêves de Route de la Soie de la Chine. De manière plus pertinente, il a révélé que la Chine travaille dur pour construire deux routes commerciales transocéaniques reliant les côtes indiennes et atlantiques du continent. Bien que cette intention na pas encore été officiellement déclarée, il est clair que cest ce que fait Pékin, en substance, même si les deux projets ne sont pas encore achevés.
Route transocéanique nord africaine (NTAR)
La route du Nord devrait être intermodale et intégrer linfrastructure ferroviaire et fluviale, reliant le port de Mombasa à locéan Indien au Kenya avec ses homologues atlantiques à Matadi, en République démocratique du Congo, et Pointe-Noire, en République du Congo. Le chemin de fer à voie standard (SGR) a actuellement des plans pour aller de Mombasa à la capitale ougandaise de Kampala, mais il pourrait bientôt être étendu à la ville de Kisangani, au nord-est du Congo, sur les rives du fleuve Congo. De là, le fleuve le plus profond du monde est navigable jusquà la capitale de la RDC, Kinshasa, et la capitale jumelle de la République du Congo, Brazzaville. En partant de Kinshasa, il ny a quun court trajet ferroviaire vers le port Atlantique sous-développé de Matadi, tandis que le trajet en train de Brazzaville à Pointe-Noire est un peu plus long, mais se termine dans un port de haute mer plus développé.
Barrage d'Inga3
La route du nord a une signification supplémentaire en raison de sa proximité avec le futur barrage dInga 3 construit par les Chinois, que le Guardian estime quil sera le plus grand au monde une fois construit. Pour citer la source britannique, ce méga-projet serait en mesure de fournir 40% des besoins en électricité de lAfrique en raison de son potentiel à générer autant de puissance que vingt réacteurs nucléaires. Bien que sa construction na pas encore commencé, elle pourrait commencer dès la fin de cette année et il est attendu que ce barrage colossal pourrait un jour permettre à la Chine et à son hôte congolais dexercer une influence multipolaire sur la plus grande partie de lAfrique centrale et Atlantique.
Il ne devrait donc pas être surprenant que larticle indique également que ce projet est sous la lourde opposition des ONG occidentales, probablement en raison de son éventuel impact environnemental et du fait que plus de 35 000 personnes pourraient être déplacées à cause de cela. Si les États-Unis ne réussissent pas à forcer Kabila à démissionner à la fin de son mandat pour permettre ainsi à un remplaçant pro-occidental dexercer un contrôle unipolaire par procuration sur ce projet à impact régional, le plan de repli est de pré-conditionner les masses à accepter que « les villageois mécontents et / ou les rebelles » puissent lattaquer au milieu dun prochain scénario de guerre hybride.
Route sud africaine trans-océanique (STAR)
En ce qui concerne la route du sud, le chemin de fer TAZARA construit par la Chine depuis les années 1970 relie déjà la côte tanzanienne près de la plus grande ville du pays, Dar es-Salaam, aux régions riches en cuivre du centre de la Zambie. À partir de là, dautres infrastructures ferroviaires ont été construites indépendamment à travers la région congolaise du sud-est du Katanga, riche en minerais, aujourdhui divisée en plusieurs petits États, mais conservant toujours le sens profond de son identité unifiée distincte. Les chemins de fer du Katanga étaient liés au chemin de fer angolais de Benguela, mais ils étaient tombés en ruine au fil des ans et navaient pas pu être mis en service et connectés à leur voisin occidental. En outre, le chemin de fer de Benguela avait été déconnecté pendant des décennies lorsque la guerre civile sanglante en Angola a éclaté dans les années 1970 et cest seulement grâce à laide récente des Chinois quil a été modernisé et remis en service. Il ne sagira pas seulement des chemins de fer du Katanga qui vont relier Benguela et désormais lAtlantique, puisque la Chine envisage également détendre TAZARA du centre de la Zambie à la jonction angolo-congolaise via le projet du chemin de fer du Nord-Ouest.
Sept pays africains distincts sont directement liés à ces deux projets, et trois autres sont étroitement liés en termes de paradigme géostratégique régional (Rwanda, Burundi et Malawi) et leur stabilité affecte directement la viabilité de ces routes. Ce sont ces trois États et la République du Congo qui constituent la base de la section suivante pour décrire comment les États-Unis ont essayé de poursuivre une guerre indirecte contre les routes transocéaniques africaines avant de recourir au gambit de la déstabilisation directe du Congo.
Guerre indirecte
La proposition de lauteur avec La loi de la guerre hybride enseigne que « le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux multipolaires connectés à travers des conflits didentité provoqués de lextérieur (ethnique, religieux, régional, politique, etc.) ». Mais parfois, les États-Unis sont prêts à accepter lexistence dun tel projet tant quils peuvent linfluencer et / ou le contrôler. Les Routes africaines transocéaniques du Nord et du Sud, tout en étant une très bonne affaire pour Pékin, pourraient aussi être utilisées par lInde et dautres pays qui choisiraient de sen servir pour approfondir leur influence sur cette partie du monde. Dans cette optique, les États-Unis voient en effet un grand avantage stratégique à faire payer à la Chine ces projets ambitieux afin que ce rival paie pour des réseaux de transport que les États-Unis et leurs alliés utiliseront inévitablement jusquà un certain point.
Déstabiliser avec discrétion
Quoi quil en soit, cependant, les États-Unis sont également conscients que la Chine pourrait finir par être la bénéficiaire ultime en venant à contrôler ces mêmes itinéraires commerciaux dont les alliés unipolaires de lAmérique pourraient éventuellement devenir dépendants. Par conséquent, les États-Unis sintéressent indirectement à « mettre des freins » aux plans de la Chine, cest-à-dire à perturber ces deux projets dans la mesure où ils ne sont que partiellement réalisés ou utilisés (et donc aussi accessibles aux alliés de Washington) et pas pleinement achevés à un niveau transcontinental pour permettre à la Chine dacquérir une influence dominante sur le Heartland africain et ainsi être en mesure dexercer une multipolarité dans tout le reste du continent. Cest pourquoi les États-Unis ont privilégié la déstabilisation de points « périphériques » sur ces deux fronts, comme le Rwanda, le Burundi, le Malawi et la République du Congo au lieu de les perturber directement dans leurs origines côtières du Kenya et de la Tanzanie (bien que ce soit possible à lavenir si les États-Unis en voient la nécessité). En outre, ces deux derniers pays sont également très proches de lInde, allié des États-Unis, qui est le deuxième partenaire dimportation du Kenya et le principal importateur et exportateur de la Tanzanie. Cela perturberait aussi la Nouvelle Route du Coton de New Delhi, contre-stratégie à la Route de la Soie chinoise, si cela tournait au chaos (même si les événements récents au Kenya suggèrent que les États-Unis pourraient être prêts à prendre ce risque).
Burundi, Rwanda et Malawi
Quoi quil en soit, en examinant les quatre pays « périphériques » mentionnés dans le paragraphe ci-dessus, il semble que leurs récentes déstabilisations soient toutes liées à lobjectif des États-Unis darrêter lexpansion des deux routes transocéaniques africaines. Lagitation occidentale au Burundi, dont lauteur a parlé dans son précédent article intitulé « LUE au Burundi : le changement de régime contre laide antiterroriste », a été partiellement conditionnée pour déclencher une conflagration régionale qui fatalement aspirerait le Rwanda et conduirait à des « armes de migration massive » qui se répandraient dans toute la région en Ouganda et en Tanzanie. Et on ne parle pas du fait que cette situation aggraverait les conflits de basse intensité déjà existants au Congo, dans les provinces de lIturi et du Nord et du Sud-Kivu. Leffet pratique de cette déstabilisation dans les Grands Lacs consisterait à contenir les routes transocéaniques africaines dans la Communauté de lAfrique de lEst et à prévenir leur liaison avec lAtlantique. Le Malawi figure dans léquation en ayant été la cible dun coup dÉtat planifié organisé par les États-Unis et lAllemagne et qui na été évité quà la toute dernière minute après quelques arrestations hautement médiatisées et de manière prévisible condamnées par lOccident. Le plan était dutiliser le gouvernement issu du coup dÉtat comme instrument pour fomenter des tensions régionales et provoquer une guerre civile entre le nord et le sud du pays, qui aurait également déclenché des « armes de migration de masse » en Tanzanie qui potentiellement combinées avec celles du Burundi auraient pu rendre le projet TAZARA non viable.
La République du Congo
En ce qui concerne la République du Congo, les États-Unis ont voulu perturber le second point daccès ou terminus de la Route transocéanique Nord (NTAR) en désactivant le chemin de fer Congo-Océan entre Brazzaville et Pointe-Noire. Lanalyste Gearoid OColmain a fait un excellent travail de sensibilisation sur la révolution de couleur naissante que les États-Unis ont essayé de favoriser sans succès, et il est recommandé au lecteur de se référer à son article sur la question pour plus de détails. Mais, en bref, le bouledogue néo-colonial français voulait utiliser lévénement pour déclencher un retour à la guerre civile de ce pays comme dans les années 1990. Ce fut finalement abandonné par le gouvernement, mais avant cela, les médias unipolaires passèrent des mois à présenter la République du Congo comme le dernier foyer de conflit en Afrique. Lobjectif stratégique nétait pas seulement de remplacer le président Nguesso par une marionnette occidentale plus souple, mais de renverser linfluence chinoise dans le pays et de rendre impossible lutilisation de son territoire par Pékin comme alternative complémentaire au chemin de fer Kinshasa-Matadi pour actualiser la Route transocéanique africaine Nord (NTAR). Si elle avait réussi, cela aurait rendu la Chine totalement dépendante de Kinshasa, capitale des tentatives de révolution de couleur, réduisant ainsi considérablement sa flexibilité stratégique dans la gestion de cette partie du projet transcontinental quelle a menée de facto.
Évaluation des complots
En examinant les événements survenus au cours de lannée écoulée, il semble convaincant que les États-Unis ont essayé mais nont pas réussi à saboter indirectement les deux routes transocéaniques africaines par leurs tentatives de déclenchement de conflits au Burundi, au Malawi et en République du Congo. Les résidents de Bujumbura ont réussi à résister aux tentations des États-Unis et à éviter un retour à une guerre civile génocidaire, réduisant ainsi les perspectives dune invasion conventionnelle ou dissimulée par le Rwanda et lexplosion dune nouvelle crise dimmigrants dans toute la région des Grands Lacs africains. Concernant le Malawi, les autorités ont eu vent du coup dÉtat et lont exposé avant quil ne puisse se faire, ce qui a eu pour effet de contrecarrer toute la déstabilisation et de faire revenir ses architectes à la planche à dessin. Enfin, en ce qui concerne la République du Congo, le gouvernement a finalement réussi à écraser le mouvement de Révolution de couleurs et empêcher le retour de la guerre hybride dans son pays, avec pour résultat que le deuxième terminus / point daccès de la Route transocéanique africaine du Nord reste ouvert et donne par conséquence à la Chine une alternative à Kinshasa qui sera nécessaire en cas de besoin.
La troisième crise du Congo
À la lumière des échecs des États-Unis à « contenir » indirectement les Routes transocéaniques africaines, il semble maintenant que Washington a décidé dintensifier ses agressions et de procéder à la déstabilisation du cœur géopolitique de lAfrique, le Congo. Outre le sabotage des deux projets transcontinentaux de Pékin, le renouvellement à grande échelle des conflits au Congo pourrait facilement compromettre le commerce de cobalt de la Chine avec le pays et bloquer par la suite les plans de Pékin pour devenir le leader dans le domaine des batteries électriques et en récolter tous les avantages stratégiques. Le déclencheur dune nouvelle vague de violence dans cet État dAfrique centrale est le désir présumé du président Kabila de continuer à régner sur son pays après lexpiration constitutionnelle de son mandat à la fin de lannée. En un sens, cela ressemble beaucoup à ce qui sest passé avec le président Nkurunziza du Burundi, faisant ainsi du Congo un exemple structurellement plus large du scénario burundais et évoquant la question de savoir si la déstabilisation du pays dAfrique de lEst constituait un test pour ce qui était déjà prévu pour le Congo.
Historiquement parlant, cet État dAfrique centrale a déjà été le théâtre de deux crises de niveau mondial, la première crise du Congo de 1960 à 1965 et la deuxième crise du Congo de 1996 à 2003 (parfois considérées comme deux événements distincts). Ce nétaient pas seulement des crises, elles étaient en fait aussi une combinaison hybride de guerres civiles et internationales, ce qui en a fait la quintessence militaire tactique de la guerre hybride. Avec le Congo à la veille dune nouvelle crise qui pourrait précipiter ce pays vers une nouvelle guerre civile et internationale, il convient de parler de la Troisième crise du Congo à laquelle les États-Unis travaillent pour « contenir la Chine » grâce à un « chaos contrôlé ». Comme ces stratégies ont une bonne réputation, il est fort probable que les trois scénarios de « chaos contrôlé » qui suivent, peuvent évoluer dans des directions imprévisibles et déclencher encore plus de déstabilisation que ce quon peut prédire à ce jour. Mais il est cependant prévu quils collent globalement à la progression graduelle indiquée ci-dessous si les États-Unis donnent effectivement le feu vert pour que lopération commence.
Révolution de couleur à Kinshasa
Partant de lhypothèse que les États-Unis vont en fait frapper le Congo avec une guerre hybride si Kabila tente de retarder les prochaines élections ou de modifier la Constitution, la troisième crise du Congo commencerait « naturellement » par une révolution de couleur, en commençant par des provocations urbaines qui auraient lieu à Kinshasa et à Goma. Lobjectif est dinstaller un chef de file pro-occidental au pouvoir qui permettrait ainsi aux États-Unis de contrôler indirectement le commerce de cobalt de la Chine et dexercer une influence sur la route transocéanique africaine. Lhomme envisagé pour remplir ce rôle au nom de Washington est lancien gouverneur du Katanga et homme daffaires millionnaire, Moise Katumbi, le visage public de lopposition de la révolution de couleur. Il a été accusé le mois dernier davoir embauché des mercenaires (y compris des « anciens » soldats américains, selon laffidavit) et a depuis fui en Afrique du Sud et plus récemment à Londres pour « traitement médical », où il tentera probablement de consolider encore plus de soutiens étrangers pour soutenir sa candidature sous les auspices quil serait un « leader démocratique » « politiquement harcelé » par une « dictature » – les parfaits mots à la mode pour garantir un soutien occidental fort et produire une campagne dinformation mondiale unipolaire axée sur ses ambitions politiques. À létranger, on peut supposer quil sera en contact étroit avec les agences de renseignement occidentales et les services secrets de leurs « partenaires » africains alliés pour gérer la révolution de couleur et formuler le moyen le plus efficace de faire tomber le gouvernement du président Kabila.
Couper le Katanga du Congo
Si la révolution de couleur congolaise est finalement considérée comme un échec, tout comme celle au Burundi, il est très possible que le « Plan B » soit de raviver les revendications sécessionnistes historiques du Katanga et que Katumbi retourne dans la région pour diriger linsurrection aux côtés de son armée de mercenaires étrangers. Il sagit essentiellement dun modèle identique à celui qui a déclenché la première crise congolaise dans les semaines qui ont suivi lindépendance du pays en 1960, de sorte que le lecteur est pardonné sil détecte du déjà vu en lisant ceci. Ce qui différencie cette étape future, prédictible par rapport à celle qui la précédée il y a près de 60 ans, cest quun grand pays non occidental, la Chine, a maintenant des investissements miniers très importants dans les quatre provinces du sud-est qui composaient cette région autrefois unifiée. Cela signifie quun Katanga indépendant nentraverait pas nécessairement le commerce de cobalt de la Chine ou lune ou lautre des deux Routes transocéaniques du Sud, à moins que Katumbi ne prenne délibérément des mesures pour les bloquer. Mais il est aisé de croire que la période de guerre qui précéderait cette éventualité pourrait sérieusement perturber tous les échanges à destination et en provenance de la province.
Du point de vue occidental, bien que la Chine soit fortement impliquée au Katanga, une éclosion de violence à grande échelle semblable à ce qui sest passé en Libye en 2011 pourrait conduire à une évacuation massive des citoyens chinois et à labandon des investissements, en supposant que la Chine nessaie pas de défendre ses intérêts cette fois-ci. Si Pékin tentait malgré tout de le faire conformément à sa politique africaine nouvellement promulguée, cela pourrait probablement prendre la forme de « menées dans lombre » pour aider les forces armées congolaises et éventuellement leurs alliés régionaux si le conflit prenait officiellement une dimension internationale. Cela pourrait se faire par le biais de matériel, dintelligence et de soutien consultatif avec lengagement de militaires chinois directement contre les séparatistes. La Chine devrait être parfaitement consciente que si Katumbi réussit une campagne sécessionniste à venir pour établir un Katanga « indépendant », les entreprises chinoises seraient finalement débarquées et remplacées par leurs homologues occidentales sous toutes sortes de prétextes qui pourraient être fabriqués, comme par exemple le fait que Pékin aurait soutenu les « ennemis » de Katumbi à Kinshasa pendant la guerre, ou simplement par un régime dexpropriation étatique. Un renouveau de la campagne séparatiste du Katanga serait régionalement aussi déstabilisante pour cette partie de lAfrique que les aspirations territoriales révisionnistes de Daech lont été au Moyen-Orient, conduisant potentiellement à un conflit militaire impliquant de nombreuses factions et ouvrant la voie à une « seconde Guerre mondiale africaine ».
Grands Lacs, conflits majeurs
Après le début dun second conflit sécessionniste katangais ou peut-être même son indépendance, la partie orientale du Congo pourrait voir apparaitre les violences dune guerre hybride à la suite de léchec dune révolution de couleur de Katumbi à Kinshasa. Cette partie du pays a été historiquement la plus instable et elle est responsable de la deuxième crise du Congo (essentiellement une série de guerres civiles et internationales). Les situations non résolues dans lIturi et dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu sont perpétuellement au bord de lexplosion une fois de plus en raison de la présence de dizaines de milices rwandaises et ougandaises, à la fois pro-gouvernementales et rebelles, y compris les « forces alliées démocratiques » islamistes. En outre, les 24 000 milliards de dollars de minerais inexploités dans la région des Grands Lacs de lEst ont été pris en otage par ces groupes et par des éléments corrompus du gouvernement. On peut les qualifier de « minerais de conflit », ce qui les rend éthiquement indésirables malgré leur rôle irremplaçable dans la fabrication de technologies modernes autour des téléphones cellulaires.
Pour ces raisons, lEst du Congo est lune des régions les plus géostratégiques du monde et sa stabilité a un impact direct sur les marchés mondiaux des minerais et des technologies associées. De nos jours, une paix froide est en place et les clients étrangers se procurent leurs ressources directement auprès de certains des parrains étatiques des groupes rebelles ougandais et rwandais ou du gouvernement congolais, ou travaillent de manière informelle auprès dintermédiaires rebelles et de fonctionnaires corrompus, facilitant ainsi laccès aux ressources et permettant leur vente sur le marché mondial. Toutefois, si la région retombe dans la violence, non seulement cela perturbera les courants commerciaux existants, mais cela pourrait aussi créer une situation où un acteur gagne le contrôle de toutes ces richesses minérales, ce qui lui permettrait de devenir une superpuissance dans ce domaine industriel dimportance mondiale. La division de facto de la région entre les acteurs non gouvernementaux affiliés aux gouvernements ougandais, rwandais et congolais a créé un certain équilibre entre les forces économiques et militaires et a empêché cela jusquà ce jour. Mais si Kinshasa, par exemple, était capable de regagner la pleine souveraineté sur ses territoires orientaux, le Congo pourrait rapidement devenir une puissance continentale sil exploitait correctement sa position de fournisseur de minerais et gérait les avantages résultants en conséquence.
En raison de lampleur des enjeux géostratégiques et économiques, le renouveau des conflits dans la région des Grands Lacs africains pourrait facilement devenir une crise mondiale, surtout si elle est déclenchée par la menace dun changement de régime qui plane sur les Congolais. Lintérêt suprême des États-Unis pour que cela se produise est soit de perturber le flux de minerais sortant du Congo pour affaiblir la capacité industrielle de la Chine dans ce domaine, soit de commencer le processus de réorganisation géostratégique de la région riche en minerais et de soutenir une force économie hégémonique régionale pour consolider toutes ses richesses naturelles sous un seul commandement intégré. Alors que les États-Unis seraient confrontés à divers degrés de « dommages collatéraux » à la suite du troisième effondrement possible du Congo depuis lindépendance, ils pourraient cyniquement parier quils ont encore plus à gagner avec ce gambit et la fabrication dune guerre majeure pour assouvir leurs intérêts personnels dans un jeu à somme nulle avec la Chine.
Réflexions finales
La Chine est en train dopérer de gros mouvements au Congo, que ce soit avec le méga-projet de la Route transocéanique africaine Nord et la partie du Katanga de son homologue sud, le barrage Inga 3, ou avec lachat de la mine de cobalt Tenke. Ces initiatives stratégiques se complètent et font du Congo un des principaux partenaires internationaux de la Chine, tant en Afrique quailleurs dans le monde. Les trois projets susmentionnés dans le Heartland continental fournissent à la Chine une base solide pour projeter linfluence multipolaire dans le reste de lAfrique et transformer progressivement le paradigme géostratégique, faisant de lun des États les plus faibles, semi-défaillant, un phare stable de prospérité, en une génération. Néanmoins, le Congo a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de se rapprocher de cette vision, et cest précisément au cours de cette période de développement quil est le plus sensible aux programmes américains de guerre hybride contre lui.
La transition de leadership prévue à la fin de lannée pourrait être retardée ou évitée de façon indéfinie si le président sortant Kabila parvient à modifier la Constitution pour obtenir un troisième mandat. Les États-Unis exploitent déjà la situation pour se préparer à une révolution de couleur si cela se produit, mais si la première phase de la pression de changement de régime échoue, il est très probable quelle va progresser vers une éventuelle guerre hybride. Si cela se réalise, on peut sattendre à ce que lancien gouverneur du Katanga et président actuel de lopposition, Moise Katumbi, relance la campagne séparatiste historique de sa région natale en recréant les conditions qui ont mené à la première crise du Congo dans les années 1960. Parallèlement, les provinces de lEst de lIturi et du Kivu du Nord et du Sud pourraient se réveiller dans une orgie de violence qui ressemblerait aux premiers stades de la Deuxième Crise du Congo des années 1990.
Le pire scénario serait que les deux conflits se fondent en un tout unifié. Le chaos de la Troisième Crise congolaise éclipserait par sa violence celui de ses deux prédécesseurs. Inutile de dire quun tel développement entraînerait inévitablement la mondialisation de cette guerre civile provoquée par les États-Unis, inaugurant la « Seconde Guerre mondiale africaine » et renversant totalement la stratégie continentale de la Chine. Les Routes transocéaniques africaines du nord et du sud financées par Pékin seraient mortes et Kinshasa aurait beaucoup plus à craindre pour la construction du barrage Inga 3.
De plus, quelle soit engluée dans une guerre ou réunie en tant que vassal pro-occidental indépendant, lancienne province du Katanga cesserait dêtre un fournisseur de cobalt fiable pour la Chine et Pékin finirait probablement par perdre des milliards de dollars investis si ses mines devenaient inutilisables ou finissaient par être expropriées.
Des souffrances humaines en nombre incalculable accompagneront probablement toute éclosion de violence à grande échelle au Congo, mais, du point de vue stratégique des États-Unis, cela pourrait en valoir la peine si cela peut « contenir » la Chine dans le Heartland de lAfrique.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour lagence Sputnik. Il est en troisième cycle de lUniversité MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : lapproche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015).