01 10 17 – Le Dialogue extra-institutionnel est un artifice trompeur . Par Mme Cécile Kyenge, eurodéputée

Le fait est que les propriétés dilatoires du dialogue semblent
surpasser de loin ses vertus résolutoires, avec la conséquence néfaste
que face à la proposition d’un soit disant dialogue, toute déclinaison
de la part des interpellés constitue, de fait, un vice rédhibitoire
fortement disqualifiant. Tout homme politique qui refuse une
proposition de dialogue assume immédiatement le sale rôle de saboteur, et se met sous une mauvaise lumière, notamment aux yeux des observateurs et autres commentateurs qui jouent un rôle important de “légitimation politique”.
Pourtant, et c’est ici la base de ma réflexion, en Afrique
subsaharienne, nous assistons à une conception fallacieuse du dialogue qui, de fait, se configure comme une activité extra-politique, mise en œuvre en dehors de tout cadre institutionnel préexistant. Comme furent les Conférences nationales souveraines pendant les années ‘90, le dialogue est en quelque sorte une institution en soi au sud du Sahara.
Une institution dont la génération spontanée trahit le caractère fort
précaire des autres institutions des pays concernés. Le dialogue
semble ainsi fonder et justifier les comportements imprévisibles des
acteurs politiques. C’est le lieu où tous les coups peuvent être
portés.
Pour parler concrètement, prenons en considération les cas les plus
récents, notamment en Afrique centrale. 
En République démocratique du Congo (RDC), les acteurs politiques institutionnels nationaux sont les mêmes que l’on retrouve ailleurs sur le continent africain: un président de la République, un gouvernement et un parlement. Chacun des représentants de ces institutions est appelé à dialoguer au quotidien pour la bonne marche des fonctions qui lui sont reconnues.
Le dialogue interinstitutionnel est donc constitutionnellement prévu
et le lieu le plus indiqué pour la pratique d’un dialogue pluriel
c’est le parlement. Une institution collégiale où, on espère, toutes
les tendances politiques du pays sont représentées et concourent aux
négociations et décisions politiques. Dans le cas de la RDC, nous
voyons que l’institution du dialogue extra-parlementaire a le mérite,
en contre coup, de révéler le caractère insignifiant du parlement
congolais lui-même. C’est à se demander pourquoi il existe.
A côté du parlement, en effet, un autre organisme foncièrement
provisoire a été institué, au sein duquel siègent des élus
parlementaires et des non élus, qui prennent le nom de délégués
cooptés par des organisations de tout bord. On en vient ainsi à donner
naissance à un autre lieu institutionnel, à qui on reconnaît le droit
de statuer, de manière presque illégitime, sur des échéances
électorales constitutionnellement établies et largement non
respectées. Entre-temps, le vrai parlement congolais, composé d’élus
du peuple, se mue en spectateur impuissant, qui regarde se
confectionner un document dit “accord politique”, dont la valeur
législative et le caractère non-contraignant sont théoriquement
moindre que tout autre acte parlementaire.
Le dialogue, entendu comme institution à part entière, apparaît dès
lors comme un hold-up politique préventif, destiné à fournir en RDC
une apparence de légitimité à un second coup en préparation: le
prolongement illégal d’un mandat politique, dans le cas d’espèce, le
mandat présidentiel et ses nombreuses dérivées.
Le dialogue est alors utilisé ici comme un expédiant, pour la gestion
préventive d’éventuels conflits découlant du non-respect des mandats
politiques. Le coup a quelque chose de flagrant et les auteurs s’en
rendent bien compte, d’où la nécessité d’enrôler des “opposants” dans
le gouvernement, créant de facto un acteur politique de type nouveau
dont le bicéphalisme suscite des étonnements; les opposants-gouvernants, il en faut de la fantaisie.
Le dialogue préventif de la RDC n’est pas sans révéler ses similitudes
avec le dialogue d’après coup, comme celui qui semble en préparation
dans la République du Gabon. En effet, à la suite d’une élection présidentielle dont le scrutin a connu une participation ordonnée et responsable des votants, nous avons assisté à une série de proclamations ubuesques des résultats électoraux. Tour à tour, la Commission électoral (Cenap), le Ministère de l’Intérieur et finalement la Cour constitutionnelle ont fait naître et consolider des doutes, au point de miner la crédibilité des institutions engagées dans les procédures, et d’exacerber le climat politique qui souffrait déjà d’une adversité poussée jusqu’aux confins de la haine.
Forfaiture ou pas, le Président sortant a conservé son pouvoir, et – ô
surprise – son premier geste a consisté à appeler à un dialogue
inclusif, d’union nationale, dont les termes les plus explicites
pourront être l’enrôlement des “opposants” dans le gouvernement et
peut-être, la naissance d’un lieu de discussion en dehors de tout
“cadre institutionnel préexistant”. De fait, le parlement gabonais
peut tranquillement cuir dans son éternel bain-marie.
Aussi bien pour la RDC que pour le Gabon, l’appel au dialogue va faire son chemin, et personne n’osera pointer le doigt contre ce processus politique car cela s’apparenterait à un appel au non-dialogue, une attitude “antidémocratique” par excellence.
Mais il faut avoir le courage de le dire: tout dialogue, entendu comme
une institution provisoire, créée ex-nihilo en fin de mandat, ou au
début d’un mandat forcé, est une opération forcée qui tue dans l’œuf
les velléités d’alternance démocratique, créant un terrain fertile
pour les violences et encore plus de violation. C’est, en d’autres
termes, un coup d’Etat, une mauvaise pratique politique contre
laquelle nous devons trouver un remède. Il faudrait apprendre à
dialoguer, certes, mais dans le cadre des institutions déjà
existantes, dont la solidité est gage de la stabilité politique et de
la respectabilité du peuple souverain. À plus de 50 ans des
indépendances, le pullulement des institutions provisoires, comme
l’institution instrumentale du dialogue, est un facteur disqualifiant
en interne et en international.

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