11 10 17 – Je suis natif de l’Est du Congo. Par Rama NGAMIA, analyste sociopolitique, auteur du livre"Le village Chegué" paru sur Amzon.com

C’est le cas de « Je suis Charlie », « Je suis Bruxelles », « je suis Londres », « Je suis Paris », « je suis Barcelone », etc. Finalement, à tort peut-être, je me suis dit qu’aux yeux des autres ma communauté n’en valait pas la peine, ne méritait pareil honneur. La preuve, Charlie, Bruxelles, Londres, toute la presse en parle, tous les présidents, même le mien , présentent leurs condoléances les plus attristées aux familles endeuillées, tout le monde se mobilise pour traquer les auteurs afin que justice soit rendue. Mes malheurs, à moi, n’intéressent pas grand monde, ce sont des faits divers qui sont juste là pour faire le bonheur des autres, des hommes politiques, des militaires, des organismes internationaux, des multinationales,  pour leur permettre de faire du business, de vendre des armes, du coltan, du diamant, etc.
 Alors, pour toutes ces raisons,  je choisis, tout humblement, comme titre : « Je suis de l'Est du Congo ». Ce qui est vrai et qui, je l’espère,  n’empêchera  toute personne  emprunt d’humanisme de prendre la juste mesure de ma souffrance.
Je suis "Est du Congo".  Je pleure, je crie, j'enrage mais mon calvaire ne s'arrête pas, personne ne m'écoute, personne ne m’entend.
Je suis natif de l'Est du Congo. Connaissez-vous l’Est du Congo ? Peut-être non, peut-être oui mais sûrement pas autant que moi. 
L’Est du Congo, cette partie du monde, avec ses collines verdoyantes et sa population résignée, abandonnée. Ce coin de la planète frontalier avec l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi. 
Je suis natif de L’Est du Congo. Mon pays, le Congo, a connu les affres de l’esclavagisme, la chicotte de la colonisation, les horreurs de la rébellion avec le Mulele, le Jean Schram, le Bob Dinart, les Gendarmes katangais, la dictature de Mobutu, l’enfer d’aujourd’hui.
Je suis natif de l'Est du Congo. Comme vous, vous n'avez pas choisi vos parents, votre pays, vos saisons, moi non plus, je n'ai pas choisi de naître dans ce Congo riche mais misérable, corrompu, désabusé avec des voisins qui, sans scrupule, profitent de sa fragilité. La nature, le destin  ont  décidé pour moi.
Je suis natif de l'Est du Congo. Du temps de Mobutu, j'ai connu la dictature, j'ai vu mes parents chanter, danser à sa gloire. Je croyais que la dictature était la pire des choses qu'on pouvait connaître. Aujourd'hui, je me rends compte qu'il peut y avoir encore pire.
Je suis natif de l'Est du Congo. Du temps de Mobutu, j'allais à l'école, mes parents au travail et je vivais en sécurité. Aujourd'hui, ce n'est plus pareil. Tous les jours, je pleure un parent, tous les jours je console une sœur violée, tous les jours je reconstruis ce que j'avais déjà construit la veille. La misère, l’injustice sont partout. Je suis comme dans un trou noir dont je ne vois pas la fin. C’est désespérant !
Je suis natif de l'Est du Congo. Ceci est mon histoire, histoire faite de larmes, histoire de souffrances, histoire de colère, histoire de désespoir.
Je suis natif de l'Est du Congo.  J'ai vu déferler sur mes terres des hommes, des femmes, des enfants fuyant la guerre au Rwanda. Ils appelaient cela,  « Opération Turquoise».  En ce moment-là, je ne savais pas du tout que c’était le début de mes 20 années de calvaire. Avec mon sens de l'humanité, je les ai accueillis pour les mettre à l'abri, ne sachant pas que cette hospitalité tourmenterait mes jours pendant des années, amènerait désolation et mort sur mon territoire. Que pouvais-je faire d’autres devant ce désastre humanitaire ?
Je suis natif de l’Est du Congo, j'ai vu arriver les troupes de l'AFDL,  appuyées par l'armée rwandaise, chasser Mobutu. J’ai appris la fuite et la triste fin de ce dernier, abandonné par ses amis, par son armée, par ses  courtisans. Lui qui pourtant avait accepté d'ouvrir les frontières du Congo pour accueillir les réfugiés rwandais, lui qui avait été applaudi pour ce geste humanitaire. Lui, aussi, par qui ce geste non réfléchi, ce geste insuffisamment entouré de garanties nécessaires, débuta mon enfer.
Je suis natif de l’Est du Congo. J’ai cru au début en l’avènement de l’AFDL.  Je faisais un naïf parallélisme entre Lumumba et Laurent-Désiré Kabila. Mais j’avais oublié tous les monstres qu’il avait amenés avec lui et auxquels il a ouvert les portes du Congo. Aujourd’hui, il n’est plus là, dévoré par ses monstres, aujourd’hui, je paie encore le prix de ma naïveté.
Je suis natif de l'Est du Congo, j'ai vu des militaires rwandais pourchasser des génocidaires hutus, massacrer sans distinction congolais, réfugiés hutus, génocidaires. Les traquer comme des bêtes sauvages jusqu'aux confins de la forêt équatoriale. Personne n’a dit quoi que ce soit. Le monde s’est tu. A peine, une petite enquête de l’ONU sans lendemain et d’ailleurs sans aucun intérêt pour les grands de ce monde. Mais, ce jour, une nouvelle ère venait d'être inaugurée où n'importe quelle armée pouvait se promener sur mon territoire comme bon lui semble, commettre toutes sortes de forfaits sans rendre compte. Aujourd’hui, partout se trouvent des fosses communes au point que je n’ose plus quitter les sentiers battus de mon village de peur de trébucher sur un crâne, un fémur, une cote et que sais-je encore.
Je suis natif de l'Est du Congo, j'ai vu des rebellions se former, des casque bleus débarquer, des personnalités de tout bord venir me parler, compatir à ma douleur, certains verser une larme, des tribunaux pénaux se constituer.  Et puis plus rien. Malgré tout ce cirque, ma situation reste la même. La mort, le viol, l'insécurité, l'injustice, la pauvreté rôdent toujours à côté de moi et peuvent me surprendre à tout moment.  J’y suis habitué.
Je suis natif de l'Est du Congo, j'ai vu mes bourreaux se balader dans nos villes sans être inquiétés, faire des affaires avec nos militaires, disparaître un instant pour revenir quelques jours, quelques années après et pourtant, pendant, ce temps les cellules de la CPI restaient quasi vides  et celles  de nos prisons remplies par des personnes qui ont osé dire ce que je suis en train de raconter.
Je suis natif de L'Est du Congo. Où sont passés les Nkunda, les Makengo. Personne ne me le dit, personne ne s'en inquiète. Quand vont-ils encore revenir pour me faire revivre leurs atrocités ? Et pourtant, j'ai cru  lorsque Ntanganda venait de se rendre à la CPI,  que débuterait la fin de mon calvaire, que je comprendrais comment ces rebellions se forment, se procurent des armes, des munitions, à qui  vendent-ils ce coltan, cet or, ce diamant qu'ils extraient de mon sous-sol. 
Dans mon pays, le traitement d’un enseignant revient à 65 dollars et tout le monde est chômeur hormis les quelques personnalités qui occupent certains postes, pillent l’Etat sans réellement lui apporter les moyens dont il a besoin. Je ne peux pas comprendre d’où ces groupes rebelles tirent l’argent pour recruter leur personnel, acheter les armes, les munitions, les véhicules. Personne ne m’apporte de réponses, tout me laisse croire que je ne suis une priorité pour personne, moi et les miens pouvons  continuer à nous faire exterminer par qui veut dans l'intérêt de je ne sais qui.
Et pourtant, dans ma naïveté, je me dis que ma délivrance devrait être une affaire toute simple. Je suis entouré de 20.000 casques bleus appuyés par une force d'intervention spéciale, ajoutés à ceux-ci les militaires de la FARDC, en plus d'un financement colossal estimé à 1 milliard de dollars par an. Sur le plan politique, la situation de mon pays est régulièrement débattue au sein du conseil de sécurité. En face, on me parle de plusieurs groupes de rebelles de quelques centaines de personnes qu'on n'arrive pas à maîtriser. Bref, cela fait maintenant 20 ans que rien ne change, que le problème reste entier et pourtant, on est encore loin et très loin des forces en présence que lors du Débarquement de Normandie pour ne pas en finir une bonne fois pour toutes avec ce drame. Les casques  bleus s’enlisent dans mon pays et se confondent finalement avec le décor congolais au point que la nouvelle génération ne sait plus distinguer un casque bleu d'un militaire congolais. Que faire? Parfois, j’apprends par la presse que l’on a tué deux rebelles par-ci, trois rebelles par là. Apparemment, c’est juste pour me rassurer, pour  me donne l’impression que quelque chose se passe. Mais, je ne suis pas dupe. A cette allure, mon malheur a déjà duré 20 ans et il durera encore longtemps et très longtemps. 
Je suis natif de l'Est du Congo. Lorsque la MONUSCO est arrivée dans mon pays, on m’a expliqué que c’était dans le but de consolider les institutions de mon pays. 20 ans après, je n’ai toujours pas une police, une armée, une administration dignes de ces noms. 20 ans après, il n’y a toujours  ni paix, ni sécurité dans mon pays. 20 ans après , ma population n’est toujours pas recensée, mes concitoyens ne sont ni correctement identifiés, ni correctement localisés. 20 ans après que je dois toujours, pour mes élections, refaire les fichiers électoraux, dépenser des millions de dollars pour ceux-ci et continuer à être gouvernés par des personnalités hors mandat, qui n’ont plus aucune légitimité et qui se complaisent à « glisser » indéfiniment. Quoi de plus normal que je me demande où est passée cette consolidation que la MONUSCO était censée m’apporter ?
Je suis natif de l'Est du Congo. J'ai vu la ville de Goma occupée par des rebelles sous la barbe des casques bleus et des militaires congolais, j'ai vu les armées rwandaises et ougandaises, deux armées étrangères,  se battre à Kisangani, une ville congolaise habitée des milliers de civils. Beaucoup de morts, il y a eu. Beaucoup de dégâts, il y a eu également. Quelle suite a-t-elle été réservée à la plainte déposée par le Congo pour toutes ces agressions? Quelle condamnation, quel dédommagement ? Rien n'est clair. Des bribes d'information parfois ou de petites histoires rocambolesques comme celle de cet avocat de la partie congolaise qui voulait monnayé les dossiers de justice contre ses prestations non perçues ou celle de retrait de certaines plaintes pour des raisons obscures. Et puis plus rien et cela a toujours été ainsi. Je n’ai pas souvenance d’aucune affaire criminelle qui ait déjà été menée jusqu’au bout, qui ait été élucidée par la Justice de mon pays.  Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas grand-chose sur l’assassinat de L.D. Kabila, de F. Chebeya, d’A. Tungulu, des fosses de Tingi Tingi, de Maluku et tout récemment des fosses dans le Kasaï et les deux experts de Nations Unies.  Et tout bizarrement, les Nations Unies font confiance en la Justice congolaise pour pouvoir nous éclairer ! Je ne comprends pas. Pourtant, elles savent très bien que pour qu’une justice fonctionne correctement, elle a besoin d’une certaine indépendance, d’une bonne formation, de beaucoup de moyens et doit s’appuyer aussi sur une police efficace et une solide administration. Elles savent qu’aucune de ces conditions n’est réunie au Congo mais, malgré tout, elles font confiance. Allez comprendre !
Je suis natif de l'Est du Congo. Aujourd'hui, j'apprends que la ville d'Uvira, à la frontière avec le Burundi, a été attaquée par des rebelles lourdement armés. Armés par qui, comment, par quels moyens ? Aucune explication malgré la présence des casques bleus, des militaires congolais et des services de renseignements. Personne ne se pose jamais toutes ces  question et cela fait 20 ans que ça dure, 20 ans que nous pleurons parents, frères et sœurs, 20 ans que nos sœurs  se font violées sans cesse, 20 ans que nos villages se vident, que nos paysans, épuisés, démunis, se baladent les yeux hagards dans la nature, que la brousse retrouve ses droits, que nos champs restent en jachère et que la faim s'installe. 
Je suis natif de l’Est du Congo. Comme vous je porte sur moi un portable. Ce portable que vous avez acheté avec votre argent et moi avec mon sang. Ce portable qui fait la prospérité des entreprises comme APPLE, SAMSUNG, NOKIA, … mais qui m’enfoncent davantage  dans mon malheur. Ce portable dont l’écran, lorsque vous le regardez, vous voyez vos souvenirs de vacances, quant à moi, je vois les cadavres amoncelés de mes frères, lorsque vous entendez les histoires de vos proches, moi j’entends les cris de douleurs de mes concitoyens ou de la petite fille en train de se faire violer. Voici le monde dans lequel je vis, un monde bien différent du vôtre.
Je suis natif de l’Est du Congo. J’ai décidé de ne plus crier, de ne plus pleurer, de ne plus prier. Cela ne m’a servi à rien depuis 20 ans. Personne ne m’a jamais écouté, personne ne m’a pris au sérieux. Alfred de Vigny avait peut-être raison lorsqu’il disait « Gémir, pleurer, prier est également lâche ». Maintenant, je suis prêt pour défendre ma dignité, ma communauté, mes concitoyens, mon pays. Maintenant, je ne vais plus me taire.
Je suis natif de l’Est du Congo. J’exhorte tout congolais à se réveiller, à informer, à s’informer, à s’instruire, à devenir plus intelligent que nos bourreaux. Levons le front et regardons nos bourreaux en face afin qu’ils comprennent notre détermination, qu’ils réalisent que nous n’avons plus peur ni de leur armée, ni de leurs armes. Faisons comprendre à tous, à la Communauté Internationale que c’est révolu le temps où nous comptions sur eux pour défendre notre dignité, notre liberté et nous rendre justice. C’est terminé, nous sommes prêts à nous prendre en charge et n’avons plus besoin de personne pour assurer notre sécurité ou financer nos élections après maintes humiliations. Mobilisons-nous, constituons un bloc qui ne laisse plus à d’autres écrire notre histoire,  nous expliquer les causes de nos malheurs ou les actions à entreprendre pour y mettre fin. Allons au devant de nos problèmes. Enquêtons sur l’origine de la kalachnikov qui vient de tuer un frère, sur les accointances  de nos militaires avec les rebelles, sur le trafic des minerais de sang, sur l’inefficacité des casques bleus, de la FARDC, sur les intrusions des armées étrangères sur notre territoire. Nos bourreaux, parfois, ce sont nos propres frères, désolidarisons-nous  d’eux, encourageons ceux-là qui se battent pour nous, battons-nous avec eux, approprions-nous notre destin. Ce n’est que de cette façon que nous mettrons fin à tous ces drames et arriverons à nous faire respecter en tant qu’être humain et citoyen d’un Etat. 
Et ce n’est que de cette façon que nous mériterons notre pays le Congo, si beau et si riche.

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