31 10 17 – Nikki Haley en RDC : le jour d'après. Par PROSPER BAGONDO

La visite, très attendue, visait à clarifier la position des États-Unis quant à l'organisation de l'élection présidentielle au Congo-Kinshasa. Donc Nikki Haley est venue. Elle a vu. Elle s'est entretenue. Cela pourrait être un bon résumé de la visite de Nikki Haley en RDC, dans la foulée de son déplacement en Éthiopie puis au Soudan du Sud. L'ambassadrice américaine à l'ONU, qui a rang de ministre, est en première ligne sur les dossiers africains, délaissés par le secrétaire d'État Rex Tillerson et en l'absence de sous-secrétaire d'État aux Affaires africaines, toujours pas nommé.
Un voyage au pas de charge
Elle a donc passé son premier séjour sur le continent africain en RD Congo, une visite de trois jours, au pas de charge, qui l'aura d'abord menée à Goma, la capitale du Nord-Kivu, dans l'est du Congo, le vendredi 27 octobre en fin de matinée. Ensuite, à Kitchanga, à environ 80 km au nord-ouest de la capitale provinciale, dans le camp de Mungote, l'ambassadrice américaine a même versé quelques larmes. Face au témoignage d'une femme victime de viol, un phénomène qui revêt une ampleur dramatique dans cette région, elle n'a pas pu contenir son émotion. « Personne ne devrait vivre comme ça. Nous ne pouvons pas fermer les yeux », a-t-elle déclaré, sincèrement affectée.
Revenue à Kinshasa, où elle est arrivée jeudi 26 octobre, celle qui n'a jamais ménagé le pouvoir RD congolais, comme en témoigne sa vive réaction à l'occasion de l'élection de la RDC au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, a tout d'abord échangé avec Corneille Nangaa, le président de la Ceni, puis a rencontré les évêques de la Cenco, médiateurs dans l'accord dit de la Saint-Sylvestre du 31 décembre 2016, qui ont lourdement insisté sur la nécessité de mettre en œuvre rapidement trois préalables sans lesquels il ne pourra y avoir d'élections crédibles : l'impossibilité pour Joseph Kabila de se représenter, l'exécution des mesures de décrispation politique ainsi que la révision de la composition de la Ceni. Lors de cet entretien, Nikki Haley a demandé aux évêques de « poursuivre leur mission entamée en 2016, et ce, jusqu'à son aboutissement : l'élection présidentielle ». Ensuite, Nikki Haley a vu certains des principaux responsables de l'opposition (Félix Tshisekedi, Pierre Lumbi, Eve Bazaïba et Vital Karmerhe). Enfin, clou de cette visite, Nikki Haley s'est entretenue, le vendredi 27, aux environs de 15 h 30 heure locale, avec le président Joseph Kabila. Un entretien d'une durée de quatre-vingt-dix minutes, dont peu de choses ont (publiquement) filtré. On sait toutefois que, « conformément à l'ordre du jour », la situation politique, le processus électoral, la situation sécuritaire et le redimensionnement de la Monusco ont été abordés.
Le verre à moitié vide pour l'opposition
À lire les réactions des principaux leaders de l'opposition à l'issue de la visite de Nikki Haley, c'est la déception qui semblait dominer. Aucune critique directe, certes, mais un appel au peuple à se prendre en main. « Si d'ici le 31 décembre 2017, nous n'avons pas de signaux clairs comme quoi nous allons aux élections, eh bien, nous irons aux élections sans le président Kabila », a averti Pierre Lumbi, le président du Conseil des sages du Rassemblement. 
Sur son compte Twitter, Sindika Dokolo, le gendre de l'ex-président angolais José Eduardo dos Santos, a tenu à galvaniser la jeunesse congolaise, au lendemain de la visite de Nikki Haley : 
« Les Congolais Debout [nom donné à son mouvement] ne reconnaissent plus Kabila et confirment l'art 64.1. Nous nous battrons et résisterons jusqu'à la libération de la RDC. » En clair, aidons-nous nous-mêmes. 
Un message sur lequel Olivier Kamitatu, le porte-parole de Moïse Katumbi – l'opposant numéro un à Joseph Kabila dont la réaction est très attendue, lui qui cultive des relations étroites avec Washington –, a rebondi en ces termes : « Il faudrait que nous soyons tous sots pour croire qu'après avoir tant usé de ruse et de violence Kabila décide de partir de son plein gré ! » 
Sur Twitter, toujours, Claudel André Lubaya, député national et président de l'Udao, s'est voulu plus explicite encore : « Seule une transition citoyenne sans Joseph Kabila serait acceptable. Le peuple n'est pas prêt pour un schéma qui le maintienne même pour un jour » [après le 31 décembre 2017].
Si la critique reste voilée et le ton feutré du côté des responsables de l'opposition, le propos est plus direct du côté de leurs partisans : 
« C'est à ce peuple congolais, qui souffre déjà beaucoup, que l'Amérique de Trump voudrait ajouter une année de transition illégale, illégitime et criminelle ? » s'indigne sur son compte Facebook un militant se réclamant du Mouvement lumumbiste progressiste de l'opposant Franck Diongo. 
Même son de cloche du côté des mouvements citoyens. La Lucha, qui avait publié le jour de l'arrivée de Nikki Haley à Kinshasa une lettre ouverte, intitulée « Kabila, le chaos en RDC, et le rôle des États-Unis », a vivement réagi sur Twitter après le départ du Congo de l'ambassadrice américaine : « Élections en 2016, 2017, et maintenant 2018 ? Quoi que les autres pensent, aussi puissants soient-ils, c'est au peuple que revient le dernier mot ! […] Notre peuple doit s'assumer, sous peine que les étrangers continuent à gérer sa destinée à leur manière et suivant leurs intérêts à eux. » 
Si les réactions sont mitigées du côté de l'opposition, c'est parce que, d'une part, la date butoir du 31 décembre 2017 pour l'organisation des élections n'a pas été évoquée et que, d'autre part, l'hypothèse d'une transition sans Joseph Kabila n'a pas été mentionnée (du moins publiquement…) par les États-Unis. Au-delà, « certains opposants craignent qu'en évoquant la date de 2018 les États-Unis ne participent à démobiliser les Congolais que les mouvements d'opposition s'évertuent justement à mobiliser », explique un professeur en sciences politiques de l'université de Kinshasa.
Le verre totalement vide pour la majorité
Si les réactions sont frileuses du côté de l'opposition, elles sont paradoxalement glaciales du côté de la majorité présidentielle, signe que la visite de Nikki Haley n'a guère été favorable au pouvoir en place. Sur RFI, Léonard She Okitundu, le ministre des Affaires étrangères, a tenté de défendre le point de vue des autorités congolaises. « On ne peut pas décréter une date pour organiser les élections. On organise les élections en tenant compte de tous les paramètres techniques, logistiques et financiers. Et il y a aussi la problématique sécuritaire. Alors maintenant, si, d'après la Ceni, toutes ces conditions sont remplies pour l'année prochaine, il n'y a pas de problème : les élections seront organisées », a tenté de rassurer le ministre.
Lambert Mende, le ministre de la Communication, s'est lui, dans le registre habituel qu'on lui connaît, montré plus vindicatif. « Il ne faut pas que les gens pensent que c'est d'ailleurs que viendra la solution à nos problèmes. […] Les États-Unis ne sont qu'un pays parmi d'autres au sein de la communauté internationale », a-t-il déclaré. Réagissant aux propos de Nikki Haley appelant à des élections en 2018, Mende s'est employé à en atténuer la portée. « C'est un souhait. Elle ne peut décider à la place des Congolais. […] C'est la Ceni qui organise les élections. […] Cela ne relève pas de la compétence du gouvernement congolais ni du gouvernement américain. », a ajouté celui qui est aussi porte-parole du gouvernement. 
Si les réactions du côté de la majorité sont aussi fraîches, c'est parce que le délai de 2018, quand bien même il entérine le « glissement dans le glissement », selon l'expression du journaliste Christophe Rigaud, est particulièrement contraignant pour le pouvoir congolais qui, jusqu'à présent, visait, dans le meilleur des cas, 2019 pour l'organisation des élections. Autrement dit, une date à la fois lointaine et incertaine. « 2018, en réalité, c'est déjà demain », sourit un ambassadeur en poste à Kinshasa. D'autant que Nikki Haley, histoire de presser un peu plus le pouvoir congolais, a pris soin d'ajouter : « En 2018 et pas fin 2018, mais au plus tôt. »
Un langage diplomatique qui masque une réelle fermeté à l'égard de Joseph Kabila
De fait, même si, de son point de vue, elle ne paraît pas complètement satisfaisante, la visite de Nikki Haley a clairement penché en faveur de l'opposition RD congolaise. Au sortir de son entretien avec Joseph Kabila, l'ambassadrice américaine a déclaré à un petit groupe de journalistes : « C'était une conversation ferme et franche. » Et d'ajouter : « Nous avons clairement fait savoir que les États-Unis voulaient voir des élections en République démocratique du Congo être organisées en 2018 et que nous n'accepterions plus un nouveau report. » Des propos diplomatiques, si tant est qu'ils puissent l'être, car en off l'ambassadrice américaine s'est montrée encore plus incisive. « Bien que Haley n'ait pas mentionné Kabila par son nom, elle a suggéré qu'il était temps pour lui de s'en aller », rapporte la très influente chaîne de télévision américaine CNN sur son site internet. Une confidence faite par la diplomate à une poignée de journalistes qui l'accompagnaient. En outre, toujours selon CNN, citant les propos d'un de ses assistants, Nikki Haley aurait expressément évoqué un « transfert pacifique du pouvoir ». Des propos qui excluent tout nouveau mandat pour Joseph Kabila. Au final, selon plusieurs témoins, les messages que Nikki Haley a fait passer à Joseph Kabila ont été à la fois « durs, clairs et sans équivoque ».
De quoi donc rasséréner une opposition congolaise, sur laquelle la venue de Nikki Haley a eu un effet bénéfique pour le moins inattendu. C'est ensemble, en effet, et d'une seule et même voix, que quatre des principaux chefs de partis ou mouvements politiques – Félix Tshisekedi, le président du Rassemblement, Pierre Lumbi, le président du G7 (l'une des nombreuses plateformes à soutenir la candidature de Moïse Katumbi à l'élection présidentielle) et du conseil des sages du Rassemblement, Eve Bazaïba, la présidente du MLC de Jean-Pierre Bemba, et Vital Kamerhe, le président de l'UNC, un parti qui connaît de fortes turbulences et qui est tout récemment revenu dans les rangs de la « vraie opposition » – ont exprimé leur position commune face à Nikki Haley lors d'une entrevue avec la diplomate américaine. « Nous avons défendu le même point de vue par rapport à la sortie de crise de notre pays », a confirmé Eve Bazaïba sur son compte Twitter au sortir du rendez-vous avec l'ambassadrice américaine. « Alors qu'on la disait minée par les divisions en raison de l'entreprise de débauchage menée par le camp présidentiel, l'opposition RD congolaise a présenté un front uni qu'on ne lui connaissait plus », constate un diplomate américain.
Et maintenant ?
En dépit d'un discours très souverainiste, difficile pour Kinshasa de ne pas tenir compte des prescriptions de Washington. Les dirigeants congolais redoutent de nouvelles sanctions, aussi dérangeantes sur le plan individuel que pénalisantes sur le plan politique, en dépit de leurs dénégations (voir à ce propos le récent déplacement de Lambert Mende à Bruxelles, NDLR). D'autant plus que celles-ci frapperaient cette fois-ci directement Joseph Kabila lui-même et sa famille au portefeuille. En outre, les autorités congolaises savent aussi qu'elles ont besoin de l'aide du FMI, qu'elles ont d'ailleurs sollicité, sans quoi la situation économique, déjà très dégradée, pourrait encore s'aggraver et pousser le peuple à se soulever. Une hypothèse redoutée par Kinshasa. Du coup, le pouvoir pourrait être tenté d'abattre une dernière carte : celle d'un troisième dialogue auquel l'opposition s'était, jusqu'à présent, refusée, mais sur lequel planerait une épée américaine de Damoclès. En pareil cas, une nouvelle médiation (qui prendrait une forme différente de la précédente) pourrait être confiée aux… évêques de la Cenco. Bien qu'ils aient été ignorés puis vilipendés après la signature de l'accord de la Saint-Sylvestre par des responsables de la majorité, ces derniers ont cherché à entrer en contact avec eux. Les proches de Joseph Kabila ont en effet peu goûté les propos très offensifs tenus par les évêques à Nikki Haley, d'autant que cette dernière les a repris à son compte lors de son entretien avec le chef de l'État congolais. Mais le rapport de force semble s'être inversé. Sous la pression américaine, Kinshasa pourrait ainsi se voir contraint de faire de nouveau appel à la Cenco.
L'attitude (prévisible) de l'opposition
L'opposition, qui dialogue avec les milieux diplomatiques, serait prête à adhérer à la position américaine qui consiste à organiser des élections en 2018, à condition toutefois qu'elles le soient dans un délai de 200 jours à dater d'aujourd'hui, soit au plus tard en avril 2018. « Nous avons clairement fait comprendre à madame Haley que nous n'avons pas trop de problèmes s'il y a des signaux, des signaux forts. Actuellement, la balle est dans le camp du président Kabila. Le premier des signaux, c'est qu'il y ait publication d'un calendrier réaliste et pas la fantaisie 2019. Ça, nous ne l'accepterons jamais », a clairement indiqué Pierre Lumbi, le président du conseil des sages du Rassemblement. Cependant, pour l'opposition, tout cela ne serait valable qu'à la condition sine qua non que soient mis en œuvre trois préalables. Il s'agirait, outre de la publication du calendrier électoral, de la réforme de la Ceni ainsi que des mesures de décrispation politique (liberté d'expression et de manifestation, libération des opposants politiques, retour des opposants exilés à l'étranger, arrêt des poursuites judiciaires pour motif politique, réouverture des médias proches de l'opposition, fin du dédoublement des partis politiques de l'opposition, etc.). En l'absence de tels signaux et faute d'alternative, il est fort à parier que cette opposition « raisonnable », qui fait tout pour éviter que le sang des Congolais ne coule de nouveau, rejoindrait le camp de ceux qui appellent d'ores et déjà le peuple à prendre en main sa destinée et bouter Joseph Kabila hors du palais présidentiel. 
Au soir de ce vendredi 27 octobre, alors que la nuit s'abat sur Kinshasa et que l'avion de Nikki Haley s'en est allé, j'échange quelques mots avec Polycarpe, un agent des douanes congolaises de l'aéroport international de N'djili à Kinshasa. Après lui avoir révélé ma profession, il me confie à l'oreille être « un partisan de toujours » de l'UDPS, le parti fondé par feu l'opposant Étienne Tshisekedi. Avant de me laisser partir, Polycarpe tient à me rappeler cette page d'histoire de la RDC. Nous sommes en 1997. Les rebelles sont aux portes de Kinshasa. Bill Richardson, l'ambassadeur américain, est envoyé par le président Bill Clinton dans ce qui est pour quelques mois encore le Zaïre pour rencontrer Joseph Mobutu. Sa mission : lui demander de quitter le pouvoir avant qu'il ne soit trop tard. On connaît la suite.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.