19 02 18 Intervention de Mme Ida Sawyer de HRW à la réunion du Conseil de sécurité

Le 21 janvier, les forces de
sécurité ont abattu Thérèse Kapangala, 24 ans, juste devant son église à
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, peu après la messe
dominicale. La balle a pénétré son bras et a atteint son cœur. Thérèse est
décédée sur le chemin de l’hôpital. Elle étudiait pour devenir religieuse et
prévoyait d’entrer dans un couvent en juillet. La famille de Thérèse – dont son
père, policier, et son oncle, prêtre – a été empêchée de retirer son corps de
la morgue pendant plus de deux semaines, avant de pouvoir finalement l’enterrer
vendredi dernier.

Thérèse n’est que l’une des
nombreuses personnes congolaises tuées dans le cadre de la campagne brutale
menée par le gouvernement à l’encontre de tous ceux qui s’expriment en faveur
de la démocratie et des droits fondamentaux en RD Congo, et menée avec le but
de maintenir un homme au pouvoir en violation de la constitution du pays.

Les 31 décembre et 21
janvier, des dizaines de milliers de fidèles catholiques et d’autres personnes
ont protesté dans plusieurs villes, appelant le président Joseph Kabila à
respecter la limite de deux mandats prévue par la constitution, à autoriser la
tenue de nouvelles élections et à quitter le pouvoir. Les forces militaires, de
police et de renseignement ont réagi en recourant à une force inutile ou
excessive, tirant des gaz lacrymogènes et des balles réelles afin de disperser
les foules, et même dans certains cas en tirant à l’intérieur des églises et
sur les terres paroissiales. Au moins 16 personnes ont été tuées et des
dizaines d’autres ont été blessées ou arrêtées, dont de nombreux prêtres catholiques.
Le nombre réel de victimes est probablement beaucoup plus élevé, car les forces
de sécurité ont emporté des corps vers des lieux inconnus.

Au cours des trois dernières
années, le président Kabila et ses proches ont utilisé une tactique dilatoire
après l’autre pour reporter les élections et renforcer leur pouvoir par la
répression brutale, la violence à grande échelle et d’autres violations des
droits humains, financés par la corruption systémique. Les forces de sécurité
ont abattu près de 300 personnes lors de manifestations politiques pendant
cette période. La coalition de Kabila au pouvoir a systématiquement interdit
les réunions et les manifestations de l’opposition, tout en emprisonnant des
centaines de dirigeants et de sympathisants de l’opposition, ainsi que des
défenseurs des droits humains et de la démocratie. Nombre d’entre eux ont été
incarcérés dans des centres de détention secrets, sans inculpation ni accès à
des membres de leur famille ou à un avocat. D’autres ont été jugés sur base d’accusations
forgées de toutes pièces. En juillet dernier, des hommes armés non identifiés
ont tiré sur un juge, manquant de le tuer, car il refusait de rendre une
décision contre un chef de l’opposition. Le gouvernement a également fermé des
médias congolais, expulsé des journalistes et des chercheurs internationaux
déterminés et réduit périodiquement l’accès à Internet et aux messages SMS.

Un accord de partage du
pouvoir conclu sous l’égide de l’Église catholique et signé à la
Saint-Sylvestre 2016 a fourni à Kabila une excuse pour se maintenir au pouvoir
une année de plus, soit au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats
arrivés à échéance le 19 décembre 2016. Mais cet accord contenait également un
engagement à mettre en œuvre des mesures de décrispation et organiser des
élections d’ici la fin de 2017. Cependant, ces engagements ont été largement
bafoués: le nouveau gouvernement, le Conseil national de suivi de l’accord
(CNSA) et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ont exclu les membres
de la principale coalition de l’opposition et sont sous le contrôle total de la
coalition de la majorité présidentielle de Kabila, tandis que la répression et
les retards électoraux continuent.

Malgré la publication par la
CENI du calendrier électoral en novembre – fixant au 23 décembre 2018 la
nouvelle date pour des élections, avec la mise en garde que de nombreuses «
contraintes » pourraient repousser encore cette date – Kabila n’a pas démontré
qu’il s’apprêtait à se retirer ni à créer un climat propice à des élections
libres, équitables et crédibles. Lors d’une rare conférence de presse le mois
dernier, Kabila a refusé de dire explicitement qu’il quitterait ses fonctions
d’ici la fin de 2018 ou qu’il ne tenterait pas de se représenter.

Certains membres de la
majorité présidentielle de Kabila évoquent encore un éventuel référendum ou
d’autres modifications du processus électoral qui permettraient à Kabila de se
maintenir au pouvoir.

De nombreuses organisations
de la société civile congolaise ont dénoncé le calendrier de la CENI comme une
simple tactique dilatoire. Elles ont appelé à la démission immédiate de Kabila
et à l’organisation d’une transition citoyenne sans Kabila, qui rétablirait
l’ordre constitutionnel et organiserait des élections crédibles.

Bien que M. Nangaa ait vanté
les nombreuses réalisations de la CENI à ce jour, des inquiétudes ont déjà été
soulevées concernant la fraude potentielle lors du processus d’enrôlement des
électeurs, avec un nombre inexplicablement élevé d’électeurs enregistrés dans
certaines régions et aucune observation indépendante. De nombreuses personnes
ont également exprimé leurs craintes que la machine à voter électronique
proposée crée de nouvelles occasions de fraude dans la façon dont les votes
sont comptabilisés. Et sachant qu’il faudra montrer à de nombreux Congolais
comment utiliser la machine, cela les empêchera de voter à scrutin secret. Les
experts électoraux internationaux des organismes régionaux et internationaux –
mandatés lors d’une réunion en septembre dernier pour aider à restaurer la
confiance envers le processus électoral – n’ont pas encore commencé leur
travail, les responsables de la CENI rejetant l’idée que les experts puissent
conserver leur indépendance. Sans transparence, et la coalition au pouvoir
contrôlant l’ensemble du processus, il n’est pas surprenant qu’il y ait peu de
confiance parmi les activistes congolais pro-démocratie et les dirigeants de
l’opposition.

Le refus de Kabila de se
conformer à la Constitution et de renoncer à la présidence peut s’expliquer en
partie par la fortune considérable que lui et sa famille ont accumulée pendant
son mandat et par les millions de dollars de revenus miniers qui ont disparu.
Une telle corruption a contribué à priver le gouvernement des fonds qui lui auraient
permis de répondre aux besoins fondamentaux d’une population appauvrie.

Pire encore, des sources
bien placées au sein des services de sécurité et de renseignement ont décrit à
Human Rights Watch des tentatives des autorités pour semer la violence et
l’instabilité dans une grande partie du pays, dans une « stratégie du chaos »
apparemment délibérée afin de justifier de nouveaux retards électoraux.

Depuis août 2016, une
éruption de violence impliquant les forces de sécurité congolaises, les milices
soutenues par le gouvernement et les groupes armés locaux a fait jusqu’à 5.000
morts dans la région centrale du Kasaï. En mars dernier, deux enquêteurs de
l’ONU – Michael Sharp, un Américain, et Zaïda Catalán, de double nationalité
suédoise et chilienne – ont été tués alors qu’ils enquêtaient sur de graves
violations des droits humains dans la région. Alors que les autorités
congolaises continuent à incriminer les membres d’une milice locale et qu’elles
ont interféré à plusieurs reprises dans l’enquête judiciaire congolaise sur les
meurtres, les enquêtes de Human Rights Watch ainsi que des rapports publiés par
Radio France Internationale et par Reuters s’orientent vers une responsabilité
du gouvernement.

Des violences à grande
échelle se sont poursuivies dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et
celle du Tanganyika, et plus récemment dans la province de l’Ituri, où plus de
30 personnes auraient été tuées dans des combats interethniques au début du
mois, dans l’est de la RD Congo. Aujourd’hui, plus de 120 groupes armés sont
actifs dans l’est de la RD Congo. Nombre de ces groupes reçoivent le soutien du
gouvernement et des forces de sécurité congolaises, tandis que d’autres ont
formé des coalitions contre le gouvernement Kabila. Pourtant, la menace la plus
grave pour les civils congolais provient des forces de sécurité destinées à les
protéger. Selon le Bureau de l’ONU aux droits de l’homme en RD Congo, 1.180
personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires par des « agents de
l’État » congolais en 2017, soit beaucoup plus que celles qui ont été tuées par
les groupes armés, et leur nombre a triplé en deux ans.

Les conséquences de cette
violence ont été dévastatrices. Près de 4,5 millions de personnes sont
déplacées en RD Congo aujourd’hui, soit davantage que dans tout autre pays
d’Afrique. En octobre dernier, les Nations Unies ont classé la RD Congo comme
une « urgence humanitaire de niveau 3 » (le plus haut niveau), une catégorie
réservée à seulement trois autres pays: la Syrie, l’Irak et le Yémen. Les pays
voisins sont de plus en plus préoccupés par la détérioration de la situation en
RD Congo et par les risques que la crise politique du pays fait peser sur la
stabilité dans une région déjà fragile.

Alors que les forces de
sécurité fomentent elles-mêmes une grande partie de la violence en RD Congo,
cela a également servi de prétexte aux retards électoraux. En juillet dernier,
M. Nangaa a affirmé que la violence dans les Kasaïs était l’une des principales
raisons pour lesquelles les élections n’auraient pas lieu en 2017. Pas plus
tard que la semaine dernière, il a déclaré que la reprise des violences en
Ituri pourrait « impacter négativement » sur le calendrier électoral.

S’il n’y a pas de doute que
la logistique de l’organisation des élections en RD Congo constitue un défi, le
pays y est parvenu dans le passé, aussi bien en 2006 qu’en 2011, lorsque Kabila
a été élu pour ses premier et deuxième mandats, malgré les menaces de sécurité
persistantes.

Quelles excuses
supplémentaires pouvons-nous attendre dans les semaines et les mois à venir?
Combien d’autres promesses seront-elles brisées? Et plus important encore,
combien de Congolais de plus seront tués, blessés et emprisonnés alors qu’ils
cherchent à exercer leurs droits humains fondamentaux pour manifester,
s’exprimer et s’associer librement de façon pacifique?

Ce Conseil et les États
membres des Nations Unies ont reconnu qu’un cycle électoral crédible et
pacifique est crucial pour une paix et une stabilité durables en RD Congo. De
nombreuses déclarations fortes ont été faites et des résolutions du Conseil de
sécurité ont été adoptées, insistant d’abord sur le fait que les élections
devaient se tenir d’ici fin 2016, conformément à la constitution congolaise,
puis que les élections devaient avoir lieu d’ici fin 2017, conformément à
l’Accord de la Saint-Sylvestre.

La question clé aujourd’hui
est, en quoi est-ce différent cette fois? Qu’est-ce qui convaincra Kabila et
d’autres hauts responsables que la communauté ne tolérera pas de nouveaux
retards et que les violations des droits humains contre les manifestants, les
activistes de la société civile, les membres de l’opposition et les
journalistes doivent cesser pour permettre un processus crédible, juste et
pacifique?

De nouveaux retards
électoraux, une possible manipulation de la constitution par Kabila afin de lui
permettre de briguer un troisième mandat, ou bien une élection frauduleuse ou
violente ne résoudront pas les problèmes sous-jacents de la RD Congo ni
n’apporteront au pays une paix et une stabilité plus grandes. De tels scénarios
doivent être évités.

Le Conseil de sécurité, sa
mission de maintien de la paix en RD Congo, la MONUSCO, les États membres de
l’ONU et l’Union africaine ont un poids important. Il est temps d’utiliser cet
effet de levier pour le bien-être du peuple congolais.

Premièrement, le Conseil de
sécurité devrait signaler clairement que le 23 décembre 2018 est la date limite
pour la tenue d’élections crédibles. Entre-temps, le Conseil devrait être prêt
à défier le gouvernement s’il ne crée pas un environnement propice à des
élections crédibles, où tous les Congolais sont libres d’exprimer leur choix,
de participer aux élections et de manifester pacifiquement.

Deuxièmement, lors du
renouvellement du mandat de la MONUSCO, le Conseil de sécurité devrait
conserver des termes forts concernant la protection des civils, notamment dans
le contexte des élections. Il devrait également demander au Département des
opérations de maintien de la paix de fournir à la mission des ressources
suffisantes pour protéger efficacement les manifestants pacifiques contre la
force illégale employée par les forces de sécurité congolaises, notamment en
déployant des unités de police des Nations Unies formées et équipées pour
travailler en milieu urbain. Conformément à la politique de l’ONU de diligence
raisonnable en matière de droits de l’homme, le Conseil devrait veiller à ce
qu’aucun soutien de l’ONU ne soit apporté aux forces de sécurité congolaises
responsables d’abus. Au vu des abus généralisés du gouvernement, cela pourrait
nécessiter de suspendre toutes les opérations conjointes et le soutien aux
forces de sécurité congolaises, jusqu’à ce que des mesures concrètes soient
prises pour mettre fin aux violations généralisées des droits humains et pour
traduire en justice leurs auteurs, quel que soit leur grade.

Troisièmement, des critères
et des limites claires devraient être établis pour déterminer si les violations
continues des droits humains portent atteinte à l’environnement favorable aux
élections prévues. Ces critères pourraient inclure les délais fixés dans le
calendrier de la CENI, et résumés dans la note conceptuelle de cette réunion,
ainsi que les mesures suivantes pour ouvrir l’espace politique:

– Remettre en liberté tous
les prisonniers politiques et les activistes détenus arbitrairement;

– Abandonner les accusations
reposant sur des motifs politiques à l’encontre de dirigeants politiques et
d’activistes, et permettre aux personnes qui vivent en exil de rentrer
librement en RD Congo, à commencer par celles citées dans l’accord du Nouvel
An;

– Permettre aux médias
fermés arbitrairement de reprendre leurs activités;

– Permettre à l’opposition
politique, à la société civile et aux mouvements de citoyens, ainsi qu’aux
chefs religieux, d’organiser des réunions politiques et des manifestations
pacifiques sans crainte de répression;

– Veiller à ce que les
observateurs des droits humains de l’ONU aient libre accès aux lieux de
détention officiels et non officiels, aux établissements médicaux et aux
morgues;

– Cesser les interférences
arbitraires avec Internet, la messagerie texte SMS et les plateformes de médias
sociaux;

– Assurer la transparence
des opérations de la CENI et la coopération avec les experts électoraux
internationaux.

Quatrièmement, le Conseil
devrait demander à la Représentante spéciale du Secrétaire général en RD Congo,
Leila Zerrougui, d’organiser régulièrement des réunions d’information pour
évaluer si les progrès nécessaires sont réalisés et être disposé à imposer des
mesures, dans le cas où de graves violations des droits humains se poursuivent.
Ces mesures pourraient inclure des modifications au mandat de la MONUSCO, le
soutien à de nouveaux efforts régionaux, un appel aux États membres à
s’abstenir de fournir des armes meurtrières aux forces de sécurité congolaises,
et l’élargissement de sanctions ciblées, notamment contre le Président Kabila
et d’autres personnes responsables de violations graves des droits humains
internationaux et du droit international humanitaire. Au début du mois, le
Conseil a annoncé des sanctions importantes contre un général de l’armée
congolaise et trois dirigeants de milices qui ont été impliqués dans de graves
abus dans l’est de la RD Congo. L’impact de telles actions serait beaucoup plus
fort si le Conseil s’en prenait à un plus haut niveau dans la chaîne de
commandement.

Le Conseil de sécurité, de
concert avec l’Union africaine et les autres États membres de l’ONU, a une
occasion cruciale de démontrer qu’il est dans leur intérêt de promouvoir le
respect et la promotion des droits du peuple congolais. Mais cela nécessitera
de passer rapidement de déclarations fortes à des actions concrètes.

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